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La négociation de la prise en charge dans une maison de repos et de soins bruxelloise

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par Anne- Claire ORBAN
Université libre de Bruxelles - Master en anthropologie 2012
  

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PARTIE I

LE CONTEXTE DIT « LOINTAIN »

Ou : Analyse des éléments de la situation

Page de couverture du dépliant
officiel de la maison

10

CHAPITRE 1 :

UNE MAISON DE REPOS ET DE SOINS

1.1 Une population spécifique

Une première sélection

Pour bien comprendre le type de population fréquentant les maisons de repos et de soins, il faut se pencher sur la situation actuelle de la prise en charge, sur les différents services proposés aux personnes âgées face au vieillissement. Aujourd'hui, et ce depuis les années 20005, on observe une diversification et une multiplication des établissements et des services dédiés à cette population. Suite à cela, des centres d'informations - comme l'Asbl bruxelloise « Infor-home » ou la Sprl « Webseni or » - « renseigne[nt] les personnes âgées et leur entourage sur le choix de maisons de repos et se mobilise[nt] continuellement pour une amélioration de leur qualité de vie » (Infor-home).

En Belgique, pour les personnes de 60 ans au moins, existent des maisons de repos et maisons de repos et de soins, des résidences-service, des centres de soins et centres d'accueil de jour et des centres dits de court séjour. Chaque établissement accueille un type particulier de personnes, en fonction entre autres de leur revenus et de leur état de dépendance et/ou d'autonomie6. Avant de passer à la population prise en charge par les maisons de repos (et de soins), voyons en vitesse ce qu'il en est dans les autres types de services.

La résidence-service comprend un ensemble de bâtiments destinés aux personnes âgées autonomes qui y vivent en tant que propriétaires ou locataires et disposent, selon leurs envies, de toutes sortes de services (repas, activités, entretien, soins infirmiers,...). Les centres de soins de jour (une dizaine dans la région bruxelloise) prennent « en charge les personnes en souffrance psychique et/ou physique nécessitant un accompagnement et des soins pendant la journée afin de retarder un placement en maison de repos » (CSJ 2013). Les centres d'accueil de jour (2 en région bruxelloise) proposent la même formule que les précédents mais visent un public moins souffrant. Un centre de court séjour est un « établissement d'hébergement,

5 Selon les chiffres de l'INAMI en 2013

6 Il s'agit de deux processus différents : le degré de dépendance se mesure par la capacité, ou non, d'accomplir des actes quotidiens (évaluation par l'échelle de Katz), tandis que l'autonomie signifie la capacité à régler sa vie, à prendre des décisions, à s'assumer seul, que l'on soit valide ou non (dépendant ou non) (Cadarec 2004 ; Drulhe et Clément 1998).

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médicalisé ou non, visant à assurer la sécurité matérielle, affective et psychologique des personnes âgées pour une durée de séjour qui peut varier de quelques jours à quelques semaines » (Webseni or 2013).

À ces formes plus conventionnelles de prise en charge de la personne nécessiteuse, s'ajoutent encore les dites « alternatives ». Ainsi, il existe les formules d'habitats groupés, de logements intergénérati onnels ou encore, les services de coordination de soins à domicile qui permettent à la personne de rester le plus longtemps possible dans son milieu. Ainsi, dans cette panoplie de possibilité, les maisons de repos (et de soins), illustrent « le dernier chez-soi » (Mallon 2005), pour ceux pour qui « la crise se routinise » (Baszanger 1995 : 8).

La population acceptée dans une maison de repos - MR - diffère de celle d'une maison de repos et de soins - MRS : la première accueillera des « personnes valides ou dont l'état de santé ne permet plus la vie à domicile à des conditions satisfaisantes » (Ville de Bruxelles 2013). Une MR ne se voit pas obligée d'installer une « fonction palliative »7 (FWSP 2013). La MRS, elle, illustre une « structure intermédiaire entre la maison de repos et l'hôpital, où sont hébergées, de manière collective et permanente, des personnes fortement dépendantes qui y bénéficient des soins requis, de services collectifs et d'aides à la vie journalière » (COCOM 2013), autrement dit, elle se destine « aux personnes âgées nécessitant des soins ou une aide dans les actes de la vie quotidienne » (Ville de Bruxelles 2013).

 

Lits MR Lits MRS

Répartition des lits

La maison observée relève d'une troisième catégorie : les maisons « mixtes », accueillant autant les personnes MR (59) que MRS (78). En d'autres termes, la maison est à 43% maison de repos et 57% maisons de repos et de soins comme l'illustre le graphique « Répartition des lits ». Le point 1.2 traite plus en profondeur ce constat et les conséquences que cela implique.

Ainsi la prise en charge des personnes âgées s'effectue selon un processus graduel, jouant entre le maintien de son autonomie et sa prise en charge par une personne/une institution tiers. Le Service Public Fédéral - SPF - divise la prise en charge comme suit :

« Les soins personnels, où la personne âgée s'occupe elle-même de ses soins, constituent le premier niveau. Ensuite, viennent les soins sous couvert où la famille, les amis ou les voisins s'occupent de la personne âgée. Les soins extra-muros (troisième niveau) sont [...] des soins professionnels mais qui sont prodigués au domicile des personnes âgées. [... Vient enfin] le dernier

7 Grossièrement, il s'agit de mettre en place un accompagnement spécifique pour les personnes mourantes.

12

(quatrième) niveau de l'offre de soins, notamment les soins intra-muros, qui comme leur nom l'indique, se dispensent à l'intérieur d'un établissement. Les MRPA8 et les MRS ne sont qu'une -- bien évidemment importante -- partie des soins intra-muros qui intègrent également les centres de soins de jour, les centres pour séjour de courte durée [également définis comme les soins transmuraux] et les serviceflats » (SPF 2009 : 9).

Ce continuum de la prise en charge, s'étendant des « soins ambulatoires (censés permettre aux personnes âgées de continuer à demeurer chez elles) aux dispositifs de soins résidentiels (les soins étant alors entièrement pris en charge par une institution » et peuplé de « solutions intermédiaires recherchant un équilibre entre soins et autonomie » (T.d.b.9. 2012 : 277), s'inscrit dans un processus de médicalisation de la vieillesse par lequel le recours aux professionnels pour « tout ce qui touche la santé et le corps » (Faure 1998 : 63) augmente. Cette situation de continuum, Jean-Louis Genard l'explique : selon lui, nous sommes passés d'une anthropologie disjonctive à une anthropologie conjonctive. Il nomme cela l'évolution des « coordonnées anthropologiques », « c'est-à-dire des grilles interprétatives à partir desquelles se construisent les représentations de l'humain » (Genard 2009 : 27).

En effet, selon Jean-Pierre Bois, au Moyen Âge, les personnes âgées étaient associées aux indigents, aux malades et connaissaient un sort égal : l'enfermement. Au cours de cette période, « il n'est pas encore question d'une identification par l'âge, dans une société qui n'est pas numérique, où l'homme ne connaît généralement pas sa date de naissance, où seules comptent la capacité à travailler, et le salut dans la vie éternelle » (Bois 2002 : 14). Ce n'est qu'au 16ème siècle que « les vieux » commencèrent à apparaître sur la scène sociale, dit autrement, que le critère de l'âge fut différencié des autres critères de pauvreté. Commenceront alors à être distingués les mendiants, les malades ou infirmes et les vieillards.

Cette division se marque au niveau institutionnel : auparavant internés dans les dépôts de mendicités ou les maladreries, au 17ème et bien plus encore dans les siècles suivants, les vieillards connaissent une prise en charge spécifique, via les hôpitaux généraux (France) et les hospices. Ce n'est que fin 19ème (France) qu'on sépare explicitement les populations d'hôpital et d'hospice, ce dernier accueillant jusqu'en 1975 (date de suppression légale de ce type d'établissement) les enfants orphelins et les vieillards.

L'histoire racontée ici par Bois illustre la période appelée « disjonctive » par Genard, séparant la population en deux groupes distincts : d'un côté les personnes responsables, de

8 MRPA -- Maison de Repos pour Personnes Âgées ; dans ce travail je l'abrégerai à MR -- Maison de repos.

9 Tableau de bord de la santé en région bruxelloise 2010

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l'autre, les irresp onsables10. L'anthropologie conjonctive, liée elle à la deuxième modernité (du 18ème à nos jours), définit tous les hommes en tant que responsables et irresponsables. Il n'y a plus disjonction mais bien « continuum anthropologique » et de ce fait, une atténuation des limites entre le normal et le pathologique. « Le modèle anthropologique aujourd'hui dominant placerait donc l'homme au coeur de ce continuum, toujours dans l'entre-deux du normal et du pathologique, toujours donc fragile, toujours vulnérable, mais aussi toujours responsable bien que toujours excusable » (Genard 2009 : 32).

Ce même auteur nomme « pluralisme institutionnel » ce paysage institutionnel actuel complexe. Si lors de la première modernité, l'individu était soit libre, soit enfermé (asile, prison,...), aujourd'hui, ces lieux ne forment plus que les extrêmes. « La deuxième moitié du 20ème siècle a ainsi vu se développer un ensemble de dispositifs (...) qui « peuplent » d'une certaine façon le continuum anthropologique en offrant des formes de soins et de prise en charge adaptées aux différents cas se situant au fil du continuum » (Genard 2009 : 36). Hélène Thomas se montre plus critique sur la question : cette panoplie d'établissements engendrerait la dépendance des personnes âgées. En effet, depuis les années 90', la vieillesse serait vue comme « une nouvelle catégorie d'action sanitaire et sociale » (2010 : 53), plaçant les personnes âgées dans la catégorie des « vulnérables » qu'il faut protéger. Cette surprotecti on les rendrait dépendants, incapables de se prendre en charge. J'y reviens.

Dans notre cas, les maisons de repos (et de soins) entendues ici11 comme « un lieu de résidence [...] où un grand nombre d'individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées » (G offman 1968 : 41) illustreraient alors l'extrémité de la prise en charge, rassemblant sous leurs toits, les personnes les moins aptes à vivre seules. Michel Foucault place ce type d'établissement entre l'« hétérotopie de crise » et l' « hétérotopie de déviation »12, « après tout, la vieillesse est une crise, mais également une déviation puisque, dans nos sociétés où le loisir est la règle, l'oisiveté forme une sorte de déviance » (2004 : 16). Toutefois, la tendance actuelle, tend vers

10 Pour plus de détails sur ces clivages, je vous propose la lecture de Robert Castel, 1995. Les métamorphoses de la question sociale. Paris : Gallimard.

11 Isabelle Mallon refuse ce parallèle car il existe de nombreuses façon de vivre en maison de repos et ces dernières, à l'inverse des institutions totalitaires, ne sont pas des formes d'orthopédie sociale. Il me semble cependant que qualifier une maison de repos d'institution totalitaire n'interdit pas l'idée d'importation de la vie antérieure et reconstruction d'une vie mêlant vie privée et vie institutionnelle. Drulhe et Clément (1998) nomment ce processus « déprise » où l'individu s'adapte sans cesse à ses nouvelles conditions de vie.

12 «Hétérotopie de crise» : «lieux [...] réservés aux individus qui se trouvent par rapport à la société et au milieu humain dans lequel ils vivent, en état de crise ». « Hétérotopie de déviation » : lieux « où on place les individus dont le comportement est déviant par rapport à la moyenne ou à la norme exigée » (2004 : 15 - 16)

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le maintien à domicile et la préservation de l'autonomie13 de la pers onne14. Ainsi, si proportionnellement à la population vieillissante, le nombre de lits en MR décroit et que certes, le nombre de lits en MRS croît15, les places en centres de soins de jour et en centres de courte durée, elles, explosent ! Ainsi, affirme le docteur Tudor, médecin de l'établissement :

« Il faut pas oublier que ici [dans les maisons de repos et de soins], ce n'est qu'une toute petite part de la population âgée hein ! La plupart, ils s'arrangent autrement, ou ils restent chez eux! » (dr. T.).

Une seconde sélection

Notons qu'il n'existe pas une population propre à la totalité des maisons de repos, ni une population propre aux maisons de repos et de soins. En plus de cette division institutionnelle classant les personnes âgées en différentes catégories selon leurs besoins d'aide, il existe une sous-division au sein même de ces catégories. Dans l'établissement investigué, le directeur choisit ses résidents. En effet, il peut accueillir « certains types de résidents mais pas tous ! ». Chaque type d'établissement de prise en charge sélectionne ainsi les types de démence, les types de pathologies, les types de comportements acceptés ou refusés. Ainsi, en plus de l'origine spatiale de la personne (priorité aux citoyens de Bruxelles) et de son âge (au moins 60 ans16), le directeur explique :

« Il y a aussi certains types de résidents qu'on sait pas accueillir vu notre architecture. Par exemple, des gens qui sont... des grands fugueurs ! Vu qu'on a pas un service fermé, c'est très difficile pour nous à gérer ces gens là. Si on a par exemple un pyromane, ça arrive, mais ça on sait pas gérer non plus ! Y a encore quand même d'autres petites choses, par exemple, des gens qui demandent des actes techniques que le personnel ici ne maitrise pas... ça peut arriver. Donc heu, à ce niveau, ça s'est refusé. Pour le reste, la plupart des choses qu'on refuse temporairement, sous réserve, c'est quand on a pas une chambre qui est adaptée à la situation du résident [...] Ici il y a une grande partie de l'établissement, qui est moins accessible pour les chaises roulantes... et où il y a moins de surveillance aussi. Donc on va pas mettre quelqu'un aveugle là-bas ou quelqu'un qui est en chaise roulante... [...] mais c'est lié à notre architecture, un peu particulière » (Mr Marc).

Que tirer de ces renseignements ? L'établissement investigué étant une maison de repos et de soins, les personnes accueillies y sont pour le reste de leurs jours (Mme Ve. :

13 Il s'agit d'une priorité du Groupe de Travail Intercabinet « soins aux personnes âgées ». Voir également le rapport « Vivre chez soi apres 65 ans. Atlas des besoins et des acteurs a Bruxelles » publié en 2007 par l'observatoire de Bruxelles : www . observatbru . be

14 L'INAMI soutient cette tendance depuis 2009. Voir l'Arrêté Royal A.R. 2-7-2009 concernant le financement de soins alternatifs et de soutien aux soins à des personnes âgées fragiles (Moniteur belge 16/07/09)

15 En juillet 2009, seuls 5,24% de la population belge de 60+ pouvaient bénéficier d'une place en établissement. Source : Perspectives démographiques, BFP - SPF Economie (DGSIE), p. 14

16 « Les Ministres autorisent, à titre exceptionnel, l'admission de résidents de moins de 60 ans dans le respect des conditions définies par la loi » (art. 6 du ROI) : 10% de personnes de moins de 60 ans sont acceptés.

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« Vous savez, on est ici pour mourir hein ! », constat partagé par l'ensemble des résidents interrogés). Toutes ces personnes (au moins 90%), ayant 60 ans au moins, présentent des états de santé fortement variables : désir de prévention des chutes, léger trouble de la mémoire à la perte totale d'autonomie ou la dépendance totale. La population au sein même de cette maison est ainsi très hétérogène mais toutes ces personnes ont en commun qu'elles ne peuvent/veulent plus vivre seules. Elles ne souffrent pas de « maladies » douloureuses, mais de « maladies » handicapantes17, caractéristique de l'avancée en âge (Pince 2000 ; M oulias 2000). Suite à l'architecture de la maison, la direction refuse les fugueurs, les pyromanes et les cas trop lourds et accepte officiellement : les « Alzheimer ; Déments ; Invalides ; Parkinson ; Semi-valides ; Valides » (Webseni or 2013). Point que le directeur tend à souligner : « c'est important de montrer nos limites, il faut être honnête, il faut montrer ce qu'on a, mais aussi ce qu'on n'a pas ! On ne peut pas accepter n'importe quel type de personne » (Mr Marc). Cette maison de repos et de soins opère donc, au-delà des normes légales, une seconde sélection, qui alors lui est propre, selon ses capacités matérielles et la structure de l'établissement.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry