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L'agriculture périurbaine au risque de la ville? (le cas de Diamniadio, Dakar, Sénégal)

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par Virgile Mendret
ULP Strasbourg I - Master I Géographie Humaine 2006
  

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2 Une agriculture en proie à des pressions foncières de multiples acteurs

La montée des problèmes fonciers est un autre révélateur de la gravité du problème de

la gestion des ressources par des populations de plus en plus denses. La compétition pour la terre a durci la concurrence et la tradition foncière n'arrive plus à cohabiter avec la modernité.

La loi sur le domaine national montre ses limites en étant porteuse d'une situation foncière complexe qui laisse la place au détournement à la fois des parcelles et des indemnisations. Cette loi montre son inadaptation aux nouveaux enjeux et ne pourra éviter une réforme foncière que les acteurs de la pression urbaine, c'est-à-dire l'Etat, les exploitants, les

investisseurs et les bourgeois urbains appellent de leurs voeux.

A) Impact de l'émergence de «l'agriculture d'entreprise» sur le foncier : une flambée des prix et des pratiques qui favorisent une reconversion des petits paysans.

Un agro éleveur a relaté s'être fait exproprier, sans indemnités, un hectare de terres qu'il cultivait uniquement pendant l'hivernage. Ces terres ont été affectées par le conseil rural

de l'époque à Enda Syspro, qui a installé une plantation de haricots destinés au marché extérieur. L'enquête montre bien qu'en majorité, les exploitations familiales perçoivent de façon négative la présence d'entrepreneurs agricoles dans la zone. Pour elles, ces «nouveaux acteurs» ont en commun le fait d'être étrangers au milieu, auquel ils ne sont liés que par leur intérêt immédiat. Tous les paysans rencontrés affirment que la création d'entreprises agricoles

a entraîné des conséquences importantes sur la dynamique foncière au niveau local.

De l'avis des entrepreneurs agricoles et des paysans rencontrés, l'arrivée dans la zone d'investisseurs agricoles désireux d'acheter des terres a fortement accru la valeur des terres agricoles et créé un marché foncier très actif, en particulier à Sébikhotane. Il n'existe pas de barème de prix, en raison du fait que les transactions touchent des terres du domaine national dont la vente est prohibée par la législation foncière. Les prix sont négociés au cas par cas et varient en fonction de la qualité des sols, de l'accessibilité du terrain par une piste et de l'accessibilité par un réseau d'eau.

En ce qui concerne l'évolution du prix de vente de la terre, les interlocuteurs s'accordent à souligner le fait que les prix augmentent d'année en année. Cette flambée des prix est liée à l'accroissement de la demande de terres par des promoteurs perçus comme des gens riches, disposant de moyens pour créer des entreprises agricoles rentables. Des terres nues qui étaient vendues entre 300.000 et 500.000 F CFA par hectare il y a seulement une dizaine d'années, sont cédées aujourd'hui à un prix trois à quatre fois plus élevé (entre 1 et 2 millions de francs CFA suivant la qualité des sols). Les prix de cession atteignent 4 millions

de francs CFA/hectare, lorsqu'il s'agit de terres sur lesquelles des plantations d'arbres sont réalisées et, 6 à 10 millions de francs pour des parcelles faisant l'objet d'un titre foncier.

Dans la plupart des cas, les ventes de terres sont effectuées par les familles qui ne disposent plus de moyens suffisants pour faire fonctionner leurs exploitations, ou qui ne peuvent pas vivre correctement de leur activité horticole. Les raisons invoquées sont liées au coût élevé de l'irrigation résultant de l'affaissement de la nappe qui impose des investissements importants pour s'approvisionner en eau (aménagement de puits profonds ou

de forages, abonnement à la SDE).

L'autre facteur important mentionné par certains chefs d'exploitations familiales concerne leur incapacité à résister à la concurrence des exploitations d'entreprise dont les productions inondent le marché à certaines périodes. Comme le souligne un paysan enquêté :

«celui qui possède des parcelles qu'il ne peut pas cultiver est bien obligé de les vendre parce que sa famille doit manger, s'habiller et résoudre d'autres problèmes qui se posent à elle». Le risque de se faire spolier est d'autant plus grand si la parcelle est inutilisée, la vente du terrain pouvant dès lors revêtir un caractère sécurisant.

Ainsi, acculés par les difficultés qu'ils rencontrent dans l'agriculture, certains paysans

ont préféré vendre leurs terres pour se reconvertir dans d'autres activités économiques, ou pour prendre en charge les frais d'émigration d'un membre de leurs familles. Une étude récente de ENDA/MUAT (2002) souligne que «lorsque des dynamiques d'intensification agricole se mettent en place, la valeur agricole des terres s'accroît. La vente de terrains à des investisseurs ou à des promoteurs immobiliers apparaît aux yeux de certains exploitants plus intéressante que de continuer à les cultiver [...]. Les jeunes et les femmes des villages ne peuvent plus accéder au foncier ou préfèrent s'orienter vers les activités économiques urbaines et le commerce. Une partie des jeunes scolarisés se détourne du travail de la terre qu'elle perçoit comme étant sans avenir et préfère l'exode en ville ; ce qui favorise dans une certaine mesure les ventes de terre en milieu rural et périurbain».

Une disparition des prêts de terres

En plus de l'effet induit sur le prix de la terre, le développement des exploitations d'entreprise a amplifié les transactions foncières, tout en modifiant leur nature. Les prêts et les locations de terres qui étaient pratiqués couramment tendent à disparaître. En effet, certains propriétaires craignent que le locataire ou l'emprunteur ne se fasse affecter les terres par le conseil rural, après quelques années d'exploitation

S'agissant de la location des terres, les prix pratiqués sont relativement élevés (entre

50.000 et 125.000 F CFA/hectare/mois). Les engagements portent sur de courtes durées renouvelables (1 à 3 ans) et font l'objet de contrats signés.

Des transactions qui peuvent contourner la loi sur le Domaine national

Dans la plupart des cas recensés (80%), les ventes de terre concernaient des terres du domaine national surtout à l'époque de la communauté rurale de Yène. La pratique est beaucoup plus difficile depuis que la création des communes de Diamniadio et de Sébikhotane. Selon les habitants l'affectation d'une parcelle est devenue bien plus difficile qu'elle ne l'était du temps de la communauté rurale de Yène.

Les populations procédaient à des transactions souterraines qui étaient le plus souvent avalisées par les conseils ruraux. En règle générale, l'acheteur était introduit auprès du vendeur par une tierce personne (intermédiaire originaire du village). Il négociait directement

et concluait le marché avec le vendeur en présence d'un témoin, souvent un notable du village. Une fois la transaction effectuée, l'acheteur introduisait auprès du conseil rural une demande d'affectation de la parcelle. Il obtenait généralement satisfaction, dés lors que la décision de cession de la parcelle par le propriétaire était notifiée au conseil rural.

Aujourd'hui, de telles pratiques «sont encore courantes dans les communautés rurales

des Niayes depuis que les gens des villes et les fonctionnaires se sont mis à l'agriculture. Dans la zone, tu achètes une parcelle ; ensuite tu vas voir le responsable du CERP et le conseil rural pour obtenir une affectation» selon un responsable de la mairie de Sébikhotane. Certains interlocuteurs estiment que les conseillers ruraux ne font pas toujours gratuitement

ces « affectations-régularisations ». Les conseillers rencontrés récusent de telles accusations

et considèrent que les transactions telles qu'elles s'effectuent actuellement sont régulières, dans la mesure où l'exploitant ne vend pas sa terre, mais reçoit un dédommagement pour les mises en valeur qu'il a réalisées.

Il n'en reste pas moins que ces pratiques demeurent illégales au regard de la loi sur le domaine national. En régularisant les ventes de terres par des affectations a posteriori, les conseils ruraux ont contribué, volontairement ou non, au développement de nouvelles formes

de transactions foncières qui favorisent l'implantation des exploitations d'entreprise, sans

toutefois leur donner des droits réels sur la terre.

B) Impact des projets de l'Etat sur l'agriculture

On peut remarquer à l'aide du tableau 3: « Situation des Grands Chantiers de l'Etat » p.31, que seuls deux projets étaient commencés pendant notre recherche : l'université du futur africain et la Société des industries dakaroise/parc sénégalo chinois. Au moment de l'enquête cinq chefs d'exploitation n'avaient plus de champs suite à l'implantation de la Sodida II, et de

l'université sur leur terrain. Un village situé sur l'emprise de la Sodida a été déplacé.

Photos 15- Un village Peul reconstruit après

déguerpissement. Ce village se trouve sur l'emprise d'un autre projet industriel, et devra être déplacé à nouveau.

Photos 16- Les bâtiments de la Sodida/Parc

Sénégalo-chinois en Juin 2005

A partir de Dény Malick Guèye, le village le plus proche de l'ancienne société Bud

Sénégal, on peut apercevoir l'Université du Futur qui occupe les deux tiers des champs. Les populations ne peuvent pardonner à l'Etat la confiscation de leurs champs, qui a immatriculé à son nom les terres du Domaine National. « L'Etat a confisqué nos terres pour l'Université du Futur Africain. Cette année, nous n'avons même pas cultivé nos champs familiaux. Beaucoup

qui ne comptaient que sur l'agriculture ont gelé leurs activités, faute de terres », nous a appris

un jeune du village. Il n'y a eu ni sommation, ni indemnisation de la part de l'Etat. De nombreux jeunes rencontrés sont obligés d'aller travailler, comme beaucoup d'autres jeunes

des villages environnants, dans les exploitations agricoles moyennes, le ranch Filifili implanté non loin de son village ne recrutant plus. Beaucoup de producteurs rencontrés à Diamniadio pensent que personne ne peut interdire à l'Etat l'implantation d'un équipement public sur le domaine national. Mais ils pensent que l'Etat doit éviter toute discrimination : « Filfili n'exploite que 300 ha mais détient plus de 600 ha en réserve. Pourquoi mettre la pression sur ceux qui travaillent et pas sur les autres ? Aujourd'hui, tous les grands projets de l'Etat

esquivent Filfili, à l'étonnement des populations rurales et des autres producteurs ».

Les producteurs craignent surtout la répétition du syndrome de la ZAC de Mbao, où toutes les terres cultivables ont été cédées à des spéculateurs fonciers. Or, pour eux, «L'ex Bud Sénégal doit rester un tampon naturel entre Dakar et Thiès. Mais avec cette poussée urbaine et l'implantation des projets, sous peu, ils vont atteindre nos exploitations et, avec la législation en vigueur, mettre la main sur nos terres sans aucune indemnisation alors que nous avons dix ans de présence et d'investissement ».

Une expulsion progressive des éleveurs de l'espace agro-pastoral

Les enquêtes ont aussi mis en évidence un déguerpissement d'environ 120 personnes (25-30 chefs de famille) à partir du site de la Sodida à 200 mètres de la voie ferrée Dakar Thiès. Il s'agit du village de Gyent Arafat, qui fait partie administrativement du quartier de Deni Diakhate. Parmi ces agro éleveurs Peuls, aucun des ménages propriétaires ne déclarait avoir de titres légaux, en occupant les terres du Domaine National depuis 1964. Depuis février

ces agro éleveurs ont été déplacés à quelques centaines de mètres des nouvelles implantations. Beaucoup déclaraient être nés sur l'actuel terrain de la Sodida. Mais l'extrait de naissance ne leur a pas été délivré à Diamniadio, car ils étaient considérés comme des étrangers, ce qui montre une réelle volonté de mise à l'écart de la part des populations autochtones. Les infrastructures de ce village sont quasi inexistantes : il n'y a ni fosses septiques ni dépotoir d'ordures. Celles-ci sont déposées à coté du village sans qu'il y ait de ramassage. De plus il n'y a aucun accès à l'eau pour l'ensemble du quartier. Tous les matins, les femmes et les enfants cherchent de l'eau à la borne fontaine située le long de la nationale 1. Ce village forme une communauté homogène, bien différente des citadins Lébous de l'entrée de la ville

de Diamniadio, même si ils partagent -non sans heurts- le même territoire.

Les entretiens ont révélé qu'il n'y avait pas eu de sommation avant l'éviction et un refus de négocier. Des compensations ont bien été accordées à quelques occupants (des ordres

de grandeur de 110 000 FCFA pour deux cases ont été citées) mais une dizaine de chefs de familles n'ont absolument rien touché. Le chef du quartier de Deni Ndiakhate qui est le chef pris en considération par la commune, aurait « oublié » de prendre en compte certaines habitations lorsqu'il a recensé les ménages qui devaient être indemnisés. Un entretien contradictoire avec ce chef de quartier a confirmé que c'est bien lui qui avait recensé les ménages à indemniser par la commune. Il a expliqué que le chef de quartier voisin avait une

légitimité pour les habitants du quartier Peul, mais aucune pour la mairie de Diamniadio.

C'est bien une situation de conflit pour la légitimité qui a permis un détournement des premières indemnisations touchant au projet de ville de Diaminiadio.

Lors de l'éviction, le maire et le service technique de la mairie sont intervenus et des

« menaces » auraient été proférées « On vous a payés, maintenant il faut quitter cette place. Si vous avez des problèmes, on ne vous viendra pas en aide. » Les éleveurs ont cependant été déplacés dans une zone qui, selon le plan et les entretiens, sera industrielle d'ici quelques années. Peut-être s'agit-il d'une volonté d'anticiper sur une deuxième indemnisation de la part d'autres investisseurs, avec la complicité des conseillers municipaux.

Le chef coutumier du quartier Peul semble être en grande difficulté: le terrain où ils étaient installés était constitué de sable, alors que les sols où ils ont été déplacés sont argilo- sableux. Une épaisse couche de boue va donc se développer durant l'hivernage. La commune

ne leur affecte aucun terrain où ils pourraient construire un enclos. Ils doivent dès lors dormir avec les bêtes pour lutter contre les vols de bétail.

Nous avons informé l'entité RUP d'Enda Tiers Monde, ceux-ci coopérant avec le programme des Nations Unies pour les établissements humains. En effet, depuis 1996, le Sénégal avait souscrit une déclaration commune posant comme objectif l'accès à la sécurité

de l'occupation et aux services de bases. Selon un responsable d'Enda RUP, le gouvernement

se trouverait dans l'illégalité vu les textes signés, un recours serait envisageable pour obtenir

un déplacement plus décent de ces populations.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard