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L'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire

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par Xavière Prugnard
Université d'Evry-Val-d'Essonne - Master 2 Droits de l'Homme et droit humanitaire 2015
  

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A. La politisation de l'humanitaire

A d'autres égards, l'humanitaire d'Etat est dangereux du fait que cette politisation de l'humanitaire influence l'action des ONG. Le monde « humanitaire » s'en trouve chamboulé avec l'émergence de deux tendances distinctes. D'une part, certaines ONG (avec en tête de file le Comité international de la Croix-Rouge)107, se veulent être des organisations impartiales, neutres et indépendantes, et interviennent partout, quelque soit le régime politique en place et les conditions qu'on leurs impose. D'autre part, suite à la polémique quant à l'action du CICR durant la Seconde Guerre Mondiale et son silence affiché face aux chambres à gaz, une nouvelle tendance humanitaire a vu le jour, à l'instar de Médecins Sans Frontières. Selon ces derniers, l'aide humanitaire dispensée doit aspirer à une amélioration des droits de l'Homme, de la situation économique et politique, à instaurer une démocratie etc. On assiste donc à une politisation de l'aide humanitaire.

105 Loïc Hennekine est membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica et ancien secrétaire général du ministre des Affaires étrangères.

106 Allocution de Monsieur Loïc Hennekine, colloque sur « L'ingérence » organisée par la fondation Res Publica, Maison de la Chimie, Paris, 19 janvier 2015.

107 Nous tenons à préciser que le CICR n'est pas une ONG mais une entité sui generis, de nature hybride, en étant une association de droit suisse mais poursuivant un mandat prescrit par la communauté internationale.

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B. La militarisation de l'humanitaire

S'exprimant devant le Conseil de sécurité, Jakob Kellenberg, ancien Président du Comité International de la Croix-Rouge, déclarait « A chacun son rôle : l'utilisation de la force relève du domaine militaire et les activités de secours relèvent des agences humanitaires »108.

Selon Rony Brauman, les forces de maintien de la paix en sont venues à considérer « que les ONG sont un des bras exécutifs de leur action ; elles veulent confier des missions, se coordonner avec elles »109. On a observé que pendant l'intervention américaine en Afghanistan, des centres d'opérations humanitaires étaient installés, dans lesquels les troupes effectuaient la distribution de nourriture. Puis, cette distribution était prise en charge par quelques ONG sur le terrain autorisées par le commandement militaire américaine. Très vite dans cette confusion des genres « militaire » et « humanitaire », les agents humanitaires furent considérés comme partiaux et devinrent la cible de violences. Monsieur Jean-Marie Crouzatier relate, que lors de la guerre du Kossovo, la branche canadienne de l'ONG CARE recrutait des individus, pour le gouvernement canadien, « chargés de collecter des renseignements sur le terrain, sous couvert d'humanitaire ; il s'agissait bien-sûr d'anciens militaires devant remplir une mission d'espionnage 110».

Cette tendance de faire converger l'humanitaire et le militaire se retrouve également au sein des Nations Unies et de son département des opérations de maintien de la paix, où le chef de mission d'une opération dirige d'une même main les militaires d'un côté et les agences spécialisées de l'autre.

Cette convergence entre le militaire et l'humanitaire favorise la politisation et la militarisation des ONG et n'est pas sans conséquences du point de vue des acteurs humanitaires sur le terrain. La distinction traditionnelle entre ces deux types d'acteurs s'est floutée, notamment pour les forces rebelles sur le terrain et on observe depuis, une recrudescence des attaques à l'encontre du personnel humanitaire.

108 Discours de Jakob KELLENBERG, lors de la 4130e séance du Conseil de sécurité des Nations Unies, le 19 avril 2000.

109 Rony Brauman, « Emotion et action humanitaire », Etudes, 2009/1, tome 410, 2009, p. 9 à 19.

110 Jean-Marie CROUZATIER, « Le principe de la responsabilité de protéger : avancée de la solidarité internationale ou ultime avatar de l'impérialisme ? », op. cit., p. 34.

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Section 2 - Exemple d'interventions humanitaires armées instrumentalisées

Dans l'optique de mettre en exergue l'instrumentalisation de certaines interventions humanitaires, et ce, sans rentrer dans le débat qui les accompagne, nous avons choisi de nous référer aux questions parlementaires de l'Assemblée nationale française quant à sa politique étrangère. Le contenu et les auteurs des questions sélectionnées ne reflètent en aucun cas nos propres opinions. De manière chronologique, nous analyserons successivement les interventions en Lybie (§ 1), en Côte d'Ivoire (§ 2) et en Centrafrique (§ 3).

§ 1 - L'intervention en Lybie de 2011

Le contexte de la crise libyenne a déjà été développé précédemment111. Lors de l'intervention humanitaire armée, on a pu s'apercevoir que les forces armées de l'OTAN ont largement soutenu militairement les opposants au dictateur Mouammar Kadhafi. La question est de savoir si la protection des populations était prioritaire dans les objectifs de l'OTAN.

Monsieur Jacques Bompard (député du Vaucluse et maire d'Orange) interroge le ministre des Affaires étrangères et du développement international sur la situation catastrophique en Libye. Il déclare alors : « Alors que les réserves énergétiques immenses de la Libye sont assurément l'une des raisons majeures de l'intervention de l'OTAN dans ce pays (France en tête), intervention hypocritement présentée par les gouvernements de la coalition comme une ingérence humanitaire112 ». Sous ces accusations, le ministre des affaires étrangères, Monsieur Laurent Fabius, répond que la France est intervenue en 2011 dans le but de « protéger les civils libyens, en vertu de la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations Unies, alors que Mouammar Kadhafi avait annoncé sa volonté de réprimer le mouvement révolutionnaire dans le sang et que le pays avait déjà sombré dans

111 Voir p. 27.

112 Question parlementaire (14ème législature) de M. Jacques Bompard, adressée au ministre des Affaires étrangères, question publiée au JO le 03/06/2014 et réponse publiée au JO le 15/07/2014.

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la violence.113 ». Il élude ainsi les accusations d'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire dans cette intervention humanitaire armée.

§ 2 - L'intervention en Côte d'Ivoire de 2011

La résolution 1975 du Conseil de sécurité a été adoptée dans un contexte de crise postélectorale en Côte d' Ivoire en 2011114. Cette résolution, à l'initiative de la France et du Nigéria, fait référence à la responsabilité de protéger. Elle « exhorte toutes les parties et tous acteurs ivoiriens à respecter la volonté du peuple et l'élection d'Alassane Dramane Ouattara à la présidence de la Côte d'Ivoire », autorise l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI) à utiliser « tous les moyens nécessaires pour [...] protéger les civils menacés d'actes de violence physique imminente [...] y compris pour empêcher l'utilisation d'armes lourdes contre la population civile » et reconnaît la compétence de la Cour pénale internationale pour juger les auteurs d'éventuels crimes contre l'humanité115. Les partisans de l'ancien Président Laurent Gbagbo et le Président russe Dmitri Medvedev ont mis en cause l'impartialité des forces de l'ONUCI du fait du soutien apporté aux Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI) pour l'arrestation de l'ancien président. L'ONU et la France particulièrement ont été accusées d'avoir instrumentalisé politiquement le droit d'ingérence humanitaire, au profit de l'actuel Président ivoirien Alassane Ouattara.

Dans une première question parlementaire, Monsieur Jean-Claude Pérez (député de l'Aude) évoque le risque que fait peser Monsieur Gbagbo sur les intérêts français « comme en témoigne la prise de contrôle des banques SGBCI et BiCiCi, filiale de la Société générale et de la BNP-Paribas par l'ex-président de la Côte-d'Ivoire » et son annonce concernant « la nationalisation des filières de cacao dans lesquelles les entreprises françaises ont de nombreux intérêts »116.

Monsieur Jean-Jacques Candelier (député du Nord) qualifie l'arrestation controversée du Président Laurent Gbagbo « d'enlèvement ». Il affirme que : « Celui-ci

113 Question parlementaire (14ème législature) de M. Jacques Bompard, adressée au ministre des affaires étrangères, question publiée au JO le 03/06/2014 et réponse publiée au JO le 15/07/2014.

114 Résolution 1975 du Conseil de sécurité, adoptée à l'unanimité le 30 mars 2011 à la 6508ème séance, S/RES/1975 (2011).

115 Ibid.

116 Question parlementaire (13ème législature) de M. Jean-Claude Perez, adressée au ministre des Affaires étrangères et européennes, question publiée au JO le 19/04/2011 et réponse publiée au JO le 21/06/2011.

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a été livré, le 11 avril 2011, par la force militaire française Licorne à Alassane Ouattara, président imposé par la force sur la base de résultats frauduleux, proclamé illégalement par les puissances étrangères. Rappelant les pires heures de sa politique coloniale, l'intervention militaire de la France a largement outrepassé le mandat de l'ONU.117 ».

§ 3 - L'intervention en Centrafrique de 2013

La France a lancé une opération militaire du nom de Sangaris conduite par l'armée française en République centrafricaine le 5 décembre 2013. Cette intervention avait pour objectif d'aider la population en danger, d'éviter un génocide et la contagion de l'instabilité dans la région. Or, la Centrafrique est un pays riche en ressources naturelles (pétrole, diamants, or, bois, sucre, tabac) où la France conserve toujours beaucoup d'intérêts notamment une partie de grands groupes français.

C'est à ce titre, que Monsieur Elie Aboud (député de l'Hérault) a questionné le ministre de la Défense, Monsieur Jean-Yves Le Drian, sur l'engagement des forces armées françaises en Centrafrique, souhaitant « connaître les raisons pour lesquelles notre pays est quasiment le seul pays occidental engagé dans cette mission118 ». Ce à quoi le ministre répond, en éludant la question des raisons de l'engagement français, par le fait que « La France n'est pas la seule nation engagée dans cette mission et, indépendamment des 6 000 militaires de la MISCA déployés aux côtés de ses troupes, de nombreux pays contribuent aux opérations en cours, par un soutien logistique et financier. 119»

A la lumière des questions parlementaires au sujet de la politique extérieure française, nous pouvons constater que les critiques d'instrumentalisation sont récurrentes. Or, l'instrumentalisation ne peut être que présumée car il paraît peu probable que l'intervenant en fasse l'aveu. Toutefois, une telle instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire peut également s'observer par l'absence d'intervention.

117 Question parlementaire (13ème législature) de M. Jean-Jacques Candelier, adressée au ministre des Affaires étrangères et européennes, question publiée au JO le 07/06/2011 et réponse publiée au JO le 11/10/2011.

118 Question parlementaire (14ème législature) de M. Elie Aboud, adressée au ministre de la Défense, question publiée au JO le 17/12/2013 et réponse publiée au JO le 01/04/2014.

119 Ibid.

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Section 3 - L'absence d'intervention humanitaire armée, une autre marque de l'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire : le cas de la Syrie

Monsieur Éric Pourcel, dans un article intitulé « Le principe juridique d'ingérence humanitaire... n'existe pas » déclare que « L'ingérence humanitaire ou son refus peuvent aussi être le prétexte à des menées géopolitiques non déclarées mais bien réelles. »120. Le cas de la Syrie est particulièrement révélateur de cette autre forme de l'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire, qui aboutit à la « passivité de la communauté internationale121 ». La Syrie est en proie à une guerre civile complexe depuis 2011 opposant le Président Bachar el-Assad et son régime aux rebelles, Kurdes et djihadistes. Une crise humanitaire s'est rapidement installée, faisant déjà plus de 250 000 morts, 5 millions de réfugiés et 10 millions de déplacés122. Après avoir eu des preuves que le Président Bachar el-Assad utilisait des armes chimiques à l'encontre de sa propre population, la France a souhaité mobiliser la communauté internationale. Mais le Conseil de sécurité fut bloqué du fait du véto le 28 août 2013 de deux de ses membres permanents, la Chine et la Russie. En effet, un projet de résolution britannique avait été déposé devant le Conseil de sécurité afin d'autoriser « toutes les mesures nécessaires en vertu du Chapitre VII de la Charte de l'ONU pour protéger les civils contre les armes chimiques »123, en d'autres termes afin d'autoriser une intervention humanitaire armée.

Dans la crise syrienne, on peut présumer que les intérêts des différentes parties divergent comme l'expose Monsieur Éric Pourcel (toujours dans le même article)124. D'une part, la Russie possède une base navale stratégique à Tortous (Syrie) lui permettant un accès à la Mer Méditerranée sans passer par la Turquie. Elle a tout intérêt à ce que le dirigeant Bachar el-Assad reste au pouvoir car la Syrie fait partie des rares régimes de cette zone à soutenir la Russie en dépit de la guerre en Tchétchénie dans laquelle elle est

120 Eric POURCEL, « Le principe juridique d'ingérence humanitaire... n'existe pas », La revue géopolitique [En ligne], 26 février 2015, http://www.diploweb.com/Le-principe-juridique-d-ingerence.html (Page consultée le 3 août 2015).

121 Mario BETTATI, « Du droit d'ingérence à la responsabilité de protéger », Outre-Terre, 3/2007, n°20, p 381-389.

122 Article du journal Le Monde, Stéphane FOUCART et Christophe AYAD « La Syrie, le crève-coeur de Ban Ki-moon », Le Monde, 26 août 2015. http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/06/23/l-onu-denonce-les-sieges-et-les-bombardements-de-plusieurs-villes-de-syrie_4659904_3218.html

123 Article du journal Le Monde.fr avec l'AFP, « Impasse à l'ONU sur une intervention en Syrie », Le Monde, 28 août 2013. http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/08/28/syrie-londres-presentera-un-projet-de-resolution-aujourd-hui-a-l-onu_3467568_3218.html#7R4Q18vSsjerSwcs.99

124 Eric POURCEL, « Le principe juridique d'ingérence humanitaire... n'existe pas », op. cit. p. 43.

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engagée (où sunnisme wahhabite est en cause). En outre, la Syrie est un des clients de la Russie en matière d'armes. D'autre part, on peut penser que la Chine craint elle-même le droit d'ingérence humanitaire du fait de la situation particulière au Tibet. Enfin, les Etats-Unis pourraient être partisans d'une intervention humanitaire armée en Syrie, car elle conduirait à la chute du dirigeant syrien et permettrait « l'application d'une logique stratégique précise de reconfiguration d'ensemble du Moyen-Orient, le fameux « Grand Moyen-Orient » »125 appelé aussi la « Doctrine Bush ».

Le cas syrien renvoie le concept de « responsabilité de protéger » à un pur discours rhétorique. L'ancien Secrétaire général des Nations unies, Monsieur Kofi Annan, déclarait dans un entretien accordé au journal « Le Monde » que « la manière dont la "responsabilité de protéger" a été utilisée sur la Libye a créé un problème pour ce concept. Les Russes et les Chinois considèrent qu'ils ont été dupés : ils avaient adopté une résolution à l'ONU, qui a été transformée en processus de changement de régime. Ce qui, du point de vue de ces pays, n'était pas l'intention initiale. Dès que l'on discute de la Syrie, c'est "l'éléphant dans la pièce"126.

Le droit de véto apparaît là comme un outil de blocage au Conseil de sécurité, et notamment pour le droit d'ingérence humanitaire. Cependant, il ne faut pas s'y méprendre, c'est également un outil au service de la paix et de la sécurité internationales qui a pu éviter, pendant la Guerre froide par exemple, une escalade des violences. Tout l'enjeu de cette instrumentalisation est de bénéficier d'une légitimation auprès de la communauté internationale. C'est dans le but de limiter toute instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire que la CIISE, s'inspirant de critères déjà développés par la doctrine, a défini des critères de légitimité de l'intervention humanitaire armée.

125 Eric POURCEL, « Le principe juridique d'ingérence humanitaire... n'existe pas », op. cit. p. 43.

126 Article du journal Le Monde, Natalie NOUGAYREDE « Kofi Annan : Sur la Syrie, à l'évidence, nous n'avons pas réussi », Le Monde, 7 juillet 2012. http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/07/07/kofi-annan-sur-la-syrie-a-l-evidence-nous-n-avons-pas-

reussi 1730658 3218.html#LbXAk6B6mSsVxze9.99

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Chapitre 2 - Les critères de légitimité de l'intervention militaro-humanitaire

Dans le but de justifier leurs interventions militaires, les Etats instrumentalisent le droit d'ingérence humanitaire. Ainsi, sous couvert d'humanitaire, certains mènent des interventions dites « impérialistes » ou même « hégémoniques ». Dans certains cas, des Etats poursuivent réellement des intérêts humanitaires, mais qui sont placés derrière les intérêts politiques, militaires ou même économiques. Face à ce constat de l'impossible exigence du désintéressement absolu de l'Etat, il a fallu admettre que le désintéressement ne peut être que relatif. Ainsi, l'intérêt humanitaire (ou le désintérêt à agir) cohabite avec d'autres intérêts du pays à intervenir. Pour être convenable et acceptée par tous, cette théorie du désintéressement relatif ne peut valoir que si on opère une hiérarchisation des intérêts et que celui humanitaire soit toujours en tête de liste. C'est précisément à ce travail que la CIISE s'est livrée : trouver des critères de légitimité qui feront que l'intervention humanitaire armée sera acceptée par la communauté internationale.

Le débat quant à l'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire s'est rouvert à la suite de la campagne américaine de 2003 en Irak. C'est pourquoi il nous paraît important d'étudier le cas irakien de manière isolée. Ainsi, nous nous concentrerons sur les critères de légitimité développés par la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats dans son rapport (section 1), pour pouvoir par la suite analyser l'intervention américaine à la lumière de ces critères (section 2).

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Section 1 - Les critères élaborés par la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats

Présupposant que le désintéressement absolu de l'Etat intervenant était impossible, la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats s'est lancée dans une quête de légitimation des interventions humanitaires armées et cela pour éviter les futurs abus. Ainsi, la Commission a élaboré plusieurs critères de légitimité de l'intervention humanitaire armée. Ces conditions ont pour vocation à être rigoureuses et difficiles à réunir afin que l'intervention militaire soit toujours envisagée de manière exceptionnelle.

Dans la deuxième et dernière partie du rapport de la CIISE, les principes pour l'intervention militaire sont développés. La Commission distingue six critères à satisfaire pour que l'intervention soit légitime : l'autorité appropriée (§ 1), la juste cause (§ 2), la bonne intention (§ 3), le dernier recours (§ 4), la proportionnalité des moyens (§ 5) et les perspectives raisonnables (§ 6). Tous seront étudiés successivement à la lumière du rapport de la CIISE sur la « Responsabilité de protéger » de 2001.

§ 1 - L'autorité appropriée

La Commission désigne le Conseil de sécurité des Nations Unies comme autorité compétente à délivrer une autorisation pour une éventuelle intervention humanitaire armée. Pourtant, le principe de non-intervention est explicitement mentionné dans la Charte des Nations Unies aux paragraphes 4 et 7 de l'article 2. Le paragraphe 7 interdit explicitement aux Nations Unies d' « intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un Etat 127». Toutefois l'article 24 de la Charte128 donne compétence au Conseil de sécurité à veiller au maintien de la paix et de la sécurité internationales. C'est ainsi que selon l'article 42 de la Charte129, le Conseil de sécurité peut avoir recours à la force armée et donc donner son autorisation pour une éventuelle intervention humanitaire armée.

127 Article 2§7 de la Charte des Nations Unies.

128 Voir Annexe n°4.

129 Voir Annexe n°4.

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En l'état actuel du droit international et des relations internationales, l'Organisation des Nations Unies paraît incontestablement être l'autorité compétente pour légitimer une intervention. Les décisions de son « bras armé », le Conseil de sécurité, sont revêtus d'un caractère représentatif au vu des différents Etats qui le composent. Nous ne pouvons rentrer dans le débat d'une éventuelle réforme du Conseil de sécurité quant à ses membres permanents et leur droit de véto, cela nous éloignerait trop du sujet initialement traité.

En d'autres termes, en exigeant que la décision d'intervention humanitaire armée soit légitimée par le Conseil de sécurité (par la communauté internationale lato sensu), cela revient à nier l'existence d'un droit d'intervention au seul profit des Etats130.

§ 2 - La juste cause

Le critère de « la juste cause » paraît par essence subjectif et ambigu. Tout le monde n'a pas la même conception de ce qui est juste voire bien ou mal. La CIISE s'est donc concentrée sur un nombre très limité de « juste cause », toujours dans l'optique de rendre cette intervention la plus exceptionnelle possible. Elle distingue deux catégories.

« ? des pertes considérables en vies humaines, effectives ou appréhendées, qu'il y ait ou non intention génocidaire, qui résultent soit de l'action délibérée de l'État, soit de sa négligence ou de son incapacité à agir, soit encore d'une défaillance dont il est responsable; ou

? un « nettoyage ethnique » à grande échelle, effectif ou appréhendé, qu'il soit perpétré par des tueries, l'expulsion forcée, la terreur ou le viol. 131»

Dans son rapport, la CIISE précise que les crimes retenus sont le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l'humanité à l'instar (plus tard) de ceux retenus dans le Document final des Nations Unies de 2005, à l'exception des situations de catastrophes naturelles ou écologiques passées sous silence dans le Document final.

130 Eric POURCEL, « Le principe juridique d'ingérence humanitaire... n'existe pas », La revue géopolitique [En ligne], 26 février 2015, http://www.diploweb.com/Le-principe-juridique-d-ingerence.html (Page consultée le 3 août 2015).

131 CIISE (2001), La Responsabilité de Protéger, Rapport de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États, Ottawa : International Development Research Centre

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Reste la question de la preuve de ces crimes. Il est facile, pour les Etats, d'avancer que de tels crimes sont en train de se commettre et qu'il faut agir rapidement bien qu'aucune preuve n'ait été fournie. Sans preuve, ce critère peut être facilement instrumentalisé. C'est pourquoi la CIIISE souhaiterait une « source non gouvernementale, impartiale et universellement respectée 132» présente sur le terrain pour transmettre des informations quant à la gravité de la situation et sur le comportement de l'Etat pour gérer cette situation. Le Comité International de la Croix-Rouge, bien qu'idéal pour cette tâche, a refusé en vertu des principes qui l'animent depuis ses débuts : la neutralité et l'indépendance. Il a été décidé de s'appuyer sur tous les rapports fournis par les différents organismes des Nations Unies et particulièrement le Haut-Commissariat aux droits de l'Homme et celui aux réfugiés. Les rapports d'autres organisations internationales voire régionales seront également étudiés, ainsi que ceux de certaines grandes ONG, plus proches du terrain.

§ 3 -La bonne intention

Considérant, comme il a été dit en propos liminaires, que la théorie du désintéressement relatif ne peut valoir que si on opère une hiérarchisation des motifs, le motif humanitaire doit invariablement rester premier. Malheureusement, dans les faits il est plus compliqué de vérifier si ce que l'Etat avance est vrai. Selon la CIISE, «le but primordial de l'intervention doit être de faire cesser ou d'éviter des souffrances humaines 133». Tout repose donc sur la bonne foi de l'Etat. Pour éviter qu'un Etat agisse pour son propre intérêt, il est requis que l'intervention soit collective ou multilatérale, que la population en bénéficiant y soit favorable tout comme les pays voisins.

Toutefois, les objectifs de l'intervention peuvent changer en cours de route. La CIISE envisage ainsi qu'une modification des frontières, un renversement de régime, une occupation de territoire ou la promotion d'une revendication d'autodétermination ne sont pas, à proprement parler, des objectifs légitimes. Mais ils peuvent le devenir, si au cours de l'opération militaro-humanitaire, ils se révèlent indispensables.

132 CIISE (2001), La Responsabilité de Protéger, Rapport de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États, Ottawa : International Development Research Centre

133 Ibid.

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§ 4 - Le dernier recours

Le critère du derniers recours fait référence à tous les autres moyens d'ingérence humanitaire qu'il est possible de déployer avant d'en venir au plus extrême de tous, l'intervention militaire. Avant de recourir à la force armée, il faut que des mesures coercitives interventionnistes aient été tentées comme des mesures politiques, économiques ou judiciaires.

En tout premier lieu, des actions diplomatiques doivent être initiées afin d'essayer de régler de manière pacifique la crise humanitaire. Cette dimension préventive est primordiale pour la CIISE. Par le jeu des négociations, des solutions temporaires ou pérennes doivent être trouvées comme des cessez-le-feu, des modifications constitutionnelles etc. Ce n'est qu'en cas d'échec de cette responsabilité de prévenir qu'on pourra passer à la responsabilité de réagir.

§ 5 - La proportionnalité des moyens

L'intervention humanitaire armée se doit de respecter le droit international humanitaire et les principes fondamentaux qui le composent. On pense en effet à la soumission aux principes de nécessité, d'humanité, de proportionnalité et de précaution.

Comme indique la Commission, le principe de nécessité touche tant l'ampleur, la durée et l'intensité de l'intervention humanitaire armée. Tout doit être limité à ce qui est « strictement nécessaire ». Cela vaut également pour les destructions de biens civils, le régime politique, les armes employées etc.

Il apparaît en effet impensable que des Etats justifiant le respect du droit international humanitaire entre autres pour intervenir militairement, se rendent coupable de violations massives des droits de l'Homme et du droit international humanitaire. Bien au contraire, les intervenants se devraient de respecter les principes du droit international humanitaire encore plus rigoureusement.

§ 6 - Les perspectives raisonnables

Le critère des « perspectives raisonnables » est sans aucun doute le critère le plus politique et le plus délicat à mettre en oeuvre. Selon la CIISE, « Une action militaire ne peut être justifiée que si elle a des chances raisonnables de réussir c'est-à-dire de faire cesser ou d'éviter les atrocités ou souffrances ayant motivé l'intervention.134 ». Il s'agit de savoir si une inaction de la communauté internationale est préférable à une intervention militaro-humanitaire. Il s'agit en d'autres termes de faire un pari sur l'avenir, ce qui est pour le moins compliqué sans parler de la subjectivité du sujet. Il faut envisager le contexte global dans lequel l'intervention va se dérouler, et pas seulement national. Le but étant d'éviter une potentielle aggravation de la crise humanitaire ou toute escalade de violences dans la région limitrophe.

Enfin, la CIISE fait remarquer que ce critère des « chances de succès » a sûrement pour conséquence d'empêcher toute intervention humanitaire armée sur le territoire d'un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, afin d'éloigner tout risque de propagation mondiale du conflit.

Après avoir précisé chaque critère élaboré par la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats, il paraît pertinent d'examiner le cas irakien à l'aune de ces critères.

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134 CIISE (2001), La Responsabilité de Protéger, op. cit., p. 48.

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