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La négociation de la prise en charge dans une maison de repos et de soins bruxelloise

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par Anne- Claire ORBAN
Université libre de Bruxelles - Master en anthropologie 2012
  

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CHAPITRE 7 :

VOUS AVEZ DIT BIEN-ÊTRE ?

Pascale Molinier (2013) pointe un élément intéressant pour ce mémoire : chacun, à partir de sa position, de son expérience, a un point de vue personnel sur ce qui est bon pour la personne prise en charge. Cela crée alors des tensions autour du « care »76, entendu ici comme le « souci de l'autre » (de Hennezel 2004), « l'attention à l'autre » (Tronto 2009), comme comportement cherchant à comprendre les besoins de l'autre pour qu'il se sente bien. Cette notion de « care » ne reprend pas un nombre d'actes précis, au contraire, elle varie pour chaque personne, pour chaque résident. De tous petits actes banals, quotidiens participent au confort de la personne (Soliveres 2001 ; Véga 2000). Mme Oste, m'explique que certaines aides-soignantes ne soulèvent pas cette importance :

«Parfois ils se rendent pas compte mais changer le lit d'une personne, ou bien changer son pampers, c'est beaucoup plus important pour la personne que le reste ! Vous vous rendez pas compte comment ils sont soulagés quand on les change ! C'est ça aussi qu'il faut se dire, c'est aller plus loin que l'acte lui-même hein... c'est pas juste changer une personne qu'ils font, c'est participer à son confort, c'est la soulager ! » (Mme Oste).

Ainsi cette chef infirmière cherche à casser l'idée des aides-soignantes qui se voient comme « personnel de renfort », chargé d'activités moins dignes de respect (Becker 1988 : 41). Cette division morale du travail (Arborio 1995) s'appuiant sur la technicité des tâches, les odeurs, etc. bref sur les aspects pratiques du travail, me semble accentuée par le mode de fonctionnement bureaucratique, amenant une concentration sur les moyens et non sur les fins.

Le travail du care, non quantifiable, non définissable, non énumérable, s'illustre donc dans tous les petits actes quotidiens qui permettent le bien-être de la personne. Le « care » étant une notion perméable et malléable suivant le contexte dans lequel elle évolue, comment s'effectue-t-il en MRS, balancée entre les trois lieux décrits ci-dessus ? Si dans les discours, chaque acteur agit pour le bien-être de la personne, ceci illustre le « contrat de base de l'institution » sur lequel « tout le monde est d'accord » (Strauss 1992b : 95) dans les pratiques, les comportements diffèrent. Il s'agit ici de « l'objet-frontière » aussi robuste que souple d'Isabelle Baszanger (1995 : 173), offrant une position commune face à l'extérieur

76 Pour aller plus en profondeur sur cette notion : Moliner P., Laugier S., Paperman P. (dir.), (2009). Qu'est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, Petite Bibliothèque Payot.

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(renforcement du in-group) mais s'effectuant de différentes manières au sein de la population étudiée. Comment se met en pratique le bien-être de la personne ? Comment se soucie-t-on d'elle ? Il s'agit de « comprendre comment l'homme réalise des choses » (Hennion 1993 : 34).

7.1 Stimuler

« Une personne qui veut rien faire, qui reste dans son lit, c'est pas bon ça ! » (Mr Marc)

Depuis janvier 2013, tous les vendredis après-midi, dans les « zones publiques » des ailes médicalisées, se tiennent de « petites fêtes ». Musique, collation et verre de bulles (sans alcool) sont au rendez-vous ! C'est l'occasion, me dit le directeur, de créer un cadre de vie plus amical que le cadre de vie hospitalier, l'occasion également de permettre aux résidents de se connaître entre eux ainsi que d'approcher le personnel d'une manière moins formelle. James Scott (2008) montre que ce genre de fêtes permettent de renverser les rapports de force et de libérer la parole des uns et des autres, rendus égaux pour un court instant. Cependant, à ces fêtes ne participent qu'une petite partie des résidents, tout au plus à une dizaine par étage.

« Participer » semble néanmois un terme un peu fort : certains résidents « amenés »77 à la fête sont totalement déments. Ils ne « participent » pas mais « sont présents ». Et encore, j'ai déjà relaté le cas de Mr Ci. ne désirant pas prendre part à la fête mais trop désorienté que pour retrouver seul le chemin de sa chambre. Ce résident s'est vu « obligé » de rester le temps d'une demi-heure et de boire son verre de bulles. Au sein de cette dizaine de résidents, certains donc ne désirent pas y participer mais y sont quelque peu contraints.

Comment expliquer ce peu de motivation des personnes à se rendre aux fêtes organisées ? Il peut s'agir d'une conséquence du regroupement MR / MRS dont j'ai déjà parlé : le désir de non-participation, principalement observé chez les résidents valides et autonomes. Dans l'esprit de ces personnes, ces fêtes animent ceux qui n'ont rien d'autre à faire, assez « gaga » pour claquer des mains comme des enfants devant un show de marionnettes :

«Ils font des fêtes là-bas... ils mettent de la musique et alors ils dansent et font je sais pas quoi... mais moi, non. Moi non j'ai pas envie d'aller là » (Mme De.) ; « Alors ce qui est fou, c'est le vendredi, ils font leur petite fête là, ils boivent des petites bu-bulles, y a d'la musique, et les débiles alors, ils tapent dans les mains, ils sont contents ! Pfff... » (Mr Bou.)

Le directeur me dit également être mécontent de la tournure que prennent ces fêtes : selon lui, le personnel doit être au service du résident, chercher à le satisfaire en premier. Or

77 « Amenés » : soit se déplaçant en chaise roulante ; soit désorientés

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lors de ces fêtes, le personnel apporte de la musique africaine et/ou arabe et non de la musique des années 60' pouvant plaire aux résidents. Mr Marc déplore le fait que le personnel danse et rigole sans prêter attention aux résidents, alors spectateurs, au lieu de les poser en acteurs principaux. Ce que j'ai observé diffère quelque peu. Certes la musique est principalement (nord) africaine mais les résidents ne sont pas négligés pour autant, ils sont invités à danser, à rires, à parler, etc. Il ne faut pas oublier que viennent principalement à ces fêtes, les personnes que l'on « amène », moins mobiles et/ou vives d'esprit, ne facilitant pas la mise d'ambiance...

Encadré 11 : La partialité du directeur en jeu

Mme Chi. a compris que le directeur était « du côté » des résidents. De fait, lors des conseils des résidents, le directeur ne cache pas qu'il comprend les résidents et qu'il est avec eux. Il demande même parfois le nom de la personne ayant, d'après le résident plaintif, mal agi pour la convoquer dans son bureau par la suite. Il évite ainsi les faces à faces, servant d' « écran protecteur » (Busino 1993 : 99) entre les soignants et les résidents. Bref, Mme Chi. a bien compris cela et en joue devant le nouveau personnel : elle les teste, leur demandant de nombreux services (des « caprices » selon l'équipe du second), les menaçant, s'ils ne les effectuent pas, de se plaindre au directeur. Une jeune aide-soignante est ainsi arrivée à la pause, complètement perturbée par Mme Chi. qui l'avait rendue folle en demandant de l'eau puis refusant le verre, puis vidant ce dernier d'un trait et redemandant de l'eau, pour ensuite écraser le verre (en plastique), énervée, et le jeter par terre... L'équipe nursing du second la rassura directement, elles connaissaient ses caprices, il ne faut pas s'inquiéter pour cela. La stratégie de cette résidente est donc éphémère... jusqu'au nouvel arrivant !

 

Pour rappel, une fête d'anniversaire est organisée mensuellement à la cafeteria. Néanmoins, et ici il s'agit des dires du directeur de nouveau, ces fêtes ne ravissent pas tous les résidents : pour certains, ce n'est qu'une occasion supplémentaire de leur rappeler qu'ils sont seuls et qu'ils vieillissent. C'est le cas d'une résidente fêtant ses 108 ans, félicitée par l'échevin de la ville de Bruxelles et interrogée par les journalistes alors qu'elle vivait cette année supplémentaire non pas comme un prestige mais plutôt comme une fatalité. Ces fêtes réunissent d'un côté les personnes âgées entourées par leur famille et de l'autre, les isolées, « accentu[ant] la solitude de ceux vivant en communauté » (Mallon 2005 : 157).

De nombreuses activités se voient également organisées : activité mémoire, chorale, mots croisés, cinéma, etc., prises en charge par Mme Redman, ergothérapeute, portant un uniforme blanc à l'instar du personnel soignant. Ce port de l'uniforme illustre selon moi le désir de rendre l'activité « professionnelle » et d'ainsi se détacher du « simple délassement ». Par exemple, l'activité Wii permet d'entretenir les réflexes des résidents me dit-elle,

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s'inscrivant ainsi pleinement dans l'objectif de la maison : stimuler la personne pour stabiliser, maintenir son état, stimulation devenue impératif médical (Mallon 2005). Cette activité permet d'un côté le maintien en forme physique « après ça, on sent ses bras hein ! c'est bien de bouger un peu ! » (Mme M.) ; « pour maintenir le cerveau en action » (Mr B ou.) ; de l'autre, permet aux résidents de se rencontrer, d'entretenir une vie sociale dans la maison. Ainsi toutes ces activités « sont regroupées selon un plan unique et rationnel, consciemment conçu pour répondre au but officiel de l'institution » (G offman 1968 : 48).

Cependant, durant ces activités, les résidents ne se parlent pas. Les conversations n'avaient lieu qu'entre résidents (A et C) et ergothérapeute (B), comme si les autres résidents présents « n'étaient pas là », des « non-personnes » (G offman 1973a : 147), n'entrant pas en compte dans l'interaction. Le réseau social alors apparent prend la forme d'un réseau de liens non-redondants (Godechot et Mari ot : 2004).

 
 
 

Le bien-être selon « la direction »78 s'illustre donc comme suit : faire participer les personnes à la vie sociale, éviter l'isolement et le désoeuvrement, effectuer un « travail socialisateur » (Castra 2003), leur faire rencontrer d'autres résidents, entretenir des relations sociales dans des conditions voulues agréables pour tout le monde,... le tout afin d'éviter la mort sociale de l'individu. La maison de repos et de soins devant répondre de la définition « lieu de vie », le directeur, aidé du personnel, tente d'y introduire une vie quotidienne animée, des contacts sociaux, de la conversation, etc. bref, du mouvement.

Cependant et pour rappel (cf. Chapitre 2), Delphine Dupré-Lévêque note que les institutions actuelles de prise en charge, contrairement à celles des années 70', n'ont plus le pouvoir d'obliger les résidents à participer à la vie collective, même si ces activités sont estimées nécessaires à la « stabilité de leur identité » (2005 : 221). Ainsi malgré un désir de les stimuler, le personnel aurait moins de légitimité d'y arriver. Cela confirme mes observations.

Ce non-engagement s'explique par d'abord des critères purement physiques : surdité, mauvaise articulation, démence,... Tout cela entrave la conversation entre résidents. Mais, comme je le disais plus tôt, il me semble qu'une grande partie de l'explication tient au regroupement de divers degrés de démence dans la maison. Les résidents « moins abîmés » ne désirent pas spécialement participer à la vie de la maison de repos et de soins, ne veulent pas se mêler aux résidents déments au risque peut-être d'y être comparés. Ils préfèrent alors

78 Entendez ici la philosophie générale de la maison, illustrée par le directeur.

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« s'instruire à la télévision » (Mme Van.) ; coudre (Mme C o.) ; lire (Mme Ve.) ; surfer sur internet (Mme Va.), etc. Ensuite, entreprendre une relation avec un autre résident est toujours risqué. Ainsi Mme De. s'est investie dans l'accueil d'une résidente plus jeune, la présentant aux autres, lui montrant la maison, l'emmenant avec elle lors de sorties, etc. pour, au final, recevoir une série d'insultes de cette dernière, souffrant de troubles comportementaux. Bouleversée, elle me jura que plus jamais elle ne l'aiderait ! Mme W. également était amie avec Mme Ve. mais cette dernière, devenue trop envahissante, surveillait tout ce qu'elle faisait, Mme W. décida de couper les ponts et ne lui adresse aujourd'hui plus la parole. Mme Du. elle, avait pris l'habitude de jouer au scrabble avec une autre résidente, il y a de ça 2 ans. Cette dernière a décliné très vite et se trouve aujourd'hui démente. Mme Du. m'explique qu'elle avait essayé d'aider cette amie, de la prendre en charge, mais que très vite, cette situation était devenue trop lourde. Aujourd'hui, elle ne la voit plus. Mme Hu. c onnait la même situation avec sa soeur dont elle s'occupe malgré les conseils de l'ergothérapeute lui demandant d'arrêter ses efforts et de se reposer... et les exemples continuent.

Un engagement envers un autre résident ou une relation d'amitié engendrent un risque de perte, de peine, de relation trop encombrante (Mallon 2005), de contamination morale (Goffman 1968). Toutefois, les résidents plus valides profitent des activités extérieures (comme aller à l'opéra) pour apprendre à se connaître en petit comité. Mme De. ainsi me raconte qu'elle adore écouter Mr Bou. et Mr De., selon elle, très intelligents et cultivés ! Attention, il arrive de voir deux personnes se prendre d'amitié, l'une pour l'autre, à l'intérieur de la maison, comme Mr J. et Mme Ma., discutant de leur passion commune, la lecture.

Ainsi, on le voit, le désir de stimulation sociale, intellectuelle et physique, prônée par le personnel, ne semble pas répondre entièrement aux désirs des résidents79. Ils préfèrent semble-t-il rester seuls et vaquer à leurs occupations personnelles plutôt de façon isolée. Ces comportements de replis sur soi ne participent alors pas à l'idée d'une maison de repos et de soins comme « lieu de vie », ni à l'idée d'une atmosphère vivante et dynamique, bref à l'idée que « nous » (entendu ici comme vous et moi, toujours dans la vie active) nous faisons d'une vie en collectivité. Il y aurait une forme de transfert, une projection de ce qui « nous » (illustré par les personnages du personnel et du directeur) fait plaisir, sur les résidents. La maison se base sur le postulat qu'une vie agréable se doit d'être remplie d'activités et de contacts sociaux, de fêtes et d'activités, à l'instar de nos exigences de vie, alors que les personnes interrogées au contraire, semblent donner la primauté à la tranquillité, qu'on ne les embête pas. Mr Le. me

79 Attention, je parle des résidents ayant le choix d'y aller ou non : des résidents autonomes et indépendants.

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raconte ainsi, ne voyant pourtant pas l'intérêt de participer aux activités organisées, qu'il a donné son accord à l'animatrice « pour qu'elle me laisse tranquille ! Et pour lui faire plaisir aussi... » et s'est rendu à la guinguette80 organisée dans un établissement non loin de là. Aujourd'hui il ne participe pas pour autant plus aux activités, mais au moins, maintenant, l'animatrice « le laisse tranquille » et ne vient plus lui demander de faire un effort pour venir.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld