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En Europe, la traçabilité des produits de la mer permet-elle de contribuer à  lutter contre les pêches illicites?


par Bruno MORIN
Université de Nantes - Master en droit des activités maritimes et océaniques 2015
  

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4 - Les limites juridiques du système existant

La maîtrise des flux des produits de la mer circulant sur le territoire de l'Union Européenne est, comme cela a été abordé, un enjeu majeur pour la pérennité des apports et l'économie de ce secteur. Le système européen offre le modus operandi nécessaire pour remonter jusqu'au point d'entrée de l'Union des produits issus de pêcheries ou d'aquaculture provenant d'un État tiers.

En amont de ce point d'entrée, les seules données accessibles sont les certificats de capture émis par ces États. Ainsi, vouloir vérifier l'origine d'un lot de produits au-delà des frontières de l'Union, ne peut se faire qu'avec l'accord et la collaboration de l'État certificateur. En effet, l'ensemble de la réglementation européenne octroie une compétence rationeloci aux inspecteurs de l'Union, uniquement sur le territoire ou les navires de l'Union.

Il existe également des compétences délivrées aux inspecteurs membres des ORGP, pour permettre l'inspection de navires membres de cette ORGP. Cependant, la compétence d'inspection délivrée aux inspecteurs dans État tiers relève du droit souverain de cet État. Les inspecteurs de l'Union Européenne n'ont donc aucune compétence dans ces États.

Il semble donc que la possibilité de vérifier la véracité d'un certificat de capture relève davantage de la forme diplomatique que de l'inspection classique. L'accès aux données permettant de vérifier un certificat, que ce soit des données déclaratives provenant des pêcheurs ou électroniques comme les balises SSN, sera réalisé obligatoirement par l'état

58 : Règlement 1224/2009 -article 13 - J.O du 22/11/2009

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certificateur, sauf si ce dernier communique déjà ces informations auprès de l'ORGP de la zone de pêche.

Cette principale problématique limite donc la possibilité de récolter quelques éléments de preuves valides permettant de confirmer ou d'infirmer la véracité de l'origine de captures émanant d'un pays tiers. Lors d'une suspicion concernant l'origine d'un lot, l'UE n'ayant pas de légitimité pour diligenter une inspection au sein de l'État tiers concerné, ne pourra agir qu'au travers du système d'inspection de cet État. Si ce dernier est défaillant, des mesures coercitives, allant jusqu'au classement de cet État en État non coopérant pourraient être prises.

Cependant, au regard du nombre d'inspection menées dans le cadre du contrôle des pêches59, et aux énormes quantités de produits de la mer circulant sur le marché européen (12,3 millions de tonnes en 2011)60, les inspecteurs de l'Union auront beaucoup de difficultés pour vérifier l'origine affichée d'un lot.

Les moyens mis à disposition pour surveiller ces importations, s'articulent sur des priorités. La première d'entre elles étant la sécurité alimentaire. Aussi, un État faisant commerce de denrées alimentaires avec l'Union Européenne doit accepter des conditions d'audit de la Commission. Ainsi, chaque année, l'Office Alimentaire et Vétérinaire (OAV) 61 de la Commission européenne conduit des audits dans des États tiers afin de garantir la bonne qualité sanitaire des produits importés sur le territoire de l'UE.

Ces audits ont pour vocation d'évaluer la qualité des méthodes de production, que ce soit par la capture ou l'élevage, et de rechercher des éléments qui présenteraient des risques pour la santé humaine ou animale. Ces audits ne traitent pas la question de gestion durable des pêches ou de lutte contre les pêches INN mais uniquement de questions sanitaires. Cependant, ces règles en matière d'hygiène alimentaire imposent des systèmes, notamment un système de traçabilité issu d'une méthode basée sur l'analyse de risque, nommé HACCP62, qui impose à tous les acteurs commerciaux de denrées alimentaires ou animales de pouvoir garantir la qualité sanitaire des aliments vendus. Ce système de suivi sanitaire semble pouvoir être utilisé pour rechercher l'origine d'un produit.

59 : 12752 inspections réalisées selon le journal « le marin » - édition du 06 mars 2015

60 : « Le Marché Européen du Poisson » - Edition 2014 - Commission Européenne - EUMOFA (European Market Observatoy for Fisheries and Aquaculuture Products) Tableau 4 p. 7 - source : http://ec.europa.eu/fisheries/market-observator

61 : Site de l `OAV : http://ec.europa.eu/food/food_veterinary_office/index_en.htm

62 : Hazard Analysis Critical Control Point

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5 - La certification sanitaire d'un produit peut-elle servir à rechercher son origine ?

La base normative internationale encadrant le commerce des denrées alimentaires est encadré par le « Codex Alimentarius», code alimentaire rédigé sous l'égide de la FAO et dont les normes ont pour objet de « garantir des denrées alimentaires sûres et saines pour tous et partout »63. Dans une directive de 2003 et révisée en 2006, le Codex demande que les systèmes de contrôle des importations alimentaires doivent prévoir la reconnaissance du système de contrôle des aliments appliqué par le pays exportateur.64 C'est dans cet état d'esprit que l'Union Européenne a mis en place une réglementation sanitaire, reconnaissant et listant les exportateurs agréés.

Plusieurs règlements ayant trait à cette matière et dont l'ensemble est surnommé le « paquet hygiène » ont été pris en 200465. Ces textes ont pour objet de définir les normes et contraintes sanitaires minimales obligatoires pour effectuer un commerce de denrées alimentaires sur le territoire de l'Union. Les produits de la mer importés ou débarqués par des navires battant pavillon d'un pays tiers sont, de fait, soumis à ces normes.

Ce système communautaire de suivi sanitaire des importations de produits alimentaires est basé sur la responsabilité qui incombe à l'importateur dans le cas de produits halieutiques importés ou du contrôle sanitaire de l'État membre dans le cas des produits débarqués, puis sur la responsabilité de chaque intervenant. Ceux-ci doivent être enregistrés et posséder un agrément sanitaire, délivrés par l'autorité en charge de la sécurité sanitaire de l'État membre.

La base du système de surveillance sanitaire des denrées alimentaires est la capacité de garantir qu'à chaque étape de la commercialisation d'un produit, celui-ci ne présente aucun risque pour le consommateur. Cette notion est basée sur la responsabilité engagée des opérateurs de la chaine de commercialisation. Ainsi, un intermédiaire, commerçant un produit alimentaire devra posséder un agrément délivré par l'autorité chargée de la surveillance sanitaire pour chaque Etat membre. Pour obtenir cet agrément, l'opérateur doit respecter des normes d'hygiène de travail de ces denrées mais aussi être en capacité de

63 : Site : http://www.codexalimentarius.org

64 : Directive CAC:GL 47-2003 du Codex alimentarius - article 13 p. 5 ( http://www.codexalimentarius.org/standards/list-of-standards/)

65 : Règlement 852, 853 et 854 du Parlement et du Conseil du 29 avril 2004 - JOUE 25/06/2004

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produire un plan de traçabilité interne à son entreprise dons la finalité est d'être capable de justifier de l'identité du fournisseur de ses produits. En effet, dans le cadre de la règlementation européenne sanitaire, un opérateur appose sur la denrée alimentaire vendue, sauf pour la vente directe en petite quantité, un numéro d'agrément sanitaire, attestant ainsi que la denrée vendue est en bon état sanitaire. En cas de problème, un enquêteur ou inspecteur pourra donc connaitre l'opérateur qui a vendu ce produit et effectuer des vérifications auprès de cette entreprise. Cette dernière fournira l'origine du produit acheté, c'est-à-dire les noms et adresse de son fournisseur.

Grâce à ce système, il sera possible, en cas de problème, de remonter au fournisseur précédent afin de déterminer les causes de l'anomalie. Cette capacité de retracer un produit jusqu'à l'origine du problème peut s'avérer complexe car les enquêteurs devront inspecter tous les intermédiaires d'une chaine de commercialisation pour trouver l'origine de l'anomalie. Ce genre d'enquête, si de plus elle doit être menée à l'échelle européenne, peut prendre plusieurs années, ce qui fut le cas pour le scandale de la viande de cheval, vendue entre autre par la société française Spanghero66, dont les investigations ont commencé en septembre 2012 pour une mise en examen des protagonistes en novembre 2014. Ces investigations, dont le but était de rechercher l'origine des lots grâce à la traçabilité sanitaire dura donc plus de deux ans et mobilisa un nombre très important d'inspecteurs et d'enquêteurs. De plus, étendre ces investigations à l'extérieur des limites territoriales de l'Union Européenne s'avère difficile car cela nécessite l'entière collaboration des services sanitaires de l'Etat tiers concerné, et s'effectue sous son entière juridiction. Seuls les moyens de pressions commerciales, liés aux importations sur le sol de l'Union, permettent de faciliter ce genre d'investigations.

L'une des bases essentielles de la sécurité alimentaire, édictée par ces règlements est donc la traçabilité67. Cependant, cette notion de trace ayant pour vocation la surveillance du bon état sanitaire de la chose, montre ses limites quant à la recherche de l'origine de la chose. Même si elle peut permettre de rechercher cette origine, elle ne peut cependant s'appliquer facilement que sur des produits issus de l'élevage ou de production classique. Dans le cas de produits capturés en mer, et commercialisés sur un marché mondialisé, comme les

66 : Fraude détectée le 17/09/12 par un inspecteur sanitaire de Newry en Irlande du nord lors d'un contrôle sur de la viande utilisée dans des lasagnes, ce scandale impliqua 6 pays européens (Royaume Uni, France, Roumanie, Chypre, Luxembourg et Suède).

67 : Règlement 853/ 2004 - considérant n°15 - JOUE 25/06/2004

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ressources halieutiques, la traçabilité sanitaire est essentiellement destinée a garantir la sécurité du consommateur. En effet, la vocation première de la recherche de la bonne origine sanitaire d'une denrée animale est de garantir une absence de risque pour le consommateur et non une surexploitation de la ressource consommée.

Afin de répondre à ce nouveau défi qu'est la recherche d'une capture de ressources halieutiques respectant des principes de TAC, voire de RMD, l'Union Européenne a développé une nouvelle notion de traçabilité, dite traçabilité de contrôle.

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PARTIE II : la traçabilité des produits de la mer, du bon état sanitaire à la bonne origine des lots, exemple de la France

A- Le marché des produits de la mer, d'une traçabilité séquentielle à une traçabilité de contrôle

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1 - Deux traçabilités pour deux finalités distinctes

La mise en oeuvre des règles en matière de traçabilité sanitaire s'appuie sur un système dit séquentiel ou interne. En effet, chaque intervenant du marché porte la responsabilité du lot qu'il vend doit être capable de fournir les coordonnées de son fournisseur et de ses clients. Cette succession d'intervenant forme la chaine de commercialisation et chacun est garant du bon état sanitaire de la chose. Ainsi, le détenteur d'un agrément sanitaire engage sa responsabilité en affirmant que la chose vendue est consommable sans risque, conformément aux règlements européens et au livre II du code rural et de la pêche maritime. En cas d'anomalie détectée sur un lot, l'opérateur à l'obligation d'informer son fournisseur et les acheteurs du lot68 mais ne porte la responsabilité du bon état sanitaire de la chose que pour la séquence de commercialisation qui le concerne, sauf en cas de tromperie avérée69. Ainsi, conformément aux règles européennes en vigueur, le choix des systèmes de traçabilité est du ressort de l'opérateur qui doit avoir un système et des procédures et qui engage sa responsabilité dans le choix de la traçabilité dans son entreprise70.

Ce système s'avère être pérenne si la qualité recherchée de la chose vendue est organoleptique ou bactériologique car cette traçabilité s'appuie sur des notions de responsabilité de la chose par le vendeur et ne présage pas l'engagement de sa responsabilité si, lorsqu'il a acheté ce produit, ce dernier était contaminé et qu'il ne pouvait en avoir connaissance. Cette première forme de traçabilité, plus commune et plus connue a

68 : Code rural et de la pêche maritime - article L 232-1

69 : Code de la consommation - Article L 215-3

70 : Règlement (CE) No 178/2002 du parlement européen et du conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires

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donc comme objectifs la protection des consommateurs et la protection économique du marché. En cas d'anomalie sur la qualité des produits commercialisés, des systèmes d'alerte et d'information ont été mis en place au niveau de l'Union Européenne, tel le système RASFF (Rapid Alert System for Food and Feed), afin de pourvoir intervenir rapidement sur l'ensemble du territoire européen et retirer du marché des produits présentant un risque pour le consommateur.

Cependant, si la finalité de l'information de traçabilité recherchée est axée sur l'origine écologique, environnementale ou ecosystémique de la chose, le système séquentiel ne répond que très difficilement à cette finalité. Ainsi, un lot vendu en bout de chaine de commercialisation, indiquant juste la nature du produit, par exemple du cabillaud, même s'il indique qu'il s'agit de cabillaud pêché et non élevé, ne pourra répondre à des critères liés aux notions de quotas, de légalité de capture ou d'origine d'un stock précis, sachant que certaines espèces identiques, ayant le même nom vernaculaire pourront provenir de stocks différents (par exemple le cas du cabillaud du stock de la mer du nord et du cabillaud d'atlantique).

Pour répondre à ces nouveaux enjeux liés à la pérennisation des ressources, une nouvelle traçabilité dite de « contrôle », mise en place par le règlement 1224/2009, a appliqué le concept de traçabilité de l'origine de la chose et non sur la trace laissée par la chose. Cette nouvelle notion a d'ailleurs été abordée au niveau international par la FAO par son sous-comité du commerce du poisson en mettant en place une directive sur les pratiques optimales en matière de traçabilité, mais cette volonté d'harmoniser les pratiques sur l'ensemble du marché mondial du poisson n'en est pour l'instant, qu'au stade de projet71.

Cette forme de traçabilité n'était auparavant appliquée que dans la traçabilité humaine. En effet, cette notion de trace, d'origine criminalistique, est très ancienne car elle avait pour objet la recherche de la personne à l'origine d'un crime. Dans le cas de la traçabilité de l'homme, l'origine recherchée est l'identité de la personne, que ce soit au travers d'empreintes, ou d'ADN. L'enquêteur recherchera l'identité du criminel en remontant sa trace, car à l'origine il y a un seul individu ayant commis le crime, celui-ci étant fiché et ayant une seule et unique identité.

Dans le cadre de la recherche de l'origine d'une espèce halieutique, comme l'exige la règlementation européenne, la démarche est très proche, car il n'est possible de mettre sur le marché des produits de la mer que si l'enquêteur peut remonter jusqu'au stade de la

71 : Directive sur les pratiques optimales en matière de traçabilité - réf : COFI : FT/XIV/2014/7 - FAO - Bergen (Norvège) du 24 au 28 février 2014 (site : www.fao.org)

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capture ou de la récolte72. Donc la recherche de l'origine d'un produit, son identité première, doit pouvoir être retrouvée tout au long de la chaine commerciale, et s'affranchit donc du système séquentiel de la traçabilité sanitaire. Les recherches actuellement menées sur l'identité ADN des produits de la mer commercialisés s'inspirent d'ailleurs de méthodes d'investigations criminalistiques.

Ces deux formes de traçabilité sont pourtant complémentaires, l'une assurant la sécurité alimentaire et l'autre la sécurité de la ressource dans un esprit de principe de précaution.

Il est cependant nécessaire de dissocier la traçabilité, quelle que soit sa forme, de l'étiquetage des produits, la finalité étant différente. En effet, l'étiquetage est une information destinée au consommateur afin qu'il puisse effectuer un choix, en toute transparence, sur un produit73. Par opposition, la traçabilité est la composante de police administrative détenant les informations, parfois sous forme de codes électroniques (code barre, ...), destinée à assurer la sécurité des consommateurs ou des ressources. Les informations contenues dans ces deux formes de traçabilité n'étant pas transformable en une étiquette lisible et compréhensible pour tous.

Ces contraintes administratives imposant d'être capable de connaitre l'origine du produit et la qualité du produit peuvent cependant être interprétées comme un obstacle au libre-échange en étant qualifiées de protectionnisme. Cependant, les différents scandales concernant l'origine de produits alimentaires, comme celui de la vache folle, démontre la nécessité de construire la confiance du consommateur qui, seule, permet un libre échange durable74.

La mise en oeuvre de la traçabilité sanitaire est actuellement pleinement appliquée sur le territoire de l'Union Européenne et se montre plutôt efficace, tandis que la traçabilité de contrôle est en cours de mise en oeuvre.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand