3 Une  logique  d'entreprise  tournée 
principalement  vers  le  marché extérieur
L'agriculture  d'entreprise  se  caractérise  par  un 
recours  systématique  à  la  main d'oeuvre  salariée,  un
 accès  à  l'eau  permanent,  et  une  exportation  des 
productions  vers l'Europe.   Ces   exploitations   bénéficient  
d'appuis   bancaires   voire   politiques.   Certains entrepreneurs  sont 
connus  dans  tout  le  Sénégal  (Gafari,  Filfili...),  car  ils
 détiennent  de véritables domaines et bénéficient
de relation au plus haut niveau de l'Etat. Pouvant investir dans des
réseaux commerciaux entre ville et campagne, ils sont au contact du
monde grâce à 
la capitale, véritable noeud du système de
transport international. 
Ces  gros  producteurs  sont  totalement 
intégrées  à  l'économie  sénégalaise
 et  sont,  en définitives  les  plus  à  même  de  jouer 
des  relations  ville  campagne.  C'est  donc  des  acteurs socio  
économiques   tranchant   fortement   avec   la   situation  
précédemment   exposée,   et connaissant un tout autre
rapport à la ville et à ses dynamiques qu'il va falloir
analyser. 
A)  Accès à la terre et transactions
foncières des exploitations d'entreprise
Les  exploitations  d'entreprise  que  nous  avons 
enquêtées  sont  localisées  dans  la commune  de 
Sébikhotane  et  de  Diamniadio,  dans  une  zone  plus 
excentrée  par  rapport  au projet  de  ville.  Elles  ont  des  tailles
 variables,  allant  de  1,3  à  150  hectares  et  les  deux  tiers
d'entre elles gèrent des domaines dont la  superficie est comprise entre
1,5 et 5 hectares. 
Tableau 6 : Répartition des exploitations
d'entreprise selon la superficie (6 exploitations) 
| 
 Superficie 
(ha) 
 | 
 <3 
 | 
 [3,1 ; 5] 
 | 
 [5,1 ; 10] 
 | 
 [10 ; 90] 
 | 
 
| 
 Exploitations 
 | 
 3 
 | 
 1 
 | 
 1 
 | 
 1 
 | 
 
  
Source : enquêtes personnelles 
La  très  faible  taille  de  l'échantillon  ne 
permet  pas  une  interprétation  très  fiable. 
Cependant  on a remarqué que ces exploitations
bénéficient d'investissements qui justifient la mise en valeur de
terrains bien plus grands que les exploitations familiales. 
Tableau 7 : Modes d'accès à la terre des
entreprises agricoles 
| 
 Modes d'accès à la terre et types droits
fonciers 
 | 
 Droit coutumier (Domaine national non
régularisé) 
 | 
 Droit d'usage (Domaine national
régularisé) Régularisation par la 
commune ou à l'époque par 
les communautés rurales 
 | 
 Droit réel (immatriculation de la parcelle et
possession de titre foncier) 
 | 
 
| 
 Achat 
 | 
 Affect. 
CR 
 | 
 Achat régularisé 
par affectation 
 | 
 Héritage 
 | 
 Achat 
 | 
 
| 
 exploitations 
 | 
 1 
 | 
 2 
 | 
 2 
 | 
 0 
 | 
 2 
 | 
 
  
Source : enquêtes personnelles Nombre de doublons : 1 ; un
exploitant bénéficie de deux parcelles : la première,
régularisée par une affectation, a été agrandie par
l'achat d'un titre foncier. 
On  constate  une  diversité  des  modes 
d'accès  à  la  terre  et  de  la  nature  des  droits fonciers.
L'achat de terres et l'affectation de parcelles par les conseils ruraux
constituent les modalités  les  plus  courantes  d'accès 
à  la  terre  des  opérateurs  agricoles.  Dans  cinq  cas,  les
promoteurs  ont  acheté  les  terres  qu'ils  exploitent  auprès 
des  populations  locales.  Mais  les droits détenus sur ces terres ne
sont pas toujours de même nature. Trois cas de figure se sont
présentés : 
- La détention d'un droit réel en raison de
l'acquisition de terres faisant l'objet de titres fonciers ; 
- La détention d'un droit d'usage reconnu par le
conseil rural (après avoir acheté une parcelle, le promoteur
sollicite une affectation auprès du conseil rural pour
régulariser l'occupation de la terre) ; 
- La détention de droits «précaires»
dans les cas où les terres achetées par le promoteur n'ont  pas 
fait  l'objet  d'une  décision  d'affectation  (notée  «
droit  coutumier »  dans  le tableau). Outre qu'il fragilise
l'exploitation, ce cas de figure a généré un conflit, car
la vente a été faite par un membre de la famille à l'insu
des autres. 
Les   terres   affectées   représentent   quatre
  parcelles   exploitées   par   les   entreprises agricoles.  Une 
affectation  atteint 90  hectares  pour  un  seul  promoteur.  L'importance  de
 la taille  unitaire  des  parcelles  attribuées  souvent  à  des
 personnes  non  originaires  de  la  zone suscite  des  ressentiments  au 
niveau  des  populations  villageoises  qui  éprouvent  de 
réelles difficultés à obtenir des terres auprès des
administrations locales. Les élus locaux font valoir l'argument selon
lequel les autochtones ne disposent pas toujours de moyens suffisants pour
mettre  en  valeur  les  terres.  Pour  leur  part,  les  villageois  estiment 
que  les  promoteurs parviennent  à  bénéficier 
facilement  d'affectation  de  terres,  parce  qu'ils  concluraient  des
arrangements avec les élus locaux. 
Un  habitant  natif  de  Sébikhotane  nous  a 
expliqué  comment  un  investisseur  libanais avait acquis plusieurs
dizaines d'hectares sur l'ancienne commune rurale (donc avant 1996). 
« Des  éleveurs nouveaux  venus  ont  mis  en 
valeur  de  grandes  parcelles  en  construisant uniquement  des  enclos  pour 
leurs  bêtes  et  en  plantant  quelques  arbres.  A  l'époque, 
cela suffisait  pour  bénéficier  d'une  affectation  du  Conseil
 Rural,  c'est  beaucoup  plus  difficile 
aujourd'hui. 
Le  libanais  et  les  éleveurs  ont  alors 
effectué  une  transaction  souterraine  avec  la complicité  de 
plusieurs  élus  locaux.  Je  pense  que  d'ici  quelques 
années,  le  libanais  aura transformé  ses  champs  de  mangues 
en  habitations,  profitant  d'une  énorme  plus-value,  en vendant des
parcelles à des Dakarois ». 
Un  entrepreneur  interrogé  a  rapporté  une 
autre  version  quant  au  devenir  de  la parcelle : il avance que  «
les investissements mis en oeuvre (pour le système d'irrigation, le
conditionnement,  la  mise  en  place  d'une  logistique)  sont  les  preuves 
qu'il  y  un  véritable savoir  faire  digne  d'un  professionnel 
très  efficace,  et  que  le  possesseur  n'a  pas  intérêt
 à revendre son moyen de production. Ses plantations représentent
trop d'années de travail.» 
Ce   témoignage   montre   qu'il   est   difficile   de
  connaître   les   stratégies   et   les représentations 
mentales  des  entrepreneurs  agricoles périurbains:  bien  que 
conscients  de  la montée  du  prix  des  terrains,  ceux-ci  se 
positionnent  quasi  systématiquement  comme  de véritables
ruraux, qui font leur travail par vocation, et parlent de développer
leur filière. S'agit 
t-il  de  méfiance  vis-à-vis  d'un 
interlocuteur   étranger  susceptible  de   communiquer  ses
informations  à  des  acteurs  concurrents  sur  le  territoire ? 
L'attachement  à  la  terre  est-il réellement si fort ? 
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