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La dynamique du discours nationaliste au Gabon.

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par ADIELA BOUSSOUGOU KASSA
Université Omar Bongo - Master de sociologie 2016
  

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Section II : De l'ethnocentrisme à l'ethnonymie

L'ethnocentrisme désigne lato sensu, la mesure des différences au prisme d'une culture autocentré. Cette attitude collective à caractère anthropocentrique, est pour Lévi-Strauss, un « Phénomène naturel, résultant des rapports directs ou indirects entre les sociétés »143 qui se manifeste de façon trilogique, c'est-à-dire, par la répudiation pure et simple des autres cultures ; négation par assimilation à soi ; réduction de tout autre donné culturel par une explication qui soumet celui-ci aux formes d'intellection produites dans la culture du locuteur.

L'Occident, depuis belle lurette, se pense et se veut la civilisation. Toutefois, cette (im) posture n'est pas inédite et encore moins inhérente à l'Occident, en dépit du fait, qu'il en a développé les théories les plus extrémistes. En effet, l'ethnologie a mis en lumière les façons dont les sociétés primitives se nomment et désigne inversement, ses voisins par des noms péjoratifs, méprisants, injurieux. « Le barbare nous disait Lévi-Strauss, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie »144.

140 Ibid., p.231.

141 Ibid., 361.

142 Ibid.

143 Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale II, Plon, Paris, 1973. 144Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, Paris, Denoël, 1968, pp. 19-22.

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Ainsi, les sociétés primitives, sont non seulement fondées sur une organisation ethnique, mais aussi, « opère ainsi un partage de l'humanité en deux parts : elle-même, qui s'affirme comme représentation par excellence de l'humain, et les autres, qui ne participent qu'à un moindre titre à l'humanité (...) Affirmation de la supériorité de son soi culturel, refus de reconnaître les autres comme des égaux. L'ethnocentrisme apparaît alors la chose du monde la mieux partagée... »145

1. L'universalité de l'ethnocentrisme ou la négation d'une altérité

humaine

L'anthropologie a mis en lumière, depuis maintenant longtemps, le fait que les groupes humains ont tendance à élaborer des définitions positives de soi tout en produisant des définitions négatives de l'autre. La plupart des peuples étudiés par les anthropologues, au temps où l'anthropologie était encore définie comme la « science des sociétés primitives » (c'est-à-dire des sociétés dotées de moyens techniques plutôt simples, comme -- pour ne citer que quelques exemples -- celles des chasseurs-cueilleurs des forêts tropicales africaines, des habitants de la région arctique, de quelques groupes indiens d'Amérique du Nord, des barbares d'Europe centrale ou des pêcheurs des atolls polynésiens), se définissent eux-mêmes avec des noms qui peuvent être traduits par « êtres humains » ou « gens ». En même temps, les « autres », même si l'on peut les atteindre en quelques heures de marche, sont classifiés dans les catégories des « non-hommes », des « monstres » ou, plus fréquemment, des « cannibales », puisque très souvent le cannibalisme est synonyme de « non-humanité ».

Dans la civilisation occidentale et dès l'Antiquité gréco-latine, l'application du terme générique de Barbaroi aux peuples non helléniques exprime bien le « frisson », sinon une certaine répulsion des Grecs face aux manières de vivre, de croire ou de penser qui leur étaient étrangères. Il y a là, traduit dans le langage, un rejet direct, ayant valeur de négation franche, des cultures autres que grecques. Par l'application générale du terme « barbare », les Grecs refusent de reconnaître la diversité des autres cultures, l'appartenance des étrangers à des sociétés autres et en même temps l'identité propre de ces cultures, de ces sociétés et des individus qui les composent. De plus, l'épithète même de barbaros renvoyant

145 Ibid.

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étymologiquement à la forme inchoative et inférieure du langage des oiseaux, son application indistincte à tout donné étranger, équivaut à refuser, à celui-ci, ce caractère hautement humain que le Grec accorde à son langage. L'usage d'une telle épithète exprime donc, à l'extrême, une réduction de l'humanité à la seule hellénité. De même, plus tard, la qualification de « sauvage » (l'adjectif latin silvester désigne tout ce qui est « de la forêt ») rejette dans une catégorie de l'infrahumain des individus et des sociétés auxquelles on attribue un genre de vie qui les rapproche plus de la vie animale que de la culture humaine.

Roland Barthes constatera bien plus tard, en référence au colonialisme que « face à l'étranger, l'Ordre ne connaît que deux conduites qui sont toujours deux mutilations : ou le reconnaitre comme guignol ou le désamorcer comme pur reflet de l'Occident »146.

Déjà au début du 20ème siècle, le sociologue américain William G. Sumner avait identifié cette attitude dichotomique en parlant de in-group et de out- group147 (« notre groupe » et le « groupe des autres »), en l'attribuant uniquement à ce que l'on appelait alors les « sociétés primitives ».

Toutefois, le fait de se désigner soi-même comme « êtres humains » ou « gens » n'est pas un attribut particulier ou exclusif de ces groupes ayant de rares contacts avec l'extérieur. Le nazisme se réclame d'ailleurs de ce genre de catégorisation et l'entreprise coloniale à elle-même puisé dans cette jachère. En effet, le principe de la survivance du plus apte, de la victoire du fort sur le faible, a conduit à l'émergence des enjeux de classement et de races. Le principe de cette lutte farouche et bestiale a longtemps servi à justifier la colonisation et l'esclavage, ou encore à légitimer les campagnes successives de stérilisation massive des pauvres et des inaptes, les génocides et les ethnocides des peuples, et ce, uniquement au nom de leur pseudo« infériorité raciale ». Francisé en « aryen », le terme sanskrit ârya (avestique, airya) signifie ad litteram « excellent, honorable, noble ». Cette imposture de près de deux siècles allait accréditer chez des peuples européens, sensibles à l'impérialisme économique qui présidait à la conquête de colonies, l'idée qu'ils étaient de la race de ces lointaines tribus guerrières et se devaient d'imposer leur joug à des races qualifiées d'inférieures.

Aussi, depuis sans doute au moins deux mille ans, des rapports assez intenses avec les populations des régions des grandes civilisations historiques du Proche- Orient, se définissent eux-mêmes comme « arab » ce qui signifie justement « les gens », par opposition aux habitants

146 R. Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, 1957, (rééd. Points, 1970), p.184.

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des oasis et des villes, qu'ils appellent souvent, avec un brin de mépris, « hadhar » (sédentaires). Il a donc été dit que l'identité ethnique est une définition de soi et/ou de l'autre, pris collectivement, qui prend racine dans des rapports de force donnés. Nous aurons l'occasion de voir comment cela peut arriver en examinant quelques cas concrets dans la précolonie africaine en général et gabonaise en particulier.

Examinons dans un premier temps les sociétés tsogo du Gabon. Ce peuple désigne ceux qui sont différents d'eux par le terme de « morenda » qui veut dire « étranger » en dehors des catégorisations spécifiques attribuées à chaque groupe de leur voisinage. Les Fang exempli grati sont désignés par le vocable « ngode » en référence au toucan, c'est-à-dire des oiseaux et les Akélé « a nè adieyi a é rongo arombéï » littéralement « mangeurs de cassadan148 ».

D'autres exemples, très nombreux, parfaitement identiques en substance, pourraient être cités : celui des Omyènè au Gabon qui désigne l'altérité par « anongoma ».

Pour rester sur un terrain qui nous est plus familier, nous évoquerons le terme « bilop » attribution catégorielle des peuples fang par différenciation à ceux qui ne sont pas Fang.

Tels sont uniquement quelques exemples parmi tant d'autres, qui illustrent comment les noms des ethnies, ou les appellations qui se réfèrent à des groupes déterminés vivant dans un environnement précis, sont souvent le résultat imposé de l'extérieur. De plus, les noms imposés par un groupe dominant à un groupe dominé sont quelquefois adoptés par ce dernier, indépendamment du fait qu'il soit conscient ou non du processus de sa formation. En conclusion, les noms des groupes, des peuples et des ethnies sont souvent le résultat d'une représentation « externe » élaborée culturellement par un groupe en opposition, représentation qui est tributaire en réalité des stratégies de pouvoir.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe