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Semelles rouges et propriété intellectuelle.

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par Maëva Ouahlima
Université Toulouse 1 Capitole - Master 2 Droit fondamental des affaires 2014
  

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B - La semelle rouge, un signe disponible ?

Il semble intéressant de vérifier la capacité du rouge Chinois (1) et de la forme de la semelle (2) à satisfaire cette exigence avant d'essayer de tirer une conclusion quant à la disponibilité du signe complexe « semelle rouge » (3).

1 - Le rouge et l'exigence de disponibilité

Nous sommes tout d'abord amenés à nous questionner sur l'opportunité de protéger une couleur.

On est en effet en mesure de se demander s'il est possible de justifier d'un point de vue éthique que l'on puisse accorder un monopole sur une couleur. Une partie de la doctrine241 postérieure à la loi de 1964 et les juges communautaires242 s'étaient trouvés confrontés aux craintes de dépôts abusifs, le risque étant que certaines personnes malhonnêtes ne soient tentées de déposer les couleurs de base, rendant ainsi leur utilisation par des concurrents totalement impossible, sauf moyennant une rétribution. L'autre partie de la doctrine243, quant à elle, estime ces craintes injustifiées dans la mesure où il existe une infinité de nuances éloignant ainsi la crainte de monopole complet.

Cette crainte est pourtant d'un intérêt évident en ce qui concerne la semelle rouge, le chausseur usant de la fameuse couleur dans le domaine de la mode. Il s'agit en effet d'un domaine où la couleur occupe une place importante ; à chaque saison ou tendance sa couleur. Ainsi, chaque année la mode a sa couleur phare. En

241 C. Girard. p. 67 et 68. Op.cit. Note n° 162.

242 CJCE, 6 mai 2003, aff C-104/01, Libertel.

243 L. Gimalac, Les couleurs de la mode : à l'encontre des idées reçues sur une protection en demi-teinte, Petites affiches, 12 août 2004 n° 161, p. 3.

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2014, c'est le Pantone 18-3224 Radiant Orchid244 qui est à l'honneur alors qu'en 2013 il s'agissait du Pantone 17-5641 Emerald245.

On est alors en mesure de se demander si protéger le rouge Chinois utilisé par Louboutin ne reviendrait pas à interdire à ses concurrents d'utiliser la nuance de rouge en question mais également les nuances voisines, voire même la couleur rouge toute entière. Cette interrogation renvoie donc à la question de la portée de ce monopole et surtout à la consistance de celui-ci.

Pour certains auteurs246, il ne serait pas possible de déposer une couleur de base, une couleur plate.

Cette exclusion serait justifiée par la volonté de ne pas priver les concurrents de tout usage d'une nuance de ladite couleur. Ainsi, seules les nuances de couleurs, combinaisons ou dispositions de couleurs seraient susceptibles d'être protégées.

En ce qui concerne la portée de l'exclusivité conférée au titulaire de la nuance de couleur, deux tendances sont à arbitrer. Soit l'on choisit de protéger la nuance contre l'usage de toute nuance de la même couleur créant ainsi un monopole indirect sur cette dernière, soit l'on choisit de ne protéger que la nuance proche rendant ainsi le monopole sur la nuance fictif.

Dans le second cas en effet, il serait alors possible pour les concurrents d'utiliser les nuances voisines visuellement sans pour autant enfreindre le domaine du monopole. La jurisprudence, et plus précisément la chambre commerciale de la Cour de la cassation, a consacré la solution consistant à protéger les nuances de couleurs« très proches » 247. En pratique, cela ne semble pas résoudre le problème du rouge chinois et nous invite à nous demander à partir de quel moment une nuance de rouge ne pourra pas être considérée comme très proche du pantone choisi par Louboutin. D'autant plus qu'à l'oeil nu et sans avoir les deux marques sous les yeux, il peut être difficile de distinguer le rouge utilisé par Louboutin de celui utilisé par d'autres concurrents comme par exemple le rouge utilisé par la société SFR.

Le chausseur est en effet coutumier de l'utilisation d'une certaine nuance de rouge qui figure sur les semelles de plusieurs modèles de ses chaussures. Pour certains dépôts, il n'a pas pris la peine de préciser de quelle nuance il s'agissait, ce qui n'a pas manqué de lui causer bien des désagréments comme on a pu le voir sur le plan de la représentation graphique. Il a toutefois compris l'intérêt de préciser la nuance qu'il entendait protéger. Dans les récents dépôts de sa marque complexe, il a mentionné qu'il s'agissait du rouge Pantone 18-1663TP, communément appelé rouge Chinois, qui était apposé sur les semelles.

Lorsqu'il a souhaité protéger son fameux rouge, il a dû, rechercher s'il n'était pas déjà fait usage de sa

244Pantone, Pantone Reveals Color of the Year for 2014:PANTONE 18-3224 Radiant Orchid, disponible sur : http://www.pantone-france.com/pages/pantone/pantone.aspx?pg=21128&ca=10.[Consulté le 3 juillet 2014].

245Pantone, Pantone color of the year 2013 Emerald 17-5641, disponible sur : http://www.pantone-france.com/pages/pantone.aspx?pg=21055. [Consulté le 3 juillet 2014].

246 J. Passa, p. 97. Op.cit. Note n° 99.

247 Cass.com., 30 janvier 2001, n° 99-10399.

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nuance, voir des nuances les plus proches, pour désigner des produits identiques ou similaires conformément à la méthode de recherche d'antériorités conseillée par l'INPI.

Procédons ainsi à une recherche d'antériorités sur la base marques de l'INPI248 qui n'est pas exhaustive mais qui nous permet d'avoir une idée de la disponibilité de la nuance de rouge en question.

Lorsque l'on recherche les couleurs déposées à titre de marque figurant sous le code « élément figuratif n° 29 » relatif aux « couleurs », on trouve pas moins de 511 marques constituées par des couleurs, toute catégorie de classes de produits et de services confondus. Parmi ces 511 résultats, plus de 50 sont constitués par des nuances de rouge différentes plus ou moins éloignées du rouge Chinois.

Si l'on restreint la recherche à la classe 25 désignant les vêtements, chaussures et la chapellerie, on ne trouve plus qu'une seule marque de couleur rouge249. La recherche d'antériorités commande que soit recherchée la présence de signes identiques ou similaires déposés pour des produits et services identiques. L'hypothèse d'une antériorité présentant une double identité semble donc à écarter car cela impliquerait d'avoir un signe identique pour des produits et services identiques, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence car la nuance de rouge découlant de la recherche n'est pas la même. Le rouge en question étant plus foncé que le rouge Chinois de Louboutin, le signe n'est donc que similaire.

En ce qui concerne les signes similaires pour des produits identiques ou similaires, il n'existe qu'un seul exemple de marque constituée par une couleur unique, un rouge utilisé pour des produits à base de cuir, des vêtements, chaussures ou chapeaux. En l'occurrence, il s'agit d'une antériorité qui est susceptible d'être utilisée dans la même catégorie de produits que le rouge Chinois, qui lui est apposé sur les semelles de chaussures. En ce qui concerne la similitude entre les signes, il s'agit pour les deux signes d'une nuance de rouge. Pour le rouge Chinois, le pantone est précisé, alors que pour la marque communautaire n° 11959434250 en question, déposée en 2013, il n'est pas fait mention du code pantone ou d'un procédé permettant d'identifier la couleur. Ceci peut notamment expliquer pourquoi le dépôt de cette marque a fait l'objet d'un recours qui est actuellement en cours d'examen. A l'oeil nu, si les nuances sont proches, il apparaît tout de même que le rouge utilisé pour les semelles est plus foncé que l'antériorité en question.

Procédons à présent à la recherche sur la base dessins et modèles ; il n'existe par selon la base INPI de dessin ou de modèle comportant pour unique élément une couleur rouge.

Conformément à ce qui a pu être envisagé dans la protection de la couleur par le droit d'auteur, il n'y a aucune chance pour qu'un monopole soit conféré sur une couleur par le droit d'auteur. Il serait en effet fort étonnant que l'on puisse reconnaître à une personne la qualité de créateur d'une couleur. On ne peut non plus craindre les attributs de la personnalité ou de la personne morale.

248 INPI, base marques en ligne, disponible sur : http://bases-marques.inpi.fr/. [Consulté le 2 juillet 2014].

249 Marque communautaire n° 11959434. V. Annexe. Document n°19.

250 Marque communautaire n° 11959434. V. Annexe. Document n°19.

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La marque communautaire de couleur rouge citée précédemment semble être la seule antériorité envisageable, bien que la ressemblance de cette marque à celle de la semelle rouge puisse être remise en question.

La disponibilité de la forme de la semelle est elle aussi à envisager.

2 - La semelle et l'exigence de disponibilité

En ce qui concerne la disponibilité de la forme constituée par la semelle de chaussure à talon, peut être un motif de refus ou d'annulation de la marque déposée le fait que le soit antériorisée.

Cette antériorité peut être constituée par une marque ou par un autre droit. Concernant la marque, le principe de spécialité fait que le signe identique n'est indisponible que pour des produits et services identiques ou de même spécialité. Dans le cas où il n'y aurait pas identité parfaite, le risque de confusion devra être prouvé pour qu'il soit fait droit au refus, à l'annulation ou à l'opposition à l'enregistrement.

Il existe également la même particularité accordée à la marque de renommée pour laquelle s'appliquent des règles spéciales. Il est possible pour le titulaire d'une telle marque de s'opposer à l'utilisation du signe de façon relativement large, c'est-à-dire également pour un signe identique ou similaire dont les produits et services seraient identiques, similaires ou même complètement différents.

Cela implique qu'il soit procédé à un examen dans les différentes bases marques et dessins et modèles mais également de s'assurer qu'il n'existe pas de droit d'auteur sur une telle forme.

En utilisant la base de marques de l'INPI, si on recherche dans la classe 9, sous-classe 9.9.15 de la classification de Nice des éléments figuratifs relatifs relative aux « semelles et empreintes de chaussures », on trouve pas moins de 370 résultats. En examinant un à un ces résultats, seulement 11 d'entre eux concernent la forme d'une semelle de souliers à talon semblable à celles déposées par Louboutin comme marques complexes. Chacune de ces semelles semble avoir une cambrure, une pointe plus ou moins arrondie et une extrémité plus ou moins fine selon la forme de la chaussure, bien que la liberté en matière de forme de la semelle soit largement limitée par son caractère fonctionnel comme on a pu le constater au titre du droit d'auteur et des dessins et modèles.

La recherche d'antériorités constituées par un dessin ou un modèle est également à effectuer. Si l'on recherche des modèles de semelles d'escarpins à l'image des modèles phares de Louboutin, on constate qu'il existe plus de 2063 résultats pour une recherche portant sur des semelles dans la catégorie 02 de la classification de Locarno relative aux « articles d'habillement et mercerie » dans la sous-classe 04 relative aux « chaussures, bas et chaussettes ». Parmi ces résultats, il existe un grand nombre de semelles extérieures de

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chaussures à talon plus ou moins comparables à la forme de celles qu'utilise Louboutin pour certains modèles de ces chaussures.

Les présentes recherches de disponibilité du signe étant purement indicatives et loin d'être aussi précises que celles menées par les conseils en propriété industrielle, on peut, au vu du nombre de résultats trouvés et de la marge de manoeuvre limitée en ce qui concerne la forme de cet objet, douter de la disponibilité de la forme de la semelle.

Toutefois, l'absence de disponibilité n'a pas été invoquée à l'occasion des divers litiges intéressant la validité de la marque complexe « semelle rouge ». La disponibilité ne fait pas partie des motifs invoqués contre la version de la marque française « semelle rouge » 251. Concernant la version communautaire de la « semelle rouge »252, le litige porte également sur la distinctivité de la semelle rouge et de la nuance de rouge et non sur la forme.

Il serait important de se demander ultérieurement si la complexification du signe ne lui a pas permis de contourner le barrage de la disponibilité de la forme de la semelle.

3 - La combinaison face à l'exigence de disponibilité

Mêler plusieurs éléments pour en faire un signe complexe comme le fait Christian Louboutin peut avoir un impact sur la capacité du signe à constituer une marque disponible. En effet, il peut arriver que l'on puisse douter fortement de la disponibilité d'un signe tout simplement parce qu'il s'agit d'un élément relativement banal et pour lequel il risque d'y avoir une multitude de modèles très fortement similaires. Ce peut être le cas de la semelle, qui est un objet relativement banal et pour lequel il existe peu de fantaisie, ce qui fait que les modèles de semelles ont tendance à se ressembler fortement.

Mais on peut voir depuis peu que les couleurs deviennent prisées, il peut ainsi être craint que la nuance de couleur que l'on envisage de protéger fasse déjà l'objet d'un monopole ou qu'il s'agisse d'une nuance très proche. Dans ce cas-là, on ne peut que conseiller d'en faire un signe complexe, comme l'a fait Louboutin.

La complexification du signe consiste pour le déposant à lui intégrer des éléments arbitraires. Cela aurait pour but d'éviter toute confusion avec des signes déjà existants. Dans le cas de la semelle rouge, dans son dépôt communautaire253, le chausseur a choisi d'associer une semelle et la couleur rouge, il aurait également pu y intégrer la mention « Christian Louboutin » qui aurait rendu son signe encore plus singulier ».

251 Marque française n°3067674. V. Annexe. Document 18.

252 Marque communautaire n° 8845539. V. Annexe. Document 8.

253 Marque communautaire n° 8845539. V. Annexe. Document 8.

Il semble qu'avec le dépôt en question, le chausseur ait choisi de se tourner vers les marques de position. Il s'agit d'un concept qui consiste à appliquer un signe, par exemple une couleur, à un endroit précis du produit. On peut citer comme marque de position la marque Ravensburger254, qui consiste à apposer un triangle bleu sur l'angle inférieur droit de la boîte des jeux de société. Il est ainsi difficile de nier, si l'on regarde attentivement la marque communautaire « semelle rouge »,255 que la couleur rouge apposée sous la semelle extérieure des chaussures corresponde à ce type de marque. Le recours à la marque de position semble être une alternative intéressante pour la semelle rouge. En usant de celle-ci, il ne chercherait plus à protéger une forme et une couleur mais plutôt une couleur appliquée à un endroit particulier de la chaussure.

Il existe toutefois un effet pervers à la complexification du signe comme a pu nous le laisser paraître le litige opposant Christian Louboutin à la société Zara, qui est de ne pas pouvoir faire sanctionner l'imitation du signe dès lors qu'un élément n'est pas repris par l'imitation. Dans le cas présent, il s'agissait de la mention « Louboutin » qui était remplacée par la mention « Zara ».

Le droit des marques, curieusement, semble être l'outil le plus intéressant pour la semelle rouge. Effectivement, il ne requiert pas que le signe soit original ou nouveau, le signe choisi n'a pas à être absolument révolutionnaire pour être choisi à titre de marque. En l'occurrence, c'est bien ce que la semelle est, la simple application d'une idée basique qui aurait vocation à identifier l'origine commerciale du produit.

Ce droit des marques est d'ailleurs activement sollicité par Louboutin qui a réussi à déposer plusieurs versions de sa « semelle rouge » réussissant ainsi à passer le barrage de la distinctivité.

Toutefois, il ne s'agit pas pour autant d'un succès éclatant. En effet, il semblerait que le chausseur peine à faire constater les atteintes portées contre son droit privatif sur la marque « semelle rouge » lorsque des concurrents utilisent la couleur rouge pour leurs semelles. De ce constat va naître l'idée qu'il serait alors judicieux d'avoir recours à des outils qui ne sanctionnent pas l'atteinte à un monopole mais plutôt « le comportement critiquable d'un concurrent »256.

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254 Marque communautaire n°7205057. V. Annexe. Document 20.

255 Marque communautaire n° 8845539. V. Annexe. Document 8.

256 Roubier, Le droit de la propriété industrielle, T1, Sirey, 1952, p. 308.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway