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Le statut et les droits de la femme dans la pensée de John Stuart Mill

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par Camille Lepoutre
Université Paris 2 Pantheon Assas - Master 2 Recherche Philosophie du droit et droit politique 2017
  

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Chapitre 1 : Les conséquences néfastes du statut juridique de la femme

Dans l'Angleterre du XIXe siècle, de premiers écrits engagés, des protestations, des pétitions déposées au Parlement sur la question des droits des femmes apparaissent. Cette question nouvelle entre dans le débat public et connaît des évolutions. Toutefois, le statut juridique de la femme reste inchangé (Section 1) ce qui a de lourdes conséquences à divers échelons (Section 2).

Section 1 : Le statut juridique de la femme dans l'Angleterre du XIXe siècle

Avant d'aborder les développements opérés par Mill, il convient d'effectuer un bref exposé du statut juridique de la femme anglaise à cette époque. Ce statut, du droit anglo-saxon issu de la coutume normande, est décrit de façon fort éclairante au XVIIIe siècle par le juriste William Blackstone dans ses Commentaires sur les lois anglaises42. Appelé doctrine de la « coverture », il

41 Stuart Mill (J.), op.cit. p.65

42 Blackstone William, Commentaries on the Laws of England, Livre 1, Chapitre 15, 1767

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place la femme mariée sous la protection et l'autorité de son époux.

On distingue alors deux situations : celle de la femme célibataire ou veuve, d'une part, et celle de la femme mariée, d'autre part. La première, feme sole, dispose d'une personnalité juridique propre. Elle est capable juridiquement, ce qui lui donne accès à un certain nombre de droits parmi lesquels celui de contracter, de disposer de ses biens personnels et fonciers, d'ester en justice, et cætera. La seconde, feme covert, est privée de sa personnalité juridique qui est rattachée fictivement à celle de son époux. Le mari et la femme deviennent, selon les termes de Blackstone, « aux yeux de la Loi, qu'une seule personne »43. L'épouse n'a plus d'existence légale propre, elle devient incapable juridiquement et perd tous les droits attachés à la qualité de feme sole.

Cette distinction revient, pour la femme mariée, à lui attribuer une « double peine » : déjà considérée comme inférieure à l'homme, on lui retire, de surcroît, les droits qu'elle avait en tant que feme sole.

John Stuart Mill expose rapidement le statut légal de la feme covert sans s'attarder sur les détails que nous venons d'exposer. Son but réside dans la qualification de cette situation afin de mettre en exergue l'injustice qui en ressort et de convaincre le lecteur de l'asservissement qui en découle. C'est pourquoi Mill qualifie cette alliance d'esclavage. Pis encore, il considère qu' « aucun esclave n'est esclave à un tel point et dans un sens aussi fort du terme qu'une femme »44. Il s'agit toutefois d'une description de « la position légale de la femme »45, et non de la façon dont elle est, de fait, traitée (point que nous aborderons ultérieurement).

John Stuart Mill emploie des termes forts pour décrire le mariage. Il le considère comme une institution conduisant « à [un] état de dépravation »46 et lui inspirant « du dégoût et de l'indignation »47. Son idée fixe est toujours la même : mettre en évidence l'immense injustice qui ressort, pour les femmes, de cette situation. Il qualifie également l'épouse d'objet afin, toujours, de dénoncer cette condition.

Cette question de l'incapacité juridique des femmes est présente dans divers écrits de

43 Blackstone, William, Commentaires sur les Lois Anglaises Volume 2, édition 1774, pages 159-160

44 Stuart Mill (J.), op.cit. p.70

45 Stuart Mill (J.), op.cit. p.72

46 Stuart Mill (J.), op.cit. p.91

47 Ibid

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l'auteur. Dans les Principes d'économie politique48 par exemple, il critique vivement le fait que femmes et enfants soient classés ensemble et considère, au contraire, que « les femmes sont aussi capables que les hommes »49. John Stuart Mill vient ici appliquer ce principe à la question du travail et, en particulier, des restrictions spéciales touchant les femmes dans ce domaine. Il s'agit d'un exemple évident de l'application de sa théorie concernant les femmes à tous les domaines de son oeuvre, aspect que nous aurons l'occasion d'approfondir par la suite.

Comme nous l'avons d'ores et déjà souligné, la société anglaise de l'époque victorienne est le théâtre de nombreuses évolutions. La question des droits des femmes ne déroge pas à la règle. L'on voit donc certaines incapacités propres aux femmes progressivement remises en question. Toutefois, et c'est précisément ce que John Stuart Mill déplore, jamais le fondement de ces interdictions légales n'est remis en cause. La femme demeure, par principe, juridiquement incapable et seules quelques exceptions à ce principe lui sont concédées. Or, cette incapacité juridique est lourde de conséquences, tant juridiques que pratiques, pour l'épouse.

Section 2 : Les conséquences de cette incapacité juridique

L'incapacité juridique qui touche les femmes mariées a un impact incontestable sur leurs vies. La loi et la justice privilégient l'indépendance, les droits et la volonté de l'homme mais restent sourds à celle de la femme (§1). Elle est placée dans une situation de dépendance et d'invisibilité que John Stuart Mill considère sans égal dans le monde moderne. Or, cette dépendance à l'égard de son époux ne fait qu'inciter celui-ci à un comportement tyrannique dans l'intimité du couple (§2).

§1 : Les questions proprement juridiques

L'épouse voit dénier, d'une part, ses droits sur les biens qui devraient en principe être les siens (A.) et, d'autre part, sur les seules personnes sur lesquelles elle devrait en principe avoir des droits : ses enfants (B.).

A. Le déni du droit de propriété

L'impossibilité pour la femme mariée ne serait-ce que d'avoir des biens propres, mobiliers

48 Stuart Mill (J.), « Principles of Political Economy », 7e éd, 1871

49 Stuart Mill (J.), op.cit. p.952-953

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ou immobiliers constitue un exemple flagrant de son exclusion légale. Cette impossibilité pour l'épouse de disposer de ses biens renforce davantage encore la situation de dépendance dans laquelle elle se trouve à l'égard de son mari. En réalité, le fait même de parler de « ses » biens est incorrect puisqu'ils ne peuvent lui appartenir. La feme covert est dénuée de capacité juridique. C'est en son époux que réside sa personnalité de droit ; c'est donc à lui qu'échoient tous les biens qui devraient être à elle.

Elle ne peut recevoir d'héritage. Dans ce cas également, ce sera donc l'époux qui sera héritier. Un effet pervers de cela, qui n'est pas directement évoqué par Mill, est l'intérêt du père dans le choix du mari, futur héritier. Cet aspect, Mill ne le traite que sous l'angle du père de famille aisée qui parvient, par différentes possibilités légales, à soustraire cet héritage « au seul contrôle du mari »50. Toutefois, ces dispositions sont très insuffisantes au regard de l'objectif d'égalité juridique que Mill vise. De plus, le plus souvent, « le mari s'arroge tous les droits, tous les biens ainsi que toute liberté d'action »51

John Stuart Mill défend ainsi l'idée que « les biens de la femme, qu'ils proviennent de l'héritage ou de son travail, doivent lui appartenir tout autant après le mariage qu'avant »52. Cette séparation des biens devrait selon lui être le principe ; la communauté de biens ne s'appliquant qu'en cas d' « entière unité de sentiments »53.

En l'état actuel de la législation anglaise, en revanche, la femme se voit dénier tout droit de propriété, ce qui la destine à une situation de dépendance à vie. De surcroît, alors même que la société lui promet une vie d'épouse et de mère au foyer, la loi civile lui refuse tout droit sur ses enfants et privilégie, là encore, le mari.

B. L'absence de droits sur sa progéniture

Mill développe cet aspect de la loi envers les femmes tout en le critiquant et en nous signifiant son caractère injuste. Il ressort de cet exposé que la femme est en réalité prise au piège au sein du mariage. Dès lors que des enfants unissent les époux, lien considéré par Mill comme « effectivement indissoluble »54, la femme sera implicitement incitée à ne jamais se défaire des liens

50 Stuart Mill (J.), op.cit. p.69

51 Ibid

52 Stuart Mill (J.), op.cit.p.92

53 Stuart Mill (J.), op.cit.p.93

54 Orazi (F.), op.cit. p.77 - John Stuart Mill, « Du mariage », 1832-1833

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du mariage. En effet, cela est clairement énoncé dans l'ouvrage : « légalement ce sont ses enfants à lui. Lui seul a sur eux des droits légaux. »55.

La femme n'a aucun droit sur ses enfants. Légalement, ils ne sont pas même considérés comme les siens. Cela découle directement de son incapacité juridique et du fait que sa personnalité de droit est incorporée à celle du mari, acteur des décisions. Ainsi, si l'épouse décidait de quitter son époux, elle ne serait jamais assurée ne serait-ce que de revoir ses enfants, encore moins d'en avoir la garde.

Il convient de nuancer ce propos, ce que Mill fait d'ailleurs en mentionnant ce qu'il nomme la « loi Talfourd »56, en référence au député de ce nom ayant accepté de présenter au Parlement un projet de loi sur la garde des enfants en cas de séparation. Cette loi votée en 1839 fait suite à l'activisme de Caroline Norton sur cette question, ayant elle même été victime de l'absence de protection des femmes par la loi. La femme (non-adultère) acquière le droit de demander un droit de visite voire la garde pour les jeunes enfants.

Ainsi, sans que l'incapacité juridique de la femme soit remise en cause dans son principe, une exception est accordée sur ce point. La femme peut désormais faire valoir, en justice, un droit accordé par la loi. Mais, pour John Stuart Mill, le fait que ce pouvoir total du mari soit « quelque peu limité »57 ne constitue pas une avancée suffisante. Cette idée revient régulièrement dans ses divers écrits : le pouvoir lui-même, en son principe, doit être combattu. Cela ne l'empêchera pas, comme nous l'observerons plus tard, de s'engager en faveur de ces avancées progressives.

§2 : Les conséquences morales

Au-delà des aspects juridiques, ce sont les conséquences sur les caractères, et sur la moralité des hommes en particulier, que dénonce Mill dans divers écrits. Il considère, en premier lieu, que le supposé système de « protection » de la femme par l'homme n'a plus de raison d'être. Cet argument est développé dans les Principes d'économie politique58 mais aussi dans l'écrit Du mariage59 directement adressé à Harriet Taylor Mill. Le penseur tend à penser que cette protection a, dans le passé, pu être utile et même conférer des avantages à la femme, protégée. Toutefois, à ses yeux, la

55 Stuart Mill (J.), op.cit. p.70

56 Stuart Mill (J.), op.cit. p.71

57 Ibid

58 Orazi (F.), op.cit. p.117

59 Stuart Mill (J.), op.cit.

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société moderne ne requiert plus ce type de système. Il s'agirait même d'un handicap puisqu'il incite certaines catégories de la population à conserver ce rôle passif, dépendant.

Au demeurant, John Stuart Mill avance le fait que cette protection correspond souvent davantage, dans les faits, à une tyrannie exercée sur l'épouse. « Les actes de brutalité et de tyrannie dont nos rapports de police sont remplis sont commis par des maris contre leurs femmes »60. Le supposé protecteur devient l'agresseur et, par là même, celui contre lequel la femme devrait être protégée. Comment Mill explique-t-il que cette théorie du protecteur puisse parfois aboutir à un pouvoir de domination?

« Dans le même temps, la femme reste véritablement l'esclave de son mari, tout autant du point de vue légal que les esclaves proprement dits. Elle fait voeu à l'autel de lui obéir toute sa vie et y est tenue par la loi toute sa vie. »61

C'est cette condition consacrée par la loi et ce devoir d'obéissance qui, selon Mill, incitent sans nul doute à la tyrannie. La femme mariée est inférieure et dépendante de son mari. Elle n'a d'existence légale qu'à travers lui. Le propos de Mill n'est pas de faire croire que tous les hommes usent en mal de cette supériorité sur leur épouse. Mais cela n'excuse en rien l'existence légale d'un tel pouvoir au profit de l'un et contre l'autre.

Car, de fait, ce pouvoir est confié à tous les hommes y compris les plus abjects. Au sein du mariage, ce pouvoir s'exerce librement puisqu'il est légitimé et que les abus ne sont pas condamnés. Il s'agit là d'un point important développé par John Stuart Mill : la loi et la justice pénales restent, dans l'ensemble, sourds face aux violences. Or, dans ce contexte, les abus sont pour le philosophe une « tendance habituelle de la nature humaine »62. Dès lors, Mill va prôner l'intervention de ceux-là mêmes qui, par leur inaction, favorisaient ou tout au moins permettaient ces comportements abusifs.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci