WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La place de l'affaire Eichmann dans le processus de construction de la mémoire de la Shoah en France au début des années 1960

( Télécharger le fichier original )
par Patrick Gillard
Université libre de Bruxelles - Licencié en histoire 2009
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

La double polémique

L'initiative israélienne ne fait pourtant pas l'unanimité. La déclaration de Ben Gourion déclenche également une double polémique à l'échelle planétaire dont le recueil du ministère des Affaires étrangères israélien ne rend qu'incidemment compte. Cette controverse porte à la fois sur la légitimité de la capture d'Eichmann par des agents israéliens en Argentine et sur celle de le traduire devant un tribunal israélien 70(*). Quel est le retentissement de cette double polémique dans l'Hexagone ?

L'historienne Annette Wieviorka prend-elle en considération les journaux français lorsqu'elle affirme dans son ouvrage déjà mentionné sur l'affaire Eichmann que « la polémique sur la légitimité de cet enlèvement s'étale dans la presse » 71(*) ? L'absence de précision nous empêche de trancher. Par contre, quelques coupures de journaux parisiens reproduites dans la plaquette de propagande israélienne se font bien l'écho -- certes partialement -- du débat médiatique que cette double controverse ne manque pas de déclencher en France.

Ainsi, l'auteur de l'article paru le 10 juin 1960 dans Libération s'étonne que certains juristes français puissent réclamer le rapatriement immédiat d'Eichmann en Argentine -- une méprise impardonnable à ses yeux 72(*). De même, Eugène Aroneanu signe un article dans l'édition du journal Le Monde du 11 juin 1960 dont le titre à lui seul -- « Israël a tout à fait le droit de juger Eichmann » [notre traduction] -- indique clairement que son auteur fait partie des défenseurs de l'initiative de l'État hébreu 73(*).

En l'absence d'un corpus d'articles plus représentatif 74(*), l'hypothèse selon laquelle cette double polémique aurait également fait l'objet d'une large couverture de presse en France ne peut être totalement écartée. Mais ainsi que nous le montrent les rares indices en notre possession, comme les indications (si elles sont dignes de foi) fournies par le recueil d'articles du ministère israélien, cette couverture française ne soutient pas la comparaison avec la médiatisation de l'affaire en Israël, aux États-Unis et en RFA.

La possibilité que même les adversaires de l'initiative israélienne aient pu dans une certaine mesure participer au débat médiatique en France, comme cela semble avoir été particulièrement le cas aux États-Unis, ne peut être totalement exclue non plus. De fait, comme le note l'historien américain Peter Novick dans son ouvrage de référence déjà signalé : « Dans les premières semaines qui suivirent le discours de Ben Gourion, plus des deux tiers des éditoriaux portèrent un jugement négatif à un titre ou à un autre 75(*). »

La presse écrite mondiale -- journaux français compris donc -- relaie également ce que l'historien israélien Tom Segev appelle la « querelle historiographique et politique » 76(*). Ce différend de nature juridique oppose les partisans -- Ben Gourion en tête -- d'un jugement d'Eichmann à Jérusalem, à d'éminentes personnalités de la diaspora juive -- le président du Congrès juif mondial Nahum Goldmann, le philosophe Martin Buber, le président honoraire du Congrès juif américain Joseph Proskauer de même que le grand ami d'Hannah Arendt, le philosophe allemand Karl Jaspers -- toutes davantage disposées à faire traduire le criminel nazi devant une cour internationale de justice 77(*).

* 70 Pour Gorny, l'affaire Eichmann en est alors encore à son niveau juridique. « Au cours des années 1960-1964, le débat sur cette affaire s'est déroulé en trois phases et à trois niveaux : 1) le niveau juridique où l'on a débattu de la légalité de l'enlèvement et de la compétence d'Israël à juger Eichmann au regard du droit international ; 2) le niveau moral portant sur le verdict et l'exécution de la sentence ; 3) le niveau national après la tempête soulevée par le livre de Hannah Arendt ». (Yosef GORNY, op. cit., p. 47) Ce dernier niveau n'entre pas en ligne de compte dans notre étude. Sur la justification de notre choix, voir supra.

* 71 Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., p. 21. Pour plus détails sur « la polémique internationale et la résolution de l'ONU », voir ibid., pp. 19-21.

* 72 Eichmann... op. cit., p. 14.

* 73 Ibid., pp. 12-13. Le journaliste qui s'exprime dans l'édition du 9 juin 1960 du journal Le Populaire de Paris défend lui aussi cette position. (ibid., p. 14)

* 74 Seul un dépouillement systématique de la presse française contemporaine de l'affaire fournirait un corpus d'articles assez représentatif. Sur les raisons qui ont motivé notre choix de ne pas entreprendre ce genre de dépouillement, voir supra.

* 75 Peter NOVICK, op. cit., p. 181.

* 76 Tom SEGEV, op. cit., p. 390.

* 77 Ibid., pp. 389-394 ; Elisabeth YOUNG-BRUEHL, op. cit., p. 431. Voir aussi Yosef GORNY, op. cit., pp. 52-75. La plaquette éditée par le ministère des Affaires étrangères israélien reproduit exclusivement l'opinion de journalistes du monde entier qui réclament à la suite de Ben Gourion le jugement d'Eichmann à Jérusalem.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote