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L'interprétation des clauses anti-abus contenues dans les conventions fiscales bilatérales

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par Till JOUAUX
Université Lumière Lyon 2 - Master 2 Droit Privé Général 2010
  

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Chapitre 2 - D'autres clauses anti-abus

Les conditions de résidence et d'imposition effective des revenus dans ce pays sont donc deux conditions préalables qui s'articulent, afin que la convention ne bénéficie qu'aux seuls résidents des États contractants susceptibles de subir une double imposition juridique.

Néanmoins, ces critères d'ouverture du champ d'application général des traités fiscaux sont insuffisants pour éviter leur détournement à des fins d'évasion fiscale. Les États ont donc prévu des clauses anti-abus spécifiques, c'est-à-dire relatives à certaines catégories de revenus, qui bloquent l'accès aux réductions ou exonérations dans les cas de montage juridique destinés à éluder l'impôt. Il s'agit des clauses de bénéficiaires effectifs, des exclusions spécifiques et des clauses autorisant l'application des règles anti-abus internes.

Section 1 - La clause de bénéficiaire effectif

Les conventions fiscales bilatérales, à travers la condition d'obligation fiscale dans le pays de résidence, ne prennent en compte que les règles d'imposition internes des deux États contractants, pour mieux adapter les mécanismes d'élimination des double-impositions aux particularités des régimes fiscaux internes (Holdings luxembourgeoises, Impôt forfaitaire suisse, etc.). Or, ceci ne prend pas en compte les situations d'imposition auxquelles mène l'application dans ces pays des conventions fiscales conclues avec d'autres États. Celles-ci pouvant être plus avantageuses pour le contribuable que celles résultant de l'application de la convention entre l'État de source contractant et celui de sa résidence, il peut être tenté, afin de bénéficier d'une imposition moindre, d'interposer dans l'État tiers une personne résidente par laquelle transiteraient ses revenus.

Cette personne interposée entre le créancier et le débiteur peut être physique (fiduciaire, gestionnaire, mandataire) ou morale. Dans ce cas elle sera créée conformément à la législation de l'État tiers et jouira de ce fait d'une pleine capacité juridique dans cet État ainsi que de la qualité de résident, il s'agit des « sociétés-relais ».

Par exemple, afin de faire transiter des intérêts d'emprunts entre un État de source A (emprunteur) et un État de résidence C (préteur), liés par une convention fiscale qui ne prévoit pas d'exonération particulière concernant ces revenus, la structure intermédiaire, contrôlée par

le préteur résident de C, sera installée dans un État B ayant conclu avec A une convention fiscale éliminant la retenue à la source pour les intérêts.

La société relais percevra les intérêts nets de retenue à la source (ou à un taux faible) en provenance de l'emprunteur en A grâce aux mécanismes conventionnels existant entre les deux pays.

Puis elle reversera les sommes correspondantes au préteur en C sous forme de revenus bénéficiant également d'une faible imposition en vertu de la convention fiscale qui existe entre B et C. (Intérêts, dividendes, etc.)

Pour éviter ce chalandage fiscal, les conventions françaises de lutte contre la double imposition ont été dotées de clauses de « bénéficiaire effectif » cédulaires, élaborées à partir de 1977 sous l'impulsion de l'OCDE 97. Ces clauses anti-abus spécifiques, car relatives chacunes à une ou plusieurs catégories de revenus, fonctionnent en écartant le mécanisme de réduction ou d'élimination de l'imposition dans l'État de source, aux situations où le résident qui demande cette exonération n'est pas le bénéficiaire effectif des revenus.

En effet, seuls ces derniers peuvent bénéficier des taux réduits de retenue à la source, pour les dividendes, les intérêts ou les redevances, prévus aux articles fixant les modalités d'imposition propres à chacune de ces catégories de revenus 98.

En revanche il existe un problème de définition de la notion de bénéficiaire effectif puisque les conventions qui prévoient son utilisation ne précisent pas sa signification.

Sur ce point, on peut s'intéresser aux indications données par les commentaires au modèle OCDE de 2008 qui indique notamment que « Le terme « bénéficiaire effectif » n'est pas utilisé dans une acception étroite et technique, mais doit être entendu dans son contexte et à la lumière de l'objet et du but de la Convention, notamment pour éviter la double imposition et prévenir l'évasion et la fraude fiscales. » 99.

Deux directives communautaires de 2003 apportent également leur définition du bénéficiaire effectif :

- La première est succincte : « Une société d'un État membre n'est considérée comme

97 Clauses absentes des conventions conclues avec l'Allemagne (1959) et la Belgique (1964), présentes dans les
conventions signées avec la Turquie (1987), l'Italie (1989), l'Espagne (1995) ou encore l'Australie (2006).

98 Ces mécanismes relatifs aux dividendes, intérêts et redevances sont respectivement aux articles 10, 11 et 12 dans le modèle de convention OCDE (2008) ainsi que dans les conventions conclues avec la Turquie, l'Italie, l'Espagne et l'Australie.

99 Comité des Affaires Fiscales de l'OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune, Juillet 2008, commentaires sur les dispositions de l'article 10, paragraphe 2 n° 12.

bénéficiaire des intérêts ou des redevances que si elle les perçoit pour son compte propre et non comme représentant, par exemple comme administrateur fiduciaire ou signataire autorisé, d'une autre personne. » 100.

- La seconde est lacunaire en ce qui concerne les clauses anti-abus puisqu'elle est volontariste, c'est-à-dire que c'est au contribuable de faire la preuve qu'il n'est pas le bénéficiaire effectif, alors que c'est justement ce qui doit rester caché de l'administration pour que l'opération d'évasion fiscale soit efficace : « Aux fins de la présente directive, on entend par «bénéficiaire effectif», toute personne physique qui reçoit un paiement d'intérêts ou toute personne physique à laquelle un paiement d'intérêts est attribué, sauf si elle fournit la preuve que ce paiement n'a pas été effectué ou attribué pour son propre compte » 101. De plus les termes mêmes de cette directive montrent que cette définition est fonctionnelle, propre au régime institué par elle et qu'elle ne constitue pas une définition générale de la notion.

Jusqu'à récemment le Conseil d'État ne s'était pas prononcé directement sur la notion et l'on se référait de manière un peu hasardeuse à trois décisions, concernant des situations de treaty shopping qui déboutaient l'administration fiscale 102. Cette dernière cependant ne se prévalait jamais d'une clause anti-abus de bénéficiaire effectif, mais de l'abus de droit français, résultant de l'article L 64 du Livre des procédures fiscales, dont elle n'arrivait jamais à faire la preuve. Ces affaires concernaient l'utilisation des conventions conclues avec l'Allemagne et avec les Pays-Bas, conventions antérieures à 1977 ne prévoyant pas le recours au critère de bénéficiaire effectif.

Désormais, il existe une jurisprudence du Conseil d'État dans laquelle ce dernier applique la clause anti-abus spécifique aux dividendes qui est contenue dans la convention fiscale conclue avec le Royaume-Uni 103 et où le montage juridique est mis en échec. Celui-ci consistait à faire transiter des revenus d'une filiale basée en France par une société résidente britannique, la Bank of Scotland, avant d'être versés à la société mère basée aux États-Unis d'Amérique.

Afin de pouvoir invoquer cette clause, l'administration fiscale a dû démontrer que la société relais n'était pas le bénéficiaire effectif des dividendes. De la sorte cette décision

100 Directive 2003/49/CE du Conseil du 3 juin 2003 concernant un régime fiscal commun applicable aux paiements d'intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées d'États membres différents, article 1 § 4.

101 Directive 2003/48/CE du Conseil du 3 juin 2003 en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiements d'intérêts , article 2.

102 Affaires Inter Selection, Fountain Industries et Diebold. Voir : J N. THOMAS, Le contrôle fiscal des opérations internationales, Paris, L'Harmattan, coll. Finances Publiques, 2004, pp. 147 et s.

103 CE, 29 décembre 2006, Bank of Scotland, (n° 283 314, Rec. CE 2006) concernant l'ancienne convention franco-britannique du 22 mai 1968 modifiée, article 9 § 6.

éclaire le sens à donner à la notion.

C'est à l'administration fiscale de prouver que le contribuable, qui demande le bénéfice du mécanisme conventionnel de réduction de la retenue à la source en France des dividendes versés à l'étranger, n'est pas le bénéficiaire effectif de ces revenus. De manière à le prouver, elle doit établir la réalité du montage juridique et la présence en bout de chaîne d'un bénéficiaire réel non résident. Pour cela, elle doit se référer au droit interne, en vertu de la clause générale de renvoi à celui-ci prévue pour établir le sens des expressions non définies par la convention 104.

En l'espèce c'est la notion d'abus de droit de l'article L 64 du LPF qui est utilisé, comme dans les affaires précédentes, mais cette fois-ci seulement en ce qu'elle détermine les actes constitutifs d'un tel abus et non pas en tant que méthode pour les sanctionner, puisque la méthode propre à la clause de bénéficiaire effectif est prévue dans la convention francobritannique en question. Il est toutefois important de préciser que jusqu'au 1er janvier 2009, la notion d'abus de droit n'était pas clairement définie par le livre des procédures fiscales, mais qu'elle résultait d'une interprétation du Conseil d'État 105, reprise désormais par la nouvelle rédaction de l'article L 64 du LPF.

Le Conseil d'État constate donc en 2006 que « l'analyse de ce montage révèle que le bénéficiaire effectif des dividendes litigieux était la société américaine » au terme d'un examen de la situation qui montre que l'interposition de la société britannique entre la filiale française et sa société mère américaine a été « réalisé dans l'unique but d'obtenir le bénéfice du remboursement de l'avoir fiscal attaché aux distributions de la société française, prévu par la convention fiscale entre la France et le Royaume-Uni, au profit des résidents de cet État [...] alors que la convention fiscale entre la France et les États-Unis n'aurait pas permis à la société américaine d'obtenir ce remboursement ».

Le jeu de la clause de bénéficiaire effectif peut donc être mis en oeuvre en France par le juge fiscal grâce à la notion interne d'abus de droit qui permet de restituer son véritable caractère à une opération de treaty shopping et d'identifier le bénéficiaire final des revenus. Par suite le bénéfice des dispositions favorables de la convention est refusé aux sociétés-relais identifiées comme telles.

104 Ancienne convention franco-britannique du 22 mai 1968 modifiée, article 2 § 2.

105 CE, 10 juin 1981 (n° 19 079, Rec. CE 1981).

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld