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"en aparté"sur Canal Plus : l'invité, le public et le média comme tiers autoritaire dans une émission de conversation

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par Marylène Khouri
Institut Français de Presse Paris II-Assas - Maà®trise d'information et communication 2005
  

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2 - Le discours du tiers invité au sein d' En aparté 

Le discours de l'invité au sein de cette émission se situe donc à la croisée de celui de l' « Olympien » et de celui du « people » : d'un côté, il veut entretenir un certain mythe et il est en cela aidé par le dispositif. Pendant près d'une demi-heure, l'invité occupe entièrement un créneau dans la grille des programmes de Canal plus. En aparté sert en quelque sorte d'écrin à la personnalité et de ce point de vue, il entretient son caractère « Olympien ».De l'autre côté, l'émission donne l'occasion à son invité d'apparaître comme normal.

« La télévision transforme les choses : quelqu'un d'extraordinaire, comme un acteur, va essayer de passer pour quelqu'un d'ordinaire à la télévision, alors qu'on fera l'inverse avec les anonymes. On va demander à quelqu'un d'ordinaire soit de devenir extraordinaire, soit de jouer son propre rôle de personnage banal ».100(*)

L'émission suit donc le courant inverse de l'époque. Au lieu de rendre célèbre un anonyme, une célébrité se rend « normal » pour mieux appuyer sa promotion. Il doit donc se mettre au même niveau que son public. Le temps où les « stars » telles que Greta Garbo ou Marlene Dietrich entretenait le mystère sur leur vie privée est révolu. Le discours d' «En aparté » plaît aux personnalités car il prend le prétexte du professionnel pur aborder des questions privées. Chez Pascale Clark, les questions d'ordre sentimental ne sont jamais abordées crûment. On passe par divers stratagèmes pour les aborder. Par exemple, pour poser la question du couple Ségolène Royal/François Hollande à ce dernier, l'animatrice projette un document vidéo établissant un parallèle avec le couple Sarkozy. Ainsi, les questions d'inimitié sont abordées sans dépasser outrageusement le cadre professionnel. Car ce qui intéresse le téléspectateur sont souvent ces questions. De ce point de vue, la pensée d'Edgar Morin se confirme :

« Certes, la projection-identification intervient dans tous les rapports humains, dés que ceux-ci sont colorés d'affectivité : nous nous projetons et nous nous identifions dans nos amitiés, nos amours, nos admirations, nos haines, nos colères etc...Et par là l'imaginaire se trouve engagé dans le tissu quotidien de nos vies. Mais l'important est de relever que l'irruption de la culture de masse dans l'information développe un certain type de rapports de projection et d'identification qui vont dans le sens du romanesque, de la tragédie, et de la mythologie ».101(*)

Le téléspectateur continue d'entretenir avec la personnalité un rapport affectif. « J'adore Gad Elmaleh », « Amanda Lear ? Je la déteste ! ». Une popularité s'entretient sur des valeurs d'identification au public. Plus on est proche de lui, plus la célébrité a des chances de croître. Jamel Debbouzze par exemple, a bâti sa popularité sur son public, qui à l'origine lui ressemblait. Au contraire, Isabelle Adjani, autrefois symbole de la star inaccessible à la française n'a pas su correctement s'adapter à la nouvelle donne.

En aparté donne une chance aux célébrités de se rapprocher du téléspectateur. Cependant, bien que l'on puisse aborder grâce à l'émission leur intimité, elles continuent de rester tout de même dans un univers « Olympien » qui nous paraît inaccessible. Chez Pascale Clark, l'invité est posé sur un socle que l'on observe méticuleusement comme si il était exceptionnel. Cette émission, à bien des égards, m'a fait penser à l' « Actor's studio » présentée par James Lipton et diffusée en version sous-titrée sur Paris Première. Même ambiance intimiste, même mise en valeur de l'invité dont la parole (souvent banale) est mythifiée, même ton psychologisant de l'animateur, même « spectacularisation » de l'intime. Différence majeure, l'invité fait face au public comme à l'animateur. Le tiers-public y revêt un rôle majeur. Nous allons voir maintenant l'importance de ce tiers-public au sein d' En aparté.

a) Le véritable interlocuteur : le tiers-téléspectateur

En aparté, comme tout lieu de parole et de dialogue, constitue le lieu d'un discours. Nous allons voir les conditions de ce discours ainsi que sa principale particularité, à savoir sa « situation trilogique de conversation ».

1 - Un discours « ordonné »

Le dispositif, le ton de l'animatrice incite en effet à un certain type de discours dont nous allons voir les spécificités. En premier lieu, rappelons que l'invité s'adresse à deux interlocuteurs : l'animatrice et le téléspectateur. De ce fait, la conversation est déjà conditionnée par cette contrainte. Les codes de l'intime mêlés aux codes de la « spectacularisation », comme nous l'avons précédemment vu, constituent aussi une contrainte. Cependant, les invités sont attirés par le lieu de discours qu'est En aparté. L'émission représente un « rituel » pour eux, une institution pour valider sa célébrité. Sans n'avoir rien préparé, ils se trouvent portés par les rites du discours de l'émission.

« Le désir dit : « Je ne voudrais pas avoir à entrer moi-même dans cet ordre du discours (...). Je voudrais qu'il soit tout autour de moi comme une transparence calme, profonde, indéfiniment ouverte, où les autres répondraient à mon attente et d'où les vérités, une à une, se lèveraient ; je n'aurais qu'à me laisser porter, en lui et par lui, comme une épave heureuse. »102(*)

Il est à constater deux particularités contradictoires dans le discours de cette émission. En premier lieu, et ceci est le cas de toutes les productions audiovisuelles , le discours est enregistré : si la conversation instaurée par Pascale Clark tente de singer une conversation naturelle et désintéressée, elle n'en reste pas moins destiné à être conservé, rediffusé. Les propos de l'invité peuvent être repris, réinterprétés. Michel Foucault parle d' « existence transitoire du discours »103(*). Or, ici, le discours est voué à la pérennité. De ce fait, l'invité doit à la fois être naturel tout en se rappelant la vocation de l'émission (être vu par le maximum de téléspectateur). Le rôle de l'animatrice et du dispositif est de créer un discours à la fois satisfaisant pour l'invité ainsi que pour le téléspectateur, tout en masquant les velléités commerciales de la conversation :

« Dans toute société, la production du discours est à la fois contrôlée, sélectionnée, organisée et redistribuée par un certain nombre de procédures qui ont pour rôle d'en conjurer les pouvoirs et les dangers, d'en maîtriser l'événement aléatoire, d'en esquiver la lourde, la redoutable matérialité ».104(*)

L'animatrice doit donc réguler, contrôler le discours de l'invité. Par ce contrôle, elle se trouve dans une position de pouvoir : « Le discours n'est pas simplement ce qui traduit les luttes ou les systèmes de domination, mais ce pour quoi, ce par quoi on lutte, le pouvoir dont on cherche à s'emparer »105(*). On retrouve cette particularité dans la confrontation entre Pascale Clark et Maïtena Biraben : les deux, rompues à l'exercice, cherchent la parole, la domination dans le discours. Pourtant, Pascale Clark, par sa position, et par le contrôle du dispositif a clairement l'avantage alors que son invité se laisse dépasser. Cependant, le dispositif de l'émission donne aussi à l'invité une part de pouvoir : celui-ci investit l'espace et le temps, peut longuement réfléchir pour répondre à une question. On lui confère une importance : « Ecoute d'un désir qui est investi par le désir et qui se croit - pour sa plus grande exaltation ou sa plus grande angoisse- chargé de terribles pouvoirs »106(*). La présentatrice ordonne son discours : elle donne des occasions à son invité de parler sans contraintes, lorsqu'il pénètre dans le studio par exemple. Puis elle l'incite à commenter le document vidéo, puis les diapositives. Elle lui donne une impression de contrôle puisque c'est l'invité qui actionne les diapositives. Cette invitation au commentaire instaure un second niveau de discours :

« Le commentaire n'a pour rôle, quelles que soient les techniques mises en oeuvre, que de dire enfin ce qui était articulé silencieusement là-bas (...). Le commentaire conjure le hasard du discours en lui faisant la part ; il permet bien de dire autre chose que le texte lui-même, mais à condition que ce soit le texte même qui soit dit et en quelque sorte accompli. »107(*)

Le commentaire a pour rôle d'orienter le discours de l'invité. Celui-ci, qui n'avait donc rien préparé, se voit alors dans l'obligation d'aborder certains thèmes. La manière dont il va accepter ou rejeter les propositions influent sur la perception que va en avoir le téléspectateur. Il a donc une certaine pression. Cette pression est visible : l'invité a toujours un temps de surprise puis un temps de réflexion lorsque l'image apparaît sur le rétroprojecteur. Ensuite, il peut soit s'exprimer, soit n'avoir rien à dire : c'est le cas de Charles Berling qui restait silencieux à la fin de la projection du document vidéo le concernant : manière de dire « je n'ai rien à dire, à toi, l'animatrice de me poser une question ». Il revendique ainsi sa liberté, et d'une certaine façon son autorité. Il met aussi en difficulté l'animatrice qui se voit alors obligé d'improviser un enchaînement, et donc de réinvestir aussi l'autorité de sa parole.

S'inscrivant dans ce qu'appelle Foucault « une société de discours », En aparté joue donc sur les processus de limitation, d'exclusion, d'appropriation du discours : invité et animatrice se renvoient la parole, se transmettent l'autorité, jouent de leurs pouvoirs respectifs. L'animatrice recherche un « jaillissement spontané du discours »108(*)à contrôler tandis que l'invité cherche à dissimuler son intimité -ou du moins l'intimité qui ne servirait pas sa promotion. En effet, celui-ci souhaite avant tout s'adresser aux téléspectateurs. Tour à tour, chacun peut prendre le « pouvoir » dans la conversation :

« Les acteurs (de l'énonciation) peuvent assumer, au fur et à mesure que se déroule l'évènement, différents rôles dans l'interaction, en échangeant l'usage de la parole. Les rôles qui sont échangés, selon le degré de participation autorisé par chaque évènement en particulier, seraient ceux de locuteur, d'auditeur ou auditoire ».109(*)

Il y a donc deux niveaux d'audition : l'auditeur premier qui peut être l'animatrice ou l'invité, et de l'autre côté, un auditeur principal, qui est le téléspectateur.

* 100 Entretien avec David Dufresne, cité dans « médiamorphoses n°8 », septembre 2003, page 33

* 101 « L'esprit du temps », Edgar Morin, éditions Grasset, Paris, 1962, page 137

* 102 « L'ordre du discours », Michel Foucault, éditions Gallimard, page 9

* 103 Ibid page 9

* 104 Ibid page 11

* 105 Ibid page 12

* 106 Ibid page 13

* 107 Ibid page 27

* 108 Ibid page 68

* 109 « La voix cachée du tiers », sous la direction de Patrick Charaudeau et Rosa Montès, éd. L'Harmattan, page 55

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery