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Les réécritures bibliques dans l'oeuvre de Pascal Quignard

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par Daphné Pulliat
Université Paris IV- Sorbonne - Master II littératures françaises 2008
  

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c . la quête originelle

Ç Un véritable écrivain est celui qui se souvient de l'origine96. È

C'est bien toujours dans une obsession, celle de la matrice, que Pascal Quignard mène critiques et reconnaissance de dette. La Bible est avant tout pour lui

95 Petits Traités, op. cit., LIIIème traité, Ç Le tribunal du temps È, Paris, Gallimard, [1990], Folio, 1997, p. 559

96 Pascal Quignard, Ç Qu'est-ce qu'un littéraire ? È, Fabienne DurandBogaert, Yves Hersant (dir.), Pascal Quignard, Critique, tome LXIII, n °721-722, juin-juillet 2007, p. 431

la source de ses interrogations sur les origines, origines du monde, de l'homme, des langues.

C'est ainsi que la majorité des ses évocations, réécritures et traductions, concernent des passages qui font sens au sein de cette quête. Esprit logique, Pascal Quignard, dans sa quête des origines, n'en oublie aucune étape. Ecrivain, si ce qui semble l'intéresser est la genèse de l'écriture, il commence sa quête par le début, c'est-àdire par les origines du monde. Il progresse ensuite lentement vers les origines de l'homme, puis celles de la langue, pour en arriver à celles de l'écriture et du livre. Une démarche ordonnée, progressive, évolutive, qui nous fait penser au mot de Mallarmé qui dit que Ç le monde est fait pour aboutir à un beau livre. È

le monde

Commençant par le commencement, auquel était le verbe et qui, vraisemblablement aboutira à un autre verbe, Pascal Quignard nous parle de l'origine du monde comme d'un Ç livre (codex) où Dieu ne cesse d'écrire le monde97 È, idée souvent évoquée et développée d'un grand écrivain créateur, de la vie comme un grand roman,

97 Petits Traités, op. cit., XVIIème traité, Ç Liber È, Paris, Gallimard, [1990], coll. Folio, 1997, p. 371

ou une grande tragédie, dont nous serions tous les personnages, les héros irrémédiablement pris dans le carcan d'une volonté imprévisible et niant notre prétendu libre-arbitre.

Le monde comme un roman, Pascal Quignard développe et étend cette idée en lisant la Bible comme un roman. Nous avons vu les anecdotes que lui inspirent les personnages bibliques dont il fait des personnages de contes, des petites individualités, des petites vies privées. L'évolution du logos comme générateur de réalité est un acquis pour lui ; Ç il est vrai que l'art des déclamations aboutit à Plutarque lui-même. Lequel aboutit aux vies de Saints. Lesquelles aboutirent aux romans Ç romans È. (É) Les évangiles apocryphes font penser aux controversiae [les controverses sont des causes fictives défendues elles-mêmes à partir de textes de loi fictifs]. (É) Ce sont des romans qui se font. On a une crèche : on invente un âne98. È Le monde comme prenant source dans la fiction, dans des textes fictifs, une origine Ç littéraire È du monde, voilà ce que nous suggère l'auteur dans ces lignes. L'origine du monde est pour lui l'objet d'une rêverie littéraire, une fiction intellectuelle qui lui offre l'opportunité de développer ses idées et idéaux, de se

98 Sur le Jadis, op.cit., chapitre LXXXVIII, Ç Un ami de mille ans È, Paris, Grasset, 2002, p. 271

refaire une genèse, une explication personnelle du monde.

Mais nous l'avons vu, Pascal Quignard ne renonce pas à la réalité scientifique de l'origine de la vie sur terre. Ç Tous cherchent l'origine. (É) 15 milliards d'années l'univers. 4,5 milliards d'années la vie. 100000 années l'homme99. È Ce type de réponse claire, une concision quasi dogmatique, une réponse si assurée, affirmative qu'elle révèlerait peut-être une certaine inquiétude en fin de compte, est le signe que Pascal Quignard n'est pas un mystique qui cherche l'origine du monde dans la littérature pour de vrai, mais qu'à côté de ces convictions scientifiques, il est intéressant, rassurant peut-être, de chercher dans une passion, celle de la lecture et de l'écriture, les raisons, les explications, les réponses aux questions existentielles qui étreignent toute pensée humaine. Aux questions comment, pourquoi le monde existe, Pascal Quignard ne se contente pas des réponses scientifiques qui ont contre elles leur froideur, leur rationalité qui met fin à la rêverie. Il préfère se créer, s'inventer une genèse littéraire de l'existence.

Aussi, dans cette construction littéraire, la Bible garde sa place en tant que référent culturel constitutif de

99 Ab»mes, op.cit., chapitre XXIX, Paris, Grasset, 2002, p. 87

l'imaginaire de l'auteur et du lecteur à qui il s'adresse. L'origine du monde, si elle a pour source un logos, catégorie que Pascal Quignard semble exécrer, piège de l'humanité qui le plonge en permanence dans l'échec de la communication, n'est pas encore pervertie par lui dans ses premiers instants.

Le premier temps du monde brillait de désir ;

il n'y avait pas de lois ; il n'y avait pas de châtiments ; pas de crainte ;

pas de nation ; pas de frontière ; pas de soldat ; pas de chef; pas de servitude ; pas de haine ;

pas de hoyau ; pas de soc ;

on cueillait des arbouses, des fraises, des cornouilles, des müres ;

on était nu ;

sous les chênes on ramassait les glands ;

on léchait le miel ; le printemps était éternel100.

Eden revisité que nous propose Pascal Quignard, nourri des lectures de Rousseau et de Hobbes : une origine pure, avant la corruption sociale, avant la propriété privée et le pouvoir. La mention des Ç glands È est une référence directe à la parabole du ramasseur de glands du Léviathan, la mention de la nudité et du miel dans un climat toujours favorable place la Bible à la source de cette conception de premiers temps humains. C'est bien une démarche philosophique - tant par ses références que par son contenu - dans laquelle Pascal Quignard entra»ne son lecteur. Il semble vouloir créer un

100 Les Paradisiaques, op. cit., chapitre LXXXI, Ç Echelle de Saturne È, Paris, Grasset, 2005, p. 284

système, un ensemble de préceptes littéraires et mythologiques liés ensemble pour trouver un sens au monde, à l'existence. Ces réponses philosophicolittéraires à la question de l'origine du monde viennent témoigner d'une inquiétude, d'une intranquilité ; sentiment plus vaste encore quant à la question de l'origine de l'individu.

l'homme

Dans sa conception des origines de l'homme, Pascal Quignard semble adopter deux attitudes : l'une qui reprend l'héritage biblique, l'autre qui la critique. Un vaet-vient entre deux << doctrines È qui montre leur insuffisance mutuelle, leur complémentarité nécessaire donc dans l'écriture de Pascal Quignard.

<< Le premier mot qu'avaient lu leurs corps était leurs noms ; et ils découvrirent que ce nom que leur corps avaient lu les avait écrits101. È Adam et Eve furent crées de la terre, terre qui se dit adama en hébreu, désignant qu'Adam est fait de terre, hava, qui signiÞe la vie en hébreu, désignant qu'Eve est celle qui donne la vie.

101 Petits Traités, op. cit., IVème traité, << Sur une boulette de plomb È, Paris, Gallimard, [1990], coll. Folio, 1997, p. 77

Adama et hava sont liés, comme ish et isha, homme et femme en hébreu, son liés par l'étymologie commune de leur terminologie.

Le pouvoir performatif de la langue qui est un principe de la Bible, le verbe crée, fait ici que le nom donne la fonction. L'homme Ð au sens d'humain, sans genre spéciÞque Ð est homme car il est nommé homme. La matière fait l'être ; l'homme est de terre et de vie, adama et hava à la fois. Les corps d'Adam et Eve se créent en même temps qu'ils se nomment ; se nomment en même temps qu'ils se créent.

La Genèse dit : Ç Le Seigneur Dieu modela l'homme avec de la poussière prise du sol. Il insuffla dans ses narines l'haleine de vie et l'homme devint un être vivant102. È Terre et vie sont des créations du Verbe divin et sont les éléments constitutifs de l'être humain. Lors qu'ils se regardent pour la première fois, le premier homme et la première femme se créent, voir adama crée Adam, voir hava crée Eve, la rencontre d'Adam et Eve, d'adama et hava, crée l'homme, l'ish-isha.

Ce Ç nom È créateur, auto et hétéro créateur, matérialisé dans la lecture et dans l'écriture Ð Þctives, symboliques ici Ð est le même que celui par lequel Dieu crée le monde et par lequel Adam nomme les choses du

102 Genèse, Ç Le paradis terrestre È, 2 ; 7, TOB, op. cit., Paris, Cerf, [1975], 2004, p. 23

monde : Ç l'homme désigna par leur nom103 È, acte créateur, insufflant la vie aux choses du monde. Nommer, parler, écrire, lire, c'est participer à la création.

Le récit biblique de la création de l'homme est accepté, assumé pas Pascal Quignard qui en conna»t les subtilités et la profondeur de sens. L'origine de l'homme telle que racontée par la Bible fait sens pour Pascal Quignard, il se sent héritier de ces conceptions, ainsi quand il écrit Ç un morceau de la pomme originaire est resté coincé au centre de ma gorge104. È Comme si cette origine, incarnée par la pomme d'Adam - le mythe originel vient là encore donner explication à un phénomène naturel dont Pascal Quignard ne semble pas chercher d'autre cause - était difficile à avaler pour lui, toujours présente, à la frontière des ses lèvres, comme quelque chose qui veut se dire, devenir parole, comme une obsession, une question qui ne sera jamais avalée ni digérée. Cette Ç invieillissable pomme105 È, pomme de discorde sans doute, la question de l'origine, divise Pascal Quignard.

Il oscille en effet enter assumation, comme nous venons de le voir, et rejet. Nous avons déjà vu la manière

103 ibid., 2 ; 20, p. 24

104 Les Ombres errantes, op. cit., chapitre premier, Paris, Grasset, 2002, p. 8

105 Sur le Jadis, op. cit., chapitre LXXVIII, Ç Le délivre È, Paris, Grasset, 2002, p. 227

qu'il a de naturaliser, rationaliser, Ç scientiÞciser È le mystère des origines de l'homme : une fois de plus, dans les pages du Dernier Royaume, il parle d'Adam comme d'un Ç mâle ancêtre (dont l'âge est momentanément Þxé à -59000106.) È

Avec à sa source le logos Ð création du Verbe, son corps est son écriture et elle se lit dans le regard de l'autre -, l'homme, mais aussi le monde, sont les bases de l'origine de la langue.

la langue

L'origine de la langue est bien, nous l'avons déjà aperçu, une question majeure de l'écriture quignardienne. La langue originelle, la langue de la création, la langue adamique, l'Ursprache, sont bien des notions qui trouvent des échos dans les conceptualisations de Pascal Quignard. Ç Traquer l'origine Ð latine Ð dans le mot c'est à la fois en délivrer le cru, recuit par des siècles d'usage, et en retrouver la saveur, l'effet initial107. È Voilà l'objet de la quête quignardienne, saisir l'origine.

106 ibid., p. 226

107 Dominique Viart, Ç Le moindre mot È, Pascal Quignard, Revue des Sciences Humaines, n° 260, octobre-décembre 2000, p. 65

Comme pour les origines du monde et de l'homme, l'auteur mêle dans ses écrits une pensée biblique et une pensée scientifique. Une question majeure est à la croisée de ces conceptions, origine mythique et scientifique des langues, celle de la Ç mort È des langues ; les langues mortes semblant remporter le goLt de l'écrivain sur les vivantes. Donnée scientifique, Ç on compte 10000 à 12000 langues qui furent parlées sur la terre. Elles se sont tues mais ce sont des langues. Silencieuses, elles demeurent. (É) Certains linguistes estiment entre 2 et 3 milliers le nombre de celle qu'on parlerait encore108. È Babel faite d'un cimetière de langues et d'un résidu de Ç survivantes È, mais aussi de mortes qui n'ont pas disparu, telles le grec et le latin, tant affectionnées par l'auteur, mais encore une morte qui a ressuscité, l'hébreu, car Ç peut-on nier logiquement qu'une langue morte puisse redevenir vivante109 ? È demande Pascal Quignard, cette langue biblique, originelle, réactualisée au XXème siècle par Eliezer Ben Yehuda.

Les mystères des origines et des fins des langues, non élucidés par les linguistes et les philologues, sont pour Pascal Quignard objet de réßexion et d'interrogation. Entre langues vivantes et langues mortes,

108 Petits Traités, op. cit., IXème traité, Ç Les langues et la mort È, Paris, Gallimard, [1990], coll. Folio, 1997, p. 150

109 ibid., p. 162

pas de frontière pour lui, car les unes et les autres se confondent, se contaminent. Ç Nous croyons parler une langue nationale : un vieil Indo-Européen, un Saxon, un Juif, un Romain tout à coup parasitent les mots de la phrase la plus ordinaire et la plus pauvre tandis qu'on la prononce. Non des fantômes, ces racines sont vivantes, affectives. Ces guerriers sont en armes et ils entendent tuer110. È Il y a dans ces affirmations de Pascal Quignard un décloisonnement du temps, un désenclavement de l'espace ; les langues ne sont pas circonscrites spatiotemporellement, elles sont le lieu de rencontre du passé et du présent, du passé et du futur, devenus contemporains dans l'objet langue qui est toujours tendu entre l'ancien et l'à-venir.

Les origines des langues sont obscures, elles sont mêlées de mythe et de science ; même les scientiÞques frôlent un certain mysticisme lors qu'ils rêvent l'hébreu comme la langue parlée par Dieu, langue créatrice. Elle est ainsi identiÞée, langue divine ou langue adamique, comme celle dont les sons sont les plus proches de ce qu'ils désignent, à l'image du principe biblique de la nomination qui fait l'existence. Une bouteille se dit en hébreu Ç bacbuc È en raison du bruit émis par le liquide

110 Petits Traités, op. cit., XLIXème traité, Ç Le mot contemporain È, Paris, Gallimard, [1990], coll. Folio, 1997, p. 496

qui s'échappe du goulot. Une langue à l'image de ce qu'elle désigne, tel est l'idéal originel fantasmé par mystiques et linguistes.

Un idéal auquel n'adhère certainement pas Pascal Quignard qui voit dans la langue un piège, un outil qui nous trahit sans cesse puisqu'il dit toujours plus ou autre que ce que nous voulons signifier. Un outil acquis par la bouche maternelle, ce rond originel que nous fixons et sur lequel nous allons chercher les mots, depuis laquelle nous allons exercer par mimétisme les mouvements de la parole, entrer dans la communication, entrer dans le piège du langage qui sera défaillant, qui pourra même nous abandonner un instant, lorsque nous avons << le nom sur le bout de la langue111 È, nous abandonner un jour, ainsi que l'auteur en fit l'expérience, lui faisant écrire un chapitre intitulé << Le misologue112 È et des remarques sur le travail de l'écrivain qui est alors phonoclaste et logoclaste113 .

L'origine individuelle de la langue est la mère, sa fin est notre mort ; c'est à l'échelle d'une existence humaine que Pascal Quignard nous aide à percer les mystères de la

111 Le Nom sur le bout de la langue, Paris, P.O.L, 1993

112 Petits Traités., op. cit., IIIème traité, << Le misologue È, Paris, Gallimard, [1990], coll. Folio, 1997, pp. 43-74

113 Une Gêne technique à l'égard des fragments, Saint-Clément, Fata Morgana, 1986, réédition Galilée, 2005

langue ; mais l'absolu de la création et de la fin des langues reste insondé ;

les philologues jugent que la profusion des langues est sans raison. Il en va de même pour leur extinction ou pour leur ténacité. Leur brusque richesse est comme une crue inexplicable. Leur carence ou l'immuabilité séculaire des telles formes ne correspondent à aucun critère. Le périssement millénaire des plus souples et des plus raffinées en regard de l'apparence rudimentaire de celles qui se sont substituées à elles est inintelligible114.

l'écrit

Pour Pascal Quignard, écrivain, les origines de l'écrit sont les origines de son art. C'est bien une question qui occupe l'ensemble de son oeuvre, mais certains passages de ses essais s'y consacrent en particulier. Ainsi les traités sur la << Pagina115 È, support de l'écriture, espace qui circonscrit la pensée dans sa manifestation matérielle, sur << Les premiers codex116 È et << Liber117 È les origines de l'objet livre, le passage du livre au codex, les raisons et les conséquences du changement de support matériel de l'écrit, sur les évolutions des formes de l'écrit, et un

114 Petits Traités, op.cit., XXème traité, << Langue È, Paris, Gallimard, [1990], coll. Folio, 1997, p. 473

115 ibid., VIème traité, << Pagina È, pp. 105-128

116 ibid., XVIème traité, << Les premiers codex È, pp. 297-310

117 ibid., XVIIème traité, << Liber È, pp. 311-446

très grand traité sur l'activité connexe à l'écrit, la véritable passion de l'écrivain qu'est Pascal Quignard, la lecture dans Ç Lectio118 È. Ainsi des passages du Dernier Royaume comme Ç L'espace de l'écriture119 È, réßexion sur certains aspects de l'imprimerie.

Une fois encore Pascal Quignard mêle dans ces réßexions des éléments de mythes bibliques et de données scientifiques. La quête de l'origine de l'écriture, scientifique, est en soi une remise en question de la lettre biblique qui se donne pour le premier texte. Aussi une remarque telle que Ç quel est le texte le plus ancien qu'un homme a noté ? (É) le décompte d'un troupeau de vache ? (É) (Je penche pour le troupeau de vaches ; i.e. les bêtes du sacrifice ; i.e. la peau des livres faits de peaux120.) È achève de montrer que l'auteur cherche non seulement la vérité historique de l'origine de l'écriture, mais prend toujours aussi plaisir à exposer avec humour sa pensée impie et désacralisante.

Ç L'écriture qu'il exhuma [sir John Marshall à Mohenjo-Daro et Harappa] faisait intervenir quatre cents

118 ibid., XXXème traité, Ç Lectio È, pp. 97-146

119 Sordidissimes, op. cit., chapitre VIII, Ç L'espace de l'écriture È, Paris, Grasset, 2005, pp. 28-32

120 Petits Traités, op. cit., XVIIème traité, Ç Liber È, Paris, Gallimard, [1990], coll. Folio, 1997, p. 326

signes qui sont toujours resté indéchiffrés121 È et << l'écriture sumérienne précunéiforme attestée à Uruk vers 3300 avant Jésus-Christ n'est toujours pas déchiffrée122 È sont des données scientiÞques qui servent à Pascal Quignard tant à poser comme insondable mystère l'origine scientiÞque des langues - les écritures découvertes au Pakistan pourraient avoir un lien avec le Brahmi, une langue dérivée d'une écriture sémitique, proche de l'araméen - que pour remettre en question les conceptions bibliques de l'écriture.

Ainsi, la seconde remarque, faisant mention de la datation par rapport au Christ, vient en pendant contradictoire au XXIème petit traité, <<Jésus baissé pour écrire123 È, scène étrange citée pas Pascal Quignard depuis la Bible d'Alexandrie, << The Greek New Testament, London, 1966, page 414 È, passage de l'évangile selon Jean124 montrant le Christ devant le Temple, s'agenouillant et traçant à deux reprises des traits sur le sol avec son doigt.

121 Ab»mes, op. cit., chapitre LIII, << Sur l'arrière È, Paris, Grasset, 2002, p. 155

122 Petits Traités, op. cit., XVIIème traité, << Liber È, Paris, Gallimard, [1990], coll. Folio, 1997, p. 325

123 ibid., XXIème traité, <<Jésus baissé pour écrire È, pp. 513-528

124 Evangile selon Jean, << La femme adultère È, 8 ; 6, 8, TOB, op. cit., Paris, Cerf, [1975], 2004, p. 1525

Pascal Quignard Ç cite È - ou peut-être plutôt propose-t-il sa propre traduction - le texte biblique :

Ç Mais Jésus, se baissant, se mit à tracer du doigt des traits sur le sol È devient : Ç Mais Jésus, s'étant baissé, écrivait avec le doigt sur la terre È. Ç Et s'inclinant à nouveau, il se remit à tracer des traits sur le sol È devient : Ç Puis, s'étant baissé de nouveau, il écrivait sur la terre È.

Cette scène d'écriture - c'est la traduction de Pascal Quignard qui affirme que le Christ Ç écrit È - montre le Ç Dieu abaissé È, investi corporellement dans l'acte d'écriture, qui, au sein de la Bible, devient symbole du livre dans le livre. Cette scène est fondatrice, elle rejoint les critiques quignardiennes de l'excès d'immanence dans les mythes chrétiens ; quelle transcendance dans ce Dieu qui Ç se baisse È deux fois pour écrire, assujetti à l'écrit, sur le sol qui plus est, et dont l'écrit passe inaperçu, personne ne sait ce qu'il traça sur le sol, personne ne se le demanda.

Les Sumériens écrivaient avant le Christ, alors quel intérêt porter à l'écriture d'un homme-dieu qui fut réduit à cela pour transmettre sa doctrine, son message divin. Le rapprochement de cette remarque sur l'alphabet sumérien et de cette scène biblique méconnue montre que la vraie origine de l'écriture n'est pas à chercher dans les Ecritures mais dans les premiers écrits

scientifiquement identifiés. Cette mise en parallèle constitue un discrédit et un aveu d'échec, peut-être temporaire, dans la compréhension des origines de l'écrit, puisqu'elles demeurent indéchiffrées.

Ainsi Pascal Quignard pose-t-il les édifices d'une conception de l'origine. Les appels qu'il fait aux textes bibliques - références, citations, traductions -, sont toujours dirigées dans l'objectif de sa pensée des origines.

Nous avons constaté au fil de nos remarques que le rapport de l'écrivain au religieux est complexe et contradictoire. Ce lien écriture-religion a toujours été une question majeure dans les études littéraires. Le rapport des écrivains et des textes sacrés est toujours protéiforme et soumis à la période historique et à la situation géographique. Ecrivain du XXIème siècle, Pascal Quignard semble bien être dans cette ambivalence entre un héritage éducatif - famille catholique française - et un dépassement idéologique intellectuel - lectures philosophiques, expériences de l'existence.

C'est dans cet intervalle que Pascal Quignard définit son rapport au religieux. Ce dernier nous apparait définitivement littéraire : la Bible est pour Pascal Quignard la source d'une écriture critique, problématisée, intellectuelle, mais dont les formes sont littéraires.

Nous souhaitons en effet découvrir à présent quels sont les enjeux littéraires de ces réécritures. La Bible quignardienne a pour particularité de procéder d'une démarche littéraire majeure, celle du changement de forme, passant d'une somme textuelle à un éparpillement fragmentaire.

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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King