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La négociation de la prise en charge dans une maison de repos et de soins bruxelloise

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par Anne- Claire ORBAN
Université libre de Bruxelles - Master en anthropologie 2012
  

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7.4 Se reposer

Une des caractéristiques communes aux institutions totalitaires sont de casser « les frontières qui séparent ordinairement [l'endroit où l'individu dort ; l'endroit où il travaille ; et l'endroit où il se distrait] » et d'appliquer au reclus « un traitement collectif conforme à un système d'organisation bureaucratique qui prend en charge tous ses besoins, quelle que soit en l'occurrence la nécessité ou l'efficacité de ce système » (Goffman 1968 : 48). Une MRS offre ainsi au résident une prise en charge totale et comble les besoins qu'elle considère comme nécessaires : repas, lit, soins, délassement. Contrairement au siècle dernier, on n'attend ni aide, ni travail de la part des résidents et cette prise en charge matérielle (mais non décisionnelle, cf. chapitre 2) est considérée comme bénéfique pour le résident : il peut enfin se laisser gâter, se laisser vivre. Leur bien-être passant entre autre par la suppression des tâches domestiques, les résidents sont dépossédés de la gestion de leur quotidien, pour leur bien (Mallon 2005 : 147).

Cependant, pour un homme, une femme, ayant travaillé toute sa vie, ayant tenu un ménage, se voir retirer tous ses devoirs domestiques peut amener un sentiment de désoeuvrement, voir d'inutilité. Ainsi Mme Du. me raconte qu'arrivée dans la maison, elle a demandé un balai : « « Non, non, vous êtes ici pour vous reposer ! » qu'ils m'ont dit!! ». Elle ne s'avoue pas vaincue et demande alors au restaurant pour aider à débarrasser les tables, « pour faire quelque chose d'utile ! Je voulais me rendre utile ! », ce qu'elle fit pendant 2 ans. Aujourd'hui, ne pouvant plus mener à bien cette tâche suite à un bras défaillant, elle s'ennuie et elle déprime, « tout est fait pour moi... je peux plus rien faire ! »...

De nouveau, d'autres résidents trouvent cette prise en charge totale très positive : Mr Le. demanda également un balai à son arrivée : « alors ils ont rit ! Ils m'ont dit qu'ici je n'avais pas à nettoyer ma chambre !! ... Oh ben moi, j'me suis dit : ah bon, ben... la bonne affaire quoi, je dois même pas nettoyer ma chambre ! » et il rit.

Deux réactions devant une même situation, deux profils de personnes totalement différents : Mme Du. semble être une personne assez négative, elle souffre énormément « des nerfs », se sent rejetée des activités organisées, elle ne voulait pas entrer en maison de repos mais le maintien à domicile n'était plus possible. Selon les terminol ogies82 de Dupré-Lévêque (2001) et Mallon (2005), elle se placerait du côté des « inadaptés ». Mr Le., jeune résident (62

82 Selon ces auteurs, il y a trois trois façons de vivre en maison de repos : 1) La personne moulant sa vie quotidienne à celle de l'institution. Elle a intériorisé les contraintes institutionnelles et ne les ressent plus (obéissance - soumission). 2) La personne continuant à mener une vie personnelle extérieure. Les règles, également intériorisées, forment son cadre de vie (équilibre). 3) La personne qui subit plutôt que ne vit l'institution : révolte, fuite, ennui et mauvaise adaptation (inadapté).

Ce désir de « se rendre utile », « continuer à faire seul » est théorisé par S. Clément et J. Mantovani (1999) sous la notion de « déprise inquiète ». Si celle de « déprise » signifie « le

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ans), siffle et rit facilement. Un accident de moto (le jour de ses 40 ans) l'a forcé à arrêter de travailler et à se rendre à l'armée du salut où il a vécu (et travaillé) pendant 20 ans. Cette personne, plutôt positive, ne participe pas aux activités collectives, elle s'occupe seule (écoute de la musique classique et sorties extérieures). Ainsi, il se placerait du côté de « l'équilibre », une personne mi-dedans, mi-dehors.

Selon le degré d'acceptation de sa nouvelle condition donc, le résident interpréterait les règles de l'institution comme des contraintes ou comme, au contraire, des points positifs. Cette explication est également valable pour la surveillance (vue comme positive ou négative en fonction du vécu antérieur de la personne et des raisons de son entrée en établissement), et ceci rejoint l'idée de Goffman (1968) et Mallon (2005) suivant lesquels, les conditions d'entrée en établissement influencent fortement le processus d'adaptation à l'institution.

Ce sentiment d'inutilité peut amener certains résidents très loin : Mme Ve. m'explique ainsi qu'elle aimerait pouvoir se faire euthanasier car, devenue complètement inutile, elle occupe une chambre alors que quelqu'un d'autre en aurait peut-être besoin. Pour la psychologue de la maison et le médecin, il n'y a aucune raison de lui accorder le droit de mourir. Mais ceci touche un autre débat, que pour rappel, je n'ai pas droit d'aborder ici...

Toutefois, certains résidents pallient à ce désoeuvrement par de nombreuses petites stratégies, tels de « petits îlots de vie active » (Goffman 1968 : 115). Ainsi Mr K., ancien SDF, a pris le rôle de facteur de la maison : il prend en charge la distribution de courrier entre différents établissements du CPAS. Ce résident, d'après Mme Oste, aurait envie de rendre la pareille à la maison en se rendant utile, comprenant la chance qu'il avait à y séjourner. Mme Dé. elle, s'est approprié une fonction d'aide-logisitique, elle va et vient dans la maison, chercher telle chose pour un membre du personnel, conduire un résident à la chorale, en amener un autre au cinéma, etc.. Mme Hu., se rend utile à la lessive, en repliant des vêtements, « elle nous aide beaucoup quand elle vient ! » m'informe la responsable lingerie.

Si les cas ci-dessus ne concernent que peu de résidents, de nombreuses personnes, principalement MR se sont arrangées avec le personnel pour continuer à faire leur lit : « tant que je sais encore le faire, alors je le fais ! » Mme B o. ou alors, « elles ont déjà tellement de travail ! Je vais pas les embêter avec ça ! » Mme W.. (cf. encadré 1 : le travail des résidents).

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processus de réaménagement de la vie qui tient compte des modifications dans les compétences personnelles, de la trajectoire de la vie antérieure, des situations interpersonnelles d'aujourd'hui dans un contexte social particulier » (Clément et Membrado 2010 : 118), la notion de « déprise inquiète » illustre, chez la personne âgée, la peur de perdre le contrôle de son corps et donc le désir de travailler ce dernier. Ainsi faire sa toilette seul, lire, découper son bout de viande, deviennent des exercices de préservation des fonctions, plus que l'acte lui-même accompli (le moyen prime sur le résultat de l'acte).

On comprend ici toute la tension entre le bien-être proposé par la maison de repos et de soins s'illustrant par une prise en charge totale de la personne, une facilitation de sa vie et une exemption des tâches ménagères et domestiques, et de l'autre côté, certaines personnes désireuses de toujours se sentir utiles, de continuer à faire des choses, de faire travailler leur corps via de tous petits gestes. Cette prise en charge de tous les besoins prônée dans la maison en fait alors sa force d'attraction pour certains (ne plus rien devoir faire, se laisser vivre) mais son talon d'Achille pour d'autres, se sentant alors désoeuvrés et parfois inutiles.

***

Dans cet établissement clos, fonctionnant comme entité presque autonome et autarcique, se côtoie un panel très diversifié de profils, venant d'horizons très variés, formant ainsi « réseau d'acteurs coopérant dans l'accomplissement d'activités spécifiques » (Menger 1988 : 8), les résidents y compris. Dans ce réseau, chaque acteur véhicule sa vision de ce qu'être bien implique, suivant le pôle où il se place (cf. chapitre 6). Ainsi j'ai tenté de montrer comment ces différentes mises en pratique de l'objectif principal de la maison auquel tout le monde adhère, entrent en tension dans les domaines de la stimulation, de la conversation, de la surveillance et du repos imposés. Chaque acteur tend à faire valoir sa vision, « se bat pour le premier rôle » (Moeschler 2011), créant ainsi « un univers où rien n'est strictement déterminé » (Strauss 1992b : 75).

Si ce chapitre était dédié aux tensions sur le « fond », sur l'objectif «partagé » de la maison, le chapitre suivant revient sur la « forme » et met en avant trois logiques parallèles sous-tendant l'organisation du travail au quotidien. Voyons donc ce qui se cache au-delà de la hiérarchie.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci