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L'interprétation des clauses anti-abus contenues dans les conventions fiscales bilatérales

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par Till JOUAUX
Université Lumière Lyon 2 - Master 2 Droit Privé Général 2010
  

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Chapitre 2 - La portée par rapport au droit communautaire

Les clauses anti-abus conventionnelles excluent des situations considérées par les États comme abusives du bénéfice des conventions que ces derniers mettent en place pour que leurs résidents ne soient pas victimes d'une double-imposition juridique. Ce faisant, ils créent une différence de traitement selon que les personnes sont dans les situations exclues ou acceptées et ces règles ne peuvent être remises en cause par l'application de principes de droit interne.

Cependant un ordre juridique de valeur supra-conventionnelle pourrait éventuellement remettre en cause ces distinctions en cas d'incompatibilité. Il convient donc de se demander si le droit communautaire prévaut sur le droit conventionnel et le cas échéant si il existe des règles communautaires potentiellement incompatibles avec des clauses anti-abus. De la sorte il sera possible d'apprécier leur portée.

Section 1 - Les relations entre droit fiscal international et droit communautaire

Tandis que les problèmes d'antan, relatifs à l'interprétation des conventions fiscales bilatérales, puis à l'imprécision des clauses anti-abus, sont en grande partie résolus aujourd'hui, de nouvelles interrogations quant à la portée de ces clauses voient le jour depuis quelques années. Ces questions émergent du fait de l'avancée de la construction européenne et de l'expansion du pouvoir de l'Union.

Alors qu'initialement les conventions fiscales ne souffraient d'aucune concurrence au sommet de la hiérarchie des normes, se pose de plus en plus la question de savoir si l'ordre juridique intégré aux systèmes des États membres prévaut sur les traités conclus par ceux-ci.

La primauté du droit communautaire, devenu depuis droit de l'Union européenne, sur le droit interne législatif n'est pas discutée est se fonde sur la Constitution française, notamment ses articles 55 et plus récemment 88-1. Cette supériorité explique que de nombreuses règles anti-abus internes aient été écartées puis modifiées pour les rendre compatibles avec des dispositions communautaires ; c'est le cas des articles 209 B et 123 Bis du CGI, consécutivement à des arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne où celle-ci

n'admettait la validité des règles anti-abus que dans la mesure où leur formulation ne ciblait que les seuls montages purement artificiels 116.

Cependant aucune disposition tant dans la Constitution, que dans les traités de l'Union ou même dans les conventions fiscales ne permet de déterminer les places respectives du « droit européen » et du droit international conventionnel.

Pendant longtemps la question du rapport de force entre conventions fiscales et droit communautaire ne s'est pas posée et cela principalement pour deux raisons.

Tout d'abord l'objectif des conventions, qui est d'éliminer les phénomènes de double-imposition n'est pas un domaine sur lequel la construction du marché commun ait eu à se pencher.

De plus, alors que le droit conventionnel s'est principalement attaché à réduire ce phénomène concernant les impôts directs, l'harmonisation fiscale communautaire s'est focalisée sur la fiscalité indirecte, droits de douanes en premier.

Mais désormais, sous un mouvement d'expansion induit par la « construction communautaire », la Cour de justice se penche de plus en plus sur la question des conventions fiscales et des groupes d'experts préconisent la prise en main de ce domaine par l'Union 117.

Si l'on se plaçait dans l'ordre juridique international, le droit de l'Union qui est un ordre régional, devrait céder le pas sur le droit international conventionnel. Cependant, ce dernier n'a pas de juridiction propre permettant de faire respecter cette hiérarchie entre les deux sphères juridiques ; au contraire, l'Union européenne, dotée d'une Cour de justice très active, est en mesure d'imposer de manière effective son ordre juridique particulier dans les États membres.

De plus, la compétence d'attribution de l'organisation internationale sui generis qu'est l'Union devrait limiter son action, notamment en matière de relations inter-étatiques, et ce d'autant plus lorsqu'elles concernent la fiscalité, domaine régalien par excellence. Mais là encore, la Cour de Luxembourg a étendu la compétence européenne en se fondant « sur un lien de nécessité avec la réalisation d'objectifs internes confiés à la communauté par le Traité » 118. Il serait loisible de discuter de la légitimité de l'intervention européenne en la matière puisque ce débat théorique pose la question démocratique beaucoup plus vaste du rôle de l'Union européenne et de la place des États, mais ce n'est pas ici le propos.

116 Voir notamment CJCE, 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes (Aff. C-196/04).

117 COMMISSION EUROPÉENNE, Droit communautaire et conventions fiscales, 2005.

118 J. MALHERBE et D.BERLIN, Conventions fiscales bilatérales et droit communautaire, Revue trimestrielle de droit européen, 1995, p. 245 et s.

On peut néanmoins remarquer que la logique du droit communautaire en matière de fiscalité internationale est diamétralement opposée à celle des conventions fiscales bilatérales, en ce sens que la première s'inscrit dans une optique de dépassement des frontières, lorsque la seconde régit des rapports inter-étatiques.

La Cour de justice considère donc que « les États membres demeurent compétents pour déterminer les critères d'imposition des revenus et de la fortune en vue d'éliminer, le cas échéant par voie conventionnelle, les doubles impositions ». Néanmoins, lorsqu'ils exercent cette compétence, « les États membres sont tenus de se conformer aux règles communautaires » 119. La sanction de la contrariété d'une disposition conventionnelles au droit communautaire sera son inopposabilité à la Cour de justice, qui se reconnaît compétente pour vérifier la compatibilité d'une convention fiscale avec les Traité CE 120.

Puisqu'il faut considérer que le droit de l'Union prévaut sur les accords internationaux bilatéraux signés par les États membres en matière d'élimination des doubles impositions 121, l'implication de ses principes sur le mécanisme de clauses anti-abus, élaborées dans un contexte strictement binational, mérite d'être étudiée.

Section 2 - Des clauses anti-abus limitées par le droit communautaire

La différence de traitement instaurée par les clauses anti-abus, entre les personnes pouvant bénéficier des mesures avantageuses prévues par les conventions de lutte contre les doubles impositions et les personnes en étant exclues, s'explique par une volonté des États de réserver le bénéfice de celles-ci à « leurs » agents économiques.

Dès lors, les conventions sont conditionnées par une logique de réciprocité entre les deux États, c'est-à-dire que ce qui justifie les traitements de faveur consentis par un État est l'attente d'un même bénéfice au profit de ses résidents dans l'État cocontractant.

Ce fonctionnement peut poser problème face au principe communautaire de nondiscrimination, puisque les catégories du droit conventionnel font référence aux critères de résidence dans les frontières nationales, opérant une distinction entre résidents et non

119 CJCE, 12 décembre 2002, De Groot (Aff. C-385/00 ; n° 93et 94).

120 CJCE, 12 mai 1998, Gilly (Aff. C-336/96 ; n° 22).

121 B. CASTAGNÈDE, Précis de fiscalité internationale, Paris, 2e éd., PUF, coll. Fiscalité, 2006, p. 259.

résidents au sein de la catégorie des « nationaux européens ».

La solution à ces questions ne se trouve pas explicitement dans les normes conventionnelles ou communautaires, ce qui pose un problème de sécurité juridique. Seule la Cour de justice de l'Union européenne a apporté sa contribution « constructive » en se fondant sur le droit de l'Union, originaire ou dérivé qui instaure les libertés fondamentales et la nondiscrimination.

Il convient de distinguer préalablement les conventions fiscales conclues avant de celles conclues après l'entrée en vigueur du Traité de Rome le 1er janvier 1958 ou la date d'accession de l'État à celui-ci. L'article 307 du Traité dispose en effet que « l'État membre continue à assurer des obligations conclu avec un État tiers avant son adhésion. » ; de la sorte les dispositions conventionnelles antérieures incompatibles avec le droit communautaire prévalent.

Quelques conventions fiscales se trouvent dans cette situation (conventions conclues avec les États-Unis par la Grèce en 1950 et par la Finlande en 1994) et dans ce cas les États doivent prendre les mesures nécessaire pour supprimer les cas de contrariétés.

Lorsque les conventions fiscales sont antérieures, les règles communautaires pouvant s'opposer à des clauses anti-abus sont le principe général d'interdiction des discriminations fondées sur la nationalité (art. 12 Traité CE) ainsi que les quatre libertés de circulation, relatives aux marchandises, aux personnes, aux services, et aux capitaux (art. 23, 39, 49 et 56 Traité CE).

La première des clauses anti-abus pouvant poser problème est celle relative à la condition de résidence fiscale. La question est de savoir si la limitation du bénéfice conventionnel aux seules personnes résidentes d'un État membre ne constitue pas une discrimination, tout au moins indirecte, à l'égard des non résidents ressortissants d'autres États membres. Mais peut-on considérer qu'il y a discrimination quand ces mesures visent à s'adapter à une réglementation fiscale nationale et donc particulière ? Une personne résidente, c'est-à-dire soumise à une obligation fiscale illimitée dans un État, n'est pas dans la même situation qu'une même personne soumise au même type d'obligation dans un autre État, fût-il membre, dont les taux d'imposition et les régimes d'exonération, à défaut d'une harmonisation européenne totale, sont différents. Il semble que le droit communautaire aille en ce sens.

En effet l'article 58 du Traité CE dispose que « L'article 56 ne porte pas atteinte au

droit qu'ont les États membres [...] d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ». Il y aurait donc discrimination indirecte, mais justifiée par le fait « qu'en l'état actuel du droit communautaire, la cohérence du système conventionnel en cause ne peut pas être assurée par des mesures moins discriminatoires que celles prévues dans les conventions litigieuses. » 122.

Cependant, si deux personnes ressortissantes d'États membres peuvent être considérées comme objectivement dans une situation comparable, le fait que l'une d'elle soit résidente et l'autre non, ne permet pas d'opérer de distinction et elles doivent toutes deux pouvoir bénéficier des dispositions conventionnelles, et donc ne pas être exclues par le mécanisme des clauses anti-abus. C'est d'ailleurs ce qui ressort de la jurisprudence de la Cour dans l'arrêt Saint-Gobain : « Étant donné que les sociétés non-résidentes en Allemagne qui y exploitent un établissement stable et les sociétés résidentes en Allemagne sont,[...], dans des situations objectivement comparables, la différence de traitement qui leur est réservée doit s'analyser comme une violation des dispositions précitées du traité. » 123.

Le second type de disposition conventionnelle anti-abus qui risque de n'être compatible avec des règles communautaires est celui limitant les avantages d'une convention, conclue entre un État membre et un État tiers, aux bénéficiaires effectifs de revenus. En effet quand le bénéficiaire effectif des revenus est résident d'un État membre et qu'il souhaite bénéficier des dispositions d'une convention fiscale conclue entre un autre État membre et un État tiers où est implantée la société qu'il possède, dans la majorité des cas les clauses antiabus de celle-ci refuseront les exonérations de retenue à la source pour la société intermédiaire. C'est le cas de la clause de limitation des bénéfices conventionnels que l'on trouve dans la convention conclue avec les États-Unis 124, aux termes de laquelle les sociétés résidentes de France, contrôlées par des résidents d'États tiers, en l'occurrence membres, se trouvent exclues de la protection conventionnelle.

Cette clause, apparemment incompatible avec la liberté d'établissement, a subit récemment une modification, permettant d'inclure dans la catégorie des personnes qualifiées les sociétés françaises contrôlées par des personnes d'autres États membres. Ces dernières peuvent désormais bénéficier des avantages fiscaux prévus par la convention lorsqu'elles reçoivent des revenus en provenance des États-Unis.

122 J. MALHERBE et D.BERLIN, Conventions fiscales bilatérales et droit communautaire, Revue trimestrielle de droit européen, 1995, p. 509, n° 89.

123 CJCE, 21 septembre 1999, Compagnie de Saint-Gobain (Aff. C-307/97).

124 Convention franco-américaine du 31 aout 1994 modifiée par l'avenant du 8 décembre 2004, article 30.

Avant elle déjà, la convention fiscale entre les États-Unis et le Luxembourg permettait aux sociétés luxembourgeoises contrôlées par des résidents communautaires de se prévaloir de la convention bilatérale. On peut d'ailleurs se demander si la motivation première du Luxembourg, dans cette adaptation conventionnelle datant de 1996, résidait d'abord dans la volonté de rendre au plus vite son droit international conventionnel compatible avec les règles communautaires.

Il peut paraître en effet un peu prématuré, à défaut de régime fiscal harmonisé au sein de l'Union, de restreindre la portée des clauses anti-abus conventionnelles de sorte que, dans le cadre des législations fiscales nationales des États membres, un chalandage fiscal soit rendu possible.

C'est donc la Cour de justice qui aura le dernier mot, à moins que la matière fiscale ne fasse l'objet d'une réflexion communautaire globale, poursuivant ainsi la tâche amorcée par la directive mère-fille 125 lorsque celle-ci a supprimé les retenues à la source pour les dividendes versés à l'intérieur de l'Union européenne.

Il est possible qu'une convention multilatérale communautaire voit le jour et prenne la place des quelques trois cents conventions bilatérales entre États membres, mais il semble que cela implique une « complexité inimaginable » 126 compte tenu des divergences de législations nationales. Cela impliquerait probablement aussi une remise en question de la place de l'Union par rapport aux États membres, dépassant de loin une simple question de fiscalité internationale.

125 Directive du Conseil européen du 23 décembre 2003, n°2003/123/CE.

126 COMMISSION EUROPÉENNE, Droit communautaire et conventions fiscales, 2005, p. 20.

Partie 1 - Les règles dirigeant l'interprétation des clauses antiabus

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