WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La négociation de la prise en charge dans une maison de repos et de soins bruxelloise

( Télécharger le fichier original )
par Anne- Claire ORBAN
Université libre de Bruxelles - Master en anthropologie 2012
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

7.2 Converser

« Bonjour ! » ; « ça va ? » ; « Vous avez bien mangé ? » « bien dormi ? » ; ... Ces phrases, Mr Marc les déplore. Le personnel, d'origine étrangère (cf. chapitre 4), n'a pas les capacités, selon lui, de parler d'autre chose avec les résidents car ils ne partagent pas la même culture, pas les mêmes références historiques. De plus, dit-il, le personnel ne devrait pas parler arabe ou swahili devant les résidents car cela les exclut de la conversation (de nouveau ici l'idée de « non-personne » de Goffman 1973a). En plus d'illustrer un manque de respect, ce peu de conversation, toujours selon lui, entraînerait dépression et angoisse chez les résidents.

Cependant, lorsque je demande à Mr Boe. s'il désire parler de son histoire personnelle, il me répond par la négative. Il a trop peur que les souvenirs des autres n'entravent sa mémoire et ne contredisent les siens. Je suppose de nouveau que Mr Marc part du postulat que les résidents ont envie de parler, ont envie de converser avec le personnel, on retrouve ici encore l'idée de transfert où ce que devrait être le bien-être selon un homme de 37 ans, vif d'esprit, actif, cultivé, et possédant encore toutes ses fonctions (notamment la parole, l'ouïe) se voit appliquer sur des résidents de +- 80 ans, plus usés par la vie. Ces derniers ne préféreraient-ils pas entendre des voix plutôt que de participer à une conversation ? Pascale Molinier (2013) s'est posée la même question et remarque, également en MRS, que les soignantes parlant en arabe lors de la sieste des résidents, n'empêchent pas ceux-ci de s'assoupir, bercés par les voix.

Attention, loin de moi l'idée que les résidents n'ont pas envie de conversation ! Je pointe seulement le fait qu'ils vivent dans un corps différent du nôtre, avec des envies différentes également que celles d'hommes et de femmes actives. Peut-être sont-ils contents parfois de ne pas devoir faire d'effort de compréhension, ni de réponse. Le postulat du directeur qu'il faut faire parler les résidents, les mettre au centre des conversations sinon ils dépriment est peut-être alors à nuancer.

80 Fête organisée une fois par mois tour à tour entre les cinq établissements du CPAS de Bruxelles-Capitale

Il existe ici donc une certaine tension entre le fait de vouloir surveiller la personne et le désir de cette dernière de préserver son intimité. Anselm Strauss observe la même situation à

84

7.3 Surveiller

« On lui a tellement répété qu'il était chez lui, que c'était chez lui sa chambre, que après, plus personne ne pouvait y entrer ! ça je trouve pas ça normal moi ! A force de crier tout le temps chez-soi, chez-soi, on arrive à des situations où on ne peut plus entrer dans les chambres ! Oui d'accord, c'est leur chambre, mais il reste en maison de repos ! et nous on doit pouvoir y entrer, on doit les surveiller ! Là, aucun membre du personnel ne pouvait entrer dans sa chambre, « jusqu'à la fin de sa vie » qu'il avait dit. Alors nous, on lui a expliqué que c'était une question de sécurité, qu'on devait voir si tout allait bien. Sinon à quoi ça sert de venir en maison de repos ? » (Mathilde, A-S)

Selon cette aide-soignante, prônant une logique médicale (pôle hospitalier) plutôt que d'hébergement (pôle domicile) (Mallon 2005 : 18), le but premier d'une maison de repos reste de surveiller, d'assurer le « safety wor'c » (Strauss 1997 : 69), au détriment peut-être de leur vie privée et de leur désir de solitude. Son argument principal se base sur on ne sait jamais ce qui peut se passer d'où l'accès nécessaire aux chambres de façon permanente. Mme Oste, infirmière chef, m'explique également, qu'il y a toujours quelqu'un qui passe, au moins une fois dans la journée, même s'il n'y a rien de spécial à vérifier (cf. chapitre 9). Ainsi, « on sait toujours tout ! ». Cela rejoint l'idée de panoptique où les états, les humeurs, les changements de la personne sont connus (Castra 2003 : 134), situation similaire au sein de l'hôpital, comme le montre Foucault (Vandewalle 2006). La définition du bien-être de la personne tend ici à s'illustrer par le maintien de l'état de bonne santé, garantie par la surveillance continuelle du personnel. Ceci illustre une des conséquences sociales de la médicalisation de la vie, à savoir « le passage de la surveillance médicale du pathologique à la surveillance médicale du pathologique et d'autres sphères de la vie » (Drulhe et Clément 1998 : 83). Il faut aujourd'hui déjà surveiller les futurs potentiels malades (Conrad 2007 : 151).

Du côté des résidents, comme je le mentionne plus haut, c'est le désir de tranquillité qui prend le devant. « On n'est jamais tranquille, jamais ! On dit maison de repos mais c'est pas du tout du repos ! » (Mr Li.) ; même chose pour le couple W. face aux allées et venues dans leur chambre : « on n'est jamais tranquille ici !! » et ils ajoutent « une fois c'est pour vous réveiller, une autre fois, c'est pour les médicaments, puis l'après-midi, on ne sait jamais quand (!), c'est le 'ciné ! » ; Mme B o. elle, a décidé de fermer continuellement sa porte à clé, ainsi me dit-elle, le personnel est obligé d'attendre pour entrer ! (cf. supra, l'intimité et l'intrusion).

85

l'hôpital : « à l'hôpital, les infirmières ont tendance à voir toute expression ou tout acte pour trouver l'intimité comme une façon de les rejeter et ont du mal à le comprendre ou à le tolérer» (1992b : 128). Cela semble également être le cas dans la maison observée.

Toutefois, d'autre, comme Mr Le. et Mr Boe. trouvent cette surveillance bénéfique : sachant qu'il y aura toujours quelqu'un à appeler en cas de soucis, ils se sentent en sécurité. Mr Le. (me parlant des repas) : « si on n'est pas là dans les 5 minutes, alors ils appellent et on vient vous chercher ! Ah non, pour ça c'est très bien ! Moi je trouve ça bien ! » Mme C o. partage également ce sentiment et la surveillance continuelle était une des raisons recherchée par son entrée en institution, « ici y a toujours quelqu'un hein... et ça, c'est bien! ».

L'architecture de la maison pourrait être un premier élément pour mieux comprendre ces divergences d'opinion, les espaces « particip[ant] aussi à la définition et à la production de [...] rapports sociaux » (Castra 2003 : 127). Souvenez-vous : d'une part, il y a les ailes médicalisées, de l'autre, les non médicalisées, réservées aux résidents plus indépendants. Dans ces secondes parties, le personnel se fait beaucoup plus rare et n'y circule quasiment que le personnel d'entretien. S'y sentirait alors un sentiment plus grand de calme et d'isolement et une vision bénéfique de la surveillance, cette dernière plus éloignée et moins directe ? Et au contraire, dans les ailes médicalisées, une plus grande activité et plus de bruit expliqueraient ce sentiment de « non-repos » et une vision plus négative de la présence de personnel ? Il en découle que le sentiment de non-tranquillité pourrait s'expliquer ici par une présence plus ou moins importante de personnel. A cela il faut évidemment ajouter les différences de caractère, les raisons de l'entrée en MRS, les désirs de la personne, etc.

Bref, ce désir de tranquillité et de vie privée dont j'ai déjà parlé précédemment s'oppose au désir de surveillance par le personnel, pour qui cette surveillance fait partie d'un devoir de sécurité, permettant de garantir la bonne santé de la personne, et ce suivant l'idée que « la santé est un état général de bien-être » (art. 2/b du ROI)81. Cette prévention du risque se retrouve d'ailleurs dans de nombreuses situations quotidiennes frustrant ainsi certains résidents plus valides (cf. plainte des couteaux non-tranchants).

81 J'aurais pu également parler ici de l'utilisation de cette surveillance par les résidents. Leleu (2000), Amyot (2013), Caron (2000) remarquent que les personnes âgées se conforment au rôle que l'on attend d'elles et apprennent à séparer les « demandes recevables » des « irrecevables » (Leleu 2000) afin d'utiliser les « recevables » à d'autres fins : ainsi une personne se sentant seule se plaindra d'une douleur somatique pour faire venir une soignante et avoir quelqu'un avec qui parler. J-J Amyot parle ainsi du « paradoxe de l'expert » illustrant le fait que les experts croient connaitre les personnes âgées alors que ces dernières cachent leurs réels désirs pour se conformer aux désirs attendus et entendus.

86

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo