WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'interprétation des clauses anti-abus contenues dans les conventions fiscales bilatérales

( Télécharger le fichier original )
par Till JOUAUX
Université Lumière Lyon 2 - Master 2 Droit Privé Général 2010
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Chapitre 2 - L'interprétation des termes conventionnels

En toute rigueur juridique, le juge français nouvellement compétent s'attache désormais au texte de la convention, et à lui seul, pour en dégager le sens. Sa méthode est donc simple, son interprétation littérale. Cependant, cette méthode propre au juge va le conduire paradoxalement à avoir recours de manière subsidiaire à son droit interne, puisque l'une des particularités des conventions fiscales est de renvoyer pour certaines notions aux qualifications nationales.

Section 1 - L'interprétation littérale des conventions fiscales

Le juge fiscal dans son office d'interprète, applique donc la méthode de l'interprétation littérale ; ainsi, il s'en tient à la lettre du traité pour dégager le sens d'une disposition, c'est-àdire qu'il n'ajoute pas de signification à ce qui est écrit en se fondant sur des éléments extérieurs.

On pourrait considérer que cette méthode n'est en fait pas une interprétation, mais simplement une application, puisqu'elle se borne à appliquer dans les faits ce qui est écrit. La distinction entre ces deux notions qui vont de pair dans le processus du travail du juge est ténue : où commence l'une, ou finit l'autre ? Il n'est pas aisé d'apporter une réponse à cette question, d'autant plus que pendant un temps la jurisprudence du Conseil d'État, compétent pour appliquer mais pas pour interpréter, forçait la logique de la distinction en considérant que nulle interprétation n'était nécessaire en présence de termes clairs, afin de pouvoir in fine effectuer cette tâche, indépendamment du ministre normalement compétent.

La distinction a cependant perdu de son intérêt depuis que les deux relèvent de la compétence du juge ; on peut néanmoins dire que l'interprétation littérale est au moins une analyse du sens et de la portée des termes, afin de s'assurer qu'ils sont assez efficaces pour être applicables, quand l'application est leur mise en oeuvre. L'interprétation, aussi stricte soit-elle, est encore l'extraction du sens d'une disposition à l'instrumentum de la convention fiscale, peu importe que celle-ci ajoute ou non à son contenu.

L'interprétation littérale des conventions fiscales par le Conseil d'État est désormais bien établie par sa jurisprudence. Dans la décision dite « des crédits d'impôts italiens » de

2000 72 tout d'abord, le Conseil d'État avait considéré que « en faisant une application stricte de ces stipulations (de la convention fiscale franco-italienne du 29 octobre 1958), [...], la cour administrative d'appel de Nantes n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit ». Cette décision a été suivie par une affaire « Schneider Electric » 73, dont la question centrale était de savoir si l'article 209 B du Code général des impôts, qui est une mesure anti-évasion française, était compatible avec la convention fiscale franco-suisse de 1966. Dans sa décision, le Conseil d'État a réaffirmé son attachement à l'interprétation littérale des conventions fiscales et a écarté l'application de la loi interne : « Considérant qu'à supposer même qu'il soit établi qu'un objectif de lutte contre l'évasion et la fraude fiscales ait été assigné à la convention franco-suisse, cet objectif ne permet pas, faute de stipulation expresse le prévoyant, de déroger aux règles énoncées par cette convention ».

On le voit distinctement dans ce considérant, la méthode adoptée par le juge fiscal s'oppose directement à celle longtemps privilégiée par le ministre prenant en compte des éléments extérieurs au texte, qui est celle de l'interprétation téléologique. Celle-ci s'attache non seulement aux termes conventionnels, mais également à l'objectif servi par le traité, afin de dégager le sens des dispositions à la lumière de ce dernier. Il n'est pas question ici de juger du bien fondé de cette méthode mais d'observer que le juge administratif français la rejette explicitement en ne s'intéressant dans son interprétation qu'aux termes des dispositions qu'il lui faut appliquer.

On peut toutefois rappeler que depuis peu, s'est ajouté à l'objectif initial de lutte contre la double-imposition juridique, celui de la lutte contre l'évasion fiscale ; les deux objectifs, sans pour autant être incompatibles, demeurent assez opposés, puisque la raison d'être des clauses anti-abus est justement de limiter le premier objectif pour servir le second. Cet antagonisme, qui mène les rédacteurs des traités à prendre en compte les intérêts des contribuables en regard de ceux des finances publiques, peut donc, pour le juge appliquant une méthode d'interprétation fondée sur la finalité du texte, s'avérer être au mieux inutile, au pire dangereux, en rendant aléatoire le résultat de son exégèse.

Cette méthode d'interprétation, courante chez les juges étrangers, est justement celle préconisée par la Convention de Vienne sur le droit des traités en son article 31, intitulé « Règle générale d'interprétation ». Cet article dispose qu'un traité « doit être interprété de

72 CE, 24 mai 2000, ministre c. CRCAM Normand (n° 209 699-209 891).

73 CAA Paris, 30 janvier 2001, SA Schneider (n° 96 1408) confirmée par CE. Ass., 28 juin 2002, Sté Schneider Electric (n° 232 276).

bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but ». Le tout premier principe d'interprétation codifié de la coutume internationale n'a donc pas cours en France, cela confirme, s'il était besoin, que la Convention de Vienne ne fait pas partie des normes que suit le juge fiscal français.

Le premier à regretter un tel choix quant à la méthode se trouve être le gouvernement qui pendant longtemps pratiqua une interprétation constructive, prenant en compte l'objectif de lutte contre la double-imposition afin d'ajouter des conditions d'applicabilité des bénéfices conventionnels ou de justifier l'application des ses mesures internes de lutte contre l'évasion fiscale. En la matière l'affaire Schneider est significative puisque le ministre y défend cette interprétation afin de faire reconnaître que la société en cause n'est pas victime elle-même d'une double-imposition et par suite ne peut prétendre au bénéfice de la convention dont c'est l'objet (en effet le mécanisme de l'art. 209 B du CGI rend imposable entre les mains de la société mère française les bénéfices versés par sa filiale située et déjà imposée à l'étranger, mais n'assujettit pas une seconde fois la filiale). Les conclusions du rapporteur public sur la décision du Conseil d' État sont également claires : « Nous pensons que le ministre soutient à juste titre qu'il faut tenir compte de l'objet des conventions fiscales dans l'interprétation de leurs stipulations, et donc notamment de celles qui fixent leur champ d'application. » 74.

Le choix de la méthode littérale, en plus d'offrir un résultat prévisible pour le contribuable, a le mérite de garantir à l'État cocontractant que rien en dehors de ce qui a été convenu ne sera utilisé pour mettre en oeuvre les mécanismes conventionnels. Ainsi il est de la seule responsabilité des États de s'assurer de la clarté d'un texte ; si ceux-ci s'entendent pour que les termes soient interprétés à la lumière de l'objectif de lutte contre la double-imposition, libre à eux d'en disposer ainsi et de la sorte le juge s'y tiendra. Dans le cas contraire, le juge n'a pas à prendre en compte d'élément extérieurs.

Le résultat de l'interprétation littérale des termes conventionnels est donc simple : la plupart des notions propres au système d'élimination des doubles impositions sont définies clairement par le traité, le juge s'en tient donc à celles-ci. Puis pour les notions ayant une qualification juridique en droit interne, le traité renvoie le juge aux définitions de son droit national. Le juge applique donc les définitions nationales qu'il connait dans le respect de la convention.

74 S. AUSTRY, L' interprétation des conventions internationales de droit fiscal, concl. sur CE Ass., 28 juin 2002, Ministre c/ Sté Schneider Electric, RFDA, 2002, p. 1124.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle