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L'interprétation des clauses anti-abus contenues dans les conventions fiscales bilatérales

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par Till JOUAUX
Université Lumière Lyon 2 - Master 2 Droit Privé Général 2010
  

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Faculté de Droit et Science Politique

Année universitaire 2009-2010

Master II - Recherche Droit privé général

MÉMOIRE

L'INTERPRÉTATION DES CLAUSES ANTI-ABUS
CONTENUES DANS LES CONVENTIONS
FISCALES BILATÉRALES.

Till JOUAUX

-Sous la direction de M. le Professeur Jean-Philippe DOM-

Mes remerciements vont à Monsieur Jean-Philippe DOM pour avoir accepté de diriger mes recherches, m'aidant par ses précieux conseils, ainsi qu'à Monsieur Édouard TREPPOZ, responsable du Master II Recherche Droit privé général.

« Quand un nouvel abus s'introduit, ce n'est point innover que d'y proposer un nouveau remède »

Jean-Jacques ROUSSEAU

Lettres écrites de la montagne, Lettre VII, 1764.

Sommaire
Introduction p. 1

Partie 1 - Les règles dirigeant l'interprétation des clauses anti-abus

Titre 1- Les procédures possibles, ou règles de formes

p. 14

Chapitre 1- L'idéale interprétation supra-nationale

p.14

Chapitre 2- L'interprétation unilatérale française

p.18

Titre 2- Les méthodes de l'interprétation juridictionnelle française, ou principes de fond p. 24

Chapitre 1- Les valeurs des normes d'interprétation

p.24

Chapitre 2- L'interprétation des termes conventionnels

p.29

Partie 2 - Les solutions d'interprétation des clauses anti-abus

 

Titre 1- Le sens à donner aux clauses anti-abus

p. 37

Chapitre 1- La clause de résidence

p.37

Chapitre 2- D'autres clauses anti-abus

p.43

Titre 2- La portée des clauses anti-abus

p. 50

Chapitre 1- La portée par rapport au droit interne

p.50

Chapitre 2- La portée par rapport au droit communautaire

p.55

Table des matières

p. 61

Bibliographie

p. 63

La matière fiscale est peut être celle qui, par son objet, est la plus attachée à la souveraineté internationale des États 1. Non seulement ce sont ceux-ci qui la règlementent de manière exclusive dans les limites de leurs territoires respectifs, mais ce sont également eux qui, par l'intermédiaire de leurs administrations fiscales, la mettent en oeuvre afin d'assurer leurs moyens de subsistance.

Ce nationalisme fiscal est un obstacle que rencontrent les opérateurs du commerce international, puisqu'il les oblige à se soumettre à des législations multiples et autonomes dès lors qu'une opération est réalisée sur le territoire où s'exerce la souveraineté fiscale d'un État. Plus gênant encore, cette absence de prise en compte par les États du fonctionnement de la fiscalité à l'étranger peut conduire au phénomène de double-imposition juridique du revenu, c'est à dire lorsque une personne se retrouve redevable d'un impôt auprès de deux ou plusieurs États à raison d'un même fait générateur pour une même période 2. La personne se verra donc assujettie au paiement de l'impôt deux fois au titre d'un revenu unique. Deux cas de figure sont possibles, selon que les deux États retiennent des critères d'assujettissement à l'impôt sur le revenu différents ou semblables :

- Une personne résidant dans un État perçoit des revenus provenant d'un autre État et leurs législations fiscales respectives s'estiment toutes deux compétentes pour taxer ces revenus, l'État de résidence frappant tous les revenus reçus par ses résidents, alors que l'État dans lequel se situe le fait générateur entend imposer selon le principe de la source.

- Une personne réside dans deux États et ceux-ci retiennent tous deux le principe d'imposition du revenu mondial.

De longue date ce chevauchement des législations nationales non coordonnées a été identifié comme un frein au développement des échanges commerciaux mais aussi financiers et culturels 3. Pour lutter contre ce phénomène, et ce depuis la fin du XIX ème siècle 4, les

1 D. GUTMANN, Le juge fiscal et la loi étrangère, p. 192. In : Bibliothèque de l'Institut André TUNC Ed., Regards critiques et perspectives sur le droit et la fiscalité - Liber Amicorum Cyrille DAVID, Tome 8, Paris, LGDJ, 2005.

2 À distinguer de la double imposition économique où un même revenu est imposé par deux États, mais pas entre les mains de la même personne. Cette situation se rencontre concernant les distributions de bénéfices des sociétés et fait l'objet d'un régime distinct.

3 Rédaction des Éditions FRANCIS LEFEBVRE, Mémento Fiscal, Levallois, Francis Lefebvre, coll. Mémento pratique, 2009, p. 1206.

4 V. UCKMAR, Double Taxation Conventions, p. 150. In : A. AMATUCCI Ed., International Tax Law, Pays-Bas, Kluwer Law International, 2006.

États ont conclu entre eux des conventions fiscales bilatérales, traités internationaux organisant les compétences d'imposition réciproques, dans le cas où leurs législations internes leurs attribueraient tous deux un pouvoir d'imposition.

Cette organisation issue de la coopération des États s'est principalement développée de manière bilatérale, pour deux raisons.

Premièrement, la lutte contre la double imposition, bien que menée par les États, signifie pour eux un abandon de souveraineté fiscale sur certains revenus, matérialisé par une organisation des critères d'attribution de la recette fiscale à l'un ou l'autre des États, ou aux deux, mais de manière réduite. Cet abandon de souveraineté se comprend par la volonté des États de permettre à leurs ressortissants de développer leur activité économique à l'étranger et aux investisseurs étrangers de s'implanter sur leur territoire, sans craindre d'entraves fiscales. En tout état de cause la conclusion d'une convention fiscale de lutte contre la double-imposition réduit les recettes fiscales immédiates, les États n'y consentent donc qu'avec parcimonie et au terme de négociations avec l'autre partie.

Secondement, leur champ d'intervention, qui est de réaliser la jonction entre deux systèmes fiscaux originaux, est nécessairement conditionné par le particularisme de chaque législation nationale. La détermination du pouvoir d'imposer une catégorie de revenu à l'un ou l'autre des États suppose de connaître les spécificités de chacun des mécanismes nationaux préexistants.

Certes il existe des conventions de type multilatéral ; on peut citer la Convention fiscale entre les pays andins, signée le 16 novembre 1971 (« Convention for the Avoidance of Double Taxation within the Andean Group ») , la Convention Nordique de 1983 ( « Nordiska skatteavtalet ») et la Convention des pays des Caraïbes de 1994 (« Caribbean Community Double Taxation Agreement »). Certains auteurs 5 considèrent même que ce type de convention serait amené à remplacer les réseaux conventionnels dans les espaces économiques à marché commun, tel que l'Union européenne 6. Les principaux avantages d'un tel système seraient l'harmonisation des règles au sein de l'Union avec une interprétation uniforme des clauses conventionnelles au cas où la compétence d'interprétation serait confiée à la Cour de justice de l'Union européenne, ainsi qu'une élimination des distorsions de concurrence entre États. Cela étant, la pérennité des conventions fiscales bilatérales n'est pas en danger pour autant, en effet une telle multilatéralisation des conventions de lutte contre la

5 H. LOUKOTA, Multilateral Tax Treaty versus Bilateral Tax Treaty Network, p. 85. In : M. LANG Ed., Multilateral Tax Treaties : New Developments in International Tax Law, Pays-Bas, Kluwer Law International, coll. Series on International Taxation, 1998.

6 COMMISSION EUROPÉENNE, Droit communautaire et conventions fiscales, 2005, p. 15.

double-imposition nécessite une convergence des systèmes fiscaux nationaux, convergence difficile à obtenir au sein d'une Union plurielle.

Entre 1925 et 1950, plus de 800 conventions bilatérales furent conclues 7 et désormais le réseau conventionnel mondial est riche de plus de 2500 conventions 8, accompagnant ainsi le développement de la mondialisation économique. La France quant à elle dispose d'un des réseaux les plus étendus au monde avec environ 125 conventions 9.

Cependant, pour être des actes bilatéraux, les traités internationaux de lutte contre la double imposition n'en obéissent pas moins à une certaine cohérence à l'échelle mondiale ; en effet depuis le début du XX ème siècle une réflexion supra-nationale s'est développée, pour aboutir en 1921 à l'établissement au sein de la Société des Nations d'un « comité financier » chargé d'élaborer les premiers modèles de conventions de lutte contre la double-imposition internationale (Conférence de Genève de 1928, modèles de conventions de Mexico en 1943 et de Londres en 1946).

Suite à l'échec de la SDN, ce sont le Comité des affaires fiscales de l'Organisation européenne de coopération économique (OECE), devenue en 1961 l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et dans une moindre mesure l'ONU, qui ont repris la tâche de réaliser un système commun d'élimination des doubles impositions juridiques, en élaborant des modèles de conventions fiscales bilatérales pouvant servir de base aux négociations entre États, mais sans valeur juridique contraignante. Il reste que leur influence en pratique est très importante 10.

Après avoir présenté l'objectif des conventions fiscales bilatérales de lutte contre la double-imposition, il est nécessaire d'expliquer leur fonctionnement.

Tout d'abord les conventions fiscales déterminent le champ d'application (personnel, matériel et spatial) et les définitions communes qui seront utilisées pour mettre en oeuvre le mécanisme d'élimination des double-impositions : différents types de revenus, notions de résidence, d'établissement stable, etc.

Ensuite pour chaque type de revenus, la convention assigne le droit d'imposer à l'un ou l'autre
des deux États, voire aux deux de manière partagée. L'harmonisation internationale à conduit

7 IFA, Cinquième Congrès international de droit fiscal et financier, Revue internationale de droit comparé, 1951, Vol. 3, n° 4 , p. 668.

8 V. UCKMAR, Double Taxation Conventions, p. 149. In : A. AMATUCCI Ed., International Tax Law, Pays-Bas, Kluwer Law International, 2006.

9 Liste des conventions fiscales de lutte contre la double-imposition conclues par la France : Rédaction des Éditions FRANCIS LEFEBVRE, Mémento Fiscal, pp. 1213-1216.

10 1500 Conventions à l'échelle mondiale sont fondées sur les modèles OCDE, alors que 31 pays en sont membres : http://www.oecd.org .

à dégager des solutions généralement reprises par la plupart des conventions : les revenus de biens immobiliers sont imposés dans l'État de situation des immeubles, les bénéfices des entreprises réalisés par l'activité de leurs établissements stables implantés dans un État sont imposés dans celui-ci, quant aux autres revenus ils sont généralement imposés dans l'État de résidence de leur bénéficiaire. Le corollaire de ce dispositif d'octroi exclusif, ou partagé, du pouvoir d'imposer à l'un des États, est que l'autre État s'engage au plan international à ne pas lever d'impôt, ou à le faire selon les clés de partage adoptées au terme des négociations.

Enfin des mécanismes d'exemption (méthode de l'exonération) ou de crédit d'impôt (méthode de l'imputation) sont élaborés afin que la distribution de compétence fiscale décidée précédemment s'adapte à la situation nationale préexistante. Par exemple, soit les revenus que l'autre État est autorisé à imposer sont totalement exonérés en France, c'est à dire exclus de l'assiette de l'impôt, soit ils y sont inclus mais l'impôt déjà payé à l'étranger au titre de ces revenus est imputé sur l'impôt dû en France. C'est le cas notamment des jetons de présence, des dividendes et intérêts.

On voit donc, comme certains auteurs l'expriment, qu' « une convention fiscale en vue de l'élimination des doubles impositions confère par essence un avantage économique à celui qui peut en bénéficier » 11. Que ce soit sous la forme d'une exonération ou d'un crédit d'impôt, les personnes bénéficiant d'une convention fiscale, à savoir celles qui sont des résidents d'un État contractant ou des deux États contractants 12, sont favorisées par le jeu de la convention. Mais cette faveur n'est que relative et ne se justifie justement que parce que sans elle il y aurait double imposition juridique. Pourtant des personnes n'entrant pas dans le champ d'application des ces conventions, c'est à dire résidentes d'un État tiers, peuvent être tentées de bénéficier des avantages que leur ultime mécanisme procure : l'exonération ou le crédit d'impôt, en interposant une personne résidente qu'elles contrôlent. La plupart du temps c'est la retenue à la source qui sera diminuée, voire supprimée ; voici une illustration :

- Soit un revenu versé par une entreprise implantée dans un pays A à une entreprise implantée dans un pays C. La convention fiscale A-C prévoit pour ce type de revenu une retenue à la source au taux de 12%, c'est à dire que l'État A, aux termes de la convention est en droit d'imposer ce type de revenu à hauteur de 12% lorsqu'il est distribué en C. Afin d'éluder cette

11 S. TOLEDANO et N. DEJEAN, La lutte contre la course aux avantages conventionnels, Droit et pratique du commerce international, 1985, Volume 11, p. 245. Cité par : J N. THOMAS, Le contrôle fiscal des opérations internationales, Paris, L'Harmattan, coll. Finances Publiques, 2004, p. 143. Et par : B. CASTAGNÈDE, Précis de fiscalité internationale, Paris, 2e éd., PUF, coll. Fiscalité, 2006, p. 323.

12 Comité des Affaires Fiscales de l'OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune, Juillet 2008, article 1.

retenue à la source que la législation interne de A prévoit en application de la convention, le revenu transitera par une société implantée pour des raisons d'opportunité fiscale dans l'État B : la Convention entre A et B supprime toute retenue à la source pour ce type de revenu et celle entre B et C prévoit également un taux de retenue à la source de 12%, mais la législation interne de B ne met pas en oeuvre un telle retenue.

Cette pratique reçoit l'appellation de « treaty shopping » ou « chalandage fiscal » ; elle s'inscrit dans la démarche d'optimisation fiscale, c'est à dire d'organisation par le contribuable de la voie fiscale la moins imposée pour une opération économique, tout en restant dans le cadre de la Loi 13, puisque la création d'une société dans un État et son contrôle de l'étranger sont permis et que cette société nouvellement créée, en sa qualité de « résidente », entre dans le champ d'application personnel des conventions fiscales conclues par cet État. En cela elle est une technique d'évasion fiscale, se distinguant de la fraude fiscale, qui elle regroupe les opérations de soustraction de la matière imposable à l'impôt de manière illégale 14. Il faut d'ailleurs indiquer que c'est justement parce que les États mettent en place, dans le cadre de la concurrence fiscale entre pays, des dispositifs fiscaux internes et une politique conventionnelle attrayants pour les capitaux et les entreprises que ce choix des conventions présente un intérêt.

Mais bien que conforme à la lettre de la norme conventionnelle, cette utilisation des traités dans un but uniquement fiscal n'est pas du goût des États qui voient ainsi disparaître une partie de leurs revenus sans contre-partie. C'est pourquoi la lutte contre le chalandage fiscal s'est développée, afin que nul ne puisse faire d'une convention un usage contraire aux intentions des États parties - cet usage que l'on nomme « abusif »- et qu'à l'objectif initial d'élimination des doubles-impositions s'est ajouté l'objectif de lutte contre l'évasion et la fraude fiscales. Malheureusement, il semble impossible15 d'énoncer un standard juridique de l'utilisation normale, c'est à dire qui respecte l'intention des parties, d'une convention fiscale et encore moins de l'ensemble de celles-ci. Partant, il est vain d'essayer de dégager une règle générale permettant d'en définir l'usage abusif pour le sanctionner.

Quelles sont alors les méthodes utilisées afin de remédier à cet utilisation « anormale »

13 F. BOUKOBZA, Optimisation fiscale et localisation, Revue internationale de droit comparé, 1995, Vol. 47, n°2, p.385.

14 S. GUINCHARD et G. MONTAGNIER, Lexique des termes juridiques, Paris, 13e éd., Dalloz, coll. Lexiques, 2001, p. 274.

15 S. GLASPER, Les clauses anti-abus dans les conventions fiscales internationales, thèse Montpellier I, 2007, pp. 46-47.

des traités fiscaux ? On peut en identifier trois, dont il faut déterminer les valeurs respectives : l'interprétation des conventions fiscales selon un principe général anti-abus, les règles antiabus internes et les clauses anti-abus contenues dans les conventions fiscales bilatérales.

Pour ce qui est de la première méthode, il faut indiquer qu'elle est controversée en doctrine 16, justement à cause de la difficile détermination de l'abus ; à vrai dire même si les commentaires de la convention modèle de l'OCDE reprennent cette idée de principe général anti-abus dès 2003, la méthode n'a réellement été employée que par une juridiction, le Tribunal Fédéral suisse, dans un arrêt « Danemark » 17. Quant à son principe, il découle de celui de primauté du fond sur la forme c'est à dire la primauté de l'objectif des conventions d'éliminer effectivement les doubles impositions juridiques sur la lettre du traité : le tribunal saisi refuserait l'application de la convention aux situations d'abus puisque celles-ci ne constituent pas des cas de double-imposition juridique réelle. L'éclairage porté sur le débat par les commentaires aux articles du modèle de convention fiscale de l'OCDE est mesuré : « L'application potentielle de règles générales anti-abus n'exclut pas la nécessité de dispositions spécifiques destinées à éviter des formes particulières d'évasion fiscale » 18. Cette méthode ne sera pas ici étudiée plus avant en raison de son efficacité incertaine.

La seconde méthode consiste pour les États à instaurer dans leur législation interne, et ce de manière unilatérale, des dispositions permettant de lutter contre l'abus des conventions fiscales. La norme aura le mérite d'être énoncée de manière claire et d'être conforme à la vision qu'a l'État de l'utilisation normale ou abusive des conventions fiscales qu'il a conclues. En pratique ces mesures fonctionnent en limitant l'efficacité de solutions conventionnelles lorsqu'elles devraient déboucher en droit interne sur une exonération ou un crédit d'impôt, aux situations considérées « abusives ». On le voit, cette solution unilatérale peut aller à l'encontre du principe international d'exécution de bonne foi des conventions puisqu'elle refusera au contribuable le bénéfice du traité dans l'État qui adopte de telles mesures, alors même que l'État cocontractant, lorsqu'il admet une limitation de son pouvoir d'imposition au profit de

16 X. OBERSON, Précis de droit fiscal international, Bern, 3e éd., Stämpfli, coll. Précis de Droit Stämpfli, 2009, p. 221 ; J. SCHAFFNER, Droit fiscal international, Luxembourg, 2e éd., Promoculture, 2005, p. 655- 656 ; J. BUNDGAARD et P. KOERVER SCHMIDT, Tax treaties and tax avoidance: Application of anti-avoidance provisions, Copenhagen Research Group on International Taxation, Discussion paper n° 1, 2009, pp. 2 et 13 ; S. GLASPER, Les clauses anti-abus dans les conventions fiscales internationales, thèse Montpellier I, 2007, pp. 44-46.

17 Décision « 2A.239/2005, A. Holding ApS gegen Eidgenössische Steuerverwaltung » du 28 Novembre 2005, disponible sur le site http://www.bger.ch.

18 Comité des Affaires Fiscales de l'OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune, Juillet 2008, Commentaires sur l'article 1, 9.6.

l'autre partie, le fait afin que ses contribuables ne soient pas pénalisés dans leur développement économique international. Ainsi en Droit français on peut citer les articles 209 B (visant les personnes morales), 123 bis (visant les personnes physiques), 212 (concernant les sociétés mères et leurs filiales), 155 A (concernant les artistes et sportifs), ou encore 238 du Code Général des Impôts dont la compatibilité est discutée par rapport au droit conventionnel, mais également par rapport au droit communautaire. Seul ce dernier aspect sera abordé car ne seront pris en compte que les règles anti-abus internes dont l'application est prévue explicitement dans les conventions fiscales bilatérales par la méthode de la mention expresse, seul réel moyen d'assurer leur conventionnalité.

La dernière méthode est celle de l'insertion dans les conventions de lutte contre la double-imposition de clauses dites « anti-abus », c'est à dire de mesures élaborées et adoptées par les États contractants, visant à exclure du mécanisme de la convention des situations considérées par eux comme abusives. Cela s'effectue en précisant les règles édictées, afin de combler leurs lacunes et leurs imprécisions pour qu'elles se prêtent le moins possible à une utilisation non conforme à leur objectif. Ces dispositions conventionnelles sont difficiles à cerner puisqu'elles sont éparses, qu'elles ne reçoivent pas d'appellation uniforme au sein d'une seule et même convention 19 et que, n'ayant pas de régime propre par rapport aux traités qui les contiennent, elles ne représentent pas une catégorie juridique à proprement parler. D'ailleurs la définition de ces clauses n'est pas fournie par les Conventions et celles ci ne connaissent pas le terme de « clauses anti-abus ».

Cependant comme elles conditionnent le bénéfice, pour les contribuables, des dispositions des conventions éliminant la double-imposition, leur étude est fondamentale afin de déterminer la situation fiscale des personnes physiques ou morales recevant des revenus de l'étranger ; il est donc nécessaire de les identifier et de pouvoir les définir en compréhension, en spécifiant les caractéristiques de rattachement au concept.

Malgré leur variété, les clauses anti-abus se définissent par leur objectif, celui d'exclure du bénéfice de la convention les situations non acceptées par les parties et par leur emplacement au sein de ces traités ; leur concept est donc éminemment fonctionnel, créé afin de catégoriser ces diverses mesures servant un but unique. Cette particularité des clauses anti-abus explique

19 On peut cependant indiquer la présence dans les conventions fiscales conclues par les États Unis d'Amérique, d'un article regroupant ces dispositions, intitulé « Limitation on benefits » ou « Limitation des avantages de la convention » : United States Model Income Tax Convention of November 15, 2006 , article 22 et Convention franco-américaine du 31 aout 1994 modifiée par l'avenant du 13 janvier 2009, article 30.

pourquoi peu d'études se sont intéressées à leur logique 20, et pourquoi les auteurs se sont souvent contentés d'en donner une définition en extension, avant de présenter leur fonctionnement séparément.

Il convient également de distinguer ces clauses d'autres mesures voisines, qui peuvent soit servir le même objectif au sein d'un type de norme différent, soit servir un objectif proche au sein du même type de norme.

Les clauses anti-abus contenues dans les conventions fiscales ont le même objet que les règles anti-abus internes (Cf. supra) et si on s'arrêtait à une définition purement fonctionnelle la notion serait trop hétérogène : il faut donc les distinguer car l'instrument juridique qui les contient étant différent, traité international pour les premières, loi pour les secondes, leur portée n'est pas la même au regard de la hiérarchie des normes.

Au sein même des conventions de lutte contre la double-imposition il existe également d'autres mesures spéciales contre l'évasion mais aussi contre la fraude fiscale. Celles qui sont l'objet de la présente étude ont cependant un fonctionnement propre : elles conditionnent la suppression d'une double-imposition juridique. Ainsi en sont exclues les clauses conventionnelles permettant aux États de lutter positivement contre la fraude ou l'évasion fiscale : clause de procédure amiable, d'échange de renseignements, d'assistance en matière de recouvrement des impôts ou encore clauses relatives aux entreprises associées, à la sous-capitalisation et aux prix de transfert.

Une fois le concept défini, il est nécessaire de se livrer à une recherche minutieuse de ces dispositions dans chacune des conventions car elles ne sont pas regroupées sous un seul et même article. Cependant, même si chaque convention est spécifique à une relation bilatérale entre deux États, il n'en demeure pas moins que l'on retrouve fréquemment les mêmes types de clauses anti-abus au gré des conventions signées par les différents pays ; des auteurs ont même essayé d'en établir une classification : clauses classiques ou spécifiques, générales ou particulières, mais sans définir ni donner de critères de rattachement à ces catégories. La plupart du temps ceux-ci ne s'entendent donc pas sur le contenu de chacune : pour exemple la clause de bénéficiaire effectif est alternativement classique 21, générale 22 ou spécifique 23.

20 Voir cependant S. GLASPER, Les clauses anti-abus dans les conventions fiscales internationales, thèse Montpellier I, 2007.

21 Idem. p. 112.

22 F. BOUKOBZA, Optimisation fiscale et localisation, Revue internationale de droit comparé, 1995, Vol. 47, n°2, p. 389.

23 J. BUNDGAARD et P. KOERVER SCHMIDT, Tax treaties and tax avoidance: Application of anti-avoidance provisions, Copenhagen Research Group on International Taxation, Discussion paper n° 1, 2009, p. 18.

Ainsi, chacune représentant un mécanisme unique de lutte contre un type d'abus, il faut énumérer les principales en expliquant leur fonctionnement.

La clause de résidence est en soi plus large qu'une clause anti-abus, puisqu'elle détermine le champ d'application personnel initial des conventions fiscales, à savoir les résidents de l'un ou de l'autre État contractant. Cependant son sens varie d'une convention à l'autre et les différents États peuvent avoir une acception plus ou moins restrictive de la « résidence », en ajoutant par exemple à cette condition celle de l'obligation fiscale illimitée. Celle-ci s'explique par le fait qu'une personne n'étant pas soumise à une telle obligation dans son pays, c'est à dire non imposable pour les revenus provenant de l'étranger mais seulement pour ceux réalisés sur le territoire de résidence, ou imposable selon la méthode du forfait, ne subit pas de double imposition juridique, et par suite ne peut prétendre à une exonération fiscale dans le pays contractant source des revenus étrangers, sauf à profiter indûment d'une double exonération, phénomène également combattu par les États. C'est le cas des personnes physiques imposées en Suisse sur une base forfaitaire 24, qui ne sont donc pas considérées comme résidents. Cette même logique conduit à la rédaction de clauses anti-abus spéciales excluant du champ d'application de la convention des catégories de personnes dont le régime fiscal est privilégié ; c'est le cas des holdings luxembourgeoises type 1929 25 (créées par la Loi du 31 juillet 1929, elles sont exonérées de tout impôt et de retenue à la source au Luxembourg, mais sont appelées à disparaître au 31 décembre 2010 26) , ou des sociétés maltaises de commerce international bénéficiant d'avantages fiscaux particuliers 27. Certaines clauses quant à elles, sans aller jusqu'à exclure complètement du champ d'application conventionnel les personnes ou situations, limitent cependant les droits aux dégrèvements prévus pour les dividendes, intérêts et redevances provenant de l'autre État aux sociétés résidentes qui ne sont pas assujetties à un régime fiscal privilégié ; a contrario ces dégrèvement seront refusés aux sociétés qui, dans leur pays de résidence, jouissent d'un statut fiscal privilégié pour ces catégories de revenus 28.

Les clauses de bénéficiaire effectif de dividendes, intérêts et redevances font dépendre l'application du bénéfice des taux réduits ou des exonérations de retenue à la source

24 Convention franco-suisse du 9 septembre 1966 modifiée par l'avenant du 22 juillet 1997, article 4 § 6b.

25 Convention franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 modifiée par l'avenant du 24 novembre 2006 et Échange de lettres du 8 septembre 1970.

26 Décision de la Commission européenne du 19 juillet 2006 concernant le régime d'aide C3/2006 mis en oeuvre par le Luxembourg en faveur des sociétés holdings «1929» et des holdings «milliardaires».

27 Convention franco-maltaise du 25 juillet 1977 modifiée par l'avenant du 8 juillet 1994, Protocole article 8a, et Échange de lettres du 8 juillet 1994.

28 Par exemple : Convention franco-chypriote du 18 décembre 1981, article 13.

concernant le versement de ces revenus aux seules situations où la personne résidente qui obtient cette diminution est effectivement celle qui aura la libre disposition des sommes correspondantes. Elles sont donc limitées dans leur portée à ces seules catégories de revenus. Elles permettent de refuser ces diminutions de retenue à la source aux sociétés relais, interposées dans un but fiscal. L'application de ces clauses peut s'avérer difficile en pratique, notamment parce qu'il peut être mal aisé d'apporter la preuve qu'une société n'est pas le bénéficiaire effectif de revenus, mais également parce que la notion même de bénéficiaire effectif manque de précision et qu'une part d'interprétation est nécessaire pour en dégager le sens exact. Il est à noter que la France a tenu à se doter de cet instrument de lutte contre l'interposition de sociétés relais au delà des seules dividendes, intérêts et redevances puisqu'elle l'étend désormais à la catégorie « autres revenus » dans certaines conventions nouvellement signées 29 et qu'elle est même allée en 1997, lors de la modification de la convention franco-suisse, jusqu'à instaurer une clause de bénéficiaire effectif générale, reniant la qualité de résident aux personnes n'étant que les bénéficiaires apparents de revenus lorsque ceux-ci bénéficient en réalité à une personne non résidente selon les critères classiques 30.

D'autres clauses conventionnelles, bien que servant le même but de découvrir le bénéficiaire final, ont un mécanisme propre qui n'est plus uniquement d'écarter du bénéfice de la convention ou de certains de ses articles les bénéficiaires apparents. Elles visent à rétablir la réalité économique d'une opération internationale afin de rendre passible de l'impôt des personnes n'étant pas initialement résidentes mais faisant transiter des revenus par l'intermédiaire de personnes ayant cette qualité. Il s'agit des clauses concernant les entreprises associées (lutte contre les prix de transferts) ainsi que les artistes et sportifs faisant transiter leurs revenus par ce que l'on appelle des « sociétés d'artistes » ou « rent a star company ». Si l'on s'en tient à la définition exclusive des clauses anti-abus, il semble que celles-ci n'en fassent pas partie puisqu'elles n'excluent pas du bénéfice de la convention des personnes ou situations mais qu'elles assujettissent des personnes à un impôt dans une politique de lutte positive contre la fraude fiscale.

Enfin certaines conventions contiennent des clauses prévoyant l'application des règles anti-
abus internes, c'est-à-dire que celles-ci, initialement élaborées de manière unilatérales par l'un
des États, se voient reconnaître une légitimité internationale dès lors que leur fonctionnement

29 Par exemple : Convention franco-albanaise du 24 décembre 2002, article 22 ; Convention franco-tchèque du 28 avril 2003, article 21 ; Convention franco-éthiopienne du 15 juin 2006, article 22 ; Convention franco-britannique du 19 juin 2008, article 23.

30 Convention franco-suisse du 9 septembre 1966 modifiée par l'avenant du 22 juillet 1997, article 4 § 6a.

est accepté par l'autre État contractant et fait l'objet d'une mention expresse.

Les États-Unis d'Amérique quant à eux, conduisent contre la pratique du Treaty shopping une politique très poussée, en établissant des critères stricts et détaillés permettant de déterminer les personnes et situations ayant droit à la protection conventionnelle. Il s'agit de la clause de « Limitation on benefits » ou « Limitation des avantages de la convention » 31 qui regroupe, contrairement à la pratique française, l'intégralité de l'arsenal de lutte contre l'abus de convention sous un seul et même article. Les avantages de la convention sont donc reconnus aux seuls résidents qualifiés, sachant que les personnes physiques , les États contractants ou leur subdivisions politiques et les personnes morales de droit public résidentes le sont toujours. La qualification des sociétés est, elle, plus complexe afin de garantir l'exclusion des sociétés-écrans ; on peut cependant préciser que les sociétés cotées dans l'un ou l'autre des États contractants bénéficient des avantages de la convention.

On le voit, la catégorie des clauses anti-abus conventionnelles est d'une grande hétérogénéité et leur application, bien que répondant à certaines règles communes liées à leur nature conventionnelle, fait apparaître un besoin d'interprétation variable selon le clarté des termes de chaque clause.

Depuis longtemps la problématique de l'interprétation des conventions fiscales luttant contre la double imposition a été mise en lumière par les auteurs. En 1951, le 5ème Congrès international de droit fiscal et financier remarquait que les lacunes de ces traités ainsi que leurs formules prêtant à l'équivoque posaient des difficultés relatives à leur interprétation 32 ; en 1960 le Professeur Chrétien constatait que la rédaction bilingue des ces conventions associée au fait que chaque terme possède sa propre signification, non seulement au sein des législations internes des différents États, mais également des différents régimes fiscaux existant dans un seul et même État, représentait un obstacle à l'application satisfaisante de certaines dispositions conventionnelles 33.

Bien qu'interprétation et application soient deux opérations proches, effectuées la plupart du temps par un seul et même organe au cours d'une procédure unique et que toute application nécessite au préalable de s'interroger sur le sens des termes et sur leur portée pratique, il faut les distinguer. En effet, l'interprétation permet d'éclairer sur le sens exact d'un texte de droit

31 Convention franco-américaine du 31 aout 1994 modifiée par l'avenant du 13 janvier 2009, article 30.

32 IFA, Cinquième Congrès international de droit fiscal et financier, Revue internationale de droit comparé, 1951, Vol. 3, n° 4 , p. 668.

33 M. CHRÉTIEN, L'interprétation des traités bilatéraux sur la double imposition : méthodes et procédures, JCP, 1960, p. I, 1561.

antérieurement à son application, c'est-à-dire sa mise en oeuvre aux situations pratiques, sa traduction en décision de justice, puis d'en déterminer la portée. L'interprétation se concentre donc d'abord sur la signification théorique d'une disposition, puis dans un deuxième temps sur sa valeur pratique, l'étendue de son champ d'action ; ainsi elle est une question de droit qui se pose au juge de l'impôt lorsqu'un contribuable invoque une convention fiscale.

Cette question se pose également au contribuable lui même qui, lorsqu'il mène des activités économiques internationales, s'interroge sur l'applicabilité des dispositions de protection conventionnelle. En effet le sens réel d'une clause anti-abus, conditionnant le bénéfice d'un traité de lutte contre la double-imposition, ne lui sera connu qu'après le passage devant un organe d'interprétation révélant son sens et sa portée pratique.

C'est à cette question que le présent mémoire entend répondre : comment s'effectue l'interprétation des clauses anti-abus conventionnelles ?

Pour pouvoir dégager in fine le sens à donner à des clauses particulières, de résidence ou de bénéficiaire effectif, ainsi que leur portée au regard des normes de droit interne ou de droit communautaire (Partie II), il convient de s'intéresser aux problématiques plus générales d'interprétation des conventions fiscales et de déterminer les organes compétents, afin de connaître les règles de méthode qui président à leur office (Partie I).

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon