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Représentations et apprentissage de l'anglais en milieu scolaire francophone au Cameroun: cas des élèves du lycée d'Ebolowa

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par Charles Lwanga BOUH ma SITNA
Université Jean Monnet de Saint-Etienne - Master 2 recherche 2016
  

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Chapitre 2 : domaines d'investigation et terminologie

Après avoir présenté le contexte dans lequel cette investigation va prendre corps, nous voulons à présent examiner le cadre et les concepts théoriques qui vont sous-tendre sa réalisation. Cet examen se fera en deux phases. En premier, la présentation des domaines d'investigation dans lesquels s'inscrit notre recherche, ensuite l'examen des notions ou concepts essentiels à ce travail.

2.1. De la sociolinguistique, de la didactique et de la sociodidactique comme domaines d'investigation

Notre recherche se situe entre les champs de la sociolinguistique et de la didactique. La sociolinguistique est une science fille de la linguistique encore considérée par d'aucuns comme une de ses branches. On peut le voir à travers certaines définitions. Le dictionnaire du français Larousse par exemple la définit comme la « partie de la linguistique qui étudie selon quelles constantes les facteurs sociaux déterminent les différences dans la langue et dans l'utilisation qu'en font les personnes qui la parlent ». Tandis que le Centre national de ressources textuelles et lexicales la considère comme une « branche de la linguistique qui étudie dans une société donnée les interactions entre la diversification linguistique et les contradictions du corps social. » cette assimilation persistante de la sociolinguistique à la linguistique est sans doute due au fait que William Labov qui est reconnu comme père de cette science déclarait en son temps parlant de la sociolinguistique que :

[...] notre objet d'étude est la structure et l'évolution du langage au sein du contexte social formé par la communauté linguistique. Les sujets considérés relèvent du domaine ordinairement appelé "linguistique générale" : phonologie, morphologie, syntaxe et sémantique. Les problèmes théoriques que nous soulèverons appartiennent également à cette catégorie, tels la forme des règles linguistiques, leur combinaison en systèmes, la coexistence de plusieurs systèmes et l'évolution dans le temps de ces règles et de ces systèmes. S'il n'était pas nécessaire de marquer le contraste entre ce travail et l'étude du langage hors de tout contexte social, je dirais volontiers qu'il s'agit là tout simplement de linguistique (p. 258).

Mais celle qui était considérée hier comme une branche de la linguistique s'est constituée comme discipline à part entière des sciences humaines et sociales au début de la deuxième moitié du XXe siècle, avec son objet de recherche propre, sa méthodologie et méthodes propres. Au départ, la sociolinguistique se contentera de décrire les variations sociales et d'identifier leurs sources à partir des observations des pratiques langagières liées à l'âge, au sexe, à la classe sociale etc. chez différents groupes sociaux. Mais son champ d'objets s'est progressivement élargi traversant les domaines de la sociologie, de la psychologie, de la

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politique. Il englobe désormais les interactions entre groupes sociaux dans des contextes de communication précis (école, travail, etc.), les contacts de langues au sein des sociétés plurilingues, les représentations et les attitudes vis-à-vis des langues et de leur apprentissage, l'émergence de systèmes linguistiques issus du mélange des langues (pidgin créoles, sabir), l'aménagement et la planification linguistique, la gestion des langues ou glottopolitique, etc. En fin de compte, la sociolinguistique est une discipline qui décrit le langage et les langues en rapport avec les situations et les contextes sociaux dans lesquels il/elles se produisent. Car comme l'affirme L-J Calvet (2009:3) « ...les langues n'existent pas sans les gens qui les parlent, et l'histoire d'une langue est l'histoire de ses locuteurs. » contrairement à la linguistique dont Ferdinand de Saussure affirme que « la langue est un système qui ne connaît que son ordre propre » ou encore que « la linguistique a pour unique et véritable objet la langue envisagée en elle-même et pour elle-même ». La recherche que nous entreprenons s'inscrit dans ce vaste champ de la sociolinguistique et plus précisément le champ des représentations et de l'apprentissage d'une langue étrangère chez des apprenants issus de milieux plurilingues. Les apprenants qui feront l'objet de notre enquête ne le sont pas simplement parce qu'ils apprennent une langue, mais aussi parce qu'ils appartiennent à une communauté de langue(s), à un ou des groupes sociaux.

Toutefois, la sociolinguistique n'est pas le seul domaine qui nous interpelle dans cette entreprise. Il y a également le domaine de la didactique. La didactique intervient ici dans la mesure où nous sommes dans un contexte d'apprentissage. Apprentissage en classe de langue. Du fait qu'on parle d'apprentissage d'une langue, on pourrait penser qu'il s'agit de prime abord de pédagogie c'est-à-dire d'un ensemble de méthodes et techniques d'enseignement mises en oeuvre pour assurer dans des conditions idoines, la transmission ou l'appropriation du savoir à l'apprenant en se posant des questions sur quelle organisation mettre en place, de quelle façon transmettre le savoir en salle de classe, quelles articulations déroulées pendant le cours. Mais aussi vrai que notre étude s'intéressera au fonctionnement de la classe dans son ensemble, aux modes et relations entre les actants, à l'environnement et aux conditions dans lesquelles se déroule le processus d'apprentissage, il s'agira davantage de didactique c'est-à-dire d'étudier dans un domaine de connaissance scientifique particulier, les phénomènes d'enseignement, les conditions de la transmission normalisée ou normées par une institution et les conditions de l'acquisition de connaissances par un apprenant ; d'interroger sur quels contenus enseigner, à quel niveau, selon quelle progression, avec quelle méthode, etc. Loin de dissocier ou d'opposer pédagogie et didactique, il s'agira d'inscrire l'apport de la pédagogie dans le cadre de la complémentarité de l'activité d'enseignement-apprentissage.

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La corrélation entre sociolinguistique et didactique nous plonge dans l'univers transversal de la sociodidactique. Louise Dabène et Marielle Rispail (2008) citées par Blanchet décrivent ainsi l'entreprise sociodidactique :

Ces recherches se caractérisaient par une double orientation : d'une part l'analyse de l'hétérogénéité des situations formelles et informelles d'enseignement apprentissage des langues, y compris de la langue dite à l'époque "langue maternelle" et, d'autre part, la description et la prise en compte des pratiques langagières individuelles et des représentations sociales de l'oral et de l'écrit, au sein de ces situations et dans leur environnement.

Blanchet explique que la sociodidactique est une didactique de terrain dont l'action ne se limite pas à la classe mais s'étend aux situations sociales qui impliquent les acteurs du tandem enseignement/apprentissage. Au-delà des apprenants et des enseignants, l'action de la sociodidactique concerne ainsi les parents, les décideurs institutionnels, les formateurs et inspecteurs, les concepteurs de manuels et auteurs de manuels scolaire. En clair, cette étude si elle implique les enseignants et les apprenants d'anglais dans l'enceinte du Lycée d'Ebolowa au premier chef, concerne également les acteurs qui encadrent ces derniers en amont, dans le cours et en aval des processus d'enseignement/apprentissage. Respectivement les institutionnels qui définissent les politiques linguistiques éducatives - en l'occurrence l'Etat du Cameroun à travers le ministère des enseignements secondaires - La commission nationale du livre scolaire qui statue sur les manuels à utiliser pour les enseignements, les inspecteurs pédagogiques qui s'assurent du bon déroulement des enseignements et enfin les parents d'élèves dont la localisation géographique les origines et les pratiques langagières influencent tout aussi bien l'apprentissage de la langue chez leur progéniture.

2.2. Définition des concepts clés

Pour aborder la thématique des représentations et de l'apprentissage de l'anglais en milieu scolaire francophone au Cameroun, il nous semble important de prime abord de nous pencher sur certains concepts de sociolinguistique et de didactique des langues. Il s'agit en l'occurrence des notions de représentation, attitude, apprentissage, plurilinguisme.

2.2.1. Représentations

2.1.1.1.Les représentations en sociologie et psychologie sociale

Il est de notoriété scientifique que la notion de représentation provient de la sociologie, qu'elle a pris forme en psychologie sociale et s'est progressivement répandue dans les autres disciplines des sciences de l'homme et de la société, en l'occurrence la sociolinguistique et même les sciences juridiques et politiques.

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2.1.1.1.1. Représentations collectives

Le concept fait son apparition en 1898 dans la « Revue de métaphysique et de morale » dans un article d'Emile Durkheim. Selon Durkheim, ce qu'il appelle représentations collectives est en lien avec les croyances et les valeurs communes à tous les membres d'une société (la religion, le mythe, le savoir scientifique) et en opposition avec l'addition des représentations de ces membres. Pour lui, ce sont des formes de pensée partagées par une société et qui se transmettent d'une génération à une autre au moyen de l'éducation et de la communication sociale. Dans la conception de Durkheim, la notion de représentation se présente comme une force qui s'exerce sur l'individu et lui impose une manière de penser et d'agir affirmant ainsi la suprématie de la société sur l'individu.

2.1.1.1.2. Représentations sociales

En 1961, Moscovici va se démarquer de cette conception de la représentation qui considère la société du moins comme un ensemble sinon comme une entité originelle différente de la somme des individus qui la compose pour conceptualiser et préciser sa vision de la notion. A partir de travaux menés sur les représentations de la psychanalyse dans les différents groupes sociaux, il énonce la théorie de « représentation sociale », ses conditions de construction et de transmission ainsi que ses limites. Pour lui, la représentation sociale désigne les éléments mentaux qui se forment par nos actions, et qui informent nos actes, le sens commun. Ils se constituent dans un milieu social et oriente les conduites sociales. Cette théorisation de la notion de représentation par Moscovici décrit une réalité en procès plutôt qu'une réalité déjà faite. A travers la conceptualisation de la représentation sociale, Moscovici apporte un outil commun aux sciences sociales et aux sciences humaines (Danic 2006 : 29). Cet outil se présente comme un fait dynamique (plutôt que statique) qui constitue un concept opératoire de recherche.

2.1.1.1.3. Approches théoriques à la notion de représentation sociale

De ces conceptualisations de la notion de représentation naitront diverses approches théoriques. Danic (2006 :30) en distingue trois. Les approches objectivistes qui stipulent que les représentations sont des produits de la réalité et obéissent à un processus de perception-interprétation de l'environnement physique social. D'un autre côté, il y a les approches subjectivistes pour lesquelles les représentations sociales sont productrices de réalité. Pour les prétendants de cette hypothèse, les représentations ne préexistent pas à la réalité. Elles sont mises en oeuvre par les acteurs sociaux. On ne peut comprendre ce phénomène social qu'à partir des représentations des acteurs sociaux. Il y a enfin les approches dialectiques qui

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occupent une position médiane en tentant de dépasser l'opposition objectivisme / subjectivisme. Muller et Pietro (2007 :52 ) distingue deux tendances dans les travaux de recherche sur les représentations. Une tendance `objectivante' qui pense que les représentations existent indépendamment des situations d'interlocution où elles sont exprimées et l'autre tendance dite `constructionniste' qui affirme que les représentations n'existent que par et dans la communication, au moment où elles sont actualisées par les acteurs sociaux.

2.1.1.2. Les représentations en sociolinguistique et didactique des langues

La notion de représentation en sociolinguistique et didactique des langues est caractérisée par ce que Cécile Petitjean (2009) appelle un flou définitoire à cause de l'imprécision qui prévaut dans l'usage du terme représentation. Nous n'aurons pas la prétention ici d'élucider ce flou de peur de nous égarer dans des spéculations, mais nous chercherons simplement à comprendre en quoi cette notion constitue un concept opératoire de recherche pour notre étude.

Le concept de représentation sociale issu de la psychologie sociale est largement accepté comme désignant « une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d'une réalité commune à un ensemble social. » Jodelet (1994). La notion apparait entre 1980-1990 aussi bien en sociolinguistique qu'en didactique des langues. Dans les travaux où elle est évoquée, elle revêt différents vocables : représentation linguistique, représentation langagière, représentation des langues. Castelloti et Moore (2002 : 10) la désigne par l'expression « représentations sociales des langues ». En dépit de la diversité des termes métalinguistiques utilisés pour décrire une même réalité, il semble que la grande majorité des chercheurs s'accordent cependant sur une perspective psychosociale de la notion de représentation en sociolinguistique et didactique des langues. Toute représentation en sociolinguistique est donc d'abord une représentation sociale mais une représentation sociale d'un type particulier. C'est ce qu' affirme Petitjean (2009 :44), « la représentation linguistique apparaitrait donc comme une représentation sociale verbalisée de la langue, » « un ensemble de connaissances socialement partagées et élaborées relatives à la langue».

2.2.2. Attitudes

L'autre confusion que la plupart des sociolinguistes tentent souvent de clarifier est celle qui concerne représentations et attitudes. Les deux notions ont des rapports ambigus et même si on essaye souvent de les expliciter la frontière entre les deux termes est si poreuse qu'on finit souvent par la franchir. Les deux notions empruntées en psychologie sociale ont des points de

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convergence et sont parfois prises l'une pour l'autre. Castelloti et Moore (2002) la définissent comme « une disposition à réagir de manière favorable ou non à une classe d'objet. Ou pour reprendre la définition de Kolde 1981 cité par Lüdi et Py 1986 :97 « une prédisposition psychique latente, acquise, à réagir d'une certaine manière à un objet ». Dans une tentative d'explicitation, Billiez et Millet (2007) reconnaissent la difficulté qu'il ya à séparer représentations sociales et attitudes et considère que

l'attitude serait néanmoins plus directement articulée aux comportements qu'elle dirigerait ou coordonnerait. Elle est, en effet, généralement définie comme une sorte d'instance anticipatrice des comportements, une prédisposition à répondre de manière consistante à l'égard d'un objet donné ; ce qui n'exclut pas, d'ailleurs, que l'on puisse considérer aussi l'attitude comme conséquence du comportement. L'attitude pourrait donc représenter un élément charnière et dynamique entre les représentations sociales et le comportement, régulant en quelque sorte leurs rapports.

En d'autres termes pour ces auteurs, la manière la plus évidente de différencier représentations sociales et attitudes c'est de considérer que l'attitude est le médiateur indispensable et actif entre représentations sociales et comportements. Parmi les auteurs que nous avons consulté et qui traitent des attitudes nous ne pouvons manquer d'évoquer Lasagabaster qui dans un article (2006) dresse un état des lieux des attitudes linguistiques. La définition qu'il donne du terme attitude est d'ordre psychologique et tirée de Ajzen (1988 :4) « Disposition à répondre de manière favorable ou défavorable au regard d'un objet, d'une personne, d'une institution, d'un événement ». Mais contrairement aux précédents auteurs, Lasagabaster ne met pas en opposition représentations sociales et attitudes mais il fait ressortir ce qui caractérise une attitude. D'après lui, le concept est populaire pour six raisons : le terme est sténographique ; il peut être considéré comme la cause du comportement d'une personne ; il permet d'expliquer la consistance dans le comportement ; il est le reflet des représentations ; le concept est neutre et acceptable par beaucoup d'écoles ; il englobe plusieurs domaines allant de la sociologie, la psychologie sociale vers l'éducation bilingue et la politique. L'autre caractéristique sur laquelle il se base est de savoir que le concept échappe à la mesure et à l'observation directe et objective ; l'influence des facteurs exogènes. Comme la notion de représentation, la notion d'attitude peut elle aussi porter le qualificatif « linguistique ». Elle désigne alors d'après Richards Platt (1997 :6) cité par lasagabaster, des

attitudes que les locuteurs de différentes langues ou de variétés linguistiques différentes ont à l'égard des langues des autres ou de leurs propres langues. L'expression de sentiments positifs ou négatifs concernant une langue peut être le reflet d'impressions sur la difficulté ou la simplicité linguistique, la facilité ou difficulté de l'apprentissage, le degré d'importance, l'élégance, le statut social, etc. Les attitudes à l'égard d'une langue peuvent aussi refléter ce que les gens pensent des locuteurs de cette langue. »

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Comme on peut le constater, représentation et attitude sont des notions véritablement proches de par leur nature, leur objet et leur domaine d'intervention.

2.2.3. Apprentissage

Les notions d'enseignement et d'apprentissage prêtent souvent à confusion. Cette confusion est liée au fait que le verbe apprendre porte un double sens : apprendre quelque chose et apprendre à quelqu'un. A ce sujet, Blanchet (2005) précise qu'apprendre est un terme réservé à l'activité de l'élève. Et donc pour éviter toute ambigüité, mieux vaudrait éviter d'utiliser ce mot dans le sens de « transmettre le savoir » et l'utiliser toujours pour dire « recevoir le savoir ». Ainsi, la distinction enseignement/apprentissage signifie traditionnellement que le maître enseigne et l'élève apprend.

En sociolinguistique et didactique des langues, plusieurs études menées en milieu scolaire ont démontré que les représentations des apprenants sont liées au désir d'apprendre les langues, à la réussite et à l'échec de cet apprentissage. Selon Castelloti $ Moore (2002), ces images que se forgent les apprenants des langues qu'ils apprennent, des locuteurs de ces langues et des pays où elles sont pratiquées entretiennent des liens étroits avec le processus d'apprentissage qu'elles contribuent à renforcer ou à ralentir. L'étude des représentations joue donc un rôle central dans les processus d'apprentissage des langues car elle permet de mieux comprendre certains phénomènes liés à l'apprentissage des langues et à la mise en oeuvre d'actions didactiques adéquates.

2.2.4. Le plurilinguisme

Depuis le début du 21ème siècle, le concept de plurilinguisme a pris beaucoup d'importance dans le domaine de la didactique des langues et des cultures au point où les chercheurs investis dans ce domaine en sont arrivés à parler d'une didactique du plurilinguisme. Mais au fond, de quoi est-il question ?

2.2.4.1.Plurilinguisme, bilinguisme et multilinguisme

Longtemps avant l'apparition du terme plurilinguisme on utilisait alors celui de bilinguisme. La notion a connu des évolutions au fil du temps. Bloomfield (1935) considère le bilinguisme comme la « maitrise de deux langues comme si elles étaient toutes les deux la langue maternelle » c'est cette conception perfectionniste qui a fait naitre une gradation des types de bilinguisme avec l'adoption du bilinguisme parfait ou vrai bilinguisme comme seuil à atteindre. Haugen (1953) est moins rigide et pense que « le bilinguisme commence lorsque l'individu peut produire des énoncés ayant un sens dans une autre langue que sa langue maternelle. » Weinreich (1953) plus modeste encore dans sa définition du bilinguisme

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considère qu' « est bilingue celui qui possède au moins une des quatre capacités (parler, comprendre, lire, écrire) dans une langue autre que sa langue maternelle. ». Le terme est utilisé plutard par (Galisson et Coste 1976 : 69) cité par Verdelhan-Bourgade (2007) pour vouloir dire une « situation qui caractérise les communautés linguistiques et les individus installés dans des régions, des pays où deux langues et plus sont utilisées concurremment ». Mais on s'est progressivement éloigné de cette acception pour au moins deux raisons. La première est qu'étymologiquement `bi' (deux) et `lingua' (langue) renvoient logiquement à l'usage deux langues et donc utiliser le terme bilingue pour parler de trois, quatre ou plus de langues ne paraissait pas toujours adéquat. Au-delà de cette raison liée à l'étymologie du mot, on peut évoquer une autre liée à sa compréhension. Le terme bilinguisme a souvent été compris comme l'apprentissage et la maitrise additionnelle de deux monolinguismes ou plus simplement la somme parfaite de deux monolinguismes strictement juxtaposés et équivalents. Or, les recherches en sciences du langage ont fini par démontrer que ceux qui parlent plusieurs langues ne les juxtaposent pas les unes aux autres de façon étanches mais articulent toutes les langues qu'ils connaissent. D'où la nécessité d'une redéfinition du concept de bilinguisme qui a fait apparaitre les notions de plurilinguisme et multilinguisme. Mais là encore, on n'est pas sorti du flou définitoire car les deux termes seront souvent pris indifféremment l'un pour l'autre. Cependant les définitions que nous retiendrons de ces mots pour les dissocier, sont celles qui tendent à s'universaliser aujourd'hui chez les sociolinguistes francophones et qui sont contenues dans le Guide pour l'élaboration des politiques linguistiques en Europe qui demande de distinguer « le plurilinguisme comme compétence des locuteurs (capables d'employer plus d'une langue) du multilinguisme comme présence des langues sur un territoire donné » (Beacco et Byram, 2007, p. 10). La notion de plurilinguisme ainsi comprise marque une avancée dans l'univers du contact des langues ou le locuteur plurilingue n'est plus considéré comme une personne qui pratique plusieurs langues de façon cloisonnée mais qui articulent les langues en y intégrant les interférences, les alternances codiques et les mélanges de codes. C'est ce constat de la façon d'utiliser les langues à la manière des sociétés multilingues qui a suscité une orientation nouvelle dans l'enseignement des langues dénommée didactique du plurilinguisme.

2.2.4.2. Didactique du plurilinguisme

La didactique du plurilinguisme émane du postulat selon lequel l'objectif d'une éducation plurilingue est de développer des compétences linguistiques ainsi qu'un répertoire langagier de plusieurs langues chez les apprenants. Elle s'appuie sur la notion de compétence plurilingue et pluriculturelle et s'articule autour du concept d'approche plurielle.

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2.2.4.2.1. La compétence plurilingue et pluriculturelle

Le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL 2001 :129) est le document sur lequel se fonde la notion de compétence plurilingue et pluriculturelle. Il explicite qu'on

désignera par compétence plurilingue et pluriculturelle, la compétence à communiquer langagièrement et à interagir culturellement d'un acteur social qui possède, à des degrés divers, la maîtrise de plusieurs langues et l'expérience de plusieurs cultures. On considérera qu'il n'y a pas là superposition ou juxtaposition de compétences distinctes, mais bien existence d'une compétence complexe, voire composite, dans laquelle l'utilisateur peut puiser.

La notion augure une nouvelle façon d'enseigner les langues. Enseigner les langues à la manière des sociétés plurilingues. Ne pas réduire l'enseignement des langues à une langue précise dissocié des autres langues que pratiquent les apprenants, mais inscrire l'enseignement de chaque langue dans l'ensemble des pratiques et des apprentissages. Enseigner les apprenants à se construire un répertoire langagier dans lequel il y a plusieurs langues et dans lequel ils peuvent puiser en temps de besoin pour remplir des nécessités de communication précises. Cette vision plurielle de l'enseignement-apprentissage des langues est une réponse aux défis de la diversité et de la cohésion sociale. Elle vise non seulement à créer une culture du plurilinguisme c'est-à-dire à former les personnes qui vivent ensemble à accéder à toutes sortes de langues mais aussi à privilégier l'esprit de rencontre entre les peuples, l'inter-tolérance, les métissages de cultures et d'identité et l'acceptation de l'altérité. La mise en place d'une éducation au plurilinguisme marque ainsi la mise en cause d'une approche singulière de l'enseignement-apprentissage des langues pour une migration vers ce qui a été convenu d'appeler « approches plurielles » (Candelier : 2007).

2.2.4.2.2. Approches plurielles des langues et des cultures

Les approches plurielles des langues et des cultures définissent les démarches didactiques à mettre en oeuvre pour l'acquisition des compétences plurilingue et pluriculturelle chez les apprenants. La notion marque une rupture nette avec ce que Michel Candelier a désigné par « isolationnisme monolinguistique » c'est-à-dire l'enseignement centré sur une poignée de langues privilégiée par un système éducatif. Il définit une approche plurielle comme « toute approche mettant en oeuvre des activités impliquant à la fois plusieurs variétés linguistiques et culturelles. En tant que telle, une approche plurielle se distingue d'une approche singulière, dans laquelle le seul objet d'attention est une langue ou une culture particulière,

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prise isolément. » Il en distingue quatre : l'approche interculturelle, la didactique intégrée des langues apprises, l'intercompréhension des langues parentes et l'éveil aux langues.

2.2.4.2.2.1. l'approche interculturelle

La méthode liée à l'approche interculturelle est celle qui privilégie les interactions entre les groupes, les individus et les identités à travers la rencontre, avec des personnes de nationalités et cultures différentes, l'acceptation de l'altérité.

2.2.4.2.2.2. La didactique intégrée des langues apprises C'est une approche qui est fondée sur

l'hypothèse qu'un élève apprendra d'autant mieux un type de structure ou d'emploi en langue seconde qu'il en aura préalablement compris les principes en langue maternelle et que les instruments heuristiques mis en oeuvre pour découvrir ces principes dans la langue maternelle sont utilisables avec profit dans l'apprentissage des langues secondes. (Roulet, 1980 : 10 cité par Candelier et Castelloti)

Elle a pour objectif d'aider l'apprenant à établir les liens entre les langues apprises à l'école en s'appuyant sur les langues maternelles pour faciliter l'apprentissage des langues enseignées ou en s'appuyant sur une langue première étrangère pour faciliter l'accès à une seconde langue étrangère. La situation inverse étant également possible dans certains cas.

2.2.4.2.2.3. L'intercompréhension entre les langues parentes

« L'intercompréhension est une forme de communication dans laquelle chaque personne s'exprime dans sa propre langue et comprend celle de l'autre ».6 Elle suggère que l'apprenant travaille sur plusieurs langues d'une même famille. Il peut s'agir de la famille à laquelle appartient la langue maternelle, de la famille de la langue d'apprentissage ou de la famille de la langue apprise.

2.2.4.2.2.4. L'éveil aux langues

L'éveil aux langues est un travail de découverte et de comparaison sur les langues que l'école n'a pas l'ambition d'enseigner. « Il y a éveil aux langues lorsqu'une part des activités de classe porte sur des langues que l'école n'a pas l'ambition d'enseigner (qui peuvent être ou non des langues maternelles de certains élèves) » (Candelier, 2003b : 21). Candelier explique que « l'éveil aux langues contribue au développement d'aptitudes métalinguistiques d'observation et d'analyse, et au développement d'attitudes susceptibles de susciter l'intérêt

6 DOYÉ Peter, 2005, L'intercompréhension, étude de référence, Strasbourg, Conseil de l'Europe, Division des politiques linguistiques.

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pour les langues et cultures et la confiance en ses propres capacités favorables à l'apprentissage des langues qu'il s'agisse des langues apprises à l'école ou non ».

Comme on peut le constater, le plurilinguisme est une notion qui a fait du chemin dans les milieux de la recherche en sociolinguistique et en didactique des langues et des cultures, avec une définition et des démarches didactiques spécifiques. Son adoption et son implication dans les politiques linguistiques éducatives en Europe depuis plus de vingt ans est une indication que cette initiative scientifique n'est pas simplement un concept spéculatif mais une notion qui a une portée pragmatique et innovante en matière d'enseignement et d'apprentissage des langues et des cultures.

Tout compte fait, la notion de représentation est centrale dans notre étude car elle va nous permettre de d'identifier, d'expliciter les perceptions qu'entretiennent nos élèves pour l'anglais et pour les autres langues enseignées au lycée, de comprendre l'impact de ces perceptions sur leur apprentissage afin de suggérer des stratégies pour motiver leur apprentissage. Ainsi, nous avons voulu éviter toute ambigüité terminologique dans la thématique de ce travail en adoptant le terme représentation en éloignant tous les autres termes concurrents à cette notion. Il faudra donc comprendre les représentations ici dans le sens énoncé par Castelloti et Moore (2002 :10), « des images que se forgent les apprenants de ces langues, de leurs locuteurs et des pays dans lesquels elles sont pratiquées » « Ces images, très fortement stéréotypées, recèlent un pouvoir valorisant ou, a contrario, inhibant vis -à-vis de l'apprentissage lui-même. » Par ailleurs, nous demeurons sur la constance sociolinguistique globale qui considère la notion de représentation sur une perspective psychosociale. Les termes représentation sociale, représentation linguistique ou sociolinguistique ne seront donc pas des termes concurrents mais quasi- équivalents. Car comme nous l'avons dit plus haut, toute représentation en sociolinguistique est d'abord une représentation sociale mais une représentation sociale d'un type particulier.

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Chapitre 3 : Terrain d'enquête et données d'enquête 3.1. Le milieu physique

L'enquête que nous menons se déroule à Ebolowa une ville de la partie francophone du Cameroun. Ebolowa est le chef-lieu de la région du sud. C'est une communauté urbaine d'une superficie de 5600 km2 abritant une population de 96000 habitants7. La ville se retrouve dans une zone de forêt dense équatoriale avec un climat de type équatorial et des températures d'environs 25° C. Les populations de cette localité vivent essentiellement de l'agriculture, du commerce et de l'élevage. Ebolowa est situé à 168 km de Yaoundé la capitale politique du Cameroun et se positionne comme ville transit vers la Guinée équatoriale et le Gabon. Cet emplacement fait d'elle une grande agglomération urbaine qui abrite une population cosmopolite multiethnique et multiculturelle.

3.2. Les composantes sociologiques

Ebolowa comprend des populations issues de diverses régions du Cameroun. Si pour un bon nombre la présence en ces lieux se justifie par l'obligation d'exercer une profession administrative (éducation, santé, police, gendarmerie, justice etc.), il est de plus en plus fréquent de remarquer que ceux qui s'installent à Ebolowa viennent pour des affaires commerciales (surtout avec les pays frontaliers). La population se diversifie. Toutefois on reconnait qu'il y a à la base les populations autochtones du Sud. En l'occurrence les Bulus, les Ewondo et les Ntumus. A ces populations sont venues s'ajouter les Bamilékés et Bamouns issus de la région de l'Ouest, les Haoussas8 venant des trois grandes régions du nord (Adamaoua, Nord, Extrême-Nord) et les Banen, populations venant du centre. D'autres groupes comme les Kwasio, Batanga et Duala existent mais leur nombre est moins important. Tout ce brassage ethnique entraine forcément une pluralité de langues et de cultures. Nous sommes ainsi à Ebolowa dans une société multilingue avec des locuteurs plurilingues. Cependant, toutes les langues ne disposent pas de mêmes privilèges en ces lieux. Nous allons particulièrement nous intéresser à celles qui se distinguent par leur vitalité dans la ville au quotidien.

7 Selon le dernier recensement de 2005 (source wikipedia)

8 Le terme « haoussas » est souvent utilisé dans le pays pour désigner toutes les populations ressortissant du septentrion

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3.3. Les langues leurs statuts et leurs fonctions dans la ville d'Ebolowa.

Une langue peut faire l'objet d'une reconnaissance expresse constitutionnelle ou législative ou simplement faire l'objet d'un emploi régulier voire empirique dans tous les domaines prioritaires de l'activité de la vie d'une nation. Dans le premier cas, la langue bénéficie d'un statut dit de jure tandis que dans le second cas il s'agit d'un statut de fait. Pour Didier de Robillard cité par Bitjaa (2004 :523)

le statut est la position d'une langue dans la hiérarchie sociolinguistique d'une communauté linguistique, cette position étant liée aux fonctions remplies par la langue, et à la valeur sociale relative conférée à ces fonctions (ex : langue de la religion sera très valorisée dans une théocratie.) On distingue généralement le statut de fait (de facto empirique et explicite ) et le statut juridico-constitutionnel (de jure, explicite).

Le statut d'une langue est ainsi lié à la fonction de cette langue dans la communauté linguistique où elle se pratique. Par conséquent les fonctions remplies par les langues dans les situations sociales de communication sont souvent catégorisées en fonctions de jure et fonctions de fait. Les fonctions de jure renvoient à celles reconnues par la législation tandis que les fonctions de fait à l'usage ordinaire et naturel des langues.

Au Cameroun, la constitution du 18 janvier 1996 reconnait deux statuts à toutes les langues utilisées au Cameroun. D'une part le statut de langue officielle et d'autre part celui de langue nationale. Dans ce contexte, Bitjaa (2004 :522-523) définit ces concepts ainsi qu'il suit :

- langue officielle : c'est la langue désignée dans la constitution d'un pays comme langue des institutions publiques. Elle est utilisée dans les activités gouvernementales, administratives, juridiques et éducatives.

- langue nationale : c'est la langue parlée par l'ensemble de la population d'une nation. Elle marque la citoyenneté ou appartenance nationale des individus sur les plans politique et mondial. Cependant, de nombreux africains francophones et au Cameroun en particulier, le titre de langue nationale est accordé à toute les langues locales, langues maternelles ou langue de première socialisation qui remplissent une fonction ethnique et permettent d'identifier les différents groupes ethniques ou nationalités du pays. Le terme langue nationale semble alors se définir par opposition à celui de langue officielle, pour signifier langue non officielle. »

Dans le cas de la ville d'Ebolowa, nous l'avons dit, il existe plusieurs communautés ethniques qui parlent les langues différentes. Mais les langues les plus pratiquées dans la ville sont le bulu, le ntumu, l'ewondo le français et l'anglais. Chacune de ces langues assume des fonctions bien précises et jouit d'un statut de langue officielle ou de langue nationale dans ce contexte plurilingue qui engendre des situations de communication exolingue et endolingue.

27

3.3.1. Les situations de communication exolingue

Pour Kozlova (2009 :18) « la notion de la communication exolingue renvoie initialement à celle qui s'effectue par des moyens langagiers autres qu'une langue maternelle commune aux interlocuteurs... » En fait dans une situation de communication exolingue les locuteurs parlent des langues maternelles différentes. Pour pallier cette asymétrie communicationnelle, ils ont recours à une langue étrangère. A Ebolowa les situations de communication exolingue s'opèrent généralement entre les ressortissants des dix régions du Cameroun qui ne disposent pas d'une langue maternelle commune et doivent faire appel à la langue française pour communiquer dans des situations de la vie courante. Toutefois, d'autres situations de communication exolingue existent avec des langues mixtes dans des contextes prédéfinis. Il s'agit par exemple de l'usage du pidgin-English par une certaine génération d'adultes autochtone qui communiquent avec leur compatriotes anglophones dans les places publiques comme les marchés ou encore de jeunes qui communiquent en milieu scolaire en camfranglais (nous reviendrons plus en détails dans un suivant chapitre plus en détails.)

3.3.2. Les situations de communication endolingue

Elles s'appliquent « par opposition à la communication exolingue, qui s'effectue dans une langue commune aux interlocuteurs. »9 Elle concerne les populations autochtones qui parlent le bulu le ntumu et l'ewondo. Il est important de signaler que ces trois langues appartiennent à la grande famille des langues Beti-fang. Elles sont d'ailleurs considérées par d'aucuns comme des dialectes d'une même langue à cause de leur très grande intercompréhension. Un inventaire des langues du Cameroun (Bitjaa 2004 : 530) les répertorie comme suit :

BETI-FANG [403 : b?ti-fa?] (BETI, EWONDO, BULU, FANG, ETON, MENGISA, NTUMU) ; 2.000.000 (1996 SIL) ; Continuum linguistique regroupant les dialectes des ethnies Fang, Ewondo, Bulu, Mengisa, Eton, Bebil, etc. qui sont partiellement mutuellement intelligibles mais ethniquement distincts ; s'étend sur la majorité des provinces du Centre et du Sud, dans les départements du Lom-et-Djerem et du Haut Nyong, Province10 de l'est ; aussi en Guinée Equatoriale et au Gabon ; Niger-Kordofanien, Niger-Congo, Volta-Congo, Benoué-Congo, Bantoïde, Austral, Bantu au sens strict, Nord-Ouest, Zone A, Beti-Fang (A.70) ; Langue transnationale à protection presque assurée (PPA), standardisée (grammaire, dictionnaires, manuels didactiques), véhiculaire, utilisée à la radio (CRTV radio Centre, Sud et Radio Lumière), dans la musique moderne , à l'église (Bible bulu, ABC, 1940 ; NT ewondo : Catholiques) et dans l'enseignement formel expérimental (PROPELCA).

Pour ce qui est du français et de l'anglais, les deux langues officielles reconnues d'égale valeur par la constitution ne le sont pas de fait. Le français est plus utilisé que l'anglais dont l'usage se réduit à des contraintes administratives et à l'enseignement dans les écoles, lycées, collèges et universités et écoles supérieures.

9 Kozlova (2009 :18)

10 Ancienne appellation des unités administratives qu'on désigne aujourd'hui sous le vocable de région

28

Nous pouvons résumer les statuts et fonctions des langues dans la ville d'Ebolowa dans le tableau ci-dessous.

Langues

Statuts

Fonctions sociales

FRANÇAIS

Statut de jure

Langue officielle : langue de l'administration (diffusion des textes officiels, législatif et juridiques, interactions dans les services publiques, cérémonies et rencontres officielles) Langue de l'enseignement (des institutions scolaires, centres de formation) ; Langue des médias (presse écrite, radio, télévision, Internet, cinéma)

Statut de facto

Langue véhiculaire : interaction entre les locuteurs de différentes langues,

Langue familiale11 : communication entre parents et enfants dans certaines familles.

Langue religieuse : culte, messes, prières, récital des versets.

ANGLAIS

Statut de jure

Langue officielle : langue de l'administration (diffusion des textes officiels, législatif et juridiques, interactions dans les services publiques, cérémonies et rencontres officielles) Langue de l'enseignement (des institutions scolaires, centres de formation) ; Langue des médias (presse écrite, radio, télévision, Internet, cinéma)

BULU

Statut de Jure

Langue nationale : langue de promotion culturelle, identitaire (culture, traditions, réunions associative)

Langue enseignée (expérimentale au primaire et secondaire); langues des médias (radio/télévision)

Statut de facto

Langue véhiculaire : communication entre locuteurs de langues intelligibles (bulu, ewondo, ntumu)

Langue d'intégration : personnes d'autre culture désireuses de s'intégrer volontairement dans la société d'accueil.

Langue familiale : parlée au foyer

Langue de culte : culte, messes, prières, Chants, récital des versets.

NTUMU

Statut de jure

Langue nationale : langue de promotion culturelle, identitaire (culture, traditions, réunions associative)

Statut de facto

Langue familiale : parlée au foyer

EWONDO

Statut de jure

Langue nationale : langue de promotion culturelle, identitaire (culture, traditions, réunions associative)

Statut de facto

Langue familiale : parlée au foyer

Langue religieuse : culte, messes, prières, Chants, récital des versets.

Tableau1 : les statuts et fonctions des langues parlées à Ebolowa

11 Quelques élèves nous ont révélé que le français était leur première langue de socialisation (langue maternelle)

29

3.4. L'environnement scolaire

3.4.1. Situation et organisation

La ville d'Ebolowa dénombre un peu plus de dix établissements d'enseignement secondaire donc cinq lycées : le lycée classique et moderne, le lycée bilingue, le lycée technique, le lycée d'Ebolowa rural et le lycée d'Ebolowa. Le lycée d'Ebolowa est le lieu où nous avons mené notre investigation. C'est un établissement d'enseignement général situé au quartier Angale. Il compte environs 1500 élèves repartis dans 27 salles de classes donc trois (3) classes de sixième, trois (3) classes de cinquième, quatre (4) classes de quatrième, quatre (4) classes de troisième, quatre (4) classe de seconde, cinq (5) classes de premières et quatre (4) classes de terminales. Les effectifs dans les classes oscillent entre 67 élèves par classe pour les plus pléthoriques et 27 élèves pour les moins pléthoriques. L'organisation administrative est celle qui est commune à tous les lycées : un proviseur pour diriger l'établissement, des censeurs pour coordonner les activités pédagogiques, des surveillants généraux chargés de veiller sur la discipline des apprenants et même des enseignants, un personnel d'appui (secrétaires, bibliothécaire, gardien, etc.) et des enseignants pour dispenser les cours. Les enseignants sont repartis par département et il existe quasiment autant de départements que de disciplines enseignées. Le département d'anglais compte dix enseignants.

3.4.2. Pratiques d'apprentissage et d'enseignement en classe d'anglais

La constitution de la république du Cameroun adopte le français et l'anglais comme des langues officielles d'égale valeur12. En même temps, qu'elle stipule que

« l'Etat garantit la promotion du bilinguisme sur toute l'étendue du territoire.

Il oeuvre pour la protection et la promotion des langues nationales. »

La loi N° 98/004 du 14 avril 1998 d'orientation de l'éducation au Cameroun entérine le rôle fondamental du bilinguisme dans la politique linguistique éducative du Cameroun et stipule que :

« Titre I - DES DISPOSITIONS GENERALES

Article 3 : L'Etat consacre le bilinguisme officiel à tous les niveaux d'enseignement comme facteurs d'unité et d'intégration nationales. »

C'est donc à juste titre que l'anglais est enseigné dans tous les établissements scolaires du Cameroun. Cependant dans les pratiques d'enseignement, le bilinguisme dont il est question ne signifie pas l'usage régulier et simultané des deux langues officielles en milieu scolaire

12 Constitution du 16 janvier 1996, article 1, alinéa3

30

mais plutôt qu'une des deux langues sert comme langue d'enseignement et l'autre est considérée comme discipline. Dans la partie francophone du pays (le cas d'Ebolowa), le français est la langue d'enseignement et l'anglais est une discipline. On peut déjà constater là un bilinguisme asymétrique et diglossique qui consacre l'usage prédominant d'une langue par rapport à l'autre. Nous avons décrit dans un chapitre précédent les principes généraux qui régissent l'enseignement et l'apprentissage de l'anglais dans les classes du secondaire où nous soulignions que les pratiques linguistiques sont rythmées par l'application de la méthodologie directe et l'approche notionnelle fonctionnelle (approche communicative). Cependant, les contingences liées soit à la situation économique des élèves et des établissements scolaires (très peu d'élèves disposent du manuel scolaire et la bibliothèque ne dispose pas de stocks suffisants pour toutes les classes) soit à un constat d'inadéquation entre la norme didactique et les situations d'enseignement-apprentissage ont amené les enseignants à s'éloigner de ces principes et à se rabattre sur des pratiques qui leur permettraient tout au moins de fournir l'essentiel des connaissances de la langue aux apprenants.

Inju Tenjoh (2012 : 13) présente une vue authentique des situations d'enseignement apprentissage en classe d'anglais lorsqu'elle écrit :

Grammar is an important part of language learning and the type of teaching method used in the classroom is more of a structural method, which sees language as a complex of grammatical rules which are to be learned. English Language for Francophone Cameroonian Secondary School is made up of four different sections; Section A Grammar, Section B Vocabulary, Section C Reading Comprehension and Section D Writing. Each section is 25% of the whole exam; therefore, they have an equal value. Listening Comprehension and oral production are not skills which are tested; therefore, English teachers do not spend time providing listening and oral tasks. The irony here is that, Listening Comprehension and Oral interaction are part of the skills stated on the national school curriculum but since these skills are not tested both in national and class exams for Francophone learners of English,

some teachers have turned to neglect these skills in some schools in Cameroon.13

Sa conclusion concernant la méthodologie appliquée par les enseignants en cours d'anglais est sans équivoque:

13 La grammaire est une partie importante de l'apprentissage des langues et le type de méthode d'enseignement utilisée dans la salle de classe est plus une méthode structurale, qui voit la langue comme un ensemble de règles grammaticales qui doivent être apprises. L'anglais pour l'enseignement secondaire francophone au Cameroun est constitué de quatre sections différentes ; la section A grammaire, la section B vocabulaire, la section C lecture et compréhension et la section D rédaction. Chaque section vaut 25% de l'ensemble de l'examen ; par conséquent, ils ont une valeur égale. Compréhension et production orale ne sont pas évaluées ; par conséquent, les professeurs d'anglais ne passent pas de temps à dispenser les cours d'écoute et production orale. Ironie du sort, la compréhension et l'interaction orale font partie des compétences indiquées sur les programmes officiels, mais étant donné que ces compétences ne sont pas évaluées dans les examens officiels et dans les classes intermédiaires de section francophone, certains enseignants les ont simplement ignorées.

31

The communicative approach of learning, which is stated in the Cameroon national curriculum of

English for Francophone Secondary Schools, is not what is actually practiced in the classroom14.

Nkwetissima cité par Inju Tenjoh pense que :

English language teaching in Cameroon is `a matter of teacher, talk and chalk and course books; some of which are not adapted to the learners' needs'15

Théoriquement, les enseignants sont censés utiliser l'approche communicative pendant les leçons d'anglais mais dans la pratique ils appliquent la méthode structurale. Et bien qu'ils se réclament n'être que des facilitateurs, ils sont en fait au coeur de l'apprentissage.

Au-delà de ce constat qui s'applique aussi au lycée d'Ebolowa, nous avons pu réaliser au cours de notre enquête que 39.29 % des élèves affirment que leurs enseignants dispensent le cours en utilisant exclusivement l'anglais comme le prescrit la norme institutionnelle tandis que 60,71 % des apprenants affirment que leur enseignant utilisent alternativement l'anglais et le français au cours d'anglais s'écartant ainsi de la même norme.

Ces écarts entre la norme prescrite et les pratiques observées en situation d'enseignement-apprentissage en cours d'anglais sont non seulement un signe palpable qui démontre qu'il faille s'attarder un tant soit peu aujourd'hui sur la question des méthodes didactiques à adopter pour enseigner cette langue mais aussi une preuve d'un malaise dans l'apprentissage de l'anglais qu'Essossomo (2013 :90) assimile en partie au représentations négatives et à l'absence de motivation.

Two main psychological factors hinder the implementation of CLT16 in the English classroom in Cameroon high schools namely: students' negative attitude towards English and their lack of motivation to learn English.

A large scale of French-speaking learners in Cameroon tends to adopt a disquieting,

nonchalant and uncaring attitude towards learning English (Sibarah 1999).17

L'une des questions sera justement d'examiner comment ces représentations influent sur l'apprentissage.

14 L'approche communicative, qui est censée être l'approche didactique autorisée dans l'enseignement de l'anglais dans le sous-système francophone n'est réellement pas pratiquée dans les salles de classe.

15 L'enseignement de l'anglais au Cameroun est une question d'enseignant bavardage craie et livres de cours, dont certains sont inadaptés aux besoins des apprenants.

16 Communicative language teaching

17 Deux principaux facteurs psychologiques entravent la mise en oeuvre de la CLT en classe d'anglais dans les établissements secondaires du Cameroun à savoir: l'attitude négative des élèves envers l'anglais et de leur manque de motivation pour apprendre l'anglais.

Un grand nombre d'apprenants francophones au Cameroun a tendance à adopter une attitude déconcertante, nonchalante et désinvolte envers l'apprentissage de l'anglais ( Sibarah 1999) .

32

3.5. L'échantillon

Pour mener notre enquête nous avons sélectionnés 28 élèves au sein de l'établissement. Certains critères visant une certaine objectivité ont guidé nos choix. Quatre élèves ont été sélectionnés par classe sur la base du volontariat. Chaque groupe de quatre devait être constitué de deux élèves ayant obtenus une moyenne supérieure ou égale à 10/20 au cours des quatre premières séquences pédagogiques et deux autres ayant obtenus une moyenne inférieure à 08/20 dans le même espace de temps. Nous nous sommes également arrangé à ce que tous les niveaux du secondaire soient représentés. Ainsi avons-nous choisi les élèves des classes de : 6e A ; 5e B ; 4e A ; 3e E2 ; 2ndeAllemand ; 1ère A4Espagnol ; Tle A4 Allemand. Les élèves dont l'âge est compris entre 11 et 23 ans choisis sans distinction de sexe ou d'origine sont tous régulièrement inscrits au Lycée d'Ebolowa. De cet échantillon nous avons obtenus 14 filles et 14 garçons représentant 08 des dix régions du Cameroun repartis comme suit : Adamaoua dans le septentrion (01) ; Centre (06) ; Est (01) ; Littoral (01) ; Nord (01) ; Nord-ouest (01) ; Ouest (02) ; Sud (15).

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Tableau 2 : Données sociolinguistique des élèves enquêtés

 

Nom et Prénom

Age

Classe

Région d'Origine

Région Père

Région mère

L.M. Père

L.M. Mère

L.M.

sexe

1

Lydie Sandra

20

TA4 All

Sud

Centre

Sud

 

Bulu

Bulu

Fem

2

Jean Stéphane

11

5e B

Sud

Sud

Sud

Bulu

Bulu

Bulu

Masc

3

Jr Journel

15

3e Esp2

Sud

Sud

Sud

Bulu

Bulu

Bulu

Masc

4

David Boris

20

TA4 All

Sud

Sud

Sud

Bulu

Bulu

Bulu

Masc

5

Sabina Raïcha

18

1ère A4Esp1

Sud

Etranger

Sud

Fang

Bulu

Bulu

Fem

6

Samuel Loti

16

2nde A4All

Sud

Sud

Sud

Bulu

Bulu

Bulu

Masc

7

Lyne Gael

16

2nde A4All

Littoral

Littoral

Littoral

Basa'a

Banen

Français

Fem

8

Carine Raïna

14

3e Esp2

Sud

Sud

Est

Bulu

Mesime

Bulu

Fem

9

Thierry

23

TA4 All

Centre

Centre

Centre

Ewondo

Ewondo

Français

Masc

10

Steve David

14

4e All

Sud

Sud

Sud

Bulu

Bulu

Bulu

Masc

11

Justine

12

5e B

Ouest

Ouest

Ouest

Fe'efe'e

Ngomala

Ngomala

Fem

12

Remi

16

2nde A4All

Nord-ouest

Nord-ouest

Nord-ouest

Awing

Awing

français

Masc

13

Stéphie A.

12

5e B

Sud

Sud

Sud

Bulu

Bulu

Bulu

Fem

14

Marie

14

4e All

Est

Est

Centre

Maka

Ewondo

Bulu

Fem

15

Hyacinthe

13

5e B

Centre

Centre

Centre

Eton

Ewondo

Ewondo

Masc

16

Louise L.

15

1ère A4Esp1

Sud

Sud

Centre

Bulu

Eton

Eton

Fem

17

Marc Eric

14

4e All

Centre

Centre

Centre

Eton

Manguissa

Eton

Masc

18

Lysie Janice

15

2nde A4All

Sud

Sud

Sud

Bulu

Bulu

Français

Fem

19

Hans

16

3e Esp2

Sud

Centre

Sud

Ewondo

Bulu

Bulu

Masc

20

Charles Patrick

18

1ère A4Esp1

Adamaoua

Adamaoua

Sud

Baya

Bulu

Bulu

Fem

21

Jovanie Dérine

13

4e All

Sud

Sud

Sud

Bulu

Bulu

Bulu

Fem

22

Sarah Louise

12

6e A

Centre

Centre

Centre

Basa'a

Basa'a

Basa'a

Fem

23

Valian

13

6e A

Sud

Sud

Sud

Fang

Bulu

Bulu

Fem

24

Aloys Davy

19

1ère A4Esp1

Centre

Centre

Centre

Ewondo

Ewondo

Ewondo

Masc

25

Basile

21

TA4 All

Sud

Ouest

Sud

Bagangte

Bulu

Bulu

Masc

26

Hamadou

15

6e A

Nord

Extreme-nord

Nord

Foulbé

Foulbé

Foulbé

Masc

27

Loïc Franck

14

6e A

Ouest

Ouest

Ouest

ngomala

ngomala

ngomala

Masc

28

Josiane Iris

13

3e Esp2

Centre

 

Centre

 

Bene

Bene

Fem

34

3.6. Méthode d'enquête de terrain

Notre démarche bien qu'elle se fonde sur la méthode qualitative est en réalité une démarche mixte qui combine la méthode qualitative et la méthode quantitative dans une même étude. Selon Creswell et Plano Clark (2006 : 5) une recherche par méthode mixte est

a research design with philosophical assumptions as well as methods of inquiry. As a methodology, it involves philosophical assumptions that guide the direction of the collection and analysis of data and the mixture of qualitative and quantitative data in a single study or series of studies. Its central premise is that the use of quantitative and qualitative approaches in combination provides a better understanding of research problems that either approach alone.18

Nous avons opté pour cette méthode pour deux raisons. D'une part, les données que nous allons chercher à cerner sont des données dissimulées sous la forme de discours épilinguistiques et de pratiques langagières. Ce sont des données verbales non quantifiables et subjectives. D'autre part, nous aurons recours aux techniques quantitatives de compte, de classification et de statistiques et de figures pour rendre compte des phénomènes observés dans cette recherche. Cette approche nous a donc paru plus complémentaire.

3.7. Technique et outils de collecte de données

Il existe plusieurs techniques et outils de collectes de données liées aux méthodes qualitatives

et quantitatives. Celles que nous avons utilisées pour notre enquête sont de trois ordres :

- L'observation participante

- L'administration d'un questionnaire

- L'entretien.

3.7.1. L'observation participante

L'observation participante est une technique de collecte de données issue de l'anthropologie.

« Ce type d'enquête consiste à réaliser des observations en participant soi-même aux situations authentiques qui les produisent, en contextes spontanés, hors de toute situation explicite et formelle d'enquête. Selon le degré de connaissance du terrain et d'insertion dans la communauté observée, les modalités de l'observation varient, progressant par paliers successifs vers une participation accrue et directe aux échanges. »

Blanchet et Bulot (2011:17)

le chercheur opère par immersion, il est dans le terrain de l'action. Ce qui lui permet d'avoir accès à des informations masquées pas toujours disponibles et de bien comprendre le

18 Un modèle de recherche basé sur des hypothèses philosophiques autant que sur des méthodes d'enquête. En tant que méthodologie, il repose sur des hypothèses philosophiques qui orientent la collecte, l'analyse et le mélange des données qualitatives et quantitatives dans une seule étude ou d'une série d'études. Son principe central est que l'utilisation d'approches quantitatives et qualitatives en combinaison fournit une meilleure compréhension des problèmes de recherche que chaque approche utilisée individuellement.

35

fonctionnement d'un système de l'intérieur. Nous avons mené une collecte à base d'observation participante dans la classe de Seconde Allemand pour nous rendre compte de la manière dont les élèves interagissent en classe de langue et surtout pour voir dans un processus discursif quelles sont les techniques qu'ils utilisent au quotidien dans leur expression de la langue anglaise. En seconde, la version anglaise d'un extrait du poème d'Homère « The Odyssey » (traduit en prose) avait été lue en classe. Dans cet extrait Ulysse un chef grec et ses hommes sont emprisonnés par un monstre géant à oeil unique dénommé le Cyclope. Convaincu que ce monstre mangeur d'hommes finira par les manger tous, Odysseus va imaginer un plan pour échapper au monstre lui et ses hommes. A la fin de cette leçon de lecture et compréhension du texte, il a été demandé aux élèves de préparer pour la prochaine leçon une histoire de monstre populaire dans leur culture et de la raconter en classe. Les histoires de monstres produites par quelques élèves ont été enregistrées et analysées comme corpus. Quelques-unes de ces histoires sont retranscrites à la partie annexe de ce travail. Nous devons dire qu'au cours de cette opération nous avons adopté deux postures : d'une part la posture de l'observateur participant interne et d'autre part celle de l'observateur clandestin. La posture de l'observateur participant interne se justifie par le fait qu'avant d'être chercheur, je suis déjà enseignant dans cette institution. Le cours de ce jour nous a donc servi de moyen pour collecter nos données. L'observation clandestine quand à elle consiste à observer le terrain sans en informer les acteurs concernés. En effet, nos élèves n'avaient pas été informés au préalable de l'enregistrement ou de la collecte de leurs histoires. Cela peut poser un problème éthique mais nous avons voulu éviter que les élèves changent de comportements et cherchent soit à plaire, soit à se replier sur eux-mêmes et se taire comme c'est souvent le cas dans des situations semblables. Cette posture nous a donc permis d'obtenir les données de la manière la plus naturelle qu'il soit.

3.7.2. Le questionnaire d'enquête sociodidactique

L'autre outil que nous avons utilisé pour réaliser cette recherche est le questionnaire. Le questionnaire est l'instrument avec lequel le sociolinguiste collecte les données auprès de la communauté linguistique. C'est un outil très important car il lui permet de recueillir les données de manière systématique.

Le questionnaire qui nous a servi d'instrument principal de collecte de données est un questionnaire structuré comportant des questions ouvertes et des questions fermées. Nous nous sommes inspirés du questionnaire proposé par Nathalie Auger dans son article les représentations de la langue et de son apprentissage : une question interculturelle. Le

36

questionnaire est sectionné en quatre parties : 1) les informations générales 2) les langues en présence, 3) les représentations et 4) l'apprentissage. Pour

- Les informations générales nous renseignent sur les origines des enquêtés leurs âges et leurs langues maternelles

- Les langues en présence. Dans cette partie du questionnaire il s'agit d'explorer quelles sont les langues qui font partie de l'univers sociodidactique des apprenants il est également question de dégager les contextes dans lesquels ils font usage de ces langues ainsi que leur perception de l'utilité ou de l'inutilité de celles-ci.

- Les représentations. Dans cette section, nous utilisons le célèbre test des mots associés de Geneviève Zarate pour élucider les représentations de la langue chez nos apprenants. Dans cette même section les apprenants sont invités à s'auto-évaluer en disant ce qu'ils peuvent réaliser avec les langues qu'ils apprennent. Les deux dernières questions de cette section concernent spécifiquement l'évaluation du niveau d'anglais et les problèmes que les apprenants rencontrent en pratiquant l'anglais.

- L'apprentissage en classe d'anglais. Cette partie fournit des informations sur les situations d'apprentissage. Elle renseigne sur le nombre d'élèves, les langues employées pendant les leçons d'anglais, les préférences des enseignants et des apprenants sur ces langues, les compétences visées par l'apprentissage. Les exercices traités, les attitudes vis-à-vis des autres langues au cours d'anglais.

Dans l'analyse, cela permettra d'évaluer la place et les représentations des autres langues d'analyser l'anglais en regard des autres langues pratiquées.

Ce questionnaire a fait l'objet d'un pré-test avant d'être administré véritablement entre le 08 et le 15 du mois d'avril. Quelques difficultés de compréhension notées chez nos élèves lors du pré-test nous ont contraints à les assister au moment du recueil des données. C'est ainsi que nous les avons regroupés à chaque fois par quatre dans la même salle afin de pouvoir expliquer ce que signifiait chaque question. Autre difficulté que nous avons rencontrée avec le questionnaire c'est la capacité des apprenants à exprimer à l'écrit des qualificatifs pour dire comment ils trouvent les langues qu'ils pratiquent. Cette situation nous a amené à murir un stratagème qui leur permettrait de réagir de manière plus spontanée. Nous avons alors pensé à organiser des entretiens avec les enquêtés.

37

3.7.3. L'entretien

Parmi les techniques de collectes de données des méthodes qualitatives on compte l'entretien. L'entretien est un moment d'interaction particulier qui met en relation un intervieweur et un ou des interviewés. Il existe plusieurs types d'entretiens mais nous avons opté pour l'entretien semi-directif qui s'articule autour d'un thème bien précis et qui utilise une grille d'entretien où sont listées des questions précises. Les entretiens que nous avons eus avec nos élèves entre le 25 avril et le 03 mai dans une salle de classe au lycée d'Ebolowa ont porté sur les langues apprises à l'école y compris la langue maternelle. Il s'agissait en fait d'explorer les images que les apprenants se font de ces langues et des pays (ou des localités) où l'on parle ces langues, des personnes originaires de ces pays, des lieux, des événements et des célébrités qui appartiennent à ces pays. Nous aurions pu limiter ce travail à la langue anglaise qui est la langue concernée par notre recherche mais sur le conseil de notre encadreure nous avons étendu ce travail aux langues en contact avec l'anglais. Cette astuce vise à dissimuler l'objectif réel de cette investigation aux interviewés afin qu'ils n'adoptent pas un comportement artificiel qui pourrait obstruer l'enquête. La grille d'entretien comportait ainsi des questions sur les images de la langue maternelle de l'interviewé, les images du français, de l'anglais et de l'espagnol ou de l'allemand. Nous y avons également inclus trois questions sur la perception collective du bilinguisme au Cameroun. Les séances d'entretien collectif étaient enregistrées par la caméra de notre ordinateur que nous prenions le soin de disposer à une distance raisonnable de manière à filmer les 04 à 06 interviewés de chaque groupe. Au rang des difficultés rencontrées pour réaliser ces entretiens nous pouvons citer les contingences liées aux emplois de temps des apprenants. Il ne nous a pas été facile de pouvoir les regrouper compte tenu des emplois du temps et du rythme assez frénétique des cours en cette fin d'année scolaire. En plus, l'impossibilité de trouver un espace adéquat libre au sein de l'établissement nous a poussé à conduire nos entretiens dans les salles de classes, subissant alors les nuisances sonores des classes voisines. Lesquelles nuisances sonores ont un peu altéré la qualité de nos enregistrements. Néanmoins grâce à l'utilisation de certaines fonctions du logiciel Audacity un logiciel d'édition audio, nous avons pu rendre audibles les parties altérées.

38

3.7.4. L'Analyse des données

L'analyse des données est une étape essentielle dans une recherche en sciences humaines. Elle présente les données collectées sous forme thématique comme une description du comportement du point de vue des personnes interrogées et vise une certaine objectivité dans l'interprétation des données qualitatives et quantitatives. Notre analyse de données s'est faite en partie de manière manuelle du fait que nous ne disposons pas encore de connaissance suffisante dans l'utilisation de logiciels d'analyse de données. Cependant, nous utilisions le logiciel Excel dans la limite de nos connaissances pour nous faciliter certaines opérations. Notre démarche d'analyse de données a suivi les étapes suivantes: - Le dépouillement des données

Il consiste en la transcription, la catégorisation et la codification des données collectées. ? La transcription

Les données recueillies en observation participante, les notes d'observation sur le terrain et les entretiens enregistrés et filmés sont transcrites.

? La catégorisation

Les réponses sont regroupées par catégories. Les catégories constituées sont prévues en fonctions des hypothèses que nous avons énoncées à l'introduction générale. C'est la catégorisation par déduction. Elle établit les catégories en fonction des réponses attendues. ? La codification

Il est affecté à chaque catégorie une série de codes permettant de décrire différents aspects de la question étudiée. Un code est également attribué à chaque extrait pertinent de la transcription.

- L'analyse de contenus

Il s'agira de décrire de manière objective, systématique et quantitative les données dépouillées en vue de leur interprétation.

39

Chapitre 4 : Représentations des langues en présence et observations sur les pratiques langagières en classe de langue anglaise

Dans cette partie de notre recherche nous allons dans un premier temps présenter les résultats de notre étude sur les langues des apprenants : les langues de leur environnement, l'usage qu'ils font de ces différentes langues, et quelles places elles occupent dans leur univers sociodidactique. Ensuite, nous observerons les pratiques langagières des apprenants, pour rendre compte de la réalité plurilingue dans leur habitus. Cette présentation globale des langues en présence nous permettra de déduire quelle est la place de l'anglais dans l'univers linguistique des apprenants en rapport avec les autres langues en présence particulièrement avec la langue maternelle et la langue première. Pour rendre compte de tous ces phénomènes nous allons nous baser sur l'exploitation des 24 questionnaires individuels et 03 entretiens collectifs impliquant 15 élèves collectés entre avril et mai 2016. Nous nous appuierons également sur des données collectées en observation participante pendant une séance de cours en classe de seconde allemand ainsi que d'extraits de productions écrites issues de l'évaluation de la deuxième séquence passée le 16 Novembre 2015 en classe de 3e Espagnole2 auprès de nos élèves. En ce qui concerne les questionnaires, seuls les questionnaires administrés aux apprenants des classes de 6e A, 5e B, 4e All, 3e EspII, 2nde All et 1ère EspI ont été finalement retenus, les questionnaires des classes terminales ayant été rejetés pour n'avoir pas été complétés. Cette partie présente ainsi une vue complète des résultats engrangés que nous allons faire suivre d'explications et d'interprétations. C'est donc à la fois une présentation globale structurée des résultats obtenus au cours de notre recherche et un bilan particulier des deux sections dont la première traite des représentations des langues en présence et la seconde des observations sur les pratiques langagières en classe de langue anglaise.

4.1. Les représentations des langues en présence

Les représentations sociales dont nous parlerons concernent les langues qui font partie de l'univers sociodidactique des apprenants c'est-à-dire les langues qu'ils pratiquent en famille ou dans leurs communautés respectives, dans les lieux publics et les langues qu'ils apprennent à l'école. Selon une nomenclature en vigueur dans les lycées et collèges on distinguera les langues classiques ou langues mortes, les langues mixtes, les langues vivantes 2, les langues

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nationales et les langues officielles. Cette nomenclature pour le moins expansive nous permettra en fin de compte d'appréhender la place qu'occupe l'anglais dans les représentations des élèves. Mais il faut déjà souligner que nous accorderons plus d'importance ici à deux groupes : les langues nationales et les langues officielles.

4.1.1. Les langues classiques

Depuis l'année scolaire 2011-2012, les lettres classiques (latin et grec) ont été réinstaurées dans l'enseignement des langues au Cameroun de façon obligatoire dans les classes de 6e, en faveur d'une réforme qui instituait l'approche par les compétences comme norme pédagogique d'enseignement au secondaire. Au lycée d'Ebolowa, les élèves de classe de 6e apprennent le latin depuis la mise en application de cette décision.

Le latin est une langue ancienne qui partage une longue histoire avec les langues romanes telles que l'espagnol, le portugais, l'italien, le français. L'institution des lettres classiques comme disciplines obligatoires dans l'enseignement obéit aux objectifs suivants libellés dans le curriculum du sous-cycle d'observation de l'enseignement secondaire (6e, 5e) :

- Contribuer, en liaison avec l'enseignement du français et des sciences humaines, à la formation de l'individu et du citoyen par l'accès, pour le plus grand nombre d'élèves, au très riche héritage linguistique et culturel gréco-romain.

- Favoriser la formation des spécialistes des disciplines littéraires et des sciences humaines.

- Permettre de comprendre l'importance du monde gréco-romain dans notre culture politique, historique, morale, littéraire et artistique, philosophique et juridique. Ces langues permettent par ailleurs de

- prendre conscience du fonctionnement des systèmes linguistiques et renforcent l'apprentissage raisonné du lexique en langue maternelle.

- Elles contribuent enfin à l'acquisition de compétences intellectuelles grâce à la diversité des exercices qui structurent leur enseignement. La traduction et le commentaire des textes grecs et latins permettent : De se situer dans l'histoire et comprendre les événements et les idées d'aujourd'hui ; De mieux maîtriser les formes de discours ; De former la capacité à argumenter et à délibérer par l'approche des modes de pensée antiques politiques, pédagogiques, religieux et philosophiques.

Sarah, Valian, Loïc et Souleymanou quatre élèves de 6e que nous avons soumis au questionnaire reconnaissent le latin parmi les langues apprises à l'école depuis bientôt une année scolaire.

4.1.1.1. Représentations du latin dans les usages

Latin : discipline scolaire

Le dépouillement des questionnaires Section II Question2 (S.II Q.2) révèle que le latin est simplement une discipline scolaire ; une langue enseignée qui n'est pas d'usage dans les activités de la vie quotidienne chez les apprenants.

Latin : langue-support d'apprentissage du français

La question n°3 porte sur l'importance de la langue :

« Complétez le tableau suivant par des informations correspondantes :

Langues apprises à l'école/ années/importante ?/ Pourquoi »

A la question de savoir si le latin est important tous les quatre apprenants répondent « oui » mais seuls deux élèves préciseront pourquoi. Et les deux apprenants sont unanimes : « pour être/rendre fort en français ». Pour eux cette langue apparait comme l'instrument qui permet de renforcer leur apprentissage du français.

4.1.1.2. Représentation du latin par le discours épilinguistique

Latin : langue utilitaire mais exigeante

La question3 de la Section III du questionnaire : « Comment trouvez-vous chacune des langues que vous pratiquez à l'école ? Ecrivez cinq mots dans le tableau ci-dessous pour qualifier chacune d'elle » nous a permis d'obtenir les occurrences de mots associés suivants parlant du latin : Bénéfique, beau, difficile (2), intéressant, bizarre. Les termes utilisés pour caractériser le latin dénotent la valeur économique de la langue. Elle est « bénéfique » en d'autres termes on en tire profit du fait qu'elle sert de support pour apprendre le français. Mais on retrouve également parmi les mots associés le mot « beau » qui exprime une valeur esthétique allusion probable à la structure classique et à sa richesse littéraire. A l'opposé, les termes comme « bizarre » et « difficile » sont révélateurs de toute la complexité de cette langue dans son apprentissage. Si le latin est une langue utile dans les représentations des élèves, elle reste quand même une langue qu'ils jugent très exigeante dans l'apprentissage. Les termes utilisés pour caractériser le latin peuvent ainsi être repartis sur une axiologie positive et négative avec quatre vocables positifs soit 66,67% contre deux négatifs soit 33,33%.

Axiologie

 

Positif

Négatif

 

1.

Etre/Rendre fort

 

Mots associés

2.

Bénéfique

1. difficile

 

3.

Beau

2. bizarre

 

4.

Intéressant

 

Total

 

04

02

Pourcentage

 

66,67%

33,33%

41

Tableau 3 : Répartition des mots selon une axiologie positive ou négative

42

4.1.2. Les langues mixtes

Au Cameroun, deux langues mixtes rivalisent d'adresse avec les langues officielles et les langues nationales. Il s'agit du pidgin-English camerounais et du camfranglais. Tandis que le pidgin English est principalement utilisé dans la partie anglophone du Cameroun et les grandes cités comme Douala, Yaoundé et Bafoussam, le camfranglais est de plus en plus parlé dans tous les milieux de la partie francophone du pays. C'est sur cette langue que nous voulons porter notre intérêt dans cette partie.

Le Camfranglais ou francamglais est une langue composé du français de l'anglais du pidgin English et des langues camerounaises. Certains situent son origine dans les milieux urbains de Douala mais il est plus probable que cette langue soit née au milieu des années 80 dans les établissements scolaires du pays (lycées et collèges). C'est du moins ce que pense Féral (2003 :587) lorsqu'il dit qu'

il serait sorti du cercle restreint dans lequel il évoluait pour devenir le symbole identitaire d'un groupe plus large, composé non seulement `adolescents et de jeunes adultes sortis du circuit scolaire mais aussi d'élèves et d'étudiants.

Le camfranglais se caractérise par une structure phrastique à base de français à laquelle viennent se greffer différents mots d'anglais de langues camerounaises et du pidgin English. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle certains lui préfère l'appelation « francamglais » qui informe sur la structure de la langue plutôt que celle de « camfranglais » qui elle informe sur la `camerounité' de cette langue. Le camfranglais se parle de plus en plus dans tous les milieux bien qu'en situation de conversation informelle. Cette tendance de la langue à devenir véhiculaire s'explique sans doute du fait que les jeunes collégiens et lycéens des années 80 soient devenus des gestionnaires de la vie publique du pays aujourd'hui et ne se soient lassés d'utiliser ce parler qu'ils pratiquaient autrefois à l'école avec les copains. Le camfranglais demeure encore très présent dans les établissements scolaires de nos jours. Au lycée d'Ebolowa nous n'en avons pas retrouvé la trace de façon explicite dans nos différentes données collectées c'est-à-dire qu'aucun élève interrogé ne mentionne le camfranglais comme une langue qu'il pratique. Mais de façon implicite, nous avons retrouvé sa trace dans le discours des apprenants dans le corpus recueilli au cours de l'observation participante.

Le camfranglais : langue prohibée et langue cryptique

L'attitude des élèves qui consiste à ne pas énumérer de façon explicite ce parler au nombre des langues qu'ils pratiquent peut se justifier par le fait que cette langue soit très réprouvée en

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milieu scolaire et indexée par certains enseignants comme responsable de la baisse du niveau de français et d'anglais.

Voici un usage de cette langue que nous avons pu identifier au cours d'une observation participante. C'est un échange entre l'élève qui décrit un monstre et le professeur qui l'encourage à le faire.

Observation. Participante. 1-12 (désormais OBS. P.)

1. Teacher : The name is...

2. Student1 : My name is Student1. The Monster in my village is AKPARA/àkpàrá /

3. Teacher: Where is your village located?

4. Student1 : in départment de la Menoua.

5. Teacher : In Menoua division. That's what we say in English. So the monster in your village is Akpara is that?

6. Student1 : Yes sir.

7. Teacher : How is Akpara ?

8. Student1 : He bok /b?k/ a mask.

9. Teacher : He bok ? What is bok?

10. Class: [rire des élèves...quelques-uns chuchotent «francamglais»]

11. Student1 : [fait un signe de la main sur la figure]

12. Teacher : Not bok, wears. He wears a mask.

L'élève utilise le mot camfranglais «bok» /b?k/ au lieu de « wear »pour dire « porter, revêtir » en anglais. Plus loin il dira :

13. Student1: He has long fingers. He shake very good.

14. Teacher: what is "shake"?

15. Class: [rire des élèves] dance...

16. Teacher: He dances very well. Is that all?

17. Student1 : No. Euh...He is very what.

18. Teacher : He is very....

19. Student1 : What...blanc

20. Teacher : He is light-skinned. We say he is light-skinned.

De même ici l'apparition inconsciente de lexèmes « shake » pour dire « danser » et « what » (de l'anglais-white) pour dire « homme blanc ou très brun» dans ces passages démontrent que cette langue mixte fait partie de l'univers langagier de nos apprenants et que c'est la conscience de sa prohibition qui justifie qu'elle ne soit pas citée parmi les langues par eux pratiquées. Elle devient alors une langue du maquis, langue cryptique utilisée exclusivement en situation de communication informelle entre élèves en milieu scolaire.

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4.1.3. Les langues vivantes 2

4.1.3.1. Les Langues vivantes 2

Les langues vivantes 2 (LV2) sont des langues étrangères dont l'enseignement est autorisé dans les établissements scolaires du pays et qui ne bénéficient ni du statut de langue officielle ni de celui de langue nationale (ou maternelle). La langue étrangère (LE) se caractérise par son degré d'étrangeté qui s'exprime en termes de

- distance matérielle (éloignement entre le pays d'apprentissage et le pays d'origine de la langue, difficulté à accéder dans le pays de la LE etc.),

- distance culturelle : écart entre la culture des apprenants et la culture des locuteurs natifs de la LE

- distance linguistique : système d'écriture, structure syntaxique etc.

Au Cameroun les langues traditionnellement désignées comme langues vivantes II sont l'allemand, l'arabe et l'espagnol. Toutefois, depuis les années 2000 on a pu remarquer que d'autres langues ont été autorisées par le Ministère des enseignements secondaires parmi lesquelles l'italien et le chinois. Les LV2 sont enseignées à partir de la classe de 4ème où les élèves doivent les choisir en option. Ceux des élèves qui continueront au second cycle dans les séries littéraires les apprendront jusqu'en classes terminales tandis que ceux qui opteront pour les séries scientifiques n'apprendront pas de LV2 au second cycle.

- Objectifs de l'enseignement des LV2

L'objectif pédagogique de l'enseignement des LV2 est d'amener l'apprenant à pouvoir communiquer, à l'écrit comme à l'oral, selon les situations de communications en une langue autre que les langue officielles (français et anglais). Mais l'objectif général est de permettre aux jeunes de se mouvoir dans un monde qui se globalise. Il peut se traduire à divers points de vue.

- Du point de vue culturel : se familiariser avec la culture que cette langue véhicule et s'enrichir de ce que cette culture a de différent. C'est le cas de l'espagnol et de l'allemand. - Du point de vue Politique : l'introduction de la LV2 constitue un argument de renforcement des relations de coopération avec le pays parlant la LV2. Le cas de la Chine et de l'Italie. - Du point de vue stratégique : l'enseignement d'une langue peut permettre d'atteindre un objectif tactique bien précis. C'est le cas de l'arabe qui est largement enseigné dans les établissements du Cameroun septentrional, une zone fortement islamisée.

Le quota horaire hebdomadaire d'enseignement des LV2 est de trois heures.

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Au lycée d'Ebolowa, trois langues vivantes sont enseignées : l'allemand, l'espagnol et le chinois. Dans notre échantillon seuls l'espagnol et l'allemand sont représentés par les élèves issus des classes de 4ème All, 2nde All, 3ème Esp II et 1ère Esp I. Quatre élèves par classe soit seize élèves.

4.1.3.2. Les représentations des langues vivantes

4.1.3.2.1. Les représentations de l'allemand

Les élèves germanisants que nous avons questionnés sont ceux des classes de 4ème All et de 2nde All. Les questionnaires administrés aux huit élèves de ces classes révèlent que l'allemand n'est pas une langue usuelle. Elle est simplement une langue enseignée. Pour les élèves de quatrième, elle représente une année d'apprentissage tandis que pour la seconde il s'agit de trois années quand il n'y a pas eu redoublement.

4.1.3.2.2. Représentations de l'allemand dans les usages

L'allemand : discipline scolaire

L'allemand est une langue pratiquée exclusivement en classe de langue allemande. Pour 25% des élèves que nous avons questionnés, elle permet de « répondre aux questions des évaluations » et de communiquer avec les enseignants d'allemand.

L'allemand : langue de rencontre et d'ouverture à la culture germanique

Pour 60% de germanisants que nous avons soumis au questionnaire, l'allemand donne la possibilité de s'exprimer face aux allemands ou aux personnes qui parlent allemands. C'est aussi une langue qu'il faut connaitre en prévision de l'obtention éventuelle d'une bourse d'étude ou d'un voyage en Allemagne.

L'allemand langue minorée

L'allemand apparait pour à peu près 15% des germanisants interrogés comme une langue sans grand impact social : « peu de personnes la parle ».

4.1.3.2.2.1.Représentations de l'allemand par le discours épilinguistique

Les représentations sur l'allemand sont plus plus intéressantes lorsqu'elles s'expriment par les mots associés à l'allemand: difficile, compliqué, simple, intéressante, ennuyeuse, belle, facile, jolie, abordable, magnifique, bien, brutal, mauvais, magnifique, adorable, merveilleux

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On retrouve encore dans ce cas le type d'antagonisme axiologique positif négatif déjà exprimé plus haut par les apprenants de 6e avec le latin.

Axiologie

Positif

Négatif

Mots associés

1. Simple

2. intéressante

3. belle

4. facile

5. jolie

6. abordable

7. magnifique

8. bien

9. adorable

10. merveilleux

1. difficile

2. compliqué

3. ennuyeuse

4. brutal

5. mauvais

Total

10

5

Pourcentage

66,67%

33,33%

Tableau 4 : vocables positifs et négatifs de l'allemand

Deux constats se dégagent de ces données. Le premier est que les termes positifs représentent 66,67% des mots associés et les termes négatifs 33,33%. L'autre constat est que sur les 12 mots qui ont été produits par les élèves du 1er cycle on compte 9 mots positifs (75%) contre 03 mots négatifs (25%) Tandis que sur les 10 mots fournis par les élèves du 2nd cycle pour caractériser l'allemand, 5 mots sont positifs (50%) et les 5 autres sont négatifs (50%).

4.1.3.2.2.2.Les représentations des Allemands et de l'allemagne

A travers les entretiens nous avons également relevé les mots avec lesquels nos apprenants caractérisent les Allemands,et l'allemagne

L'image des Allemands

Les Allemands sont décrits comme racistes et colonisateurs, belliqueux. Ces termes font sans doute allusion à la brutalité dont ont fait montre les colonisateurs allemands vis-à-vis des peuples indigènes d'Afrique. Laquelle brutalité a marqué les esprits au point qu'elle se raconte comme une anecdote dans les villages et dans les documents d'histoire. En effet, les élèves que nous avons questionnés ne peuvent avoir vécu pareilles expériences de façon directe puisqu'ils affirment au cours des entretiens ce qui suit :

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ENT-1., 270-274

270/ Prof : Euh... allemand

271/ Rémi : Je connais quelques villes en Allemagne comme Munchen, Dortmund.

272/ Lysie : Je connais quelques noms comme Berlin.....euh...

273/ Prof : alors vous les connaissez comment ?

274/ Lysie : On nous parle de ces villes en classe pendant le cours.

La connaissance est surtout livresque. C'est sans doute celle-là qui véhicule l'image des

Allemands comme des personnes exotiques généreux et accueillants.

L'image de l'Allemagne

Parlant de l'Allemagne, nos élèves évoquent :

- Les lieux telles que certaines villes - Berlin, Dortmund, Munich, Frankfurt qui sont des villes importantes. Munich et Dortmund sont évoqués pour leur importance au football. Tandis que Berlin et Frankfurt sont surtout connus pour leur portée politique et économique.

- Les patronymes des célébrités du football allemand, Thomas Muller et Tony Kross ainsi qu'une figure politique historique, Adolf Hitler.

- Les événements de l'histoire de l'Allemagne comme la 1ère guerre mondiale et la colonisation. On peut aussi s'attarder sur l'intérêt pour le football avec l'évocation de l'Allemagne qui remporte la coupe du monde 2014

L'Allemagne est globalement perçue comme une grande puissance.

Pour résumer cet examen des représentations de l'allemand chez nos élèves nous pouvons dire qu'elles sont majoritairement positives. En témoignent les mots qu'ils utilisent pour caractériser l'allemand qui sont de l'ordre de 66,67%. De plus, dans les différents champs représentationnels on retrouve des caractéristiques favorables en faveur des Allemands et de l'Allemagne. Les Allemands sont représentés comme des personnes généreuses et accueillantes, leur pays est une grande nation de football avec des footballeurs de renom. Les villes suscités : Berlin, Frankfurt, Munich et Dortmund marquent l'admiration de ce pays que les élèves reconnaissent comme une grande puissance. Néanmoins, ce visage fort positif est terni par les qualificatifs de colonisateur, raciste et belliqueux et le nom Adolf Hitler qui rappellent le passé colonial de l'Allemagne et sa responsabilité dans les deux guerres mondiales. En dépit de ces représentations négatives, nous pouvons dire que l'apprentissage de l'allemand chez nos apprenants est motivé d'une part par l'admiration qu'ils portent au développement de l'Allemagne et d'autre part aux représentations de l'idée d'une rencontre éventuelle avec la culture germanique par le biais d'un voyage ou de relations amicales avec des Allemands.

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4.1.3.2.2.3. Les représentations de l'espagnol

Les élèves hispanisants que nous avons questionnés sont ceux des classes de 3 ème Esp II et de 1ère Esp I Les questionnaires administrés aux huit élèves de ces classes révèlent que l'espagnol n'est pas une langue usuelle. C'est simplement une langue apprise à l'école. Pour les élèves de troisième, elle représente deux années d'apprentissage tandis que pour ceux de première il s'agit de trois années quand il n'y a pas eu redoublement.

4.1.3.2.2.3.1. Les représentations de l'espagnol dans les usages

L'espagnol : discipline scolaire

L'espagnol n'assume pas un rôle de premier plan dans le quotidien des apprenants de cette langue. Elle est simplement reconnue par les apprenants comme langue apprise à l'école. : « Elle me cultive, me permet de réussir », « de réussir à l'école et de suivre les cours » « c'est la deuxième langue »

L'espagnol : langue affective

A la question de savoir quel intérêt ils ont à apprendre l'espagnol (S2 Q3), les réponses chez 25% des élèves tendent vers une affection un amour pour cette langue : « parce que j'aime parler cette langue » ; « C'est pour parler une autre langue »

L'espagnol : langue du plurilinguisme et de l'intercompréhension

L'espagnol apparait à 25% comme la langue du plurilinguisme certains disent l'apprendre « pour le bilinguisme » ou pour « parler une autre langue » d'autres pour augmenter leur champ lexical.

L'espagnol : Langue d'intégration et d'ouverture au monde espagnol

25% des élèves interrogés perçoivent l'espagnol comme une langue qui facilitera leur rapport avec la Guinée équatoriale voisine qui est un pays hispanophone ou l'ouverture et la communication avec le monde espagnol.

4.1.3.2.2.3.2. Les représentations de l'espagnol par le discours épilinguistique

L'image de la langue espagnole mise en mots par les apprenants s'exprime en ces termes : facile, jolie, belle, facile, importante, émerveillant, formidable, passionnant, attrayant, difficile, compliquée, artificielle, agréable, satisfaisante, plaisante. Sur 24 occurrences de

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mots nous avons constatés 10 occurrences de mots produites par les élèves du premier cycle 41,66% et 14 occurrences produites par les élèves du second cycle soit 58,33% de mots pour caractériser l'espagnol. Il existe cependant un contraste du point de vue axiologique. Tandis que les élèves du premier cycle caractérisent positivement cette langue à 100%, chez les élèves du second cycle on retrouve 04 occurrences négatives soit 28,57% et 10 occurrences positives 71,42%. En somme l'image de la langue espagnole mise en mots est à 85,72% positive et à 14,28% négative.

Cycle

Occurrences

Positifs

Négatifs

Elèves du 1er Cycle

10

10

00

1

41,66%

100%

00%

Elèves du 2nd Cycle

14

10

04

 

58,33%

71,42%

28,57

Total

100%

85,72%

14,28%

Tableau 5 : pourcentage des occurrences de l'espagnol

Cette tendance positive des représentations s'est confirmé avec l'entretien collectif mené auprès de trois élèves de 3e Esp II sur les images qu'ils produisent de l'Espagne, de ses locuteurs et des lieux de ce pays. Ces élèves disent connaitre l'Espagne à travers la télévision et les cours d'espagnol :

ENT.3 L91-95

91/ Vous connaissez l'Espagne ?

92/ Tous : oui

93/ Comment vous connaissez l'Espagne, que savez vous de l'Espagne ?

94/ Junior : à la télé et au cours d'Espagnol

95/ Prof : Que savez vous de l'Espagne ?

Les images que se forgent nos apprenants des Espagnols et de l'Espagne se présentent comme suit :

L'image des Espagnols

Les espagnols sont décrits comme des personnes généreuses, non-violentes, douces, des personnes qui aiment l'humour, de grands sportifs et passionnés du football. En revanche, ils sont perçus comme des personnes qui aiment l'alcool.

L'image de l'Espagne

Lorsqu'ils évoquent l'Espagne, nos élèves n'ont d'admiration que pour une seule ville : Madrid. Pour eux c'est la ville de la mode et des loisirs, avec une population dont ils sont

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curieux de découvrir le mode de vie, des constructions et des monuments à visiter, et une histoire qui suscite la curiosité. L'Espagne est présentée comme un pays développé, touristique, pacifique, paisible, et pas trop peuplé. D'un point de vue historique, l'Espagne apparait comme un pays ayant contribué à la colonisation.

En bref, on peut remarquer que les représentations de ces élèves vis-à-vis de l'espagnol, de l'Espagne et des espagnols sont largement positives. Ce sont des gens généreuses, non-violentes, comiques et passionnées du sport qui vivent dans un pays développé, pacifique, bien construit ou ils peuvent exercer leurs activités et jouir des loisirs comme le sport surtout le football. Cette belle image contraste un peu tout de même avec celle d'un peuple qui aime l'alcool et qui a contribué à la colonisation. En dépit de ce contraste on peut déduire que les mots associés aux espagnols et à l'Espagne par nos apprenants traduisent l'enthousiasme et la passion pour cette langue.

4.1.4. Les langues nationales

Pour parler des langues nationales, nous allons nous référer aux langues maternelles de nos enquêtés. Notre échantillon bien que miniaturisé est assez représentatif de la diversité linguistique du Cameroun. Voici à ce sujet la représentation linguistique des langues maternelles de notre échantillon. On peut y constater la présence du français du fait que certains enquêtés nous ont confessé qu'ils avaient le français comme première langue de socialisation.

Langues maternelles

Nombre de locuteurs

Régions d'origine

Représentativité dans
l'échantillon en %

Bulu

11

Sud (10) /Centre (01)

45,83

Basa'a

1

Centre

4,17

Ngomala

2

Ouest

8,33

Ewondo

3

Centre

12,50

Bene

1

Centre

4,17

Eton

2

Centre

8,33

Foulbé

1

Nord

4,17

Français

3

Littoral(01) Centre(01) Nord-
ouest (01)

13,00

Total

24

06

100

Tableau 6 : langues maternelles, nombre de locuteurs et région d'origine de l'échantillon

51

Graphique1: représentation en % des langues
maternelles de notre échantillon

Basa'a

4%

Ngomala

8%

Français

13%

Foulbé

4%

Eton

8%

Bulu

46%

Bene

4%

13%

Ewondo

Le graphique démontre que les locuteurs du bulu représentent 46% de notre échantillon. Cette forte représentativité est un fait qui prouve que nous sommes en zone linguistique bulu. Le choix de nos enquêtés étant basé sur des critères autres que ceux d'appartenance à une communauté linguistique, on peut conclure que cette représentativité dénote de la vitalité de cette langue dans la ville d'Ebolowa. Cette vitalité augmente si on se place en situation de communication endolingue, car comme nous le faisions constater dans un chapitre précédent, Le Bulu fait partie du continuum linguistique Beti- fang auquel appartiennent aussi les parlers Ewondo, Bene et Eton puisqu'il y a intercompréhension entre ces parlers. La vitalité se situerait alors à plus de 46% ou plus précisément à environ 70,83% tandis que les apprenants appartenant aux autres langues en situation de communication exolingue représenteraient 29,17% de locuteurs comme l'illustre cet autre graphique.

Graphique 2: représentation en % des situations
endolingue et exolingue

Beti-Fang;

70,83

Basa'a; 4,17 Ngomala; 8,33

Foulbé; 4,17

Français; 12,50

52

On peut dire au regard de ce qui précède que la configuration de notre échantillon malgré sa taille miniaturisée correspond à la situation sociolinguistique des langues dans la ville d'Ebolowa telle que nous l'avons décrite au chapitre 3 section 1.3.

4.1.4.1.Les représentations des langues maternelles et domaines d'activités

Pour décrire les représentations des langues maternelles chez nos élèves, nous avons cherché à savoir au départ dans quels contextes ils utilisent ces langues dans les situations de la vie courante. Section II, Question2 du questionnaire:

« s'il vous était demandé de classer les langues que vous pratiquez par ordre d'importance et par domaine d'activité, quel classement feriez-vous ? Remplissez le tableau ci-dessous.» Les domaines d'activités représentés sur le tableau : la famille l'école, les services publics, églises et mosquées, marché, sport et jeu, radio et télévision et enfin musique.

En nous référant aux données fournies par les élèves sur chaque première colonne l'enquête révèle ce qui suit :

Langues maternelles : langues familiales

Les langues maternelles se révèlent être des langues familiales. Elles sont reconnues comme telles par 79, 17% des enquêtés. Leur usage est assez considérable dans la famille. Pour les apprenants leur rôle premier est de permettre de s'exprimer en famille : « parler avec mes parents » « causer avec grand-mère » « communiquer avec mes grands parents » « la langue des parents et ça permet de nous exprimer avec ceux qui connaissent » mais aussi de communiquer au sein de sa communauté : « pour entretenir des conversations » « pour mieux m'exprimer ».

53

Les langues maternelles : langues de négoce

Les langues maternelles sont utilisées au marché dans les échanges commerciaux. 16,67% des apprenants admettent qu'ils l'utilisent dans les situations de communication au marché. Il s'agit essentiellement des jeunes locuteurs du bulu et des langues apparentés en communication endolingue. Il faut dire à ce sujet qu'au Cameroun, les populations issues de la Région de l'Ouest (Bamilékés) sont réputées pour être de grands commerçants sur toute l'étendue du territoire. Ebolowa ne faisant pas exception à cette règle générale, il est compréhensible que les situations de communication au marché se fassent en majorité dans une langue autre que le bulu et les langues apparentées c'est-à-dire le français.

Les langues maternelles : langues de culte

A 37,50% les élèves reconnaissent que leur première langue de culte c'est la langue maternelle. Il faut dire ici qu'en marge de certains groupuscules et des musulmans, deux grands groupes chrétiens rythment la vie religieuse à Ebolowa. D'une part les presbytériens de l'Eglise presbytérienne du Cameroun et d'autres part les catholiques romains. Les deux obédiences font un usage régulier des langues bulu et Ewondo. Chez les presbytériens le bulu qui avait été codifié par les missionnaires américains est très usuel (traduction biblique, cantique etc.) De même chez les catholiques l'ordinaire de la messe, la bible etc. ont été traduits par les premiers prêtres indigènes en éwondo. Il y a en effet de cela quelques décennies les écoles missionnaires étaient le véhicule de l'apprentissage des langues nationales. Cette ardeur s'est progressivement estompée cédant le flanc aux langues officielles.

Les langues maternelles : langues de loisirs et des arts

Les langues maternelles sont perçues par les élèves à 12,50% dans les jeux et sport et à 8,33% en musique.

Au final, le tableau se présente comme suit :

54

Graphique 3: Représentation des langues maternelles par
domaines d'activités

79,17

 
 
 
 
 
 
 

37,50

 
 
 
 
 
 

16,67 12,50

 
 
 
 
 
 
 
 

8,33

 

0,00

0,00

 
 

0,00

 

Famille Ecole

service
publique

Eglise Marché Sport/Jeu

Radio /Tv

Musique

On observe à travers ce graphique que les langues maternelles sont principalement langues de la famille. Elles régissent les rapports entre les parents les grands parents et les jeunes. L'autre constat est que l'usage de la langue maternelle dans un domaine d'activité précis semble guidé par l'intérêt que l'apprenant porte pour ce domaine. Ainsi, l'intérêt premier des apprenants qui pratiquent les langues maternelles portent sur la famille, l'église, le marché, le sport et la musique.

Langue maternelle : langue particulière, langue régionale

Au cours de nos entretiens collectifs, les élèves ont reconnu l'importance de parler les langues maternelles mais une grande majorité limite cet usage à des contextes précis :

ENTR-1, 62-71

62/ Prof : ... et le bulu ?

63/ Stéphanie : c'est bien de parler le bulu parce que c'est la langue maternelle de nos parents. Mais nous ne

devons pas parler n'importe où.

64/ Prof : n'importe où c'est où par exemple ?

65/ Stéphanie : A l'Ouest.

66/ Prof : Donc d'après vous vous ne devez pas la parler dans d'autres régions seulement dans votre région ?

67/ Stéphanie : oui monsieur.

68/ Prof : ...et s'il ya des gens de votre région qui vivent à l'Ouest ?

69/ Stéphanie : si on part les trouver là-bas nous pouvons parler.

70/ J-Stéphane : le bulu est important parce que nos parents causent le bulu.

71/ Lysie : Pour moi c'est important de parler le bulu parce que on peut se retrouver dans un village où il y a des

gens qui ne comprennent pas les langues étrangères. Et ce n'est pas important parce que tu ne peux pas aller

55

chercher du travail et t'exprimer en bulu. Parce que le chef de l'entreprise peut être un Basaa et tu devras plutôt

parler français.

ENTR-3, 19-24

19/ Et est-ce bien de parler cette langue partout ?

20/ Josiane : non monsieur

21/ Prof : Pourquoi ?

22/ Josiane : Parce que beaucoup de gens ne comprennent pas.

23/ Junior : Non monsieur. Parce que on peut arriver dans un lieu ou les gens ne parlent pas le bulu et il faut

parler une autre langue pas le bulu parce que tout le monde ne comprends pas ça.

24/ Hans : on ne peut pas parler le bulu partout parce que d'abord tout le monde n'est pas bulu et...et ce n'est

pas évident de commencer à parler sa langue comme ça.

La tendance chez nos élèves est de circonscrire la langue maternelle à la région d'origine, à la famille ou à un contexte particulier. On comprend pourquoi certains contextes tels que l'école les services publiques ou encore la radio/Tv ne font pas partie des contextes d'usage de ces langues.

Langues maternelles : langues identitaires

La perception des langues maternelles par les mots se résume en ces termes : facile, jolie, géniale, original, passionnant, belle, compréhensible, formidable, importante, intéressante, rustique, éducative, bizarre, bénéfique, ennuyeux, bavardage, abstrait, bien, beau, merveilleux, artificielle, compliquée. Un total de 22 mots soit 61 occurrences :

Cycle

Occurrences

Positifs

Négatifs

Elèves du 1er Cycle

40

38

02

1

65,57%

95%

05%

Elèves du 2nd Cycle

21

14

07

 

34,43%

66,67%

33,33%

 

61

52

09

Total

100%

85,25%

14,75%

Tableau 7 : pourcentage des occurrences de mots pour les langues maternelles

On peut observer à partir de ce tableau que les occurrences positives vis-à-vis des langues maternelles sont largement partagées. Les termes pour la plupart traduisent l'admiration pour les langues maternelles et donc un fort sentiment d'appartenance identitaire. Nous avons noté la même tendance au cours des entretiens à travers les termes que les élèves utilisent pour caractériser les locuteurs des langues maternelles. Ils sont : étonnant, gentils, travailleurs, magnifiques, loquaces, vaillants, accueillants, bien, croyants (14 occurrences, 70%). En

56

revanche on retrouve les termes bizarres, sauvages, durs, gourmands contrastent d'avec les premiers (05 occurrences 25%).

On note aussi sur le tableau que les élèves du 1er cycle sont ceux qui expriment le plus d'admiration pour ces langues. Comme si au fur et à mesure qu'on avance dans sa scolarité cet engouement s'estompe.

4.1.5. Les langues officielles

4.1.5.1 Le français

Le français, première langue officielle de nos apprenants est sans doute la langue qui occupe le plus de place parmi les langues pratiquent nos apprenants au quotidien. En effet, à la question 1) Section II

« Quelles autres langues pratiquez-vous ? » (Hormis la langue maternelle), On retrouve le français s'il n'est déjà considéré comme langue maternelle. Le français est la première langue officielle au Cameroun certes, c'est aussi la langue de scolarisation. Dans cette section, nous examinons les différentes images que nos apprenants se font de cette langue.

4.1.5.1.1. Représentation du français dans les usages

Pour comprendre les représentations du français dans les usages nous nous examinerons en interaction la question Q2 S. I de notre questionnaire et les déclarations des élèves au cours des entretiens 1,2,3.

Comme pour le cas des langues nationales, la question était la suivante :

« S'il vous était demandé de classer les langues que vous pratiquez par ordre d'importance et par domaine d'activité, quel classement feriez-vous ? Remplissez le tableau ci-dessous.» Avec comme domaines d'activités représentés : la famille l'école, les services publics, églises et mosquées, marché, sport et jeu, radio et télévision et enfin musique.

Le français : langue de scolarisation, langue maternelle

Si pour 79,17% d'élèves interrogés la langue maternelle est une langue locale, il reste que 13% d'entre eux avouent que le français est la langue qu'ils ont apprise dans le milieu familial dès la prime enfance. Ils sont cependant 20,83% à reconnaitre que le français est la langue avec laquelle ils communiquent en famille. Le français s'impose donc progressivement comme langue de socialisation mais aussi comme langue véhiculaire des populations scolarisées en milieu urbain. Cette situation est en partie favorisée par l'usage du français à

57

l'école comme unique langue d'apprentissage et d'enseignement de toutes les disciplines scolaires. Ainsi, les élèves évaluent à 100% les usages de cette langue en milieu scolaire. C'est la langue qui permet de « communiquer avec les camarades », « m'exprimer, lire, écrire, avoir des conversations à l'école » etc.

Le français : langue d'intercompréhension, langue glottophage

Pour nos apprenants il est impropre de parler la langue maternelle dans certains milieux qui seraient réservés au français et notamment les milieux publiques. Le contexte multilingue de la société camerounaise contribue à renforcer cette vision. En effet les communautés linguistiques exogènes en présence dans la partie francophone du pays doivent recourir à la langue française pour communiquer entre elles, faute de disposer d'une ou de langue(s) véhiculaires d'envergure. Cette vision est exprimée en ces termes par les apprenants :

ENTR-1, 72-73

72/ Prof : Et si le chef d'entreprise est un bulu ?

73/ Lysie : il faut lui parler français parce que c'est un lieu public.

Cet usage du français qui se maintient dans les domaines de la vie public et qui se propage en famille au détriment des langues nationales entraine à coup sur la mort de plusieurs d'entre elles. la véhicularité du français s'exprime dans cette étude par des pourcentages très élevés obtenus dans les domaines des services publiques 100%, de l'école 100%, de la radio et Télévision 100%, et d'autres services tels que représentés sur le graphique ci-dessous.

120,00 100,00 80,00 60,00 40,00 20,00

0,00

Graphique 4: pourcentage d'usage du français par secteur d'activité chez les élèves

100,00 100,00 100,00

83,33 87,50

58,33 66,67

20,83

58

Le français : langue valorisante et prestigieuse

L'importance du français est avérée dans la communauté estudiantine. A la question de savoir si c'est une langue importante (Q3 Sect.II) tous répondent par l'affirmative. Et les raisons sont multiples. Le français est perçu comme une langue de diffusion à large échelle par 27,73% d'enquêtés. Ils pensent qu'elle est « la plus parlée », « la plus courante dans la société », « la plus parlée dans le pays ». 50% perçoivent le français comme un moyen de communication (compréhension et expression) facile. « On communique plus facilement », « pour mieux comprendre », « pour bien m'exprimer en public », « pour une bonne communication ». On peut voir à travers ces réponses, la perception du français comme langue de l'unité nationale et langue de communication internationale. Au niveau national, le français est l'une des langues qui permet à tous les camerounais de communiquer au-delà de la multitude des langues nationales en présence. C'est aussi une langue qui ouvre à la communauté internationale étant donné sa large diffusion dans le monde entier. Le français est langue officielle au Cameroun. La conscience du français comme LO1 ressort dans les images de 09,09 % d'apprenants : «c'est la langue officielle ». En effet, le statut de langue officiel attribué par la constitution de 1996, confère à cette langue une prestance sociale dont les élèves sont conscients. De plus l'usage courant de cette langue dans leur quotidien laisse penser aux avantages qu'elle peut conférer en termes de travail (même si les apprenants ne le disent pas explicitement). 09,09% d'élèves la considère comme une langue affective ils déclarent pratiquer le français « par amour pour la langue » ou encore «parce que j'aime le français » En effet on peut constater à partir du graphique sur le pourcentage d'usage du français qu'il occupe une place importante dans les secteur de loisirs et de divertissement

59

comme la musique, la radio et télévision les sports et jeux. La dernière des raisons évoquée par les élèves pour justifier l'importance du français est que le français est une langue scolaire qui leur permet de faire leurs devoirs et d'apprendre les différentes matières enseignées à l'école.

4.1.5.1.2. Représentation du français par le discours épilinguistique

L'image du français telle que perçue par les élèves à travers les mots s'exprime en les termes suivants : belle, jolie, facile, bénéfique, originale, bien, compliquée, formidable, étrange, bizarre, génial, extraordinaire, simple, intéressante, stupéfiante, mauvaise, laide, ennuyeuse, divertissant, instructive, compréhensible, réussite, bavardage, excellent, magnifique bon, passionnante, naturelle, artificielle.

L'examen des 29 mots associés (70 occurrences) à la langue française montre des représentations en majorité positives à 64 occurrences soit 91,43% et des représentations négatives de 06 occurrences soit 08, 57%. Les termes les plus usités sont ceux qui traduisent l'enchantement : génial, stupéfiante, passionnante, magnifique, excellente. Ces termes qui disent toute l'admiration et l'estime que les apprenants portent pour le français s'accompagnent d'aucuns qui expriment un apprentissage difficile : compliquée, ennuyeuse, laide, bizarre, bavardage...et d'autres qui exprime l'esthétique ou l'affection : jolie, belle, simple, naturelle. Le tableau ci-dessus présente les différentes tendances en soulignant la répartition des occurrences entre les élèves du 1er cycle et ceux du second cycle.

Cycle

Occurrences

Positifs

Négatifs

Elèves du 1er Cycle

42

38

04

1

60%

54,29%

05,70%

Elèves du 2nd Cycle

28

26

02

 

40%

37,14%

02,90%

 

70

64

06

Total

100%

91,43%

08,60%

Tableau 8 : pourcentage des occurrences de mots pour le français

Les entretiens collectifs menés auprès de 15 élèves de l'établissement nous permettent de confirmer cette tendance utilitaire et affective vis-à-vis de la langue française à travers le jugement qu'ils donnent de la France, des français :

ENTR-1, 114-129

114/ Prof : Alors...vous qui connaissez la France, que savez-vous de la France ? 115/ Justine : Je sais que la capitale de la France c'est Paris.

60

116/ Prof : c'est tout ?

117/ Justine : [acquiesce] unnnh.

118/ Prof : c'est tout ce que vous savez, vous ne savez pas comment les français vivent, mangent...

119/ Stéphanie : Ce que je sais de la France c'est que sa capitale c'est Paris et... on tourne souvent les films là-

bas.

120/ J-Stéphane : la capitale c'est Paris et je connais le président.

121/ Prof : ah ! C'est qui le président ?

122/ J-Stéphane : c'est François Hollande.

123/ Lysie : Moi je connais l'ancien Président de la France Nicolas Sarkhozy, l'actuel François Hollande... et

que la capitale de la France c'est Paris. Je sais aussi qu'en France il ya les pauvres, les moyens et ceux qui sont

riches.

124/ Prof : Donc la France est divisée en classes. C'est ça ?

125/ Lysie : [acquiesce en hochant la tête]

126/ Rémi : La France, je sais que sont président c'est François Hollande. Je sais aussi que c'est la France qui va

organiser la coupe d'Europe 2016. Je connais aussi un bon nombre de club français comme l'Olympique de

Marseille, le Paris St Germain, AS Monaco.

127/ Hyacinthe : Je connais la France par la capitale Paris par le président de la République François

Hollande....Et je connais aussi que en France il ya le froid là-bas.

128/ Prof : A tout moment ?

129/ Hyacinthe : non monsieur, parfois.

Chez les élèves la France est connue à travers ses grands noms politiques, ses grandes villes, son climat, son football, mais aussi par son développement, sa population vieillissante et sa cuisine soignée.

ENTR-3, 33-36

33/ Prof : Qu'est-ce que vous savez de la France ?

34/ Hans : Je sais par exemple qu'en France il ya plus de vieux que de jeunes ... et qu'ils ne mangent pas de la

même façon que nous. Chez eux ils ont des règles d'hygiène nous on mange n'importe comment.

35/ Junior : Moi je connais les différentes villes de la France comme Paris, Marseille, Lyon, Bordeaux.

36/ Josiane : je sais que la France est un pays développé.

D'autres images de la France et des français. D'aucunes positives d'autres négatives : Blancs, bonne expression, accent (ton) différent, nasillent, Meilleurs expression que les noirs, Français blancs et noirs originaire d'Afrique, racistes (football), Accueillants, gentils, Maltraitent les noirs qui veulent partir chez eux, Parlent différemment, s'entretiennent, curieux, colonisateur.

Tout compte fait, les représentations du français auprès des élèves du lycée d'Ebolowa sont largement positives. En dépit de quelques termes antagonistes qui augurent le contraire, le français est une langue appréciée pour son utilité sociale et sa valeur esthétique.

4.1.5.1.2 L'anglais

L'anglais est la deuxième langue officielle du Cameroun et bien que la constitution de la République du Cameroun stipule :

« Article 1er

(3) La République du Cameroun adopte l'anglais et le français comme langues officielles d'égale valeur » le français et l'anglais semblent ne pas fonctionner de façon égalitaire. Les représentations de nos élèves en disent long sur cette situation diglossique.

4.1.5.1.2.1.Représentation de l'anglais dans les usages

A la question de savoir, « S'il vous était demandé de classer les langues que vous pratiquez par ordre d'importance et par domaine d'activité, quel classement feriez-vous ? Remplissez le tableau ci-dessous.» on découvre que dans les pratiques quotidiennes des élèves l'anglais n'est présent que dans deux domaines : à l'église 4,17% et en musique 25% comme le représente ce graphique.

Graphique 5: pourcentage des usages de l'anglais par
secteur d'activité

30,00

 
 
 

25,00

 
 
 

20,00

 
 
 

15,00

 
 
 

10,00

 
 
 

5,00

0,00

0,00

0,00

0,00

 
 
 
 
 
 

4,17

0,00 0,00 0,00

25,00

61

L'anglais : langue du culte

A 4,17% l'anglais apparait comme langue de culte. En effet comme le fait remarquer Bitjaa (1993): « Dans les églises (catholiques, presbytériennes et protestantes), la diversification des

62

langues dont le but déclaré est d'atteindre le maximum d'adeptes possible se manifeste à travers l'institution de différents offices religieux dominicaux ». Cette diversification est une explication possible à la présence de l'anglais dans ce secteur d'activité.

L'anglais : véhicule de la culture musicale

L'anglais occupe une place importante dans le domaine de la musique 25%, contrairement à tous les autres domaines où il est quasiment absent. Ceci peut se justifier du fait que certains élèves nous ont avoué qu'ils éprouvent beaucoup d'admiration vis-à-vis de la musique américaine :

ENTR-1, 210

210/ Hyacinthe : L'anglais des américains. Parce que j'ai envie de savoir ce que disent les américains dans les chansons

ENTR-1, 233-239

233/ Prof : vous connaissez des personnes célèbres en Angleterre et au USA ?

234/ Justine : En Angleterre je connais pas. Pour les Etats-Unis : Rihanna, Beyonce...

235/ Prof : Ummmh, vous connaissez seulement les célébrités en musique. Dans les autres domaines, le sport, la

politique l'économie vous ne connaissez personne.

236/ Stéphanie : je ne connais personne.

237/ J-Stéphane : Je ne connais personne.

238/ Lysie : je connais les artistes comme Drake, Rihanna,

239/ Prof : ...Rien que les artistes, en sport, politique rien.

ENTR-3, 69

69/ Junior : pour moi les américains sont des gens qui savent chanter...

Cette valorisation qui est un effet de mode chez les jeunes marque souvent le besoin de s'évader, de rompre avec les us et coutumes et d'intégrer le modernisme. C'est sans doute sa diversité culturelle et la variété de ses rythmes dans la musique américaine (blues, Jazz, Rock n roll, pop rock, rap, hip hop, country, salsa etc.) qui attirent tant les jeunes.

En répondant à la S.I Q.3 du questionnaire : « Complétez le tableau suivant avec des informations correspondantes (c1 : langue apprises à l'école, c2 : années, c2 : importante, c3 : pourquoi ?) » ou encore à la Q5, .: «Quelles sont les activités que vous pouvez réaliser en utilisant chacune des langue ? c1 : langues, c2 : activités» On découvre que les élèves

63

s'accordent tous que l'anglais est une langue importante. La moyenne d'étude annuelle de cette langue par tous les apprenants est de 10 années. Ce qui veut dire qu'ils apprennent l'anglais en moyenne depuis le cours élémentaire 1ère année (CE1). Les raisons et les activités qu'ils évoquent pour justifier l'importance de cette langue nous ont permis d'identifier huit autres représentations de cette langue chez nos apprenants :

L'anglais : discipline scolaire

A l'instar de toutes les langues sus citées, l'anglais est une discipline scolaire dans toutes les classes du secondaire de la sixième en terminale. Le quota horaire hebdomadaire appliqué aujourd'hui est de 3 heures dans toutes les classes du premier cycle et du second cycle scientifique et de 4 heures dans les classes littéraires du second cycle. Notre enquête a démontré plus haut que l'anglais n'est usité chez nos élèves que dans le domaine de la religion et plus encore en musique. Son usage à l'école n'est donc pas véhiculaire. Il y est simplement considéré comme discipline scolaire à l'instar des autres langues étrangères comme l'allemand et l'espagnol, malgré son prestigieux statut de langue officielle. Dans les données que nous avons collectées auprès de nos apprenants, 21,95% d'occurrences désignent l'anglais comme une langue faite pour «... l'école », « ...répondre aux questions en classe », « ...composer19 à l'école », « pour mieux expliquer les exercices ».

L'anglais : langue de contact

L'anglais se présente à 07,32% d'occurrences produites d'enquêtés comme une langue de bienséance, de courtoisie, ou de premier contact avec autrui. Elle nous permet de «...saluer », «...dire aurevoir » « ...échanger avec ceux qui ne comprennent pas français », « ...dialoguer avec les autres ou interpréter ».

L'anglais : langue patrimoniale

17,07% d'occurrences désignent l'anglais comme patrimoine national. L'anglais bénéficie du statut officiel de « langue officielle » qui lui est conféré par la loi fondamentale en son article 1er Alinéa 3 : « (3) La République du Cameroun adopte l'anglais et le français comme langues officielles d'égale valeur. Elle garantit la promotion du bilinguisme sur toute l'étendue du territoire. ». A ce titre il est un des symboles de l'unité nationale. La conscience de cette réalité est perçue à travers l'évocation par les enquêtés de l'anglais comme langue

19 Se faire évaluer.

64

officielle ou encore comme langue du bilinguisme (sous-entendu officiel français-anglais). Ils répondent que : « l'anglais est la langue officielle », « le Cameroun est bilingue », « le pays est bilingue » « l'anglais c'est le bilinguisme ».

L'anglais : moyen de communication et d'expression

L'anglais est aussi simplement perçu comme moyen d'expression qui permet de : « ... m'exprimer en public », « ...parler avec des personnes » « ...discuter ».

L'anglais : langue des opportunités d'emploi

L'anglais est désigné comme la langue qui confère facilement un emploi chez les francophones. 14,43% d'occurrences l'expriment. C'est « la porte d'accès à l'emploi », « ...une langue pour travailler », « ...une langue pour chercher du travail ».

L'anglais : langue de prestige

L'anglais est langue prestigieuse et dont le prestige ne relève pas simplement du fait qu'elle fait partie intégrante du patrimoine national ou encore du fait qu'elle soit la langue des opportunités d'emploi, mais ce prestige relève d'une part aussi du fait de l'usage de cette langue. Parler anglais inspire du respect et de l'admiration. C'est le signe d'une scolarité réussie prônée par l'Etat à travers sa promotion du bilinguisme officiel et la mise en application de celui-ci (pour le moins théoriquement) dans sa politique linguistique éducative. Mais plus encore, le prestige de l'anglais relève de son statut de langue internationale, langue de la technologie et de la science, langue qui ouvre au monde de la modernité. La conscience de cette réalité est perceptible à travers les expressions : « la langue la plus parlée au monde », « une des meilleurs langues du monde ». Les occurrences de l'anglais comme langue de prestige sont de 04,88%.

65

L'anglais : langue de divertissement.

La musique est sans doute le domaine concerné par cette représentation de l'anglais et dont nous avons déjà parlé plus haut.

Perceptions de l'anglais

Nombres d'occurrences

Pourcentage

Discipline scolaire

9

21,95

Communication et expression

12

29,27

Patrimoine national

7

17,07

Opportunité d'emploi

6

14,63

Divertissement

2

04,88

Prestige

2

04,88

Contact

3

07,32

Total

41

100,00

Tableau 9 : pourcentage de perception de l'anglais par les élèves enquêtés

4.1.5.1.2.2.Les représentations de l'anglais par le discours épilinguistique

Toutes ces perceptions de l'anglais qui ont été élaborées sur la base des raisons pour lesquelles nos élèves l'apprennent et sur les activités qu'ils pourraient réaliser avec cette langue contrastent tout de même avec l'abondance des occurrences négatives qu'ils utilisent pour caractériser cette langue. En utilisant la technique des mots associés à la langue, nous avons répertorié 25.mots anglais dont 18 mots positifs et 07 Négatifs :

Difficile, énervant, compliqué, effrayant, intéressant, ennuyeux, incompréhensible, bénéfique, original, amusant, jolie, belle, formidable, abordable, facile, attrayant, superbe, compréhensible, passionnant, bien, excellent, abstrait, belle, plaisant, meilleur. Ces mots ont été utilisée 65 fois, soit 33 (50,77%) de fois de façon positive et 32 (49,23%) fois de façon négative.

Cycle

Occurrences

Positifs

Négatifs

Elèves du 1er Cycle

39

16

23

 

60%

24,62%

35,38%

Elèves du 2nd Cycle

26

17

09

 

40%

26,15%

13,85%

 

65

33

32

Total

100%

50,77%

49,23%

Tableau 10 : pourcentage des occurrences de mots pour l'anglais

66

Dans cette évaluation des perceptions de l'anglais chez nos apprenants, la proportion d'occurrence des termes négatifs qui représentent 49,23% et qui laissent une majorité relative aux termes positifs est caractéristique des difficultés qu'éprouvent ces apprenants à apprendre une langue. Nous avons voulu en savoir davantage en examinant la perception qu'ils ont des pays où l'on parle anglais, des locuteurs de ces langues et des lieux et événements y relatifs.

Les entretiens collectifs que nous avons eus avec nos apprenants nous ont permis de savoir quelles perceptions ils avaient de l'Angleterre et des Etats-Unis ainsi que des lieux, des personnes et des événements de l'histoire de ces pays. Ces perceptions révèlent des informations objectives et beaucoup d'autres informations qui s'appuient sur des stéréotypes ou des préjugés. Entendons par stéréotype au sens énoncé par Légal (2005) : « Les stéréotypes sont des croyances, des représentations mentales qui constituent des connaissances (parfois erronées) sur les caractéristiques des groupes sociaux qui nous entourent. »

Les représentations de l'Angleterre et des Etats-Unis

On peut voir à travers les extraits ci-dessous quelles sont les représentations des élèves vis-à-vis de l'Angleterre :

ENTR-1., 211-217

211/ Que savez-vous de l'Angleterre?

212/ Justine : Que sa capitale c'est Londres et que là-bas il ya une reine.

213/ Prof : Et le Etats-Unis ?

214/ Justine : Il ya un président... sa capitale c'est Washington...et certaines villes. Il y a New York, Miami et

Los Angeles. Santiago, Chicago.

215/ Stéphanie : Je sais qu'en Angleterre il ya la reine. Elle s'appelle Victoria. Son fils est marié il est

footballeur.

216/ Lysie : Je sais qu'en Angleterre il ya une grande horloge et que cette horloge sonne à chaque heure.

217/ Rémi : je connais un certain nombre de villes en Angleterre comme Londres, Norwich. Ce qui est des Etats-

Unis je connais Washington, Chicago, Los Angeles. Je sais aussi que le président s'appelle Barack Obama.

ENTR-2., 138-146

138/ Prof : vous connaissez l'Angleterre et les Etats-Unis ?

139/ Lyne : l'Angleterre est un pays bien, un pays d'affaires, rigoureux et sévère.

140/ Prof : sévère dans quel sens ?

141/ Lyne : par exemple au travail, si le travail commence à 8 heures il faut être à l'heure sinon on te renvoie.

142/ Prof : et les Etats-Unis ?

143/ Lyne : je sais pas...

67

144/ Sarah : selon les informations que j'ai eu c'est que là bas il ya des hommes qui se marient avec des chats. Et le maire aussi signe l'acte de mariage.

145/ Prof : vraiment ? Vous avez vu ça où ?

146/ Sarah : Ma soeur et moi avons vu ça sur internet.

ENTR-3., 64-66

64/ Junior : L'Angleterre j'ai entendu parler mais dans l'histoire. Pendant la 2e guerre mondiale ils ont eu le radar qui a permis de vaincre l'Allemagne.

65/ Hans : Je connais les USA dans le développement et également dans l'histoire. Pendant la guerre ils vendaient les armes aux européens et ils sont entrés en guerre quand l'Allemagne a bombardé leur navire et leur entrée en guerre à changé les choses en faveur des alliés. L'Angleterre est un pays riche qui fait aussi partie de l'histoire de l'indépendance du Cameroun. Sur l'aspect éducatif il a beaucoup rapporté au Cameroun.

66/ Josiane : Les USA ont mis fin à la 1ère guerre mondiale. C'est la première puissance mondiale et un pays développé. L'Angleterre me fait penser aux pays qu'ils ont colonisés.

L'Angleterre suscite une image positive par sa capitale « Londres », la « reine » d'Angleterre, « Big ben » la grande horloge, les « affaires » les principes » la « rigueur », son rôle dans la deuxième guerre mondiale, son niveau de développement « pays riche ». Mais son image se lit aussi sur une axiologie négative avec la mention de la zoophilie officialisée « là bas il ya des hommes qui se marrient avec des chats. Et le maire aussi signe l'acte de mariage », de l'Angleterre pays colonisateur.

Nos apprenants connaissent moins les Etats-Unis : sa capitale « Washington », le « président », sa contribution décisive aux côtés des forces alliées dans la recherche de la victoire pendant la deuxième guerre mondiale », ses villes sont les quelques éléments qu'ils mentionnent.

Représentations des locuteurs de l'anglais

Ces représentations portent davantage sur leur idiolecte, leurs comportements et leurs loisirs. Ainsi :

-Les anglais « parlent vite ». Leur idiolecte ou façon de parler est presque toujours comparé à celui des camerounais. « Ils parlent couramment », « leur anglais est différent de celui des camerounais où il ya le pidgin », ils « whitisent /waitiz/ » (pour dire qu'ils parlent à la manière des blancs-white- en anglais). Au-delà de l'élocution, les anglais passent pour des gens flegmatique et pacifique du point de vue comportement :

68

ENTR-3., 68,69.

68/ Hans : A mon ... Les anglais sont des gens posées, simples.

69/ Junior : ... Les anglais sont posés. Visiblement ils n'aiment pas les problèmes.

A contrario les américains sont caractérisés très négativement :

ENTR-1.,232

232/ Hyacinthe : Ce que je sais des américains c'est qu'ils aiment faire la guerre.

ENTR-2., 147-152

147/ Etienne : ce que je sais des Etats-Unis c'est que ils aiment faire la guerre.

148/ Prof : Quel idée vous avez des anglais et des américains ?

149/ Lyne : l'homme américain est hypocrite.

150/ Richard : l'homme américain il aime la bagarre...

151/ Sarah : l'homme américain aime se faire voir...l'anglais, aucune idée.

152/ Etienne : l'homme américain il aime trop porter plainte.

ENTR-3.,

67/ Prof : Parlons des anglais et des américains...Comment vous les trouvez ?

68/ Hans : A mon avis les américains sont des gens agressifs. Il aime la guerre, la drogue, en fait les mauvaises

choses. Les anglais sont des gens posées, simples.

69/ Junior : pour moi les américains sont des gens qui savent chanter. Ils sont aussi agressifs. Les anglais sont

posés. Visiblement ils n'aiment pas les problèmes.

70/ Josiane : Les américains j'aime leur façon de tourner les films. Les anglais....[silence]

L'image de l'Américain est fortement négative même si d'un autre côté on lui reconnait des talents en art (musique, cinéma). Ces jeunes n'ont jamais vécus avec des Américains et ils reconnaissent eux-mêmes que la plupart des images qu'ils se font de ces pays sont véhiculés par les médias. Le cinéma américain qui y occupe une place importante, diffuse souvent des images très violentes de justice et d'injustice. De plus, ces vingt dernières années, la diffusion des guerres menées par les troupes américaines à travers le monde avec des images bouleversantes et parfois choquantes ne sont certainement pas passées inaperçues aux vues de nos apprenants.

Représentations des célébrités et lieux à visiter

En termes de célébrités et de lieux à visiter, les villes célèbres aux Etats-Unis : San Antonio, Washington, Miami, et surtout New York connu pour ses gratte-ciels sont citées. Les célébrités les plus connues sont aussi américaines artistes-musiciens : Rihanna, Beyonce,

69

Drake. Sportifs : London Donovan, Michael Jordan, L'Angleterre plus connue à travers ses joueurs de football est assez mal connue dans sa géographie des villes. Seul Londres et son clocher Big ben sont cités.

4.1.5.1.2.3. Conscience des variétés d'anglais Chez les apprenants

Les entretiens collectifs nous ont donné de constater qu'il existe chez les apprenants une conscience de la variation dans l'anglais. Cette conscience de la variation est surtout perçue sur un axe géographique étant donné que la différenciation des variétés répertoriées par les élèves se fonde sur les pays. Pour la majorité, l'anglais camerounais c'est l'anglais tel qu'il est parlé par les camerounais etc. Il en existe néanmoins qui perçoivent que l'anglais parlé par les camerounais peut aussi être l'anglais britannique, la variété officiellement enseignée dans les établissements scolaires, mais ils sont minimes. A la question de savoir, « A votre avis quel est la variété que vous utilisez, l'anglais des Anglais, l'anglais américain ou l'anglais camerounais ? » Neuf élèves (60%) affirment qu'il s'agit de l'anglais camerounais, quatre (26,67%) disent y reconnaitre l'anglais britannique et deux (13,33%) sont indécis. Cette différence, ils semblent la situer sur deux facteurs : le débit de parole et le contenu des énoncés. Le débit de parole des anglais et américains parait trop rapide pour eux tandis que dans l'anglais camerounais ils perçoivent des éléments du pidgin-English :

ENTR-1., 218-221

218/ Prof : D'après vous comment sont les anglais et les américains ?

219/ Justine : Ils parlent couramment leur langue. Et que leur anglais et notre anglais n'est pas la même chose.

220/ Prof : Quel est la différence ?

221/ Justine : dans notre anglais on ajoute le pidgin.

ENTR-1., 228-229

228/ Stéphanie : Les anglais, ils parlent couramment leur langue mais ils Whitisent20 /waitiz/ souvent. 229/ J-Stéphane : Ils parlent vite. On ne peut pas comprendre ce qu'ils disent. Les américains aussi. 230/ Lysie : Ce que je sais des anglais c'est qu'ils parlent bien leur langue.

231/ Rémi : Ce que je sais des anglais et des américains c'est qu'ils parlent couramment.

20 Ce mot signifie parler comme un homme blanc (de l'anglais «white »). Usité en camfranglais un parler des jeunes lycéens et collégiens.

Graphique 6: pourcentage de perception des variétés
de l'anglais

70

Anglais Cam;

60

50

40

30

60

Anglais Brit;

26,67

20

10

Neutre; 13,33

0

Anglais Am; 0

70

Anglais Cam Anglais Brit Anglais Am Neutre

Quand ils sont interrogés sur la variété qu'ils préfèrent les choix que les élèves opèrent se font en fonction des motivations. Nous en avons identifié six que nous avons libellé sous les étiquettes "compréhension, vie scolaire, projet de voyage, identitaire et art.

Raisons de compréhension : ils sont six (40%) à préférer l'anglais camerounais et deux (13,33%) l'anglais britannique parce qu'ils estiment ces variétés plus faciles à appréhender. Raisons scolaires : Deux apprenants (13,33%) préfèrent l'anglais britannique et un apprenant (6,67%) l'anglais camerounais parce qu'ils perçoivent que c'est la variété qui est enseignée dans les écoles depuis le primaire et qui leur permet de mieux apprendre.

Projet de voyage et études : Deux élèves (13,33%) évoquent la préférence de l'anglais britannique en prévision d'un éventuel voyage en Angleterre.

Raison identitaire : Un seul apprenant affirme sa préférence pour la variété camerounaise parce qu'elle est camerounaise (6,67%).

Raison artistique : un apprenant (6,67) préfère la variété américaine pour dit-il pouvoir décoder les musiques américaines qu'il apprécie.

Nous pouvons représenter ces données sous forme de tableau comme suit :

71

 

VARIETE PREFEREE

ARGUMENTS

Anglais Cam

Anglais Brit

Anglais Am

Total

Compréhension

06

02

 

08

 

40%

13,33%

 

53,33%

Scolaire

01

02

 

3

 

6,67%

13,33%

 

20%

Projet

 

02

 

02

 
 

13,33%

 

13,33%

Identitaire

1

 
 

1

 

6,67%

 
 

6,67%

Art

 
 

1

1

 
 
 

6,67%

6,67%

Total

8

6

1

15

 

53,34%

39,99%

6,67%

100%

Tableau 10 : Préférences des variétés d'anglais chez les élèves

Graphique 7: préférences de variétés d'anglais
chez les élèves

Am; 6,67

39,99

Angl;

53,34

Cam;

Lorsque nous observons les graphiques et le tableau ci-dessus, on en vient à la conclusion selon laquelle il n'existe pas un grand écart entre la perception des variétés et les préférences des apprenants. Un facteur qui devrait contribuer à faciliter l'apprentissage.

4.1.5.1.2.4.Perception du niveau de compétence d'anglais

Nous avons demandé à nos apprenants à travers le questionnaire et les entretiens collectifs comment est-ce qu'ils perçoivent leur niveau d'anglais

72

S.III Q.6 : « S'il vous était demandé de dire honnêtement quel est votre niveau d'anglais, où vous situerez-vous ? Excellent ,
· très bien ,
· bien ,
· assez bien ,
· passable ,
· médiocre ,
· faible ,
· très faible ,
· nul
»

Des 24 questionnaires nous avons reçu des réponses qui se résument comme suit :

Echelle de perception compétence

Nombre d'élèves

Excellent

1

Très bien

1

Bien

8

Assez bien

1

Passable

5

Médiocre

3

Faible

2

Très Faible

2

Nul

1

Total

24

Tableau 11 : Echelle de perception des compétences

Graphique 8: perception du niveau de compétence des apprenants questionnés

10

0

8

6

4

2

Nombre d'élèves

Les entretiens collectifs passés auprès des quinze élèves sont plus modestes et se présentent comme suit :

Echelle de perception de compétence

Nombre d'élèves

Assez Bien

2

Passable

5

Médiocre

5

Faible

3

Total

15

Tableau 12 : Echelle de perception de compétence

Graphique du niveau de compétence des
apprenants interviewés

Nbre d'élèves

4

6

3

2

0

5

1

73

Assez Bien Passable Médiocre Faible

Il faut rappeler ici que l'une des variables de notre échantillon était les performances des élèves aux évaluations d'anglais. Dans chaque classe nous avions sélectionné quatre élèves dont deux censés avoir obtenus une moyenne supérieure ou égale à 10 lors des quatre premières séquences pédagogiques et deux autres censés avoir obtenus une moyenne inférieure ou égale à sept. Logiquement les résultats devraient se situer autour de 50% pour chaque échantillon. Ce qui est le cas de l'échantillon des élèves interviewés.

4.1.5.1.2.5.Représentations de l'apprentissage Castelotti (2002) affirme que :

les études en classe montrent régulièrement l'existence de cultures de communication de classe (Beacco 2001), cadrées par des routines et des habitus scolaires, partiellement construits sur des représentations plus ou moins partagées entre élèves et enseignants des rôles de chacun, des fonctionnements discursifs et autres, et des objectifs d'apprentissage, notamment en termes de compétences linguistiques ciblées dans les langues apprises.

Nous nous sommes intéressé à cette culture de communication de classe, pour savoir comment nos apprenants perçoivent l'interaction entre élèves et enseignants en cours d'anglais et ainsi que les routines et les prescriptions scolaires qui sous tendent ces

pratiques.

- Interactions, routines et prescriptions scolaires

Pour comprendre l'environnement dans lequel s'exerce l'activité d'apprentissage chez nos élèves nous leur avons soumis des questions. Il s'agit de celles figurant dans notre questionaire Q9, 10,16, 17 ; 18, 19, 20. SECT IV. Nous présentons dans cette partie les résultats de leurs réponses.

74

Avant toute chose, rappelons que dans un précédent chapitre nous mentionnions que la norme didactique en cours stipule que le cours d'anglais soit dispensé en anglais. C'est-à-dire « faire penser les élèves directement dans la langue étrangère ». La norme qui présente le monolingue locuteur de la langue cible comme modèle à atteindre est visiblement un phénomène universel qui ne s'applique pas qu'au contexte européen comme le fait remarquer Véronique Castelotti (2002) lorsqu'elle affirme que « l'enseignement des langues reste envisagé le plus souvent sinon sur le mode de la stricte séparation, du moins sur celui de l'ignorance mutuelle, ce qui est renforcé par l'organisation institutionnelle de la plupart des systèmes éducatifs européens qui fonctionnent sur le principe du cloisonnement disciplinaire ». Cependant dans le contexte qui nous concerne, cette norme n'est pas toujours suivie par les enseignants qui recourent régulièrement au français pendant les leçons d'anglais. Sur les vingt et quatre réponses obtenues à la Q. 9b : « quelle(s) langue(s) utilise votre professeur pour vous enseigner l'anglais ? cochez la case », huit élèves (33%) reconnaissent que leurs enseignants utilisent exclusivement la langue anglaise et seize (66,67%) affirment que leurs enseignants utilisent les deux langues officielles. Soit un ratio de deux classes sur six respectant la norme. Cette tendance est compréhensible si on considère les préférences des apprenants à la Q.10 : « Quelle(s) langue(s) aimeriez-vous voir votre professeur utiliser pour vous enseigner l'anglais ? L'anglais - Le français- Autres. Pourquoi ? » . Sur les vingt-et-quatre élèves questionnés, six sont en faveur de l'usage exclusif de l'anglais, cinq élèves optent pour l'usage exclusif du français comme langue d'apprentissage et 13 choisissent l'usage alterné du français et de l'anglais. Aux vues tout ce qui précède, on peut déduire qu'alors que le rapport à la première langue reste perçu par les institutions pédagogiques comme un obstacle à l'apprentissage de l'anglais, dans les représentations des élèves ce rapport est prépondérant à 75%. Ce paradoxe justifie à suffisance l'embarras des enseignants qui, entre la norme didactique et le désir des élèves d'apprendre une langue à travers la première, applique l'écart au prescrit. Si les enseignants peuvent transgresser la norme, Qu'en est-il des élèves ? La question leur a été posée :

Q.16 « Lorsque vous parlez en cours d'anglais le professeur vous autorise-t-il à vous exprimer en une autre langue ? Pourquoi ? » A cette question, nous avons obtenu six "OUI" et dix-huit "NON". Respectivement 25% d'acquiescement à l'usage du français au cours d'anglais et 75% de déni d'usage du français au cours d'anglais. Mais il est difficilement envisageable dans un contexte où 75% d'apprenants sont en faveur de l'usage du français pendant les cours d'anglais que l'apprentissage se déroulent dans les normes prescrites par les institutions et les institutionnels. Nous avons voulu savoir ce qui en advient lorsque l'élève

75

s'écarte de la norme en les interrogeant sur la Q19 suivante : « Si vous parlez votre langue maternelle ou le français au cours d'anglais, comment réagit votre professeur ? » A cette question toutes les réponses obtenues vont dans le sens du rejet de la langue maternelle ou du français : « Il réagit mal », « il vous demande de parler anglais », « il vous insulte », « il se met en colère », « il vous punit », « il se fâche », « il gronde », « il interdit et nous rappelle que nous sommes au cours d'anglais » « il me met dehors ».

L'observation que nous pouvons faire au final est que l'apprentissage de l'anglais en classe se déroule dans une atmosphère très controversée où la norme didactique prescrite est rejetée par les apprenants dans une large majorité et où les enseignants qui perçoivent ce rejet doivent adopter une attitude d'écart aux prescrits pour se faire accepter, tout en exigeant des apprenants qu'ils demeurent dans la norme. Une situation inextricable qui contribue forcément à une construction d'une représentation négative de l'apprentissage de l'anglais.

4.1.6. Les Représentations du bilinguisme

La notion de bilinguisme prête à confusion dans le contexte camerounais. Dans le chapitre 2 de ce travail nous avons abordé la question du bilinguisme en essayant de présenter les différentes étapes qui ont présidé à l'élaboration de ce concept. En substance, le concept a connu plusieurs étapes définitoires : « maitrise de deux langues comme si elles étaient toutes les deux la langue maternelle » selon Bloomfield (1935) ; « le bilinguisme commence lorsque l'individu peut produire des énoncés ayant un sens dans une autre langue que sa langue maternelle. » selon Haugen (1953) ; Pour Weinreich (1953) « est bilingue celui qui possède au moins une des quatre capacités (parler, comprendre, lire, écrire) dans une langue autre que sa langue maternelle. »; D'après (Galisson et Coste 1976 : 69) c'est la « situation qui caractérise les communautés linguistiques et les individus installés dans des régions, des pays où deux langues et plus sont utilisées concurremment ».

Le bilinguisme au Cameroun revêt une acception plus politique qu'individuelle ou sociale. En effet, du fait de l'adoption d'une politique de bilinguisme officielle qui reconnait dans la constitution le français et l'anglais comme langue officielle d'égale valeur, on en vient souvent à oublier qu'au-delà de ces deux langues, il en existe d'autres chiffrées à plus de 250. Tout se passe alors comme si les seules langues existant au Cameroun sont le français et l'anglais. Il existe à ce sujet une expression bien connue chez les camerounais francophones : « le Cameroun est un pays bilingue » qui sonne comme une représentation collective. Nous avons voulu savoir quelle est la perception du bilinguisme chez nos élèves en évoquant cette

76

célèbre maxime au cours des entretiens que nous avons eu avec eux. Une question leur était posée :

ENTR-1., 293, 295.

293/ Prof : ... Est-ce que vous connaissez l'expression le Cameroun est un pays bilingue ? 295/ Prof : ça veut dire quoi quand on dit que le Cameroun est un pays bilingue ?

ENTR-1.,

296/ Justine : C'est parce que on parle le français mais aussi l'anglais.

297/ Stéphanie : Le Cameroun est bilingue parce que on parle l'anglais et parle aussi le français.

298/ J-Stéphane : que au Cameroun on parle français et on parle anglais.

299/ Rémi : Le Cameroun est bilingue parce qu'il parle anglais et français et que lors de la colonisation il y avait

une partie consacrée aux français et l'autre aux anglais

ENTR-2.,

174/ Lyne : Parce que au Cameroun il y a deux langues officielles. Le français et l'anglais qui sont des langues de communication faciles.

175/ Sarah : Le Cameroun est un pays bilingue parce que dans l'histoire, avant que les anglophones et les francophones se mélangent, ils étaient partagés. Il y avait l'anglais d'un coté et le français de l'autre et comme les deux se sont mélangés c'est pour cela qu'on dit que le Cameroun est un pays bilingue.

176/ Samuel : Le Cameroun est un pays bilingue parce qu'on parle l'anglais et le français.

ENTR-3.,

113/ Josiane : Parce que le Cameroun a été colonisé par les français et les anglais et qu'on parle français et anglais au Cameroun.

114/ Junior : Parce que le Cameroun était d'abord deux Etats. Etat français et Etat anglais.

115/ Hans : Pour moi ça renvoie au fait que le Cameroun a deux langues officielles le français et l'anglais et il ne faut seulement s'habituer à parler français alors qu'il y a l'anglais à coté qui fait partie de ns langues officielles.

La notion est transmise aux élèves non pas comme le fait de pratiquer deux ou plusieurs langues, mais plutôt comme le fait de parler le français et l'anglais. En d'autres termes, utiliser le bulu et le français ou encore le bulu,et le duala, ou encore le ngumba et le français sont des attitudes qui ne sont pas tellement perçues comme du bilinguisme. Cette perception du bilinguisme désormais partagée par les élèves est fortement ancrée dans la société camerounaise où elle s'est construite, et se diffuse à partir des textes de lois et des médias officiels et bien sûr à l'école.

77

4.1.6.1.Construction et diffusion des représentations du bilinguisme

Les textes de lois

Les lois à portée linguistique font la part belle aux langues officielles reléguant au second rang et parfois faisant fi de l'existence des langues nationales. Elles contribuent ainsi à construire des représentations qui consacrent une majoration des langues étrangères et à une minoration des langues locales. La loi fondamentale de la République du Cameroun est le cas le plus typique de cet état de chose :

« Article 1er

3) La République du Cameroun adopte l'anglais et le français comme langues officielles d'égale valeur.

L'État garantit la promotion du bilinguisme sur toute l'étendue du territoire.

Il oeuvre pour la protection et la promotion des langues nationales. »

Les médias officiels et l'école

La Cameroon Radio Television (CRTV) qui est l'Office national de radio et télévision du Cameroun est le médium d'Etat. C'est aussi l'un des moyens d'exécution de la politique de bilinguisme énoncée dans la constitution. Dans les usages de cette chaine de télévision et aussi à la radio, les informations qui sont diffusées en français sont reprises en intégralité en anglais. Il en est de même des discours du chef de l'Etat, des conférences de presse et autres événements d'envergure impliquant la vie de la nation. C'est dire que le bilinguisme que prône l'Etat camerounais à travers ses instruments de politique linguistique s'apparente à ce que Billiez (2007) désigne par bilinguisme idéal, définit comme le passage d'un monolinguisme à un autre. Dans le cas du Cameroun, le passage d'un monolinguisme LO1 vers un monolinguisme LO2 ou vice versa. Blanchet parle d'un double monolinguisme. C'est ce type de bilinguisme qui est également prôné dans les écoles, qui cherchent à former des élèves capables de mémoriser une LO1 et une LO2 de façon rigide ou cloisonnée. Or comme nous le verrons plus loin, nos élèves plurilingues pratiquent les langues à la façon des sociétés multilingues en faisant des mélanges et en articulant les langues les unes par rapport aux autres.

En bref, l'image du bilinguisme chez nos apprenants est celle d'un pays où l'on parle deux langues, le français et l'anglais. Cette représentation qui est fortement enracinée dans la société camerounaise est prend sa source dans les textes officiels et est relayée par les médias officiels et l'école. Elle a pour conséquences la majoration des langues étrangères officielles

78

et la minoration des langues nationales d'une part, et d'autre part la promotion d'un bilinguisme rigide qui contraste avec les habitus des sociétés multilingues.

Du recueil des représentations que nous venons d'examiner on peut retenir que les représentations des langues chez nos élèves sont à la fois favorables et défavorables dépendant des rapports sociaux qu'ils entretiennent avec chaque langue ou des avantages qu'ils tirent de chacune d'elle. On retient également qu'il existe chez eux une conscience des variétés de l'anglais et pas des autres langues étrangères (Nous verrons plus loin que ce sentiment est lié au phénomène d'insécurité linguistique). Enfin on a pu relever une perception fortement négative des représentations sur l'apprentissage liée au rejet par les apprenants de la norme didactique qui préconise la stricte séparation des langues, ainsi qu' une perception réductrice du bilinguisme véhiculée par les textes de lois, les médias et l'école qui limitent le bilinguisme à la pratique de l'anglais et du français dans une société où il existe près de 300 langues.

4.1.7. L'anglais en contact avec le français et les langues nationales

La description de l'environnement sociodidactique des élèves que nous avons entrepris plus haut laisse voir que parmi les langues de cet univers le français LO1 et les langues nationales sont celles qui sont assez régulièrement en contact avec l'anglais. Le contact des langues est une situation sociolinguistique dans laquelle un individu ou une communauté linguistique utilise deux ou plusieurs langues. Lorsque nous faisons le rapport des usages de ces trois types de langues nous notons qu'au final le français représente 77% des usages de nos apprenants, les langues nationales représentent 19% et l'anglais 4%. Ces données ce présentent sous formes de tableau et de graphique comme suit :

 

Domaines d'activités

Langues

Famille

Ecole

service
publique

Eglise

Marché

Sport/Je

u

Radio
/Tv

Musique

Langue mat.

19

79,17%

0

0,00%

0

0,00%

9

37,50%

4

16,67%

3

12,50%

0

0,00%

2

8,33%

Français

5

20,83%

24

100%

24

100%

14

58,33%

20

83,33%

21

87,50%

24

100%

16

66,67%

anglais

0

0,00%

0

0,00%

0

0,00%

1

4,17%

0

0,00%

0

0,00%

0

0,00%

6

25%

Total

24

100%

24

100%

24

100%

24

100%

24

100%

24

100%

24

100%

24

100%

79

Tableau 13 : Répartition générale des usages des langues en présence chez les élèves

Graphique 9: Repartition globale des
usages des langues en présence chez les

4%

77%

19%

élèves

Langue maternelles

Français anglais

La coexistence des langues maternelles, du français et de l'anglais attestent que nos apprenants vivent dans un environnement multilingue et qu'ils sont véritablement des sujets plurilingues. On a pu le constater à la Q.1 S.II : « quelles autres langues pratiquez-vous ? » on se rend compte que chaque apprenant de l'échantillon pratique au moins trois langues. Toutefois les langues de leur environnement assument des fonctions inégalitaires dans leur quotidien. Cette situation s'apparente à ce que Fishman (1967) reprenant le terme de Fergusson (1959) a désigné par diglossie. C'est-à-dire « ...toute situation, différente d'une situation de bilinguisme, dans laquelle des langues différentes coexistent sur un même territoire et se partagent des contextes d'utilisation » selon une lecture de Bitjaa (2004 : 45). On assisterait ainsi chez nos apprenants à une double diglossie : Français- anglais et Français langue maternelles. Dans les deux cas, le français se positionne comme une variété haute qui bénéficie de tous les privilèges d'une langue dominante : elle assume toutes les fonctions officielles et sert de moyen de communication à large échelle dans toute la communauté estudiantine. A l'opposé, bien que l'anglais bénéficie du même statut, elle est une langue réduite à partager quelques fonctions sociolinguistiques basiques avec les langues maternelles.

Le contact entre l'anglais et français, l'anglais et les langues maternelles n'a pas qu'une incidence fonctionnelle. Dans le cadre de la didactique des langues qui nous intéresse, on a pu noter en observant une situation d'apprentissage et une situation d'évaluation que la coexistence des langues chez nos apprenants a des conséquences linguistiques, sociolinguistiques et culturelles qui peuvent constituer un atout à la compréhension de leurs

80

représentations et à la motivation de leur apprentissage. C'est l'examen de ces conséquences que nous allons aborder dans cette deuxième partie de ce chapitre.

4.2. Observation des pratiques langagières en classe d'anglais

Avant d'aborder les pratiques langagières proprement dites, il nous parait important de situer le contexte qui a présidé au recueil de ces pratiques. En effet, nous devons avouer qu'après quelques mois de cours passé en M2R, nos représentations de l'enseignement et de l'apprentissage de l'anglais avaient changé car avant cela, nous appliquions la méthode qui préconise l'usage exclusif de la langue enseignée. (cf. section 4.1.5.1.2.5. Représentations de l'apprentissage). Comme tout enseignant soucieux du respect de la norme didactique, il nous arrivait alors d'interrompre les apprenants au cours des leçons d'anglais lorsqu'ils en venaient à s'exprimer en français, allant parfois jusqu'à la punition pour les plus outrecuidants. Finalement nous avons compris que la seule façon de faire émerger les représentations et les pratiques par le discours était de laisser nos élèves s'exprimer à leur guise sans les obliger à s'en tenir à la norme pédagogique qui exige qu'ils s'expriment exclusivement en anglais, mais en ajustant tout de même leurs écarts. Nous avons pensé à un stratagème. Nous avons demandé à nos apprenants de se renseigner auprès de leurs familles et de préparer chacun une histoire sur un monstre mythique (ou réel) connue dans leurs environnements respectifs. Chaque élève devait alors présenter son histoire à la séance de cours suivante. Cet exercice faisait suite à la lecture du poème grec d'Homère traduit en anglais et écrit en prose intitulé "The Odyssey". La section lue en classe racontait l'histoire d'Odysseus (Ulysse), le leader grec qui va à la découverte d'un monstre le cyclope. Le monstre est un géant qui vit de chair humaine et s'abreuve de lait de moutons. Capturé par le monstre, Odysseus (Ulysse) et ses gens doivent monter un plan pour s'en sortir. L'expression de nos élèves au cours de cette leçon est contenue en annexe de ce mémoire sous le titre Observation participante. Pour éviter d'influencer les comportements de nos apprenants, nous avons adopté l'attitude du locuteur masqué c'est-à-dire que nous nous sommes fondu dans la leçon comme enseignant et sans informer nos élèves au préalable de la conduite d'une recherche pour recueillir ces données. Cette leçon nous a donné de constater que nos apprenants pratiquent les langues à la façon des sociétés plurilingues. C'est-à-dire qu'en marge des situations formelles d'apprentissage, les métissages et les mélanges de langues font partie de leur habitus linguistiques. Nous avons réussi à faire émerger quelques uns de ces phénomènes au cours de cette séance d'observation participante et pendant les entretiens. C'est de la lecture de ces différents phénomènes qu'il sera question dans cette section.

81

4.2.1. Analyse de l'interlangue des élèves

L'observation des pratiques langagières en classe de langue anglaise est une étape importante dans notre analyse. Car elle renseigne sur les mécanismes mis en oeuvre par les apprenants dans l'acquisition de la langue et révèle comment l'élève construit son système particulier de langue en situation d'apprentissage de la L2. Ce que les chercheurs ont désigné par interlangue de l'apprenant. En effet, pendant longtemps on a pensé que l'apprentissage d'une L2 consistait en une simple assimilation inconsciente des connaissances de celle-ci. Mais à la fin des années 60, les chercheurs en analyse contrastive remettent en cause cette façon de voir la relation apprentissage/acquisition d'une langue étrangère. Corder (1967)21 le pionnier de ce mouvement, postule à travers l'analyse des erreurs qu'il existe un phénomène de transfert de la langue maternelle sur la langue-cible qui explique que des erreurs soient propres aux non-natifs. Ce principe qu'il désigne sous les appellations de compétence transitoire (1967)ou encore dialecte idiosyncrasique(1971) sera plus tard développé par Selinker (1972)22 qui décrit ce qu'il appelle "interlanguage" comme

a latent psychological structure within which interlingual identifications and the processes and strategies underlying second-language learning are located f...I the latent psychological structure is actived after puberty, whenever an individual attempts to express meaning in a second language.23

Pour Selinker, la langue de l'apprenant est indépendante et de la langue-source et de la langue cible. C'est un système intermédiaire qui a ses propres caractéristiques uniques. Ce n'est pas une langue avec des fautes, des erreurs ou des altérations par rapport à la langue-cible. Elle se distingue de la langue maternelle et désigne une langue apprise à un âge adulte. Selinker énonce la théorie de l'interlangue comme un système résultant de cinq processus cognitifs. (Dewaele 2003 :156):

- Un locuteur peut transférer certains éléments, règles ou sous-systèmes de sa première langue (« language transfer »).

- Il peut également transférer des éléments liés à l'apprentissage de la langue-cible (« transfer of training »).

- Certains éléments dans l'interlangue peuvent être la conséquence de stratégies

d'apprentissage de la langue-cible (« strategies of second language learning »).

21«The significance of the learners' error»

22 "Interlanguage"

23 une structure psychologique latente au sein de laquelle les identifications interlingues et les processus et les stratégies sous-jacentes d'apprentissage de la langue seconde sont situés [ ... ] la structure psychologique latente est activée après la puberté , chaque fois qu'un individu tente d'exprimer le sens dans une deuxième langue .

82

- D'autres éléments dans l'interlangue résultent de stratégies de communication que les apprenants adoptent lorsqu'ils parlent avec des locuteurs natifs dans cette langue-cible (« strategies of second language communication »).

- L'interlangue peut finalement contenir des éléments introduits au travers de stratégies de surgénéralisation de certaines règles et aspects sémantiques de la langue-cible (« overgeneralization of target language linguistic material »).

La notion d'interlangue énoncée dans les années 70 par Selinker regagne de l'intérêt dans les années 90 avec l'apparition du plurilinguisme. Certains chercheurs comme Klaus Vogel cité par Puren (1997) en font le bilan en revenant sur sa définition et ses propriétés. Vogel (1995 :19) définit l'interlangue comme « la langue qui se forme chez l'apprenant d'une langue étrangère à mesure qu'il est confronté à des éléments de la langue-cible, sans pour autant qu'elle coïncide totalement avec cette langue cible. ». Parmi les propriétés qui sous-tendent cette théorie, on distingue généralement : l'instabilité, la perméabilité, la variabilité/la systématicité, la simplification/la complexification.

L'instabilité : l'interlangue est un système instable, qui change tout le temps et qui tend toujours vers la langue-cible. C'est un système évoluant sans cesse vers la langue-cible.

La perméabilité : l'interlangue est un système ouvert qui est affecté à la fois par la langue-source et la langue-cible ainsi que toutes les autres langues pratiquées par l'apprenant.

La systématicité : L'interlangue dispose d'un fonctionnement qui repose sur un système de règles qui constitue la structure interne de la langue. Mais contrairement aux langues naturelles, les règles de ce système ne sont pas stables.

La simplification/complexification : Les sujets qui apprennent une langue étrangère mettent généralement sur pied un système de règles simplifiés par rapport aux règles de la langue qu'ils apprennent. Ces règles se complexifient au fur et à mesure de l'apprentissage.

Fossilisation : désigne le processus d'apprentissage au cours duquel l'interlangue se fige et ne subit plus d'évolution.

L'analyse de l'interlangue de nos élèves révèle que les principales langues qui entrent dans sa distribution sont : la langue maternelle, le français, l'anglais et la LVII (allemand et espagnol mutuellement exclusifs). Schématiquement nous pouvons obtenir deux combinaisons :

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- Interlangue des apprenants du cycle d'observation 6e, 5e qui ne pratiquent pas les LVII

- Interlangue des apprenants de 4e, 3e, 2nde, 1ère, Tle qui pratiquent les LVII

En tout état de cause, l'analyse de l'interlangue est très utile dans le processus d'apprentissage/enseignement. Elle rend compte de la manière dont procèdent les apprenants pour acquérir une langue. Et même si elle ne permet pas une description exhaustive des phénomènes liés à l'acquisition de la langue-cible, elle renseigne l'enseignant sur les erreurs récurrentes et les causes des erreurs chez les élèves qui apprennent la langue-cible afin d'élaborer des stratégies de remédiations adéquates. L'analyse de l'interlangue fait de l'erreur

84

un maillon essentiel de l'apprentissage qui permet d'une part à l'enseignant d'identifier les besoins de ses apprenants et de fixer des objectifs à atteindre pour assurer l'évolution de leur interlangue et éviter sa fossilisation et d'autre part à l'élève d'évaluer le chemin parcouru, de bénéficier d'une certaine autonomie dans la gestion de son apprentissage et de déterminer le chemin qui reste à parcourir.

4.2.2. Les conséquences du contact de langues

Les études sur la coexistence de deux ou plusieurs langues dans un même environnement indiquent que l'alternance codique et le mélange des codes sont deux conséquences majeures de ces phénomènes.

4.2.2.1. L'alternance codique

Gumperz (1982) définit l'alternance codique comme « la juxtaposition à l`intérieur d'un même échange verbal de passages où le discours appartient à deux systèmes ou sous-systèmes grammaticaux différents ».C'est un phénomène du contact des langues qui paraît lorsqu'une personne fait usage de plusieurs langues dans un même énoncé. Pendant longtemps, l'alternance codique a été considérée comme la manifestation du manque de maitrise d'une des deux langues utilisées. Et son emploi en classe de langue comme une pierre d'achoppement à l'apprentissage. De nombreuses recherches menées sur le sujet depuis quelques années ont démontré que cette notion revêtait une importance majeure dans l'apprentissage des langues. Abondant dans ce sens, Maria Causa citée par Sabine Ehrhart (2002) affirme que

la réalité montre que l`alternance codique employée par l`enseignant est une pratique naturelle conforme à toute situation de communication de contact de langues. Cette pratique langagière ne va pas non plus à l`encontre des processus d`apprentissage: elle constitue au contraire un procédé de facilitation parmi d`autres. L`alternance codique doit donc être considérée comme une stratégie à part parmi les stratégies d`enseignement.

Dans le souci de démontrer que l'alternance codique n'est pas un phénomène agrammatical ou aléatoire, Poplack (1980)24 a mené une étude sur le bilinguisme espagnol/anglais chez les portoricains à New York. A l'issue de cette étude, il a élaboré une typologie dite de l'alternance fluide constituée de trois types isolés :

L'alternance extra-phrastique, l'alternance inter-phrastique et l'alternance intra-phrastique.

24 Poplack, Shana (1980) Sometimes I'll start a sentence in Spanish y termino en español: toward a typology of code-switching. Linguistics 18: 581-618

85

- L'alternance extra-phrastique : se manifeste au cas où on introduit les marqueurs du discours, les interjections, des expressions idiomatiques, des proverbes.

- L'alternance inter-phrastique : Elle porte généralement sur des phrases entières et se manifeste généralement à la frontière d'une phrase ou d'une proposition.

- L'alternance intra-phrastique se produit à l'intérieur d'une même phrase.

Poussant plus loin dans sa recherche, Polack se rend compte en étudiant le même phénomène chez les locuteurs d'Ottawa Hull que le procédé d'alternance s'exprime différemment. Plutôt que d'alterner l'anglais et le français de façon fluide et automatique, les français canadiens attirent plutôt l'attention sur l'alternance. Il distinguera ainsi quatre types d'alternance codique de cette nature :

- Alternance de type1 suggère le mot juste

- Alternance de type2 est un commentaire métalinguistique

- Alternance de type3 est une alternance balisée qui attire l'attention sur l'alternance

- Alternance de type4 fournit une explication, répétition, une précision, une traduction.

L'alternance codique est l'un des phénomènes du contact des langues que nous avons observé chez nos apprenants :

Elève 1., 3-12

21. Teacher: Where is your village located?

22. Student1 : in départment de la Menoua.

23. Teacher : In Menoua division. That's what we say in English. So the monster in your village is Akpara is that?

24. Student1 : Yes sir.

25. Teacher : How is Akpara ?

26. Student1 : He bok a mask.

27. Teacher : He bok ? What is bok?

28. Class: [rire des élèves...quelques-uns chuchotent «francamglais»J

29. Student1 : [fait un signe de la main sur la figure]

30. Teacher : Not bok, wears. He wears a mask.

24. Teacher: He dances very well. Is that all?

25. Student1 : No. Euh He is very watt.

26. Teacher : He is very

27. Student1 : Watt...blanc

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Elève 2., 51-52

50. Teacher : You said Flapajou is a big monster with red hair. What about his face. How does it look like?

51. Student2 : He has a mask with the pic...the corne.

Elève 4., 71, 75-77

71. Student4 : The monster of my village is Nkuissier. She is big.

75. Student4 : He is hungry...ugly.

76. Teacher : Hungry or ugly?

77. Student4 : Ugly...laid.

Elève 5.,

86. Student5 : Kembê is a snake the head is cot /c?t/... [rires dans la classe]...cock... la chèvre. [les élèves rient de plus en plus]

87. Teacher : The head is...

88. Student5 : cot and snake...cot cot la chèvre.

89. Teacher : it is goat... goat. The head is goat and the body is snake. Ok.

90. Student5 : He lives das forest.

91. Class: [rires...quelques élèves murmurent]...das c'est déjà l'allemand.

92. Teacher : He lives in the forest.

93. Student5 : He kill the woman when the woman go to find the firewood.

94. Teacher : So the only characteristic of kèmbê is that one part is snake and another is goat.

95. Student5 : Yes, yes, das this. He has four eyes. Four big eyes.

L'observation du corpus ci-dessus révèle que l'alternance codique chez nos élèves concerne le français, l'anglais, le camfranglais et la LV2. Dans les phrases, les élèves introduisent des mots du français, de l'allemand ou encore du camfranglais en alternance avec des mots anglais. Mais le phénomène semble ne pas s'opérer de la même façon avec toutes les combinaisons linguistiques. Tandis que dans les situations anglais/camfranglais et anglais/allemand l'alternance parait fluide, dans la situation anglais/français elle est plutôt balisé. Ce qui nous laisse penser que le phénomène d'alternance codique en classe de langue anglaise est à la fois fluide et balisé.

87

4.2.2.1.1. Alternance Fluide

Poplack (1988 :25) caractérise l'alternance fluide en ces termes :

...l'alternance s'effectue de façon fluide, c'est-à-dire, sans heurt ni transition. L'alternance typique n'est ni précédée ni suivie de pause ni d'hésitation, elle n'est pas une traduction ni une répétition de ce qui la précède dans l'énoncé, et plus important encore, aucun effet rhétorique n'est obtenu par une alternance donnée. Le locuteur n'y attire pas l'attention, et son auditeur n'est donc pas obligé de reconnaître l'alternance ni de la ratifier.

Dans notre corpus nous avons remarqué la présence d'alternance inter-phrastique dans les situations :

Exemples :

Anglais/camfranglais

31. Student1 : He bok a mask.

Elève1: il porte un masque

28. Student1 : No. Euh He is very watt.
Elève1 : Non il euh... il est très brun

Anglais/allemand

90. Student5 : He lives das forest.

Elève5: il vit dans la forêt

95. Student5 : Yes, yes, das this. He has four eyes. Four big eyes

Elève5: Oui, oui c'est ça. Il a quatre yeux. Quatre gros yeux.

Dans l'un et l'autre cas, l'alternance intègre parfaitement la structure syntaxique avec laquelle elle finit par se confondre.

4.2.2.1.2. Alternance balisée

L'observation de notre corpus semble confirmer l'hypothèse de Poplack selon laquelle

afin que l'alternance atteigne son but discursif chez les francophones, il faut qu'elle soit saillante, ou comme nous l'avons qualifiée ailleurs, signalisée ou balisée ('flagged') dans le discours, pour qu'elle ne passe pas inaperçue. Comme sous-produit de cette stratégie, le débit de parole est interrompu à la

frontière de l'alternance, ce qui rend superflue une condition syntaxique de grammaticalité.

Les alternances dans la situation anglais/français sont mises en exergue par un

processus d'insistance ou comme il le fait remarquer par une interruption à la frontière.

29. Student1 : Watt...blanc Elève1 : Blanc...blanc

52. Student2 : He has a mask with the pic...the corne.

Elève2: il porte un masque avec un `pic'...corne.

78. Student4 : Ugly...laid.

Elève4 : laid...laid

86. Student5 : Kembê is a snake the head is cot /c?t/... [rires dans la classe]...cock... la chèvre. [les

élèves rient de plus

Elève5 : Kèmbê est moitié serpent avec la tête de `cot'...[rires dans la classe]...'cock'...chèvre.[les élèves rient de plus en plus]

90. Student5 : cot and snake...cot, cot la chèvre.

Elève5: `cot' et serpent...'cot', `cot' la chèvre.

Les alternances balisées anglais/français se présentent comme un processus du discours au cours duquel les apprenants recherche le mot juste (exemples 52, 86) ou encore tente de répéter, d'expliquer, de préciser ou de traduire un mot. (exemples 29,78, 90).

Dans ce contexte, l'alternance codique ne saurait être comprise comme un manque de maitrise dans l'une des deux langues mais plus comme une stratégie d'apprentissage des langues dans un environnement ou plusieurs langues coexistent. Les élèves en usent pour dire ce qu'ils pensent d'un sujet précis quand ils ne trouvent pas de mots pour exprimer leurs idées dans la langue cible. Elle favorise l'interaction entre professeur et élèves, permet de rompre les silences créés par les classes monolingues et d'éviter les monologues aux enseignants souvent obligés de s'exprimer tout seuls en pareilles circonstances. Les alternances codiques ne sont cependant pas les seules conséquences du contact des langues qu'utilisent les apprenants en classe de langue anglaise. Ils ont également recours aux mélanges codiques.

4.2.2.2. Les mélanges codiques

Les mélanges codiques sont un phénomène ordinaire dans toutes les sociétés où les langues sont en contact. En général le mélange codique renvoie à l'emploie par un locuteur dans sa langue maternelle des mots ou tournures appartenant à une autre langue que celle-ci. Parmi les aspects du mélange des codes on distingue les interférences, les emprunts, le calque, les hybridations, les transferts ce sont ces phénomènes dont nous allons rechercher l'existence dans les pratiques langagière de nos apprenants dans cette autre section.

88

4.2.2.2.1. Transferts et interférences

89

Transferts et interférences sont des notions assez confuses. Toutefois nous essaierons dans cette section de les élucider avant d'examiner à la lumière de notre corpus comment elles s'appliquent à une situation d'apprentissage. Le transfert est un phénomène du langagier qui consiste à transférer des structure d'une langue dans une autre langue. Brezinova (2009 :7) définie le transfert comme « ...la transmission des habitudes langagières d'une langue vers une autre langue ». Le transfert peut être positif ou négatif. On parlera de transfert positif lorsque le transfert s'opère sans erreurs et adhère à la structure de la langue-cible. Par contre, lorsque le transfert provoque des erreurs, on parle de transfert négatif. Le transfert négatif est assimilé aux interférences car il représente une forme erronée de la langue-cible. Hamers et Blanc (1983 :451) définissent l'interférence ainsi : « "Interférence, en didactique de la seconde langue désigne des problèmes d'apprentissage dans lesquels l'apprenant transfère le plus souvent inconsciemment et de façon inappréciée des éléments et des traits d'une langue connue dans la langue cible ».

4.2.2.2.2. Typologie des interférences

Selon la nomenclature de Calvet ( 2009 :11) on peut distinguer trois types d'interférences : les interférences phoniques, les interférences syntaxiques et les interférences lexicales.

- Les interférences phoniques :

Elles se manifestent à l'oral et résultent de systèmes phonétiques et /ou phonologiques différents des deux langues. Elles peuvent aussi être causées par la proximité phonique et sémantique des unités lexicales. On retrouve deux exemples dans notre corpus d'observation participante:

Mot anglais

Erreur relevée

Correction en API

Origine de l'erreur

Eyes

[ai] ou [oej]

[aiz]

Usage de la prononciation française du terme français `oeil' [oej]

en pensant à son équivalent anglais `eye' [ai] ou encore omission de [z] en prononçant [ai] au lieu de [aiz]

Goat

[k?t]

[g?ot]

Usage de la consonne [k]+ voyelle[?] au lieu de [g] + [?o]

Tableau 14 : quelques exemples interférences phoniques anglais-français

- Les interférences syntaxiques

« Les interférences syntaxiques consistent à organiser la structure d'une phrase dans une langue B selon celle de la première langue A ». Ces interférences sont courantes chez nos

apprenants et résultent des structures héritées soit de la langue maternelle soit de la LO1 surtout de la variété camerounaise du français elle-même influencée par les langues maternelles. A titre d'exemple, nous avons remarqué la préférence chez les élèves des constructions possessives probablement issues de leur LM ou LO1 en substitution de constructions copulatives ou transitives plus usuelles en LO2

OBS-P.

Constructions possessives de la LM/LO1 Constructions copulatives/ transitives LO2

41. He has a black body.

Il - constr-poss. - avoir un corps noir He is dark-skinned.

Il a un corps noir Il - Vcop-être- noir

Il est noir /

50. He has a mask

Il - constr-poss-avoir un masque Il a un masque

98. I don't have a monster

Je - constr-neg-poss-avoir un monstre Je n'ai pas un monstre

100. I have Jean Biveusseu

Je - poss - avoir Jean Biveusseu J'ai Jean Bivesseu

111. ...Jean Biveusseu has one foot.

Jean Biveusseu - constr-poss-avoir un pied Jean Biveusseu a un pied

He wears a mask

Il -V trans-porter - un masque

Il porte un masque

I don't know about a monster

Je - neg-Vtrans-connaitre - un monstre Je ne connais pas une histoire de monstre

100. I know about Jean Biveusseu

Je -Vtrans-connaitre - Jean Biveusseu Je connais l'histoire de Jean Biveusseu

111. Jean Biveusseu is one-legged.

Jean Biveusseu - Vcop-être - unijambiste

Jean Biveusseu est unijambiste/estropié/boiteux.

90

Un locuteur natif pourrait considérer ces constructions nominales produites par les apprenants de l'anglais comme erronées mais la réalité est que celles-ci sont porteuses de significations culturelles et sociales comme nous le verrons supra.

- Interférences lexico-sémantiques

Les interférences lexico-sémantiques concernent l'usage des mots apparentés mais qui ont un sens différents d'une langue à une autre. Dans cette catégorie Calvet classe les faux-amis, les néologies et les mots traduits littéralement. Quelques exemples tirés de notre corpus :

OBS-P.

91

16. Student1 : he bok big clothes.

`il s'habille cher'

50. Student2 : He has a mask with the pic...the corne.
`il porte un masque avec une pointe...une corne'

72. Student4 : He is big, black, his hair... he are a rasta. He are hungry.

`Il est grand, noir, ses cheveux...Il a des mèches rasta. Il a faim

74. Student4 : He is hungry...ugly.

`Il a faim.....laid.'

L'observation de ce corpus nous donne de constater les écarts de sens entre certains termes. Ainsi `big' dans la langue cible ne porte plus le sens de `grand' mais plutôt de `cher' ou de `de valeur'. Le mot `pic' est utilisé par l'élève pour désigner la nature pointue de la `corne' alors que ce mot veut dire autre chose en anglais (un type de film). Le terme rasta qui désigne un membre de la communauté rastafari en anglais est utilisé pour désigner le type de coiffure semblable à celle arborée par les personnes de cette communauté. Or le mot juste est dreadlocks ou simplement locks. Enfin la ressemblance entre hungry et ugly joue un mauvais tour à l'apprenant qui se doit de choisir le terme approprié.

- Interférences, société et culture

Une lecture plus profonde de l'interférence chez nos apprenants dévoile que c'est un phénomène biface où l'on retrouve toujours deux aspects l'un linguistique et l'autre social. L'aspect social de l'interférence, qu'on peut appeler culture, est implicite, couvert par l'aspect linguistique. La culture de l'élève s'invite dans la langue sous les traits phoniques, syntaxiques et lexico-sémantique.

- Présence de traits culturels dans le système phonique : elle se révèle généralement dans la manière de prononcer les mots. La prononciation des élèves et (même des enseignants) dans ce contexte est très influencée par l'origine de l'apprenant et surtout par la présence ou l'absence de certain sons dans leurs systèmes phoniques. On remarque par exemple qu'en général les camerounais ne prononcent pas aisément les phonèmes /A/ qu'ils

transforment en /a/ ou /Acents/. Ainsi, les mots `cat'`have' `bad' sont toujours prononcés /kat/

/hav/ /bad/ au lieu de /kAt/ /hAv/ /bAd/. Les langues camerounaises n'admettant pas le son /A/ ce dernier est tout de suite modifié par le plus proche dans le système vocalique. De

92

même, on remarquera entre les anglophones et les bilingues francophones (constat fait au cours de nos observations chez les enseignants) que tandis que les bilingues francophones s'évertuent à prononcer correctement les phonèmes /'/ et /i:/ ou encore la combinaison /??n/,

les locuteurs anglophones les remplacent systématiquement par /a/ ; /i/ et / ??n/. Ainsi, les mots `teacher' `Peter' `imagination' `mission' seront prononcés comme suit :

Mots

Prononciation d'origine

Bilingue francophone

Anglophone

Peter

/p??t?(r)/

/ p??t?r /

/pita /

Teacher

/t??t??(r)/

/ t??t??r /

/tit?a/

Imagination

/?mæd??'ne??n/ /?mæd??'ne???n/

/ imad?i'ne???n /

/imad?i'ne???n/

Mission

/m??n/ /m???n/

/ mi??n /

/mi??n/

Tableau 15 : comparatif des prononciations

A partir de ces éléments, on peut constater que selon qu'on appartient à un groupe social (Francophone/ anglophone) ou à une communauté linguistique on porte avec soi les traits de sa culture dans son discours. Les interférences peuvent permettre de révéler l'identité de l'apprenant.

- Présence de traits culturels dans les structures morpho-syntaxiques

On retrouve aussi les traits culturels dans les structures morphosyntaxiques. A ce sujet, les exemples que nous avons libellés plus haut en parlant de structure syntaxiques sont très édifiants. En effet on peut supposer que la préférence des structures nominales possessives par les apprenants s'explique par le fait que leur langues maternelles accordent plus d'importance aux notions d'appartenance et de possession contrairement à la LO2 dont la préférence pour les structures copulatives semble s'expliquer par l'importance accordée à la description.

Les interférences constituent à côté des alternances codiques l'autre processus majeur de production des conséquences du contact des langues. Mais si l'alternance codique se présente ici comme un phénomène conscient où l'apprenant a l'assurance de l'exactitude de son discours et cherche à le faire savoir ou approuver, l'interférence elle se présente comme un processus inconscient ou l'apprenant ne soupçonne même pas d'erreur dans ses usages.

93

En marge de ces conséquences majeures du contact de langues il en existe de moins visibles mais tout aussi important.

- Les emprunts

On parle d'emprunt lorsque qu'un élément provenant d'une langue-source intègre une langue-cible. Ngalasso (2001) cité par Nzessé dit qu'il s'agit « d'éléments qui passent d'une langue à une autre, s'intègrent à la structure lexicale, phonétique et grammaticale de la nouvelle langue et se fixent dans un emploi généralisé de l'ensemble des usagers, que ceux-ci soient bilingues ou non ». On peut relever dans cette citation deux aspects essentiels : primo, l'emprunt est bien évidemment une conséquence du contact des langues. Secundo, l'emprunt concerne les éléments qui partent d'une langue-source et qui sont reconnus désormais comme appartenant à la langue cible.

Nous n'avons pas trouvé assez de termes de cette nature dans le corpus de nos apprenants. Il est possible que compte tenu de leur niveau d'apprentissage nos élèves ne soient pas rassurés de l'authenticité des termes qu'ils pourraient emprunter au français pour s'exprimer en anglais. On retrouve ce manque d'assurance chez l'élève qui utilise le mot `abandonner' en le prononçant comme un mot français.

OBS-P.

45. Student2 : This monster lives in the forest. The people abandonné the forest.

46. Class:[rires...J

47. Teacher : people abandoned the forest. Why?

Par contre, il existe dans la transcription des ethnonymes et toponymes qui traduisent les réalités locales des communautés dans lesquelles les apprenants vivent et qui intègrent la langue comme telles. Entre autres on peut repérer :

Ethnonymes

Sens

Toponymes

Sens

Akpara

 
 

Un département dans la région de

 

Nom de monstre

Menoua

l'Ouest

Flapajou

 
 

Un arrondissement de la région du

 

Nom de monstre

Zoetele

sud

Kokolo

Nom de monstre

Menyina Un village du sud Cameroun

94

Menguilingui Nkuissier

Kèmbê

Nom de monstre

Nom de monstre Mbankuoup Un village de l'Ouest

Nom de monstre Foumbot Unité administrative dans l'Ouest

Jean Biveusseu

Personne horrible Makak

Un arrondissement de la région du Centre

- Les calques

Les calques sont plus récurrents chez nos élèves. Ils impliquent souvent la traduction mot à mot ou littérale de structures syntagmatique ou syntaxique de la langue source (LM ou de LO1) vers la langue-cible (LO2).

OBS-P.

28. Student1 : When people dance he sow a banana. Banana pousse now now.

29. Class: [rires dans la classe... Certains élève répète `pousse now now now' en riant.]

L'expression "now now now" qui est utilisée par l'élève provient de l'expression `là là là' du français camerounais qui veut dire `tout de suite et sur le champ' . On entend souvent dire :

Je veux mon argent là là là.

Je veux mon argent tout de suite et sur le champ.

Nous avons trouvé quelques exemples de calques dans les quelques copies faisant partie de notre échantillon :

*She loven't not the problems

Elle n'aime pas les problèmes

*My father is the person formidable

Mon père est la personne formidable

- Autres formes d'hybridations

95

Elles consistent en la transformation de mots issus d'autres langues en leur assignant une consonance ou une forme semblable aux mots anglais. Ces formes qui concernent toutes les langues de l'école en contact avec l'anglais s'obtiennent par différentes techniques :

- On cherche à donner une configuration anglaise au terme en conservant son orthographe

- On ajoute un suffixe ou un préfixe de l'anglais à un mot français

- On conserve le mot tel qu'il est et on le prononce en anglais

OBS-P.

28. Student1 : When people dance he sow a banana. Banana pousse now now.

43. Student2 : This monster habité in the forest.

45. Student2 : This monster lives in the forest. The people abandonné the forest.

76. Student4 : Ugly...laid. His clothes are white. He effraying the people in the bosquet.

4.2.3. L'insécurité linguistique

Pour terminer cette partie de notre recherche, nous allons aborder la notion d'insécurité linguistique pour rendre compte de la perception qu'ont les élèves de leur pratique de l'anglais. Mais avant cela nous examinerons de la notion de l'insécurité linguistique. La majorité des recherches effectuées en sociolinguistique situent l'origine de la notion d'insécurité linguistique aux travaux de Labov25 qui étudia en 1966 la stratification sociale des variétés linguistiques chez les newyorkais à partir du phonème /r/. Labov observait l'écart entre ce qu'ils croyaient prononcer et ce qu'ils prononçaient réellement pour en déduire la présence d'une insécurité linguistique. En sus, il remarqua que le sentiment d'insécurité linguistique était plus poussé dans la petite bourgeoisie où les membres s'efforçaient d'adopter les comportements linguistiques des classes dominantes pour faire la différence d'avec d'autres classes. D'autres travaux tels que ceux de Trudgill (1974), qui observe les manifestations d'insécurité linguistique chez des locuteurs féminins de Norwich en Grande-Bretagne ou encore Bourdieu, qui commente et explique promptitude des femmes à adopter la langue légitime, s'en suivront.

Plusieurs définitions ont été attribuées à cette notion. Pour Francard, l'insécurité linguistique est « la manifestation d'une quête de légitimité linguistique, vécue par un groupe social dominé, qui a une perception aiguisée tout à la fois des formes linguistiques qui attestent sa

25 William Labov, The Social Stratification of English in New York City Department Stores, Washington, D.C., Center for Applied Linguistics, 1966, 485 p.

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minorisation et des formes linguistiques à acquérir pour progresser dans la hiérarchie sociale. » (Francard, article « Insécurité linguistique », in Moreau, 1997, pp. 171-172). D'après Calvet (2009 :47) :

« on parle de `sécurité linguistique' lorsque, pour des raisons sociales variées, les locuteurs ne se sentent pas mis en question dans leur façon de parler, lorsqu'ils considèrent leur norme comme la norme. À l'inverse, il y a insécurité linguistique lorsque les locuteurs considèrent leur façon de parler comme peu valorisante et ont en tête un autre modèle, plus prestigieux, mais qu'ils ne pratiquent pas. »

En d'autres termes, l'insécurité linguistique est le sentiment de peur d'être jugé qu'éprouve une personne ou un groupe social lorsqu'elle/il parle, écrit lit ou simplement pratique une langue en situation de communication exolingue. Ce sentiment, nous l'identifions dans le discours épilinguistique tout au long de notre description des représentations des langues en présence et dans les habitus scolaire de nos élèves dans l'observation de leurs pratiques langagières en classe. Il se manifeste à trois niveaux : au niveau global, communautaire et individuel.

- Au niveau global, on peut lire l'insécurité linguistique à travers la dévalorisation du français par rapport à l'anglais. En effet, au cours de notre enquête on a pu remarquer que les élèves bien qu'ils nourrissent plus de représentations négatives pour l'anglais que pour le français, accordent explicitement le statut de langue de communication internationale et de langue d'opportunité d'emplois à l'anglais. Ce qui n'est pas le cas avec le français. Pour eux, le français reste l'hyperlangue au niveau national et l'anglais au niveau international.

- Au niveau communautaire, on a pu constater qu'il existe chez les apprenants une conscience des variétés de l'anglais. Les trois variétés reconnus sont : l'anglais britannique, l'anglais camerounais et l'anglais américain. Dans leur perception des variétés de l'anglais, l'anglais britannique représente la norme linguistique qu'ils ne possèdent pas. C'est un idéal inatteignable pour 46,66%. D'où la préférence de la variété camerounaise par 53,34% des apprenants. Cette préférence est révélatrice d'un autre fait notable au niveau communautaire : la stigmatisation de l'anglais camerounais face à l'anglais britannique. Tandis que l'anglais britannique apparait comme l'anglais du " bon usage", l'anglais camerounais est considéré comme une forme moins légitime stigmatisée pour son mélange d'avec le pidgin-English. Il devient pour les apprenants qui se sentent en insécurité linguistique un refuge identitaire pour d'aucuns et moyen d'accès à une compréhension plus facile de l'anglais pour d'autres.

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- Au niveau individuel, on retrouve la marque de l'insécurité linguistique dans la perception que les apprenants ont de leur niveau de compétence. L'évaluation du niveau de compétence varie selon qu'il s'agit du questionnaire ou de l'entretien. Dans les questionnaires, 33,33% d'élèves évaluent négativement leur niveau de compétence en anglais et 66.67% l'évalue positivement. Au cours des entretiens 46,67% des élèves évaluaient leur niveau de compétence positivement et 53,33% négativement. La surévaluation dans les questionnaires et la dévaluation au cours des entretiens du niveau de compétence dénote un manque d'assurance chez les élèves quant à leur niveau de compétence réel et donc une évidence supplémentaire de l'insécurité linguistique.

Il existe d'autres formes de manifestations de l'insécurité linguistique sur le plan individuel :

- L'hypercorrection

Calvet dit que c'est « croire qu'il y a une façon prestigieuse de parler sa langue implique, si l'on ne pense pas posséder cette façon de parler, qu'on tente de

l'acquérir. » Ainsi, les élèves cherchent à produire des énoncés conformes à la norme

mais s'en éloigne comme nous l'avons observé dans certaines interventions comme dans l'exemple ci-dessous :

86. Student5 : Kembê is a snake the head is cot /c?t/... [rires dans la classe]...cock... la chèvre. [les

élèves rient de plus

Elève5 : Kèmbê est moitié serpent avec la tête de `cot'...[rires dans la classe]...'cock'...chèvre.[les élèves rient de plus en plus]

90. Student5 : cot and snake...cot, cot la chèvre.

Elève5: `cot' et serpent...'cot', `cot' la chèvre.

Les camarades de cet élève rient de lui parce qu'ils comprennent qu'il s'éloigne de la norme tandis que lui s'entête dans une prononciation erronée qu'il estime être la norme. .

- La dépréciation de son propre parler

Les élèves que nous avons interrogés ont une conscience de l'écart qui existe entre la langue qu'ils parlent et le parler légitime (Ang Brit.). L'Angl. Brit. est valorisé à travers l'image que les apprenants se font des locuteurs. Ils parlent vite ; ils parlent couramment leur langue ; ils parlent bien. Ils utilisent d'ailleurs un terme du camfranglais pour le dire de façon original : ils "whitisent"/waitiz/. A l'inverse ils dévalorisent leur idiolecte :

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ENTR-1., 219-220 ; 228-231

219/ Justine : Ils parlent couramment leur langue. Et que leur anglais et notre anglais n'est pas la même chose. 220/ Prof : Quel est la différence ?

221/ Justine : dans notre anglais on ajoute le pidgin.

228/ Stéphanie : Les anglais, ils parlent couramment leur langue mais ils Whitisent /waitiz/ souvent. 229/ J-Stéphane : Ils parlent vite. On ne peut pas comprendre ce qu'ils disent. Les américains aussi. 230/ Lysie : Ce que je sais des anglais c'est qu'ils parlent bien leur langue.

231/ Rémi : Ce que je sais des anglais et des américains c'est qu'ils parlent couramment l'anglais...

- Les silences

Les silences sont une autre manifestation de l'insécurité linguistique chez les élèves. L'élève qui essaye de s'exprimer ne trouve subitement plus de mots et arrête de s'exprimer. Ou alors pendant sa prise de parole, l'élève qui est questionné continuellement par son professeur s'interrompt subitement et ne trouve plus de mots.

- Le mutisme

Nous faisons un distinguo entre les silences et le mutisme. Dans le cas du mutisme, l'élève assiste au cours d'anglais sans y participer. Il est silencieux, ne dit rien du tout. Lorsqu'il est interrogé par le professeur, il se lève par politesse mais ne dit mot. Le mutisme dénote souvent soit d'un manque de confiance en ses compétences soit d'une peur de la réaction de la classe au cours de l'interaction.

En somme l'insécurité linguistique est un sentiment fortement ancré dans les comportements langagiers de nos élèves. C'est l'expression du désir de perfection des élèves dans l'apprentissage d'une part et aussi l'expression du malaise qu'ils éprouvent face à l'acquisition de l'anglais d'autre part. Lequel malaise résulte de la prééminence des représentations négatives dans leur perception de cette langue et de l'application de méthodes d'apprentissage inadéquates en classe de langue.

Dans cette partie de notre recherche, nous avons procédé à la description des représentations des langues qui constituent l'univers sociodidactique de nos élèves. Cette description nous a permis de voir quelles sont les images que les apprenants se forgent des langues en présence dans leur environnement. Il en ressort que les représentations des langues chez les élèves du lycée d'Ebolowa sont de types antagonistes, d'aucunes favorables et d'autres défavorables à l'égard des langues qu'ils apprennent. En ce qui concerne l'anglais, ils éprouvent beaucoup de considérations et d'admiration pour cette langue à cause de sa notoriété internationale et des avantages socio-économiques qu'elle octroie et d'autre part ils

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éprouvent un sentiment de frustration aux vues des difficultés qu'ils rencontrent dans son apprentissage. Au-delà de la description des représentations, nous avons pu démontrer que dans leurs habitus d'apprentissage, les élèves prennent appui sur les marques transcodiques (mélanges de langues, interférences, alternance de code etc.) pour surmonter les difficultés d'apprentissage ce qui nous a permis de déterminer quel est l'interlangue de nos apprenants et d'appréhender le concept d'insécurité linguistique chez nos apprenants.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe