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La négociation de la prise en charge dans une maison de repos et de soins bruxelloise

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par Anne- Claire ORBAN
Université libre de Bruxelles - Master en anthropologie 2012
  

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1.2 Une vue de l'intérieur

Comme mentionné ci-dessus, cet établissement est qualifié de « mixte ». Ceci n'a rien d'exceptionnel : la reconversion de lits MR en lits MRS s'avère être la tendance actuelle de prise en charge. Depuis 1996 à Bruxelles, le nombre de lits MR a diminué de 20% tandis que l'offre de lits MRS a augmenté de 300% (selon les chiffres de l'INAMI 2013).

Pour expliquer brièvement la situation : les MRS, regroupant des cas plus lourds, bénéficient d'agréments supplémentaires, c'est-à-dire du personnel qualifié. Une maison de repos doit comprendre au minimum 25 lits MRS pour être reconnue maison de repos et de soins et disposer de ce personnel supplémentaire. Le SPF conclut : « au niveau des maisons de repos, on a besoin d'un bon mélange de personnes âgées valides et dépendantes ainsi que d'unités de logement MRPA et MRS, et ce, non seulement d'un point de vue financier, mais aussi du point de vue de la qualité de vie au sein de la maison de repos » (SPF 2009 : 32). Bref, il semble être plus intéressant pour un établissement d'être mixte.

Cependant, ce regroupement, s'il améliore la « qualité de vie » du personnel (en ce sens qu'être soignant dans un établissement exclusivement réservé aux cas lourds est bien plus

17 Être vieux n'est pourtant pas être « malade ». Cependant, dans notre ère médicalisée (Aiach et Delanoë 1998), toute déviance devient pathologie, d'où le terme « maladie ». Ces « maladies » handicapantes sont d'ordre sensoriel (vue, ouie,...), infectieux (respiratoire, urinaire), nutritionnel (carences liées à l'âge), moteur (atteinte à la mobilité), psychique (la démence, alzheimer,...) (Pince 2000).

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fatiguant que dans un établissement mixte), il n'améliore en rien celle des résidents valides et autonomes. Brièvement, j'ai constaté sur mon terrain trois conséquences de ce regroupement. Premièrement, ces résidents semblent éviter les contacts avec « les débiles », « les gagas », « les fous » (selon leurs termes). S'ensuit une désertion des activités communes, lieu de « confrontation incessante avec la vieillesse » (Mall on 2005 : 115). Ces résidents restent alors dans leur chambre ou, s'ils en sont capables, sortent de l'établissement, fuyant ce « dispositif », au sens foucaldien, qui les rend vieux. Erving Goffman parle lui de la peur de la « contamination morale » ressentie par les « reclus ». Ces derniers refusent « la conception du monde et d'eux-mêmes à laquelle ils sont censés devoir s'identifier» (1968 : 357).

La deuxième conséquence de cette mixité se présente par l'agressivité inter-résidents. J'ai été choquée des propos échangés entre-eux, suite, certainement, à la non-compréhension des pathologies/démences/dégradations des uns et des autres. Ne comprenant pas pourquoi une telle personne mange la bouche ouverte, une autre lui crie « mais c'est dégueulasse, t'es vraiment une femme dégueulasse, tu manges comme un cochon ! » ; un autre, un peu plus loin, se fâche sur sa voisine qui lui répète pour la troisième fois qu'il y a cinéma cet après-midi là. Une autre encore essaie de faire la causette avec sa voisine de table au restaurant. Cette dernière tout d'un coup se fâche et lui crie « Ta gueule ! », laissant cette première tout émue. Si l'agressivité entre résidents était bien palpable dans l'établissement, je pense néanmoins qu'elle peut exister au sein d'établissements « purs » (MRS ou MR).

Enfin, troisièmement, et ceci serait une des caractéristiques d'un système bureaucratique (Mintzberg 1998 ; Busino 1993 ; Genard 2012) ainsi que d'une institution totalitaire (Goffman 1968), le personnel aurait tendance à homogénéiser ses tâches ainsi que le type de relation entretenue avec les résidents, ce qui amènerait les plaintes d'infantilisation :

Mr Bou. : « Ici, les débiles et les alzheimer, ça fait 80% de la population ! Alors le personnel, il se conduit en fonction de la majorité des résidents ! Résultat, on est tous considérés comme des enfants de 6 ans ! [...] Tous considérés comme des MRS ! » ; Mme Co. : « Oh vous savez, ici on est comme des grands enfants ! On dirait qu'on retourne en enfance ! On ne peut rien décider, tout est fait à ta place ! » ; Mme Ve. : « Vous savez dans les maisons de repos, il faut pas trop demander ! [...] on nous prend pour des gosses hein ! » « On est infantilisé, on n'a plus le droit de rien, rien... on est très... caporalisés... cadrés ! `fin je comprends, beaucoup de gens ici ont l'esprit dérangé ! »

Ainsi les résidents se sentant sains d'esprit seraient associés à la masse de résidents plus déments et considérés comme tel. La standardisation de la prise en charge donne lieu à de mini-frustrations quotidiennes comme par exemple, la frustration de résidents face aux

18 En effet, lors du conseil des résidents (3 mois après mon arrivée), j'ai encore découvert de nouveaux visages.

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couteaux non-coupants : « on pourrait se scier la main, ça ne laisserait aucune trace ! ». Mr Mohe, secrétaire, de répondre : « ceux qui ont parkinson, ils risqueraient de se couper un doigt ! Donc c'est mieux que tout le monde ait un couteau lisse... ». Même constat pour le type de nourriture, pour les horaires, pour les activités, bref, la liste est longue. La vie quotidienne s'abaisse au niveau des personnes démentes, au détriment des autres, valides et autonomes.

De ces trois conséquences, la première seulement a entravé quelque peu mon observation. En effet, les résidents « qui sont justes là pour un problème de santé » (Mr B ou.) se montrent plus mobiles et plus discrets, voire invisibles18, donc plus difficiles à trouver !

***

La population présente en maison de repos se trouve ainsi sélectionnée parmi les personnes âgées ne pouvant plus vivre seules. Contrairement aux illusions populaires, (« aujourd'hui tout le monde meurt en maison de repos ! »), suite au développement des services de soins à domicile et des centres de courte durée, les personnes âgées hébergée dans ce type d'établissement ne constituent qu'une toute petite partie de la population des 60+. Les maisons de repos (et de soins) illustrent les « dernières formes » de prise en charge sur le continuum institutionnel. De plus, suivant la tendance actuelle de création de maisons mixtes, se retrouve un panel très diversifié de profils de résidents dans l'établissement, engendrant alors des tensions au sein de ce groupe de personnes. Nous verrons plus loin que les personnes MR sont néanmoins séparées des personnes MRS, créant alors des espaces aux dynamiques tout à fait différentes.

Néanmoins, si le présent chapitre situe le lieu de terrain observé dans le paysage institutionnel actuel, il n'illustre en rien la trajectoire historique qui amena l'établissement à la fonction de maison de repos et de soins. L' « archéologie » de ce bâtiment fait l'objet du chapitre suivant, l'analyse historique de la prise en charge des personnes âgées étant nécessaire pour comprendre le contexte actuel (notamment Philibert 1984 ; Rosenmayr 2001).

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