2 Une  agriculture  en  proie  à  des  pressions
 foncières  de  multiples acteurs
La montée des problèmes fonciers est un autre
révélateur de la gravité du problème de 
la gestion des ressources par des populations de plus en plus
denses. La compétition pour la terre a durci la concurrence et la
tradition foncière n'arrive plus à cohabiter avec la
modernité. 
La loi sur le domaine national montre ses limites en
étant porteuse d'une situation foncière complexe qui laisse la
place  au détournement à  la fois des parcelles et des
indemnisations. Cette  loi  montre  son  inadaptation  aux  nouveaux  enjeux 
et  ne  pourra  éviter  une  réforme foncière  que  les 
acteurs  de  la  pression  urbaine,  c'est-à-dire  l'Etat,  les 
exploitants,  les 
investisseurs et les bourgeois urbains appellent de leurs
voeux. 
A)  Impact  de  l'émergence  de 
«l'agriculture  d'entreprise»  sur  le  foncier :  une 
flambée des prix et des pratiques qui favorisent une reconversion des
petits paysans. 
Un agro  éleveur  a relaté  s'être  fait 
exproprier, sans indemnités, un hectare de  terres qu'il cultivait
uniquement pendant l'hivernage. Ces terres ont été
affectées par le conseil rural 
de  l'époque  à  Enda  Syspro,  qui  a 
installé  une  plantation  de  haricots  destinés  au 
marché extérieur.  L'enquête  montre  bien  qu'en 
majorité,  les  exploitations  familiales  perçoivent  de
façon négative la présence d'entrepreneurs agricoles dans
la zone. Pour elles, ces «nouveaux acteurs» ont en commun le fait
d'être étrangers au milieu, auquel ils ne sont liés que par
leur intérêt immédiat. Tous les paysans rencontrés
affirment que la création d'entreprises agricoles 
a entraîné des conséquences importantes sur
la dynamique foncière au niveau local. 
De l'avis des entrepreneurs agricoles et des paysans
rencontrés, l'arrivée dans la zone d'investisseurs agricoles
désireux d'acheter des terres a fortement accru la valeur des terres
agricoles et créé un marché foncier très actif, en
particulier à Sébikhotane. Il n'existe pas de barème de
prix, en raison du fait que les transactions touchent des terres du domaine
national dont la vente est prohibée par la législation
foncière. Les prix sont négociés au cas par cas et varient
 en  fonction  de  la  qualité  des  sols,  de  l'accessibilité 
du  terrain  par  une  piste  et  de l'accessibilité par un
réseau d'eau. 
En  ce  qui  concerne  l'évolution  du  prix  de  vente
 de  la  terre,  les  interlocuteurs s'accordent à souligner le fait que
les prix augmentent d'année en année. Cette flambée des
prix est liée à l'accroissement de la demande de terres par des
promoteurs perçus comme des gens  riches,  disposant  de  moyens  pour 
créer  des  entreprises  agricoles  rentables.  Des  terres nues qui
étaient vendues entre 300.000 et 500.000 F CFA par hectare il y a
seulement une dizaine d'années, sont cédées aujourd'hui
à un prix trois à quatre fois plus élevé (entre 1
et 2 millions de francs CFA suivant la qualité des sols). Les prix de
cession atteignent 4 millions 
de  francs  CFA/hectare,  lorsqu'il  s'agit  de  terres  sur 
lesquelles  des   plantations  d'arbres  sont réalisées et, 6
à 10 millions de francs pour des parcelles faisant l'objet d'un  titre
foncier. 
Dans  la  plupart  des  cas,  les  ventes  de  terres  sont 
effectuées  par  les  familles  qui  ne disposent  plus  de  moyens 
suffisants  pour  faire  fonctionner  leurs  exploitations,  ou  qui  ne
peuvent pas vivre correctement de leur activité horticole. Les raisons
invoquées sont liées au coût   élevé   de  
l'irrigation   résultant   de   l'affaissement   de   la   nappe   qui  
impose   des investissements importants pour s'approvisionner en eau
(aménagement de puits profonds ou 
de forages, abonnement à la SDE). 
L'autre  facteur  important  mentionné  par  certains 
chefs  d'exploitations  familiales concerne  leur  incapacité  à 
résister  à  la  concurrence  des  exploitations  d'entreprise 
dont  les productions inondent le marché à certaines
périodes. Comme le souligne un paysan enquêté : 
«celui qui possède des parcelles qu'il ne peut
pas cultiver est bien obligé de les vendre parce que sa famille doit
manger, s'habiller et résoudre d'autres problèmes qui se posent
à elle». Le risque de se faire spolier est d'autant plus grand
si la parcelle est inutilisée, la vente du terrain pouvant dès
lors revêtir un caractère sécurisant. 
Ainsi, acculés par les difficultés qu'ils
rencontrent dans l'agriculture, certains paysans 
ont  préféré  vendre  leurs  terres  pour
 se  reconvertir  dans  d'autres  activités  économiques,  ou
pour  prendre  en  charge  les  frais  d'émigration  d'un  membre  de 
leurs  familles.  Une  étude récente  de  ENDA/MUAT  (2002) 
souligne  que  «lorsque  des  dynamiques  d'intensification agricole
se mettent en place, la valeur agricole des terres s'accroît. La vente de
terrains à des investisseurs ou à des promoteurs immobiliers
apparaît aux yeux de certains exploitants plus intéressante  que 
de  continuer  à  les  cultiver  [...].  Les  jeunes  et  les  femmes 
des  villages  ne peuvent  plus  accéder  au  foncier  ou 
préfèrent  s'orienter  vers  les  activités 
économiques urbaines et le commerce. Une partie des jeunes
scolarisés se détourne du travail de la terre qu'elle
perçoit comme étant sans avenir et préfère l'exode
en ville ; ce qui favorise dans une certaine mesure les ventes de terre en
milieu rural et périurbain». 
Une disparition des prêts de terres 
En  plus  de  l'effet  induit  sur  le  prix  de  la  terre, 
le  développement  des  exploitations d'entreprise a amplifié les
transactions foncières, tout en modifiant leur nature. Les prêts
et les locations de terres qui étaient pratiqués couramment
tendent à disparaître. En effet, certains propriétaires 
craignent que le locataire ou l'emprunteur ne se  fasse  affecter les terres
par le conseil rural, après quelques années d'exploitation 
S'agissant de la location des terres, les prix pratiqués
sont relativement élevés (entre 
50.000  et  125.000  F  CFA/hectare/mois).  Les  engagements 
portent  sur  de  courtes  durées renouvelables (1 à 3 ans) et
font l'objet de contrats signés. 
Des transactions qui peuvent contourner la loi sur le
Domaine national 
Dans la plupart des cas recensés (80%), les ventes de
terre concernaient des terres du domaine  national  surtout  à 
l'époque  de  la  communauté  rurale  de  Yène.  La 
pratique  est beaucoup   plus   difficile   depuis   que   la   création
  des   communes   de   Diamniadio   et   de Sébikhotane.  Selon  les 
habitants  l'affectation  d'une  parcelle  est  devenue  bien  plus  difficile
qu'elle ne l'était du temps de la communauté rurale de
Yène. 
Les populations procédaient à des transactions
souterraines qui étaient le plus souvent avalisées  par  les 
conseils  ruraux.  En  règle  générale,  l'acheteur 
était  introduit  auprès  du vendeur par une tierce personne
(intermédiaire originaire du village). Il négociait
directement 
et  concluait  le  marché  avec  le  vendeur  en 
présence  d'un  témoin,  souvent  un  notable  du village.  Une
fois la  transaction effectuée, l'acheteur introduisait auprès du
conseil rural une demande  d'affectation  de  la  parcelle.  Il  obtenait 
généralement  satisfaction,  dés  lors  que  la
décision de cession de la parcelle par le propriétaire
était notifiée au conseil rural. 
Aujourd'hui, de telles pratiques «sont encore courantes
dans les communautés rurales 
des  Niayes  depuis  que  les  gens  des  villes  et  les 
fonctionnaires  se  sont  mis  à  l'agriculture. Dans  la  zone,  tu 
achètes  une  parcelle ;  ensuite  tu  vas  voir  le  responsable  du 
CERP  et  le conseil rural pour obtenir une affectation» selon un
responsable de la mairie de Sébikhotane. Certains interlocuteurs
estiment que les conseillers ruraux ne font pas toujours gratuitement 
ces « affectations-régularisations ».
Les conseillers rencontrés récusent de telles accusations 
et  considèrent  que  les  transactions  telles 
qu'elles  s'effectuent  actuellement  sont  régulières, dans la
mesure où l'exploitant ne vend pas sa terre, mais reçoit un
dédommagement pour les mises en valeur qu'il a
réalisées. 
Il n'en reste pas moins que ces pratiques demeurent
illégales au regard de la loi sur le domaine  national.  En 
régularisant  les  ventes  de  terres  par  des  affectations  a 
posteriori,  les conseils ruraux ont contribué, volontairement ou non,
au développement de nouvelles formes 
de  transactions  foncières  qui  favorisent 
l'implantation  des  exploitations  d'entreprise,  sans 
toutefois leur donner des droits réels sur la terre. 
B) Impact des projets de l'Etat sur l'agriculture
On peut remarquer à l'aide du  tableau 3: «
Situation des Grands Chantiers de l'Etat » p.31, que seuls deux projets
étaient commencés pendant notre recherche : l'université
du futur africain et la Société des industries dakaroise/parc
sénégalo chinois. Au moment de l'enquête cinq chefs
d'exploitation n'avaient plus de champs suite à l'implantation de la
Sodida II, et de 
  
  
l'université sur leur terrain. Un village situé sur
l'emprise de la Sodida a été déplacé. 
Photos  15-  Un  village  Peul  reconstruit 
après 
déguerpissement.    Ce    village    se    trouve   
sur l'emprise  d'un  autre  projet  industriel,  et  devra être
déplacé à nouveau. 
Photos 16-   Les   bâtiments   de   la  
Sodida/Parc 
Sénégalo-chinois en Juin 2005 
A partir de Dény Malick Guèye, le village le plus
proche de l'ancienne société Bud 
Sénégal, on peut apercevoir l'Université
du Futur qui occupe les deux tiers des champs. Les populations ne peuvent
pardonner à l'Etat la confiscation de leurs champs, qui a
immatriculé à son nom les terres du Domaine National. «
L'Etat a confisqué nos terres pour l'Université du Futur
Africain. Cette année, nous n'avons même pas cultivé nos
champs familiaux. Beaucoup 
qui ne comptaient que sur l'agriculture ont gelé leurs
activités, faute de terres », nous a appris 
un  jeune  du  village.  Il  n'y  a  eu  ni  sommation,  ni 
indemnisation  de  la  part  de  l'Etat. De nombreux  jeunes rencontrés
sont obligés d'aller  travailler,  comme beaucoup d'autres  jeunes 
des villages environnants, dans les exploitations agricoles
moyennes, le ranch Filifili implanté non loin de son village ne
recrutant plus. Beaucoup de producteurs rencontrés à Diamniadio
pensent que personne ne  peut interdire à  l'Etat l'implantation d'un
équipement public sur le domaine  national.  Mais  ils  pensent  que 
l'Etat  doit  éviter  toute  discrimination  :  « Filfili
n'exploite que 300 ha mais détient plus de 600 ha en réserve.
Pourquoi mettre la pression sur ceux  qui  travaillent  et  pas  sur  les 
autres  ?  Aujourd'hui,  tous  les  grands  projets  de  l'Etat 
esquivent Filfili, à l'étonnement des
populations rurales et des autres producteurs ». 
Les producteurs craignent surtout la répétition
du syndrome de la ZAC de Mbao, où toutes  les  terres  cultivables  ont 
été  cédées  à  des  spéculateurs 
fonciers.  Or,  pour  eux,  «L'ex Bud  Sénégal  doit 
rester  un  tampon  naturel  entre  Dakar  et  Thiès.  Mais  avec  cette
 poussée urbaine et l'implantation des projets, sous peu, ils vont
atteindre nos exploitations et, avec la législation  en  vigueur, 
mettre  la  main  sur  nos  terres  sans  aucune  indemnisation  alors  que
nous avons dix ans de présence et d'investissement ». 
Une expulsion progressive des éleveurs de l'espace
agro-pastoral 
Les enquêtes ont aussi mis en évidence un
déguerpissement d'environ 120 personnes (25-30 chefs de  famille) 
à partir  du site de la Sodida à 200 mètres de  la voie
ferrée Dakar Thiès. Il s'agit du village de Gyent Arafat, qui
fait partie administrativement du quartier de Deni Diakhate. Parmi ces agro
éleveurs Peuls, aucun des   ménages propriétaires ne
déclarait avoir de titres légaux, en occupant les terres du
Domaine National depuis 1964. Depuis février 
ces agro éleveurs ont été
déplacés à quelques centaines de mètres des
nouvelles implantations. Beaucoup déclaraient être nés sur
l'actuel terrain de la Sodida. Mais l'extrait de naissance ne leur  a  pas 
été  délivré  à  Diamniadio,  car  ils 
étaient  considérés  comme  des  étrangers,  ce 
qui montre  une  réelle  volonté  de  mise  à 
l'écart  de  la  part  des  populations  autochtones.  Les
infrastructures de ce village sont quasi inexistantes : il n'y a ni fosses
septiques ni dépotoir d'ordures. Celles-ci sont déposées
à coté du village sans qu'il y ait de ramassage. De plus il n'y 
a  aucun  accès  à  l'eau  pour  l'ensemble  du  quartier.  Tous 
les  matins,  les  femmes  et  les enfants  cherchent  de  l'eau  à  la 
borne  fontaine  située  le  long  de  la  nationale  1.  Ce  village
forme une communauté homogène, bien différente des
citadins Lébous de l'entrée de la ville 
de Diamniadio, même si ils partagent -non sans heurts- le
même territoire. 
Les  entretiens ont révélé  qu'il n'y avait
pas eu  de sommation avant  l'éviction et un refus de négocier.
Des compensations ont bien été accordées à quelques
occupants (des ordres 
de grandeur de 110 000 FCFA pour deux cases ont
été citées) mais une dizaine de chefs de familles n'ont
absolument rien touché. Le chef du quartier de Deni Ndiakhate qui est le
chef pris  en  considération  par  la  commune,  aurait  «
oublié »  de  prendre  en  compte  certaines habitations  lorsqu'il
 a  recensé  les  ménages  qui  devaient  être 
indemnisés.  Un  entretien contradictoire  avec  ce  chef  de  quartier 
a  confirmé  que  c'est  bien  lui  qui  avait  recensé  les
ménages à indemniser par la commune. Il a expliqué que le
chef de quartier voisin avait une 
légitimité pour les habitants du quartier Peul,
mais aucune pour la mairie de Diamniadio. 
C'est bien une   situation   de conflit pour la
légitimité qui a permis un détournement des
premières indemnisations touchant au projet de ville de Diaminiadio. 
Lors de l'éviction, le maire et le service technique de la
mairie sont intervenus et des 
« menaces » auraient été
proférées « On vous a payés, maintenant il faut
quitter cette place. Si vous avez des problèmes, on ne vous viendra pas
en aide. » Les éleveurs ont cependant été
déplacés  dans  une  zone  qui,  selon  le  plan  et  les 
entretiens,  sera  industrielle  d'ici  quelques années. Peut-être
s'agit-il d'une volonté d'anticiper sur une deuxième
indemnisation de la part d'autres investisseurs, avec la complicité des
conseillers municipaux. 
Le chef coutumier du quartier Peul semble être en grande
difficulté: le terrain où ils étaient installés
était constitué de sable, alors que les sols où ils ont
été déplacés sont argilo- sableux. Une
épaisse couche de boue va donc se développer durant l'hivernage.
La commune 
ne leur affecte aucun terrain où ils pourraient construire
un enclos. Ils doivent dès lors dormir avec les bêtes pour lutter
contre les vols de bétail. 
Nous  avons  informé  l'entité  RUP  d'Enda 
Tiers  Monde,  ceux-ci  coopérant  avec  le programme  des  Nations 
Unies  pour  les  établissements  humains.  En  effet,  depuis  1996, 
le Sénégal avait souscrit une déclaration commune posant
comme objectif l'accès à la sécurité 
de l'occupation et aux services de bases. Selon un responsable
d'Enda RUP, le gouvernement 
se trouverait dans l'illégalité vu les textes
signés, un recours serait envisageable pour obtenir 
un déplacement plus décent de ces populations. 
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