3  Des mutations professionnelles obligatoires pour les
petits exploitants
Dans un contexte où les terres agricoles deviennent de
plus en plus rares, où l'accès à l'eau  demande  des 
moyens  toujours  plus  élevés,  les  femmes  et  les  jeunes 
multiplient  les expériences  professionnelles  à  la  fois 
rurales  et  urbaines.  Ils  convoitent déjà  les  emplois futurs
qui émergeront du projet de ville. En effet, les jeunes, qui sont de
loin majoritaires sur 
le  territoire  d'étude,  perçoivent  de 
façon  négative  le  concept  de  paysan, 
dévalorisé  par  de multiples connotations : techniques
archaïques, très faibles  revenus,  forte sujétion aux
aînés, sujétion des femmes... Ce refus d'être
perçu comme un paysan pousse les jeunes à s'habiller 
de   fripes   occidentales   achetées au  
marché   hebdomadaire   au   détriment   des   habits
traditionnels. Parallèlement, le salarié jouit d'une très
bonne considération sociale, car il a le privilège d'un salaire
fixe. La majorité des jeunes interrogés, qui avait
déjà travaillé pour une entreprise   dans   divers  
domaines   (hôtellerie,   transports,   agriculture)   souhaite  
accéder durablement au statut de salarié, mais le problème
de leur formation reste entier. 
A) La montée du salariat agricole : vers une prise
de conscience de classe ?
Le  recours  à  une  main-d'oeuvre  salariée 
pour  effectuer  les  tâches  de  production constitue  une  pratique 
quasi  systématique  au  niveau  des  entreprises  horticoles.  Selon 
les résultats  de  l'enquête,  la  majorité  des 
exploitations  d'entreprise  dispose  d'un  personnel permanent composé
non seulement d'ouvriers agricoles, mais aussi de techniciens chargés de
l'appui/conseil et du suivi. Les données collectées dans le cadre
des enquêtes montrent que la gestion de certaines exploitations implique
à la fois la main-d'oeuvre familiale et un personnel salarié
(permanent, saisonnier ou journalier). Dans ce cas de figure, les promoteurs
font appel 
à  des  membres  de  la  famille  (épouses,  fils, 
frères)  ou  à  d'autres  personnes  apparentées 
(neveux, cousins, etc.) pour qu'ils apportent un appui dans la
conduite des activités en prenant 
en charge certaines tâches spécifiques (supervision
des activités, commercialisation, etc.). 
L'implication du promoteur lui-même ou de membres de sa
famille dans la gestion de l'entreprise  agricole  (organisation  des 
chantiers,  supervision  des  activités  ou  exécution  de
certaines tâches) permet  de recruter un personnel moins nombreux. Il
convient toutefois de mentionner  que  le  recours  à  la 
main-d'oeuvre  salariée  constitue  la  règle. 
L'effectif  des employés  permanents  varie  de  1  à  7
 en  fonction  du  volume  des  activités  qu'ils  doivent accomplir au
sein de l'exploitation (surveillance des travaux, exécution des travaux
culturaux, 
gardiennage, etc.). 
Dans la plupart des cas, les employés permanents
perçoivent une rétribution mensuelle dont  le  montant  varie 
entre  20.000  et  55.000  F  CFA.  La  faiblesse  de  la 
rémunération  est parfois compensée par des avantages en
nature  (mise à disposition d'un logement, prise en charge de la
restauration, du déplacement etc.). 
Le  recrutement  d'employés  journaliers  est  devenu 
un  phénomène  général  au  niveau  des
exploitations d'entreprise spécialisées dans l'horticulture et
les cultures fruitières. Cette main- d'oeuvre  est  mobilisée 
principalement  pour  les  opérations  de  désherbage,  de 
sarclage  et  de récolte.  En  période  de  récolte, 
certaines  grandes  exploitations  (par  exemple  Safina  Filfili  à
Sébikhotane) font appel à plusieurs centaines de femmes et de
jeunes originaires des villages environnants. L'utilisation de plus en plus
massive de la main d'oeuvre féminine a fait naître 
un  intéressant  phénomène  d'exode  urbain 
temporaire  des  femmes  des  villes  environnantes comme Rufisque, Bargny et
Pout vers la zone agricole à la recherche d'emplois saisonniers. 
Ces  travailleurs  sont  payés  à  la 
tâche  ou  au  rendement,  sans  considération  des dispositions 
de  la  convention  collective.  Les  rétributions 
négociées  de  gré  à  gré  avec l'employeur
ou son représentant varient de 1000 à 2.000 F CFA pour une
journée de travail, lorsqu'il s'agit du désherbage. Pour les
opérations de récolte, ce personnel est
rémunéré à la journée à raison de
1.400 à 1700 Fcfa/jour. Les femmes sont payées moins que les
hommes. 
On  retiendra  que  dans  la  zone  d'étude,  l'emploi 
salarié  concerne  une  main-d'oeuvre journalière
constituée de femmes et de jeunes originaires des villages environnants,
mais aussi 
de techniciens  et d'ouvriers agricoles.  Les salaires trop
faibles pratiqués  par les  exploitants 
ont  déjà  déclenché  des 
grèves  des  ouvriers  agricoles :  deux  semaines  de  grèves 
ont  été organisées par des employés chargés
de la sécurité (engagés au niveau baccalauréat ou
licence universitaire) au sein de l'entreprise Safina Filfili. Une « lutte
de classe » prend donc forme 
au sein des plus grandes exploitations. Cependant, au dire des
notables locaux, ces entreprises contribuent à fixer les jeunes sur le
territoire en leur permettant d'accéder à des emplois, sans
lesquels  les  jeunes  adultes  seraient  tentés  par 
l'émigration  à  Dakar.  Pour  eux,  il  s'agit 
d'apprendre à négocier avec les chefs d'entreprises
et d'ouvrir le dialogue. 
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