WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La place de l'affaire Eichmann dans le processus de construction de la mémoire de la Shoah en France au début des années 1960

( Télécharger le fichier original )
par Patrick Gillard
Université libre de Bruxelles - Licencié en histoire 2009
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

République fédérale d'Allemagne

Faute d'une connaissance suffisante de l'allemand, notre survol historiographique se limitera ici à deux ouvrages parus directement en anglais.

Dans le premier livre déjà signalé, un quatuor d'universitaires calcule scrupuleusement l'ampleur des couvertures de presse allemande et israélienne de quatre grands procès liés à l'holocauste -- celui d'Eichmann compris -- organisés entre 1945 et 1986 dans ces deux pays 44(*). Dans le second livre, l'historien britannique Donald Bloxham entend avant tout déceler l'influence des procès de l'immédiat après-guerre -- ceux de Nuremberg en tête -- sur le processus global d'élaboration de la mémoire et de l'histoire de l'holocauste 45(*). Sans surprise, le procès de Jérusalem n'y apparaît que très accessoirement.

Même si l'affaire Eichmann fait l'objet d'une large couverture médiatique en RFA (dans l'ordre décroissant d'importance : la presse écrite, la télévision et la radio), la communauté scientifique s'accorde pour minimiser les effets qu'elle a eus sur la prise de conscience du génocide nazi par la population allemande 46(*). Pour le spécialiste des génocides Donald Bloxham, cette prise de conscience commence seulement à devenir une réalité en 1979 -- avec la diffusion à la télévision allemande du feuilleton américain Holocaust 47(*).

France

Notre examen historiographique s'ouvre ici par une contribution de David Weinberg -- un historien américain qui connaît bien l'attitude de la communauté juive de l'Hexagone envers la Shoah. Pour l'auteur de l'article « France » dans l'ouvrage monumental, unique en son genre, qui passe en revue la réaction d'une vingtaine de pays et celle des Nations Unies face à l'holocauste depuis 1945, « il n'y aucun doute que c'est le procès d'Adolf Eichmann en 1961 qui a surtout suscité le regain d'intérêt des Juifs de France pour l'Holocauste durant cette période » -- c'est-à-dire au début des années 1960 48(*). [notre traduction]

Dans la nation française à la même époque, « l'amorce d'une prise de conscience du sort réservé aux Juifs par les nazis est, avant tout, tributaire de l'impact du procès Eichmann » -- note de son côté l'historienne Julie Maeck dans son étude déjà citée 49(*).

Les diverses chronologies censées retracer les grandes étapes de l'histoire de la mémoire de la Shoah en France, dont l'historienne Annette Wieviorka est friande, constituent une source idéale pour terminer notre survol historiographique 50(*). Dans son tout premier tableau divisé en quatre séquences chronologiques, l'avant-dernière période qu'elle fait commencer à la fin des années 1950 serait, selon elle, « marquée par le moment décisif que représenta en 1961 le procès d'Adolf Eichmann » en France 51(*).

L'historienne semble toutefois relativiser quelque peu la portée mémorielle de ce procès par la suite. Comme lorsqu'elle note dans un article déjà évoqué qu'elle rédige avec le journaliste Nicolas Weill : « Chez les Juifs de France, la guerre des Six-Jours amène une rupture, probablement préparée par le procès Eichmann 52(*). »

Quoi qu'il en soit, l'historienne est intarissable sur l'histoire de la mémoire de la Shoah. La dernière étude qu'elle consacre à notre connaissance à son sujet de prédilection a fait l'objet d'une publication en 2008 dans un ouvrage collectif sur les guerres de mémoires dans l'Hexagone. Dans ce récent article, elle entend notamment démontrer que la mémoire du génocide des Juifs entre dans la sphère publique « avec le procès Eichmann, qui marque un véritable tournant en France, en Allemagne, aux États-Unis comme en Israël » 53(*) -- comme s'il avait eu alors les mêmes conséquences dans les quatre pays. Ne tombe-t-elle pas, ici aussi, dans le piège de la généralisation hâtive ?

Quel crédit accorder enfin à ses différentes affirmations cherchant à prouver l'importance mémorielle précoce de cette affaire en France, alors qu'elle soutient elle-même dans un texte consacré à son filmage, publié dans un récent recueil de conférences réalisé avec Sylvie Lindeperg, que « l'intérêt porté au procès est faible » dans l'Hexagone : en termes de retransmission sur le petit écran, par exemple, « la France rest[e] en retrait » : la télévision française « achète peu d'images » 54(*) ? La résolution de ce genre de contradiction constitue aussi un des objectifs de notre étude.

Ce survol historiographique accompli, la première question est de savoir si cette affaire marque bien, comme Annette Wieviorka le prétend depuis 1998, un tournant important comparable dans le processus de construction de la mémoire de la Shoah des quatre pays étudiés dans ces pages ? Notre examen montre au contraire des situations très différentes d'un pays à l'autre. Ces éléments nouveaux étayent l'hypothèse selon laquelle une partie de la communauté historique, en particulier en France, aurait tendance à exagérer et à généraliser le poids que cette affaire a eu dans le processus mémoriel de la Shoah.

L'État hébreu est le seul pays pour lequel il y a unanimité au sein de la communauté des historiens pour dire que cette affaire constitue bien dès le départ un tournant majeur dans le processus mémoriel. Les innombrables conséquences qu'elle entraîne y dépasseront même les limites du domaine de la mémoire. S'il existe aussi une sorte de consensus dans la communauté historique pour affirmer que cette affaire représente un des fondements du processus mémoriel aux États-Unis, ses représentants ne s'entendent cependant pas sur le degré d'importance à lui donner. La communauté scientifique s'accorde enfin pour minimiser la portée qu'elle a eue en RFA. Somme toute, autant de situations que de pays !

Comment dans ces conditions ne pas s'attendre à une situation spécifique pour la France ? Comment accréditer l'idée que cette affaire y marque un tournant majeur dans le processus mémoriel alors que, à l'exception de l'État hébreu, cela ne semble pas le cas ailleurs -- ni aux États-Unis ni en RFA ? La thèse du tournant décisif précoce en France repose-t-elle dès lors sur des faits avérés ou résulte-t-elle au contraire -- c'est notre hypothèse -- d'une exagération et d'une généralisation tardives ? La réponse à ces différentes questions exige une évaluation préalable minutieuse des effets que chaque phase de cette affaire a eus en France comme dans les trois autres pays étudiés ici.

* 44 Akiba A. COHEN, Tamar ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et Birgit SCHENK, op. cit., VIII et 184 p. 

* 45 Donald BLOXHAM, Genocide on Trial. War Crimes Trials and the Formation of Holocaust History and Memory, Oxford University Press, Oxford, 2005, XIX et 273 p.

* 46 Akiba A. COHEN, Tamar ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et Birgit SCHENK, op. cit., pp. 26-27 ; Donald BLOXHAM, op. cit., pp. 134-135. Comme pour Israël, il y aurait donc ici aussi unanimité dans la communauté historique.

* 47 Donald BLOXHAM, op. cit., p. 135.

* 48 David WEINBERG, « France », dans David S. WYMAN et Charles H. ROSENZVEIG (dir.), The World Reacts to the Holocaust, The Johns Hopkins Univeristy Press, Baltimore, 1996, p. 22.

* 49 Julie MAECK, op. cit., p. 54.

* 50 Annette WIEVIORKA, Déportation et génocide. Entre la mémoire et l'oubli, Hachette Littératures, Paris, Collection « Pluriel Histoire », 2003, pp. 19-22 -- première édition : Plon, Paris, 1992 ; Annette WIEVIORKA, « La construction de la mémoire du génocide en France », dans Des usages de la mémoire. Le Monde Juif. Revue d'histoire de la Shoah, vol. 49, n° 149, septembre-décembre 1993, pp. 23-38 ; Nicolas WEILL et Annette WIEVIORKA, loc. cit., pp. 163-191 ; Annette WIEVIORKA, « Shoah : les étapes de la mémoire en France », dans Pascal BLANCHARD et Isabelle VEYRAT-MASSON (dir.), Les Guerres de mémoires. La France et son histoire. Enjeux politiques, controverses historiques, stratégies médiatiques, Éditions La Découverte, Paris, 2008, pp. 107-116.

* 51 Annette WIEVIORKA, Déportation... op. cit., p. 19.

* 52 Nicolas WEILL et Annette WIEVIORKA, loc. cit., p. 182.

* 53 Annette WIEVIORKA, « Shoah... » loc. cit., p. 110.

* 54 Sylvie LINDEPERG et Annette WIEVIORKA, Univers concentrationnaire et génocide. Voir, savoir, comprendre, Mille et une nuits, Paris, 2008, p. 78.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein