3 Le cadre législatif et réglementaire de
la croissance urbaine
Depuis l'indépendance, l'Etat sénégalais
tend de plus en plus à réglementer et à diriger
l'occupation de l'espace, qu'il soit rural ou urbain. On peut affirmer
cependant que le droit ne 
fait  pas  la  ville :  l'extension  de  Dakar  continue  de 
s'opérer  mais  sans  toujours  obéir  à  la norme 
juridique,  occupant  souvent  les  emprises  d'infrastructures  en  projet. 
Il  a  aussi  été montré   que   les   bailleurs   de  
fonds   cherchent   une   légitimité   autre   que   celle  
apportée uniquement par l'Etat. 
Dans un premier lieu, nous verrons que les législateurs
ont eu une propension affirmée 
à  puiser  leur  inspiration  dans  des  règles 
en  vigueur  en  Europe,  où  ces  instruments  visent  à
développer   la   concertation   et   la   participation   des  
habitants   des   communes   aux   choix d'urbanisme. Puis il faudra signaler
la refonte du droit de la domanialité publique, dans un sens qui se veut
assez proche de la tradition africaine. Telle est l'originalité de la
législation relative  au  domaine  national.  A  l'origine,  cette 
législation  intéresse  plus  l'aménagement  du territoire
rural que l'aménagement des villes,  mais elle permet le lancement
d'agglomérations nouvelles, telles Diamniadio. En effet, si les
collectivités locales font autorité pour la gestion 
du domaine national en zone rurale, l'Etat s'arroge les
compétences foncières des communes urbaines. L'Etat peut-il faire
la ville ? La question peut étonner, après s'être
attaché à montrer que la pression foncière était la
conséquence d'interactions entre échelles, dépassant
souvent 
le  cadre  national,  et  d'acteurs  privés  locaux 
bénéficiant  de  marges  de  manoeuvre.  Mais  à
Diamniadio, à l'aide de ressources providentielles, l'Etat veut
réaffirmer son autorité de seul maître de la terre. Quitte
à appliquer la politique du bulldozer. 
A)  Des  instruments  législatifs  empruntés 
à  la  France  mais  inadaptés  à  une  pression urbaine
aigue.
L'énumération  de  quelques  outils  d'urbanisme 
souligne  que  dès  l'origine,  l'Etat 
sénégalais  a  intervenu  massivement  dans  la 
production  et  la  gestion  urbaine,  et  de  manière
particulièrement marquée dans la région du Cap Vert. Mais
il ne faut pas perdre de vue que 
ces outils traduisent une mauvaise appréhension du
phénomène urbain. En effet, ceux-ci sont dépassés
par l'ampleur de la croissance urbaine, et ne permettent pas une planification
locale 
des  équipements,  des  réseaux  et  des 
réserves  foncières  à  la  mesure  du 
développement  que connaît la capitale. Les restructurations
urbaines, les déguerpissements ont été des réponses
apportées a posteriori par l'Etat sénégalais  à ses
propres carences en matière de planification 
urbaine. 
Le Code de l'Urbanisme  fait l'objet d'une
loi  et comprend une partie législative et une   partie  
réglementaire.   La   partie   législative   traite   des  
conditions   d'élaboration   et d'approbation  des  plans  cadres 
d'urbanisme  ;  quant  à  la  partie  réglementaire,  elle 
traite essentiellement des aspects liés aux autorisations de lotir, et
du contrôle des constructions. Ce code se base sur quelques outils
d'aménagement calqués sur le droit français. Ce sont le
Plan Directeur   d'Urbanisme   (PDU),   la   Zone   d'Aménagement  
Concerté   (ZAC),   le   Schéma directeur d'aménagement et
d'urbanisme (SDAU), et enfin le lotissement. 
Les   plans   directeurs   d'urbanisme   (PDU)  
sont   élaborés   par   la   Direction   de l'Urbanisme 
 et   de   l'Aménagement   (DUA)   du   ministère   de  
l'urbanisme.   Sa   vocation principale  est  de  permettre  aux  services  de 
l'Etat  de  gérer  avec  une  plus  grande  précision
l'attribution et l'utilisation du sol urbain qui échappe donc aux
autorités locales, qui, dans les textes  sont  associées 
à  l'élaboration  du  PDU.  La  part  d'association  de 
celles-ci  dépend cependant de la qualification de leur personnel, et
elle fait souvent défaut. Mais, faute d'une mise à jour
régulière, les investissements programmés et non
réalisés par manque de moyens sont reportés d'une
année à l'autre, quelle qu'ait pu être l'évolution
de la ville concernée. Ces PDU fixent les orientations
générales et indiquent les éléments essentiels de
l'aménagement urbain dans le cadre du plan national d'aménagement
du territoire. Ils comportent : 
- la répartition et l'orientation du sol en zones suivant
les affectations ; 
- le tracé de toutes les voies de circulation ; 
- l'organisation générale des transports ; 
- les emplacements réservés aux activités
; 
- les installations classées et d'intérêt
général ou à usage public ; 
- éventuellement les éléments de
programmation et de coût des équipements publics et
d'infrastructures ; 
- les schémas directeurs des réseaux. 
Les  plans  d'urbanisme  de  détails  (PUD) 
reprennent  à  plus  grande  échelle  les dispositions 
d'aménagement  d'une  zone  ou  des  parties  des  plans  directeurs  et
 schémas directeurs d'aménagement et d'urbanisme. Ils doivent
préciser et compléter ces dispositions 
en fonction des spécificités de chaque secteur
concerné, notamment la délimitation des zones d'affectation  en 
considération  de  la  nature  des  sols.  Les  plans  d'urbanisme  de 
détails 
comportent un règlement qui fixe les servitudes relatives
à l'utilisation du sol. 
Les Zones d'Aménagement Concerté
ont pour objet l'aménagement et l'équipement 
de terrains, notamment en vue de la réalisations
d'infrastructures et d'équipements collectifs publics ou privés,
de construction à usage d'habitation, de parcelles d'habitation
viabilisées, 
de  commerce,  d'industrie  ou  de  service.  Les  ZAC  doivent 
permettre  de  coordonner  ces investissements, dans des zones
stratégiques où la pression foncière est
particulièrement forte. 
Le premier projet a été  la ZAC de Mbao Gare
(environ 650 hectares) située à l'entrée 
de Rufisque, le long des axes principaux de transport (route
nationale et chemin de fer), où de nombreux promoteurs et
coopératives d'habitat se sont procurés des terrains. 
L'opération jugée très intéressante
à été étendue à grande échelle avec
la création de 
six  autres  zones  d'Aménagement  concerté, 
dont  cinq  concernent  les  villes  de  l'intérieur (Thiès, 
Louga, Kaolack,  Saint-Louis, Richard-Toll), et une à Diamniadio, avec
cette fois ci une   place   importante accordée   aux
collectivités   locales   dans la mise   en   oeuvre.
L'aménagement  des  5  premières  zones  d'aménagement 
concerté  fournira  500  hectares aménagés avec 100
hectares par ville. 
Par contre, la ZAC de Dakar / Diamniadio concernera
l'organisation et l'aménagement 
de  2500  ha,  avec  une  première  tranche  de  1250 
ha,  pour  offrir  des  terrains  pour  l'habitat, l'industrie,  l'artisanat 
et  le  commerce.  Afin  de  regrouper  toutes  les  collectivités 
locales intéressées par ce projet,  les élus ont
demandés la création d'un  groupement mixte, tel que
décrit dans le code des collectivités locales. 
Les   schémas   directeurs  
d'aménagement   et   d'urbanisme   (SDAU)   fixent   les
orientations  fondamentales  de  l'aménagement  des  territoires 
concernés,  compte  tenu  des relations  entre  ces  territoires  et 
les  régions  avoisinantes  et  de  l'équilibre  qu'il  convient 
de préserver entre l'extension des agglomérations, l'exercice des
activités agricoles, des autres activités industrielles,
économiques et la préservation des sites naturels. 
Les schémas directeurs prennent en compte les programmes
de l'Etat, des collectivités locales, des établissements et
services publics et privés. Ils déterminent la destination
générale 
des  sols,  la  nature  et  le  tracé  des  grands 
équipements  d'infrastructures  en  particulier  de transport, la
localisation des activités les plus importantes, ainsi que les zones
préférentielles d'extension  ou  de  rénovation.  Le  SDAU
 s'applique  à  une  commune,  à  une  communauté 
rurale, à un ensemble de communes ou des
communautés rurales. 
Les  lotissements  semblent 
considérés,  et  ce  depuis  l'ère  coloniale,  comme  le 
mode d'aménagement  unique  de  la  ville  africaine.  Tout  le  centre 
de  Dakar  est  marqué  par  cet urbanisme  colonial  en  damier.  Sa 
création,  coûteuse,  relève  de  plusieurs  étapes.
 Après l'obtention  de  l'immatriculation  des  terrains, 
première  étape  qui  peut  durer  longtemps,  un
géomètre quadrille, borne et lotit, en établissant un plan
masse et un règlement de lotissement. 
La vente ne peut s'effectuer qu'après approbation
officielle : les lots peuvent être alors titrés 
et entrer dans la filière légale de
construction. Ce type de lotissement est la plupart du temps occupé  par
 les  couches  sociales  moyennes  ou  supérieures,  proches  de 
l'administration  et mieux informées des démarches à
suivre et capables de supporter le coût des titres fonciers et 
des travaux demandés. 
Comme   mentionné   précédemment,   les  
12 000   lots   enregistrés   par   l'ancienne communauté  rurale
 de  Yène  sont  remis  en  cause  par  la  ZAC  de  Diamniadio, 
l'enjeu  des communes étant de pouvoir honorer les demandes
déjà perçues. 
La  réalisation  de  ces  SDAU,  PDU,  PUD, 
ZAC  et  lotissements,  en  raison  des lenteurs   des   procédures  
administratives,   du   manque   de   moyens,   prend   souvent beaucoup de
retard. Aussi ces plans sont très vite dépassés par des
extensions urbaines incontrôlées et irrégulières,
qui hypothèquent souvent la réalisation de certains grands
équipements  d'infrastructures  prévus  (autoroute 
Dakar-Thiés,  voie  de  dégagement Nord etc.) et/ou engendrent
des coûts hors prévisions pour leur
réalisation. 
Afin  de  pallier  ces  occupations  spontanées  de 
l'espace,  l'Etat  utilise  deux  pratiques 
urbanistiques, qui ne s'appliquent pas à des cas
précis ; leur application varie en fonction des options politiques : on
veut récupérer le terrain (déguerpissement) ou on  veut
régulariser la situation de personnes qui ont peu de droits ou pas du
tout (restructuration urbaine). 
La restructuration urbaine consiste en une
opération d'aménagement des zones non loties,  vétustes 
ou  insalubres  caractérisées  par  une  occupation  anarchique 
de  l'espace  avec notamment des parcelles enclavées ou mal desservies,
et un manque d'équipements collectifs. 
Il s'agit d'asseoir une utilisation et une organisation plus
rationnelle de l'espace, d'améliorer 
le cadre de vie et de régulariser la situation
foncière des ayants droit, conformément à un plan 
de restructuration conçue avec la participation des
populations concernées. 
La  procédure  consiste  à  immatriculer  au 
nom  de  l'Etat  tous  les  terrains  occupés illégalement,  pour
permettre ensuite  la production de titres  fonciers. Côté
restructuration, il s'agit de libérer des emprises pour une voirie
minimale, de raccorder le quartier aux réseaux
d'électricité et d'eau, en associant les habitants au remodelage
de leur quartier, en dégageant 
les zones habitables occupées illégalement. 
Un phénomène de spéculation peut se
développer dans les quartiers visés, parvenant à
contourner  les  règlements  pour  tirer  un  profit  financier  de 
l'opération.  A  Diamniadio,  cette opération sera-t-elle
récupérée par les populations solvables et des dakarois
aisés ? 
Les déguerpissements concernent certaines
personnes qui se sont installées en dehors 
des  lotissements,  mais  ont  acheté  leur  terrain  aux 
propriétaires  coutumiers  Lébous.  Pour  la plupart, ils ont
assuré eux même la construction de leur maison. Lorsque ces
installations sont 
sur  l'emprise  de  projets  d'aménagements,  l'Etat 
procède  à  leur  déguerpissement,  effectué manu
militari. Le projet de Diamniadio prévoit la destruction d'habitations,
et des expulsions s'apparentant à des déguerpissements ont
déjà eu lieu (sur l'emprise de la Sodida2). A Dakar, 
la  procédure  de  déguerpissement  ne 
constitue  pas  en  soi  une  politique  urbaine  mais  est
présentée   comme   la   conséquence   de   l'offre  
insuffisante   en   logements   qui   provoque l'urbanisation illégale
et souvent anarchique des espaces libres. Cette situation est
aggravée 
par la promulgation  de la loi sur le domaine national de
1964. 
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