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La négociation de la prise en charge dans une maison de repos et de soins bruxelloise

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par Anne- Claire ORBAN
Université libre de Bruxelles - Master en anthropologie 2012
  

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DISCUSSIONS CONCLUSIVES

Ou : L'histoire dont ils sont les héros.

«Une organisation ne peut être analysée comme l'ensemble transparent que beaucoup de ses dirigeants voudraient qu'elle soit [...]. Organisation évoque avant tout un ensemble de rouages compliqués, mais parfaitement agencés. Cette horlogerie semble admirable tant qu'on l'examine seulement sous l'angle du résultat à obtenir : le produit qui tombe en bout de chaîne. Elle change en revanche radicalement de signification si on découvre que ces rouages sont constitués par des hommes » (Crozier et Friedberg 1977 : 35-38).

Si comme le proposent les auteurs ci-dessus, ce mémoire se consacre d'abord à l'horlogerie officielle, c'est-à-dire la structure organisationnelle de l'établissement, et ensuite à l'horlogerie « de terrain », c'est-à-dire les négociations, stratégies d'acteurs quotidiennes, j'y ajoute une troisième facette : le processus historique et les « facteurs de contingences » (Mintzberg 1998) qui ont amené la maison de repos et de soins à adopter une telle structure et à accueillir une telle population. Cela répond à l'idée qu'un « monde » contemporain reprend également tout ce qui a été fait avant, jusqu'à « celui qui a eu l'idée » (Becker 1988 : 28).

Ainsi, premièrement, l'histoire de l'établissement mise en lien avec des processus socio-historiques plus généraux (Henni on 1993 ; Bois 2002 ; Genard 2009 ; Feller 2005 ; etc.) ; deuxièmement, l'évolution du règlement en parallèle avec le mouvement d'humanisation des institutions et la suppression de la violence physique (Elias 1973) au profit d'une discipline normalisatrice (Foucault 1975), faisant ainsi émerger les notions de « civilité », « d'intérêt général » au sein de l'établissement ; troisièmement, les implications d'être une maison de repos et de soins publique, impliquant notamment un contrôle externe par le CPAS qui, à l'instar de l'état dans la réalisation d'oeuvres d'art, «participe au réseau de coopération [... en ce qu'il] limite la marge de manoeuvre des [acteurs...] en soutenant directement ou indirectement les activités qu'il approuve » (Becker 1988 : 206), et ce, par, entre autre, le règlement d'ordre intérieur et la convention proposés par la COCOM ; et quatrièmement, les conséquences sociales qu'implique une implantation sur le sol bruxellois, forment cette facette supplémentaire nécessaire pour la compréhension de l'horlogerie actuelle.

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repos », « c'est-à-dire l'ensemble des ressources qui permettent d'élaborer une communauté, même minimale, de perspectives pour coordonner des actions » (D odier 1993 : 65-66). Ces appuis s'illustrent ici par les documents officiels, connus des acteurs, le « socle commun » (B oltanski et Thévenot 1991 dans Dodier 1993), cadrant alors les formes que prennent leurs actions et comportements, de façon formelle comme informelle (Strauss 1992). Il s'agit par exemple de l'organigramme représentant la hiérarchie décisionnelle officielle, des profils de fonction, du règlement d'ordre intérieur, du but officiel d'une MRS, etc.

La structure de l'établissement se voit ici qualifiée de « bureaucratie professionnelle », coordonnant alors ses activités par la standardisation des qualifications et comprenant également un volet mécaniste, qui lui, recourt à la standardisation des procédés de travail pour assurer la coordination entre acteurs (Mintzberg 1998). À celles-ci s'ajoutent des mécanismes d'ajustement mutuel, tant prévus qu'informels, et une supervision directe dans le groupe nursing, même si les chefs infirmiers ne s'en prévalent pas. Ces deux types de bureaucraties amènent ce que Thompson nomme des « bureaupathol ogies » (1961) : lenteur du système, problèmes de communication, concentration sur les moyens, difficulté à prendre en charge les demandes non-routinières, manque d'adaptation, manque de motivation, etc. (Mintzberg 1998). Charles Perrow montre que même un hôpital peut ressembler à une chaîne de montage et tire les conclusions suivantes face à un service gynécologique : « Pour la mère, la naissance est unique, mais pour le médecin et le reste du personnel, il s'agit d'un travail répété plusieurs fois par jour » (1970 : 74). Ainsi, une caractéristique de la bureaucratie professionnelle serait de classer et ranger les clients « en catégories parce que traiter chaque cas comme un cas unique imposant une analyse complète exigerait d'énormes ressources » (idem : 58).

Face à ces « bureaupathol ogies », à la « gangrène administrative » (de Hennezel 2004), à l'homogénéisation de la prise en charge, et à la hiérarchie décisionnelle, les acteurs en jeu, tant membres du personnel que résidents, élaborent différentes formes de réponses, allant parfois, pour le personnel, à l'encontre même de règles légales. Selon Peter Blau (1955), ces réponses (individuelles ou collectives mais en tout cas imprévues dans le schéma organisationnel de base) forment pourtant le système de règles informelles inévitable et nécessaire à tout fonctionnement d'organisation bureaucratique. Sans cette « vie clandestine » (Goffman 1968), l'organisation deviendrait inopérante. Je montre d'ailleurs comment les « chefs » (notamment la directrice nursing) comptent sur cette vie parallèle et attendent du personnel qu'il « sache » quoi faire devant des situations anomiques, escomptant une prise d'initiative de ces derniers, prise d'initiative qui, au détour, devient faute professionnelle s'il

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existe une quelconque manière officielle et standardisée de répondre à la situation.

Ainsi donc, entre mise à profit de la division du travail, contournement des règles officielles, court-circuit de la hiérarchie, initiative personnelle, profit de l'absence de face-à-face (Busino 1993), profit de la situation de « flux régulés » (Mintzberg 1998), etc., chacun tente d'aménager ce que j'appellerai ses « techniques de survie », prenant parfois la forme de « petits scandales » (Goffman 1968). Ceci découlerait en partie d'un certain « désir inné d'autonomie et d'indépendance [...] provoquant une réaction aux lois imposées » (Scott 2008 : 124 -- 125), mais également d'un désir de parvenir à ses fins, de rester cohérent avec son vécu antérieur, malgré les contraintes institutionnelles propres à l'établissement observé et à toute vie en collectivité ainsi que en « institution totale » (Goffman 1968).

La seconde approche, troisième facette donc, se concentrant alors sur ces rouages internes de l'horlogerie, ces actions concrètes, ces « ressources qui n'existent que sous une forme animée, actualisées dans les actes humains » (D odier 1993 : 80), je l'ai nommée, reprenant la notion d'Anselm Strauss (1992b), le « contexte proche ». Cette entrée dans l'action illustre la coordination interne et propre aux acteurs, afin soit d'assurer le bien-être du résident pris en charge (but officiel), soit d'assurer leur propre équilibre entre « culture importée » (G offman 1968 : 55) et culture imposée (institutionnelle) et d'atteindre ainsi leurs objectifs personnels (but officieux). Cette coordination « de terrain » se traduit, au niveau du personnel, par la gestion des affinités et du savoir-faire de chacun (sur la scène publique) et par une forme de leadership informel (en coulisses). Au niveau des résidents, j'ai montré les nombreuses stratégies d' « adaptations secondaires » qui, en permettant « d'obtenir des satisfactions interdites ou bien des satisfactions autorisées par des moyens défendus » (Goffman 1968 : 99), permettent aux uns et aux autres de continuer leur vie antérieure malgré le passage en institution et un mode de vie standardisé, segmenté (spatialement, fonctionnellement et temporellement) et contraignant (règles de vie en collectivité). Évidemment, des frustrations subsistent et subsisteront toujours suite aux impératifs de la vie en collectivité et du travail en équipe, mais il semble que les personnes tentent au moins d'adoucir les conséquences de ces frustrations sur leur quotidien.

Ainsi, par la mise en avant de ces trois facettes, de ces trois approches de la MRS « Les Capucines », ce travail permet d'« accéder aux différentes modalités par lesquelles les personnes établissent, dans le moment présent, un lien entre leur expérience personnelle, les traces du passé livrées par l'environnement et leurs horizons d'attente » (D odier 1993 : 68).

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Cependant, tout serait trop beau si la coordination s'établissait sans heurt, sans tension et en totale compréhension des attentes, des désirs, des uns et des autres. En effet, « l'engagement simultané dans la même forme de coordination [...] n'est alors qu'un cas particulier de coordination » (Dodier 1993 : 74) et Olivier Moeschler d'ajouter : « Il n'y a pas de bons ou de méchants. Il n'y a que des protagonistes [...] qui se battent parfois pour le premier rôle, avec leurs desseins et leurs stratégies, leurs réussites et leurs échecs » (2011 : 20). Ces tensions inter-individus, je les ai comprises comme résultant de tensions entre trois lieux spécifiques, sous-tendant chacun une philosophie propre, trois « types idéaux », prônant trois « coordonnées anthropologiques » (Genard 2009) différentes en quelque sorte, c'est-à-dire, trois façons de représenter l'humain, dans ce cas ci, le résident. De ces trois visions du résidents, découlent diverses visions de ce qui est bon pour lui, différentes visions du « care » (Molinier 2013) entendu comme la recherche de ce que l'autre a besoin pour se sentir bien (Tronto 2000). Ces trois pôles, que sont les soins palliatifs -véhiculant notamment les idées de confort et de qualité de vie-, l'hôpital -idées de « santéisme » (Aïach 1998) et de prévention- et le domicile -idées d'autonomie et de vie privée-, formant « la » prise en charge, « articule[nt] entre eux des êtres dans une totalité englobante, autosuffisante et exclusive » (Dodier 1993 : 74) qu'est ici l'établissement. Les tensions entre ces trois lieux s'illustrent dans de nombreux aspects de l'établissement : architecture, fonctionnement d'équipe, activités, rapport aux résidents, etc. Ainsi, face à ces différentes visions du résident, le personnel de la maison (tout confondu) se trouve être, à l'instar du personnel de soins à domicile, « des « intervenants » qui sont là pour « agir » en s'efforçant de tenir ensemble des objectifs qui ne sont pas toujours conciliables » (Henni on et Vidal-Naquet 2012 : 94)

Selon qu'ils se placent d'un côté ou l'autre pourtant, tous les acteurs oeuvrent autour du même objectif déclaré : le bien-être des résidents, formant alors l' « activité primaire » (Strauss 1992b) du monde, l' « objet frontière » (Baszanger 1995), présenté dans ce mémoire. Cependant, confronter ce terme « bien-être » au terrain, mettre en avant son « épaisseur pragmatique » (Dodier 1993), révèle qu'il prend acte de façon bien différentes selon les acteurs, selon leur vision de l'homme : entre rétention d'informations, stimulation, conversation, surveillance et repos, le bien-être se voit tiraillé, chacun transférant ce qu'il pense être la bonne pratique sur des résidents, aux attentes et histoires personnelles variées.

B oltanski et Thévenot (1991) expliquent ces tensions, ces « disputes » (Dodier 1993), par l'appartenance à différentes « cités », différents « modèles de justice » malgré le partage de références communes, malgré l'appartenance à un même « monde », expression qui, « ne

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l'oublions pas, est simplement une façon de désigner les personnes qui participent couramment à la réalisation [de la prise en charge des résidents dans cet établissement] » (Becker 1988 : 175). On peut ainsi voir dans cet maison de repos et de soins le côtoiement de « cités » à la fois marchande (illustrée par le personnel salarié et les rivalités entre foncti ons106), civique (pluridisciplinarité, autonomie décisionnelle des résidents, intérêt général, entraide), et domestique (cadre dit « familial », bienveillant mais aussi hiérarchique). À cela s'ajoutent les émotions, les liens affectifs, et ce, plutôt dans les coulisses, voire une « cité de l'opinion » dans les coulisses du personnel du secteur 2 (prise de parole, mise en scène, « grande-gueules »). Cette différence de régime entre la scène et les coulisses répond au postulat de l' « hétérogénéité interne de l'action » où les personnes « traversent des scènes successives, dans lesquelles elles changent de régime, que ce soit sous la pression des dispositifs rencontrés, sous celle des autres personnes, ou en fonction de leurs orientations intérieures » (Dodier 1993 : 75).

Les solutions apportées pour assurer la coordination, la « synchronie interactionnelle » (Cosnier 1993 : 18), au quotidien, sur la scène publique, de ces différents mondes sociaux, de ces différentes cités s'avèrent être d'une part, je l'ai dis, la régulation du travail, au sein du personnel, par la standardisation des qualifications et des procédés de travail (néanmoins renégociées entre acteurs), et d'autre part, une forme de dressage des corps, dont le personnel soignant « donne le ton » (Goffman 1973a). Cette dernière technique illustre un résultat d'observation assez intéressant. Michel Crozier (1964) propose d'analyser une organisation en terme de pouvoir, pouvoir qui serait relationnel, et qui ne se situerait pas où l'on croit (c'est-à-dire en haut de la hiérarchie). Le pouvoir, dit-il, « c'est une relation dans laquelle les « termes de l'échange » vous sont favorables » (1994). Dans cette ethnographie, je montre qu'un certain pouvoir revient aux mains des aides-logistiques, laissant planer le doute sur leur présence quotidienne et sur leur motivation au travail, mais également aux mains du personnel soignant que sont les infirmières et les aides-soignantes. Ces dernières en effet sont en contact continuel avec les résidents et « contrôlent » le type et la profondeur des relations engagées avec ces derniers. J'ai montré, à l'instar de Jacques Cosnier, que cette mise à distance, illustrait une « attitude défensive et autoprotectrice », et Cosnier d'ajouter « [...] avec évidemment en conséquences des difficultés d'écoute des patients... » (1993 : 20) d'où les techniques de délégation, ou « bystander effect », également présentées. À cela s'ajoute, en plus de dicter les

106Typ ologie présentée par GROOTAERS D., 2007. « Schématisation des principaux éléments de la typologie des sept « mondes de la justification » d'après Boltanski L., Thévenot L., De la justification. Les économies de la grandeur (Paris, Gallimard, 1991) ; B oltanski L., Chiapello E., Le nouvel esprit du capitalisme, (Paris, Gallimard, 1999, p. 155-208) » META, Atelier d'histoire et de projets pour l'éducation.

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comportements de ces résidents, le contrôle des comportements des aides-ménagères, et il arrive également à ce personnel (ici les infirmières) de « gagner le médecin à leur cause ». Enfin, le directeur, Mr Marc, me confie être totalement soumis à ces femmes, qui « pour une raison ou l'autre » prennent des jours de congé qu'il ne peut pas refuser vu leurs explications (enfants malades, enceintes, parents malades, etc.). Ces personnes semblent donc illustrer la figure du groupe « dominant » dans la maison.

Face aux aides-ménagères et aux résidents, le personnel de soin possède donc une sorte de pouvoir disciplinaire, qui ne punit par réellement mais dresse les corps (Foucault 1975), illustrant un engagement « asymétrique » où « une grande incertitude règne alors, du point de vue de la personne qui ne maîtrise pas cette forme de coordination » (D odier 1993 : 79). Ce pouvoir est renforcé, dans le cas des résidents, par le sentiment que « tout se sait », faisant écho au dispositif panoptique. Aides-ménagères et résidents, semblant tous deux avoir intériorisé le comportement adéquat en présence du personnel de soin, se réunissent parfois pour protester silencieusement contre ces « dominants », ils créent alors ensemble le « texte caché » (Scott 2008), leur permettant de trouver un équilibre, un sens, au sein de l'institution. Les résidents, face à cette mise à distance du personnel soignant, apprennent également à rechercher leurs « personnes de coeur » parmi les autres membres du personnel, dont les « électrons libres », ayant la possibilité d'établir une distance physique (en effet, leur travail n'est pas continuel, contrairement au « care »). Ces derniers se voient parfois attribuer des sentiments plus forts qu'ils n'éprouvent envers les résidents, amenant alors la déception de ces-derniers.

« Parler de l'organisation d'un monde [...] c'est une autre façon de parler de la distribution des savoirs et de leur rôle dans l'action collective » nous dit Becker (1988 : 88). Il s'agit également de parler de la distribution du pouvoir comme je viens de montrer. J'ai tenté dans ce mémoire d'élargir le monde étudié, en y intégrant des acteurs oubliés : parmi d'autres, les aides d'entretien, les secrétaires et les personnes « du bureau » (administration). En effet, ces personnes ne semblent pas recevoir de crédit sur la scène extérieure, il n'en est fait, par exemple, aucune allusion dans le dépliant publicitaire de la maison, comme si seul le personnel médico-social « savait » comment prendre en charge et donc avait l'autorisation, la légitimité de le faire. Dans ce travail, je « repeuple » (Hennion 1993) ce monde en y intégrant des acteurs qui n'ont certes pas le même « savoir » que celui du personnel médico-social, mais qui entrent toutefois pleinement dans l'« épaisseur collective » (Menger 1988 : 12) de la prise en charge de la MRS observée.

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J'ai tenté donc de comprendre « la version définitive » (Becker 1988 » de la prise en charge, sa concrétisation, sa structure, son « épaisseur pragmatique » (D odier 1993). Comment, en d'autres termes, un « monde social » prend forme, prend vie, alliant passé, présent, et aspirations futures. « La » réponse me semble s'illustrer sous forme de schéma où tous les éléments contribuent à l'activité primaire : assurer le bien-être des résidents.

Épaisseur du monde observes

Schéma où chaque élément, tant matériel qu'immatériel, influence l'« ici et maintenant », le tout s'ordonnant d'une manière exclusive, formant l' « ordre négocié » de la prise en charge dans cet établissement spécifique. Cet ordre se négocie entre acteurs, chacun tentant « à tout instant de mettre à profit sa marge de liberté pour négocier sa participation, en s'efforçant de manipuler ses partenaires et l'organisation dans son ensemble de telle sorte que cette participation soit payante pour lui » (Crozier et Friedberg, 1977 : 90). Les soignants, les résidents, les aides-ménagères, les aides-logistiques, les électrons libres, etc., tous les acteurs en jeu tente de trouver leur propre équilibre dans la maison, selon la place qu'ils occupent et via différentes stratégies. La personne peut y voir « la preuve importante qu'[elle] est encore son propre maître et qu'[elle] dispose d'un certain pouvoir sur son milieu » (Goffman 1968 : 99). Ainsi, l'ordre négocié de la maison de repos et de soins observée peut s'apparenter à une forme de jeu de rôle : l'acteur devient le personnage qui fait preuve d'auto-réflexivité et de créativité, mettant à mal l'image d'une organisation bureaucratique rigide et paralysante ; le

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principe du jeu est de laisser ces acteurs créer l'histoire au fur et à mesure, en faisant leur choix parmi les options proposées et ce, à chaque situation ; la partie se déroule à l'intérieur du bâtiment ; le nombre de joueurs varie dans le temps et l'espace, allant de 50 à 100 personnes ; le but affiché est de garantir le bien-être des personnes âgées ; et le but recherché, de trouver un équilibre de vie / de travail au sein de l'établissement. L'astuce, car il y a toujours une astuce aux jeux de société, est d'établir un plan, entendu ici, un organigramme (Règles du jeu inspirées de Planet'Anim : Jeu et activités sportives).

Ainsi, si « l'interaction est guidée par des règles, des normes et des obligations [...], ses résultats ne sont pas considérés comme toujours ou entièrement prévisibles » (Strauss 1992b : 18). Les acteurs créent l'histoire, ils en sont les héros. Toutefois, il faut préciser ici que si ce mémoire s'attache aux formes d'arrangement, aux contournements, aux prises d'initiatives, cette « vie clandestine » reste peu visible. Sa mise en avant dans ce travail laisse à penser que les négociations forment la part principale de l'organisation de la maison, or, les acteurs semblent tout d'abord respecter les règles formelles. Les ajustements s'y ajoutent par la suite.

Entre « domicilati on » - illustrée sur la scène extérieure par la domiciliation et sur la scène intérieure par l'appropriation des espaces privés (les « marqueurs »), par la promesse du respect de la vie privée, d'autonomie, etc.-, « palliativati on » - illustrée sur la scène extérieure par l'obligation pour les MRS d'introduire une « fonction palliative » dans la maison et sur la scène intérieure par la garantie de confort, de liberté, par la garantie d'un personnel au service des résidents, etc. - , « hospitalisation » - illustrée sur la scène publique par une autorisation à traiter des cas de plus en plus difficiles et techniques en MRS et sur la scène intérieure, par une architecture dite « hospitalière », par l'utilisation du terme « patient », par un certain « santéisme » --, la maison de repos et de soins se voit balancée.

Aller au-delà de « ces grands partages », tel a été l'objectif de ce travail. J'ai ici tenté de « suivre les acteurs » (Dodier 1993), de rendre compte comment ces derniers « forment un monde » (M oliner 2013), « tiennent ensemble » (Hennion et Vidal-Naquet 2012) ; se coordonnent et s'ajustent (Mintzberg 1998 ; Dodier 1993) ; coopèrent (Becker 1988) ; s'entraident, entrent en conflit, etc.. afin de créer, malgré la tension entre salariés et « reclus » que je crois inhérente à tout établissement de soins (les premiers considérant l'institution comme lieu de travail, les seconds, comme lieu de vie), et malgré un beau melting-pot d'acteurs, un établissement, un monde, qui fonctionne «pas si mal que ça hein ! » (Mr Marc.).

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon