B) Le droit domanial sénégalais, une
inspiration africaine
Le  Sénégal  a  adopté  en  1964  une  loi 
sur  le  domaine  national  (loi  64-46  du  16  juin 
1964). En milieu rural, la nouvelle législation a
supprimé les droits fonciers coutumiers des lignages et des familles. La
loi stipule en effet (art. 1er  ) que «toutes les terres
non classées dans  le  domaine  public,  non  immatriculées  et 
dont  la  propriété  n'a  pas  été  transcrite 
à  la Conservation  des  hypothèques,  constituent  de  plein 
droit  le  domaine  national».  La  quasi totalité  du  sol, 
95  %  environ,  a  été  érigée  en  domaine 
national  par  la  loi  64-46  du  17  juin 
1964. 
Le principal inspirateur de la loi 64-46 du 17 Juin 1964 relative
au domaine national, 
le Président Senghor, parlant de la loi disait
«... il s'agit très simplement de revenir du droit romain  au 
droit  négro-africain,  de  la  conception  bourgeoise  de  la 
propriété  foncière  à  la conception socialiste
qui est celle de l'Afrique noire traditionnelle ». Le but
recherché par le législateur de 1964 est essentiellement de
libérer le paysan sénégalais de la main mise « des
maîtres de terres », et sans se substituer à l'Etat colonial,
de lui assurer un accès gratuit à la terre  et  de  le 
sécuriser  tant  que  le  paysan  en  assure  la  mise  en  valeur. 
Ainsi  l'occupant  du domaine  national  affectataire  d'une  terre  dispose 
d'un  «  droit  d'usage  »  qui  lui  permet d'exploiter la terre, en
théorie, avec stabilité et sécurité. Bien que le
droit d'usage ne donne 
pas droit sur le sol, la situation de l'affectataire d'une
dépendance du domaine national n'en 
est donc pas incertaine ou fragile en zone rurale.
L'éviction de l'occupant ne peut intervenir 
que   pour   cause   d'utilité   publique   ou  
d'intérêt   général   légalement  
déclarée,   après indemnisation pour les investissements
réalisés, ou en guise de sanction. 
Toutefois,  le  droit  de  requérir  l'immatriculation 
a  été  reconnu  aux  occupants  du domaine  national  qui, 
à  la  date  d'entrée  en  vigueur  de  la  loi,  avaient 
réalisé  «une  mise  en valeur à caractère
permanent» des terres. Une telle mise en valeur devait faire l'objet
d'un constat attesté par une décision administrative, à la
demande de l'intéressé dans un délai de 6 mois à
compter de la date de publication du décret d'application de la loi. Les
règles définies pour le constat positif d'une mise en valeur ont
été conçues, plus en fonction des conditions
d'exploitation des plantations ivoiriennes ou de périmètres
hydro-agricoles, que des réalités de l'agriculture
sénégalaise fondée sur le système des cultures sous
pluie, c'est-à-dire seulement trois mois par an. 
C'est  le  cas  à  Diamniadio,  où  les 
cultures  d'hivernage  constituent  la  majorité  de  la surface. Par
contre, dans la zone des Niayes (surtout sa partie Sud, entre Pikine et
Bayakh), mais  également  des  zones  situées  à  la 
périphérie  de  certains  centres  urbains  (Saint-Louis,
Thiès, Ziguinchor) et des anciennes escales du fleuve
Sénégal une mise en valeur pérenne est souvent
réalisée. A Sébikhotane, une mise en valeur continue est
observée au long de l'année grâce aux nombreuses
plantations de papayers, manguiers et mandariniers. 
Du  fait  des  employés  expatriés  et  des 
populations  autochtones  les  plus riches,  on  a assisté au
développement à proximité des centres urbains de jardins
maraîchers, de vergers et 
de «résidences de campagne» appartenant aux
couches sociales privilégiées (agents de l'Etat, hommes
d'affaires, commerçants libano syriens, notables etc.). 
Ces  acteurs  proches  des  centres  de  décision  et 
souvent  instruits  ont  pu  appréhender sans difficultés les
implications de la nouvelle législation ; ce qui les a conduit à
prendre les dispositions  nécessaires  à  la  transcription  de 
leurs  droits  fonciers.  Cette  situation  explique l'existence   dans  
certaines   parties   du   pays,   en   particulier   dans   la   commune  
rurale   de Sangalkalm, de vastes domaines fonciers qui ont été
mis en valeur et immatriculés au nom de leurs  propriétaires. 
Ces  derniers  ont  bénéficié  de  baux  ou  de  titres 
fonciers et  pour  cette 
raison, leurs terres n'ont pas été
intégrées au domaine national. 
Ces  terres,  qui  en  théorie  ne  peuvent  être 
immatriculées  qu'au  nom  de  l'Etat,  sont réparties en quatre
catégories : 
i) les  zones  urbaines  constituées  par  les  terres 
du  domaine  national  situées  sur  le territoire  des  communes  et 
des  groupements  d'urbanisme  prévus  par  la  législation
applicable en la matière ; ce sont des réserves foncières
au profit de l'Etat. 
ii)  les  zones  classées  constituées  par  les
 zones  à  vocation  forestière  ou  les  zones  de protection
ayant fait l'objet d'un classement dans les conditions prévues par la
législation particulière qui leur est applicable ; 
iii) la zone des terroirs qui correspond aux terres
régulièrement exploitées pour l'habitat rural, la culture
ou l'élevage et dont la gestion est confiée aux
communautés rurales ; 
iv)  les zones pionnières qui correspondent aux autres
terres. 
En dehors du domaine public et des domaines privés
de l'Etat et des particuliers, 
les  terres  agricoles  dans  la  zone  des  Niayes 
relèvent  de  deux  situations  :  les  terres  de terroirs  et  les 
terres  agricoles  situées  dans  les  zones  urbaines.  Par  contre, 
les  terrains cultivés  dans  les  communes  de  Sébikhotane  et 
Diamniadio  sont  tous  situés  en  zone urbaine, ce qui mérite
de s'y intéresser de plus près. 
Le domaine national urbain, au risque de l'Etat et des
acteurs privés. 
La loi 64-46 du 17 juin 1964 relative au domaine national
classe dans une catégorie à part  certaines  dépendances 
de  ce  domaine  situées  en  zones  urbaines,  qui  sont 
considérées comme  des  réserves  foncières  au 
profit  de  l'Etat.  Cependant,  pour  s'en  servir  l'Etat  doit
requérir  l'immatriculation  de  ces  terrains  à  son  nom. 
Ainsi  des  opérations  ponctuelles d'immatriculation de terrains du
domaine national situés dans les centres urbains sont souvent
réalisées. L'Etat mène de vastes opérations
d'immatriculation de terrains du domaine national situés en zones
urbaines pour les faire entrer dans le domaine de l'Etat en vue de la
réalisation 
des  plans  d'urbanisme  et  d'aménagement. 
Immatriculer  au  nom  de  l'Etat  les  réserves foncières afin
de les protéger contre les occupations sauvages est la condition sine
qua non pour anticiper sur la création des quartiers irréguliers,
qui pourra entraîner une insécurité de l'occupation
foncière et immobilière. Mais la réalité montre que
cette anticipation étatique est 
insuffisante au regard de la pression urbaine aigue qui
caractérise ces espaces. 
Une  indemnisation  est  prévue  dans  certains  cas 
d'expropriation,  mais  elle  est  loin d'assurer la stabilité et la
sécurité de l'occupation foncière en zone urbaine.
L'indemnité est établie  en  tenant  compte  exclusivement  de 
la  valeur  des  constructions,  aménagements, plantations et cultures
existants, réalisés et utilisés par le titulaire du titre
d'occupation, ce qui exclu les pâturages et les terres cultivées
quelques mois par an. L'occupant d'une dépendance 
du domaine national, ou  «le propriétaire
coutumier» peut donc être tenté  par la spéculation
foncière, sa crainte étant d'être
dépossédé un jour par l'Etat. 
Par ailleurs, d'anciens propriétaires coutumiers se
sentant spoliés par la loi relative au domaine national ont
tenté, individuellement ou en groupe, de s'opposer à
l'application de loi particulièrement  à  Dakar.  On  peut 
rappeler  que  les  Lébous,  autochtones  de  la  capitale
sénégalaise avaient déjà une longue tradition de
résistance à la main mise de l'administration coloniale  sur  les
 terres  de  leurs  ancêtres,  dont  ils  se  considèrent  comme 
les  véritables propriétaires  malgré  les 
prétentions  de  l'Etat  français.  Les  Lébous 
s'étaient  à  maintes occasions  opposés  à  l'Etat
 français  dans  les  procédures  d'immatriculation  sur  les 
livres fonciers de terrains nécessaires à la réalisation
de certains projets, tels que : 
- la construction de l'aéroport Dakar-Yoff en 1934 ; 
- l'installation du quartier de la Médina en 1935 ; 
-  l'édification  de  l'Institut  des  Hautes  Etudes  de 
Dakar,  aujourd'hui  Université 
Cheikh Anta Diop (UCAD) en 1956. 
Cette même ethnie constitue une part importante des
personnes qui ont été interrogées lors des enquêtes
sur les communes de Sébikhotane et Diamniadio. 
Conclusion : Un futur possible, une ville à la
situation foncière et sociale duale. 
D'une  manière  pratique,  deux  types  de  droits  se 
complètent  sur  le  territoire  de Diamniadio  pour  permettre  la 
création  d'un  grand  plan  d'investissement.  La  loi  sur  le Domaine
 National  met  à  disposition  de  l'Etat  l'espace  nécessaire 
à  la  mise  en  place d'instruments législatifs calqués
sur le droit français, qui permettent la production d'espaces attractifs
pour favoriser les investissements. En effet, aux yeux des investisseurs, une
bonne localisation ne vaut rien sans la sécurité foncière,
et celle-ci exige l'élimination des droits des autochtones. Mais
l'administration aura-t-elle les moyens techniques et intellectuels de
suivre 
les orientations données par ces différents SDAU,
PUD, et ZAC ? 
Par ailleurs, d'autres filières de production de l'urbain,
parallèles, pourront aboutir à une  coupure  nette  entre  d'un 
coté  la  ville  de  l'Etat  de  droit,  légale  et  bien 
équipée,  et  de 
l'autre une ville de fait, moins équipée, faite
d'habitants peu solvables et moins encadrée par l'administration, comme
cela a toujours été le cas à Dakar. 
Les  déguerpissements  vont  s'accompagner  d'une 
manne  financière,  qui  devra  être distribuée  au  cas 
par  cas.  C'est  à  ce  moment  que  l'appartenance  à  des 
groupes  ethniques, familiaux mais surtout politiques, fera varier
énormément les sommes reçues. Le déploiement
d'instruments  législatifs  et  réglementaires,  mêmes 
forts,  fait  donc  l'objet  d'un  jeu  entre  les populations  les  mieux 
positionnées  et  l'administration.  Celle-ci  trouve  en  ces  acteurs 
en même  temps  des  adversaires  et  des  collaborateurs  conscients 
des  enjeux  qui  pèsent  sur l'espace et capables de composer avec la
vision étatique de la ville. 
Conclusion : un espace rural à la porte de la
ville. 
A Diamniadio, on a le paradoxe d'un droit d'inspiration
négro africaine, où la notion même de
propriété privée n'existe pas, qui sert après coup
une logique économique libérale et mondialisée. Cette
véritable invention de l'Etat répond à la demande
croissante d'espace pour 
la  capitale  et  se  trouve  en  symbiose  avec  les  modes 
qui  agitent  les  principaux  bailleurs  de fonds.  Cependant,  la 
très  forte  spéculation  foncière  vient  freiner,  voire
 hypothéquer  la réalisation du projet. Selon le diagnostic
participatif effectué par une partie de la population et 
les  élus  en  2003,  et  à  destination  du 
ministère  de  l'Urbanisme  et  de  l'Aménagement, la fonction 
dominante  de  cette  collectivité  locale  reste  l'élevage  et 
l'agriculture.  Il  s'agit  sans conteste d'une position ambivalente : se dire
rural, c'est avant tout montrer un  attachement certain à sa terre, pour
pouvoir positionner la ville de Dakar (et surtout les acteurs urbains) en
prédatrice d'espace. Car la frontière entre ville et espace rural
est beaucoup plus floue. Si à toute première vue, la ville
apparaît bien comme un lieu difficile d'accès pour des personnes
issues   du   monde   rural   et   qui   peuvent   en   être   exclus,  
peu   à   peu,   on   remarque   des comportements urbains
caractéristiques d'une bourgade périphérique. C'est dans
ce lieu que 
se  tiennent  des  marchés  importants,  qu'existe  un 
minimum  de  confort  urbain  (électricité  et eau   courante),  
qu'est   situé   un   « garage »   (c'est-à-dire   une 
 gare   routière)   et   que   les investissements des citadins sont les
plus remarquables. Cet espace qui se dit rural est donc tiré par la
ville et intégré dans la mouvance urbaine. Il s'agit alors
d'approcher ce milieu à travers sa relation de dépendance
à la ville, qui commande la « campagne » qui l'entoure. Les
dynamiques agricoles seront forcément sous tutelle urbaine, et
connaîtront des évolutions qui verront  s'affirmer  la 
prépondérance  des  citadins  sur  le  jeu  des  acteurs 
socio-économiques 
locaux. 
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