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La négociation de la prise en charge dans une maison de repos et de soins bruxelloise

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par Anne- Claire ORBAN
Université libre de Bruxelles - Master en anthropologie 2012
  

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CHAPITRE 3 :

UN ETABLISSEMENT PUBLIC

3.1 Public, privé, ASBL : quelles différences ?

En Belgique, la gestion des maisons de repos (et de soins) peut être soit de nature privée (c'est-à-dire à caractère commercial) ; soit aux mains d'une ASBL (privée mais non commerciale) ; soit de nature publique (gérée par un CPAS). À Bruxelles, 73% relèvent du domaine privé ; 12% d'une ASBL ; et 15% du public (T.d.b. 2010 : 281). L'établissement traité dans ce mémoire fait partie d'un des 5 établissements d'accueil pour personnes âgées gérés par le CPAS de Bruxelles-Capitale. Succinctement, les maisons de repos publiques et sous forme d'ASBL sont de plus grande taille que les maisons privées, ce qui ce confirme dans l'établissement observé : d'après Mr Marc, la taille moyenne d'une maison de repos (et de soins) serait de 90 unités de l ogement32. L'établissement en question en comprend 137, il s'agit donc d'une structure « relativement grande » d'après ses mots. Qui dit grande structure dit tendance à la standardisation comme méthode privilégiée de coordination (Mintzberg 1998).

De plus, après comparaison des prix demandés à la j ournée33, les maisons de repos publiques se situent entre les ASBL (plus chères) et les privées (moins chères) (SPF 2009). « Une explication possible peut être la politique différente qui est notamment menée par rapport à l'effectif en personnel. Une maison de repos privée tentera d'employer un encadrement minimal en personnel pour réduire ainsi les coûts et pouvoir demander un prix journalier inférieur. Une maison de repos sous forme d'ASBL sera, en revanche, moins tentée de réaliser des économies sur le personnel, ce qui l'obligera à pratiquer des prix journaliers supérieurs. Cela vaut aussi pour une maison de repos du CPAS, mais le prix journalier sera maintenu à un niveau légèrement inférieur grâce à l'intervention financière de l'autorité commune dans le fonctionnement de la maison de repos » (SPF 2009 : 25). Je reviendrai sur le prix de l'établissement dans le chapitre suivant.

3.2 Un contrôle externe

Le directeur m'a confié qu'en réalité, il n'avait pas beaucoup de pouvoir dans la

32 C'est-à-dire les lits disponibles, donc la capacité d'accueil des établissements. Autrement dit, leur taille.

33 Attention, le prix varie en fonction de chaque établissement en fonction des différents services proposés.

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maison : sa tâche se « résume » à faire l'intermédiaire entre le CPAS de Bruxelles et l'organisation de la maison de repos et de soins. Ainsi, me dit-il, il se trouve parfois incapable de répondre aux demandes de résidents vu les normes décidées au niveau supérieur, appliquées alors dans les cinq établissements, de façon homogène. Par exemple, le CPAS n'alloue pas de fonds pour l'aménagement et l'entretien de cuisine : les repas proviennent des Cuisines Bruxelloises qui les apportent matin, midi et soir. Dans la maison, il reste juste la préparation de gaufres les mardis et jeudis, ayant notamment pour but d'emplir l'établissement d'une bonne odeur, et d'ainsi créer un sentiment de « chez-soi », toujours d'après le directeur.

Face à cette situation de délocalisation imposée de préparation des repas, comment répondre à la demande des résidents qui se plaignent, par exemple, de ne jamais avoir de frites ? En effet, les repas étant préparés bien avant la distribution, ils sont réchauffés sur place. Les frites ne sauraient subir ce traitement, elles en perdraient tout leur croquant ! Mr Marc s'est alors permis d'acheter deux grosses friteuses (service de +- 40 personnes) qu'il entrepose à la cave. Ainsi, de temps à autre, des frites sont proposées aux résidents34, mais cette information doit rester confidentielle, le directeur y engageant sa propre responsabilité.

Ce pouvoir externe, analysé comme un des facteurs de contingence pouvant pousser l'organisation vers l'une ou l'autre configuration structurelle, « a pour effet de concentrer les pouvoirs de décision au sommet de la hiérarchie et d'encourager l'utilisation de règles et de procédures pour le contrôle interne » (Mintzberg 1998 : 260). En d'autres mots, le fait que l'organisation soit contrôlée par l'extérieur, encourage la centralisation et la formalisation de la structure, et ce, afin que le contrôle soit plus facilement réalisable. Cela a tendance à accroître un style d'organisation bureaucratique.

Ce contrôle externe, je l'ai ressenti dès mon entrée sur ce terrain. Lors du premier échange de mails avec Monsieur Marc35, il m'a demandé un projet écrit de mémoire, « vu que je suis obligé d'envoyer votre projet à mes supérieurs » et ensuite, suite à une interprétation différente du mot « fin de vie » utilisé dans la description de mon projet, il me refusa l'accès de la maison. Pourquoi ? Derrière le mot « fin de vie » se cache, croyait-il, la question de l'euthanasie, question assez controversée. Sans entrer dans les détails, il me fait comprendre que la maison se devait de garder une certaine position sur la scène politique, et qu'une investigation autour d'une question aussi délicate et controversée n'était pas la bienvenue dans

34 Et ceux-ci en sont plus que ravis ! rai constaté moi-même leur enthousiasme et leurs remerciements lors du conseil des résidents de février 2013.

35 Conversation en Annexe 2.

36 Ceci peut s'expliquer par le pluralisme institutionnel qui existe aujourd'hui, dont les résidences-service, assez coûteuses, font partie et vers lesquelles une personne aisée nécessitant de l'aide peut alors se tourner.

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un organisme du CPAS. En réalité, c'est l'image du CPAS que véhicule la maison. Le directeur se doit donc de rester prudent (Mintzberg 1998) et de me refuser l'accès à ce terrain, pour des questions extérieures à lui.

Michel Crozier (1964) montre qu'en réalité, dans une organisation bureaucratique de ce type (cf. chapitre 5), la hiérarchie formelle est trompeuse : les hauts dirigeants ne feraient que suivre les règles, s'y soumettraient plus que tout autre personne tandis que les « petits » effectifs, les exécutants, se situant dans le bas auraient plus de marge de manoeuvre. Crozier observe donc un déplacement du pouvoir, et ce grâce à l'organisation bureaucratique elle-même. Je pense pouvoir rapprocher cette théorie du cas observé : le directeur n'a fait que suivre les règles vu son statut de subordonné direct et isolé au CPAS. Au niveau du personnel par contre, aborder le thème de la mort, de l'euthanasie, n'a posé aucun problème. Ainsi donc, à l'instar de l'état dans le domaine de l'art, le CPAS de Bruxelles « joue fatalement un certain rôle dans la réalisation [de la prise en charge]. [Il] défend ses intérêts en soutenant ce qu'il approuve et en mettant des entraves à ce qu'il désapprouve, ou en l'interdisant purement et simplement » (Becker 1988 : 178 -- 179).

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