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La dynamique du discours nationaliste au Gabon.

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par ADIELA BOUSSOUGOU KASSA
Université Omar Bongo - Master de sociologie 2016
  

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2. Le double portrait colonisateur/colonisé

« Tout comme la bourgeoisie propose une image du prolétaire, l'existence du colonisateur appelle et impose une image du colonisé. Alibis sans lesquels la conduite du colonisateur et celle du bourgeois, leurs existences mêmes, sembleraient scandaleuses. »167 La constatation de Fanon, à son arrivée à Blida, en juin 1953, comme médecin-chef à l'hôpital psychiatrique, procède de cette «imagisation» caricaturale du nègre, dans son rapport au colon. L'hôpital est, en effet à l'image de la psychiatrie coloniale avec une séparation radicale des malades mentaux indigènes et des malades mentaux métropolitains. « La conception dominante qui prévalait alors en Algérie était que le malade mental métropolitain était accessible à la guérison, mais que l'indigène était incurable, voué à la maladie, sous le prétexte que ses structures diencéphaliques écrasaient toute possibilité d'une activité corticale développée. »168

Albert Memmi perçoit parfaitement la dialectique et les implications qui caractérisent les relations entre colonisé/colonisateur. Pour lui, le «...délire destructeur du colonisé, étant né des exigences du colonisateur, il n'est pas étonnant qu'il y réponde si bien, qu'il semble confirmer et justifier la conduite du colonisateur. Plus remarquable, plus nocif peut-être, est l'écho qu'il suscite chez le colonisé lui-même »169. « Dans la relation coloniale, la domination s'exerce de peuple à peuple, mais le schéma reste le même. La caractérisation et le rôle du colonisé occupent une place de choix dans l'idéologie colonisatrice. Caractérisation infidèle au réel, incohérente en elle-même, mais nécessaire et cohérente à l'intérieur de cette idéologie. Et à laquelle le colonisé donne son assentiment, troublé, partiel, mais indéniable. »170

Primo, cette relation consiste à légitimer la supériorité de la « race » blanche et l'infériorité, animalité, l'inhumanité du nègre. Cette pratique consiste stratégiquement à donner des assises à la domination coloniale. Concomitamment, elle s'accompagne de l'élévation parmi les indigènes d'une ethnie qui serait devenu, par l'ordre de contact avec la civilisation, supérieure aux autres. La notion d'évolué nait dans ce contexte, où l'assimilation devient outil de production des complexes et une stratégie pour, cette « bande perdue (...), les noirs instruits »171.

167 Albert Memmi, « Le portrait du colonisé », in www.esprit.presse.fr , consulté le 12/04/2015.

168 Patrick Clervoy et Maurice Corcos, "Petits moments de la psychiatrie en France", Paris, EDK, 2005, p.141.

169 Ibid.

170 Ibid.

171 Référence à René Maran, Batouala, véritable roman nègre, Paris, Albin Michel, 1921, dont l'excellence du style lui valut le prix Goncourt.

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La structuration de la ville exempli grati, permet des lectures de ces complexes suscités chez les nègres à travers les privilèges accordées aux évolués qui pouvaient, au-delà de vingt heures, accédés à la « ville européenne ».

Le racisme en vogue dans la ville coloniale, est réinventé par l'ethnisme sur une prétendue supériorité d'un groupe autochtone sur les autres, selon que la domination du colon est renforcée par l'assimilation du colonisé, ainsi érigé, dans la hiérarchie des races, en sous-race supérieure, ethnie supérieure.

René Otayek affirme que « l'extrême diversité ethnique que découvrent à leur arrivée les administrateurs coloniaux constitue, pour eux, la confirmation du bien-fondé de la « mission civilisatrice » dont se prévaut la conquête coloniale. (...) C'est donc tout naturellement qu'ils se donneront pour objectif premier d'y « mettre de l'ordre », en nommant, classant et hiérarchisant. Ce processus aura pour effet de rationaliser la complexité sociale par la création de catégories ethniques mais au prix d'un durcissement des identités et des clivages entre groupes ethniques »172.

La typologie de Lord Lugard participe de la vulgate évolutionniste lorsqu'il préconise de classer les populations africaines tropicales en trois types selon les structures sociales. Pour lui, il s'agit en l'occurrence, des « tribus primitives, des communautés évoluées et des Africains européanisés »173.

Le cas des Yoruba au Nigeria en est un exemple patent sur les conséquences qu'on eut ces classifications. Relevons tout d'abord que groupe ethnique est constitué de plusieurs groupes (les Ekiti, les Ijebu et les Egba) autonomes, parlant des dialectes proches. Cependant, les mesures introduites par l'administration coloniale britannique qui privilégient ces groupes-ci, au détriment du reste du Nigeria, continuent d'alimenter les cristallisations ethniques, dans un contexte où les laissés-pour-compte, c'est-à-dire les Haoussa-Fulani et les Ibo rêvent de revanche alors que les premiers (Yoruba) entendent conserver leur avantage, en l'occurrence sur les infrastructures et le capital humain.

Selon Bedoum, « le pouvoir colonial avait institué un système de classification ethnique avec des cartes d'identité obligatoire spécifiant l'ethnie d'appartenance (...). Les préjugés et

172 R. Otayek, « Afrique (conflits contemporain) » in Encyclopédie Universalis,op.cit.

173 L. Lugard, cité par Amselle, op.cit. p.8.

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différents qui s'y rattachent avaient créé une division et un climat qui ont contribué à l'instabilité (...) »174

La Géographie vivante pour le cours préparatoire et le cours moyens, d'Onésime Reclus traduit contre toute apparence l'idéologie recontextualisée, de la hiérarchie des races par l'érection de la supériorité de certaines ethnies par rapports à d'autres. Nous vous proposons en lecture, la trente-cinquième leçon, en l'occurrence le point trois, intitulé « Les Noirs »175.

Document 2 : Capture d'image

Enfin, l'exemple de la région des Grands Lacs est encore plus illustratif. Dans ce territoire que nous connaissons maintenant comme le Rwanda et le Burundi, deux groupes sociaux, Hutu et Tutsi constituaient une seule culture à l'époque où des colons allemands avaient pris le contrôle de la région, au 19ème siècle.

174 Bedoum cité par Salif Kàc, La problématique des conflits en Afrique: le cas de la Somalie, de la Côte d'Ivoire et de la RDC, Mémoire de Maitrise en sciences politiques, Université Gaston Berger de Saint-Louis, 2012.

175 Onésime Reclus, La Géographie vivante" pour le cours préparatoire et le CM1, 1926, p. 70.

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La Belgique a introduit ensuite une politique de catégorisation raciale pour prendre le contrôle de la région: la catégorisation et la philosophie fondées sur la race faisait partie intégrante de la culture européenne de l'époque.

Le terme Hutu désignait à l'origine des peuples de langue bantoue qui pratiquaient l'agriculture qui s'étaient déplacés dans le Rwanda d'aujourd'hui et à l'Ouest du Burundi ; et le terme Tutsi désignait les peuples du nord-est qui pratiquaient l'élevage et qui ont migré dans la région plus tard.

Les termes décrivaient donc les classes économiques des personnes : les personnes qui possédaient un certain nombre de bétail étaient considérés comme des Tutsis, et celles qui en avaient moins comme des Hutus, et ce, indépendamment de leur histoire ancestrale. Bien plus grave, les Belges ont introduit un système de classification raciste: teint de peau plus foncé ou plus clair, une taille grande ou courte, un nez plus étroit ou plus épaté, etc. Les cartes d'identité ont été délivrées sur la base de cette classification, séparant ainsi les Tutsis des Hutus.

Chrétien affirme à ce sujet que « les ethnies furent très vite classées(...) selon leur degré de «beauté«, d' «intelligence«, de «fierté« ou d'organisation politique, les traits culturels, moraux, et physiques devant concourir de façon cohérente à la hiérarchisation des populations »176.

C'est là que le projet colonial dévoile ses contradictions : car, tout en catégorisant les groupes ethniques et donc en différenciant les êtres humains, l'administration coloniale proclame l'universalisme de sa mission. Cet universalisme, dont l'un des principes centraux est l'égalité, est d'autant plus mis à mal que le régime colonial institue juridiquement la ségrégation entre deux catégories de ressortissants de l'empire : les « citoyens » d'une part, qualité reconnue exclusivement aux habitants de la métropole, aux colons, aux juifs d'Afrique du Nord et à ceux des « quatre communes » du Sénégal (Dakar, Gorée, Rufisque et Saint-Louis) pour « services rendus à la France », et les « indigènes » d'autre part, vocable réservé à toutes les autres populations assujetties et privées des droits politiques élémentaires jusqu'à l'abolition du code de l'indigénat en 1946 et la promulgation de la loi-cadre de 1956.

L'on ne terminera pas ce propos, sans évoquer le Gabon, sans une référence, à l'arrêté 305 du 20 mars 1947, dont l'article premier, alinéa I, dispose que « toute demande de concession

176 J.P.Chrétien in Jean-Loup Amselle, Elikia M'Bokolo, op.cit., p. 131.

rurale ou forestière, de permis de coupe, d'exploitation de carrière, déposée par un indigène étranger à la race Pongwè devra obligatoirement être soumise à l'approbation du conseil de la chefferie, avant d'être instruite par l'autorité administrative »177.

Enfin, le fait que l'accès à l'internat scolaire, fit sous la colonisation, exclusivement « réservé aux seuls enfants d'Eurafricains et de Pongwè »178 contribuait à la politique racialiste de la mission coloniale. Il importe tout de même de nuancer la responsabilité de la colonisation dans la mise en exergue du code de l'indigénat, car « si l'initiative coloniale vint du dehors, la mise en oeuvre du projet fut, en très grande partie, une oeuvre commune. »179

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci