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Etude linguistique et sociolinguistique de l'argot contenu dans les textes de rap au Sénégal, l' Exemple Du DAar J


par Mamadou Dramé
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - DEA 2000
  

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III- 2 Procédés de création de l'argot

Les procédés de création de l'argot répondent de plusieurs critères en fonction des besoins d'expressivité dévolus aux mots ou aux expressions particulières. Ainsi, les mots qui, dans notre corpus peuvent être rangés dans cette catégorie lexicale se révèlent relever de plusieurs origines linguistiques et s'insèrent dans les expressions de telle manière qu'il est difficile de déterminer si ces mots relèvent de l'emprunt ou du code switching. Les langues qui prêtent à l'argot sont essentiellement le français, l'anglais, le wolof et l'arabe. Nous nous attacherons d'abord à regarder les changements sémantiques avant de voir leur organisation morphologique.

III-2-1 Les changements sémantiques

Les changements sémantiques concernent des langues utilisées dans notre corpus. Ils répondent à des motivations culturelles et idéologiques tout aussi différentes. Nous tenterons de jeter un regard d'ensemble pour voir comment les mots s'organisent. Nous ne nous priverons pas d'ouvrir des fenêtres pour voir ce qui se fait dans d'autres textes de rap.

Certains mots ont perdu leur sens premier et ont pris un sens nouveau, même si la signification étymologique reste présente dans le parler ordinaire. Ainsi on peut souligner

« makk sama, rakk sama » Identité

Ce syntagme est l'inversion à des fins stylistiques des expressions « sama makk, sama rakk » qui signifient, « mon grand frère ; mon petit frère ». Ce sont des expressions utilisées pour les jeunes au sein des groupes pour signifier la hiérarchie, mais aussi pour montrer ce qui lie ces individus : une amitié ou plus une fraternité

« Une mafia triangulaire errait, elle s'était accaparée » Gorée

Dans ces syntagmes, le mot mafia est employé pour désigner le commerce illicite, odieux et honteux de l'esclavage, à la fois sournois et flagrant, mais contre lequel personne ne veut s'insurger, vu la force qu'il avait le commerce. Triangulaire montre la présence des trois continents que sont l'Afrique, l'Europe et l'Amérique.

Dans les syntagmes où le code switching est absent, les glissements sémantiques fonctionnent comme des métaphores . Ces métaphores dans certaines situations dépassent le cadre de la comparaison pour désigner un ensemble plus large (comme dans le cas de mafia triangulaire ).

III-2-2 L'organisation lexicale

L'organisation lexicale tournera ici essentiellement autour des emprunts des néologismes et de l'organisation morphologique et phonétique. Pour analyser cette partie, nous prendrons toujours pour illustrer une langue pour nous servir de base et nous permettre de mettre en évidence l' « intrus ». Cette précision s'impose dans la mesure où il y a deux ou plusieurs langues présentes dans les expressions analysées.

- Les emprunts au français

Ce sont essentiellement des mots qui, là où ils sont placés, remplissent une fonction métonymique. Ils remplacent la chose désignée ou suggérée par la manière qui a servi à sa fabrication. On peut relever ou considérer la traduction du syntagme :

« Fo tox tabac sax ñune gisal tox na bon » Jengouman

( Même quand il prend une cigarette on dit qu'il fume du chanvre indien )

On voit que le mot « cigarette » est repris ici grâce au mot « tabac» ». De même on peut souligner l'absence de déterminant entre le verbe (tox) et le substantif (tabac ). Cela en fait une sorte de locution figée.

Il est également possible de souligner des métaphores dans des endroits où on a utilisé un vocabulaire spécialisé. Par exemple :

« Jaxare » tribord bâbord (B.Kobor )

L'emprunt au vocabulaire des marins sert à marquer l'ampleur de la désolation qui s'empare du paysan confronté qu'il est à la sécheresse et ses conséquences.

Les glissements sémantiques affectent également le niveau syntaxique à partir du moment où des substantifs d'une langue sont utilisés pour jouer le rôle d'un verbe. Il y a par exemple :

« béer sa borr, guerre sa borr » (B.Koor )

On soulignera d'abord l'usage de la paire « Béer / guerre » à des fins stylistiques car elle permet de procéder à des rimes intérieures, mais on notera aussi que le substantif «guerre » joue le rôle d'un verbe et signifie « faire ka guerre » ou « lutter contre ».

Toujours dans le rap procédé de réduction du sens des mots, il y a la séquence : « nekk pègre » (Free style)

où le substantif pègre joue le rôle d'un adjectif qualificatif attribut et désigne ici un état: c'est l'état dans lequel sont ceux qui vivent de la drogue ou de ceux qui sont simplement dans le milieu. Dans une acception beaucoup plus réduite, le mot signifie « bandit » et l'expression « être un bandit " c'est la désignation de celui qui n'a peur de rien.

En outre pour rendre le mot plus proche des mots wolof, des ménagements phonétiques peuvent être opérés.

« Cheikh Anta Diop la wotel" Xalima

Voter devient Wotel et le sens du mot est plus élargi et signifie « être d'accord avec ». Ainsi ce syntagme signifie « j'adhère aux idées de Cheikh Anta Diop ».

-Les emprunts à l'anglais.

C'est le groupe le plus important. Cet état de fait peut se comprendre dans la mesure où le rap est originaire des Etats- Unis. Donc les textes chantés en anglais par plupart des chanteurs américains (précurseurs) ne peuvent pas ne pas influencer tous les autres jeunes qui font du rap. Mais la réalité dépasse ce simple constat car l'anglais s'insère dans le parler argotique et se mélange aussi bien, avec le français qu'avec le wolof.

Les mots les plus récurrents sont des mots techniques relatifs à la musique. Ainsi toute la terminologie musicale, surtout pour ce concerne le rap, est passée en revue. Et les rappeurs tels des prêcheurs disent c qu'ils voudraient que le rap soit.

Dans ce morceau ils disent ce qu'ils voudraient que le rap soit.

« Donc lyriques saints sur un riddim saint prêchant comme un sain » Microphone Soldat.

« Sama lyriques daflay dugu melni xal » (mes lyriques entrent en toi comme du charbon ardent ) Free style

Le mot « lyriques » joue sur l'ambivalence significative et désigne pour la plupart les versets déclamés et quelques fois, mais rarement, la musique en entier.

De même que nous l'avons souligné concernant le Français, les mots empruntés à l'Anglais fonctionnent comme des métaphores et des métonymies.

Dans le registre des métonymies on peut souligner :

« Goor gu la check , gissne xalebi miss la , Mister xalebi miss la » Systa ( tout homme qui te regarde voit que cette fille est une « miss » , mister , cette fille est une miss ) .

Le substantif Miss qui signifie ici « demoiselle » est mis en corrélation avec la manifestation culturelle qui consiste à élire la fille la plus belle du pays chaque année. Ainsi, « miss » signifie « belle fille » . Alors que « mister » désigne un interlocuteur masculin.

La dérivation phonétique est également fréquente dans les textes où on trouve des mots anglais qui ont changé de sens. Par exemple dans le morceau « Systa » le mot

« syster » revient assez fréquemment. Notons cette séquence :

« Sama systa kay ma deyla

Sama systa kay ma yela » Systa

(Ma « systa » viens que je te dise quelque chose tout bas

Ma « systa » viens que je t'enseigne ( réveille ) quelque chose ).

Systa est la déformation phonétique de « syster » qui signifie « soeur » dans le sens familial. Par delà cet élan d'affectivité qui est sous-jacent au sens du mot, le mot en lui-même tel que perçu dans les textes renvoie à toute la gente féminine et systa désigne simplement la « fille ».

Outre cette intrusion de l'Anglais dans le wolof (dont nous presque exclusivement parlé), il faut noter sa présence dans les syntagmes chantés en français. On peut noter :

« Mes lyriques sont versets mystiques » God vs Devil

«Tous les mans qui lovent pour la femme " Systa

« Donc lyriques saints sur un riddim saint prêchant comme un saint " Microphone soldat

Il est évident que la plupart des exemples relevés montrent des substantifs, mais il est possible aussi de relever des mots qui sont des verbes ou qui jouent le rôle d'un verbe :

« Goor gu la check, gissne xalebi miss la »

« Tous les mans qui lovent pour la femme »

La plupart des mots utilisés sont naturellement des interjections ou des mots et expressions qui fonctionnent comme tel. Par exemple :

« Euskey! Akassa!, joxel assaka! » Borom bi.

Les mots Euskey et Akassa sont des interjections utilisées lors des séances de lecture du Coran ou de poèmes dédiés au prophète de l'Islam. Ils montrent combien le fidèle imprégné est touché par ce qui est dit et la conséquence de ce qu'il entend dans son coeur. Ce sont des mots d'encouragement comme qui dirait "bravo ".

-Les emprunts à l'arabe

L'arabe aussi prête des mots qui jouent le rôle de verbe :

« Ziar na leen » Borom bi

Ziar est un verbe dérivé du mot arabe « Ziarra » qui est une sorte de pèlerinage dans les lieux saints de l'Islam ou de visite de courtoisie à une personnalité de l'Islam.Ici, il s'agit de l'expression d'une déférence et d'un respect dans le salut qu'on adresse à son auditeur.

Enfin on peut souligner les substantifs :

« Euskey assaka, joxel assaka » Borom bi.

Akassa est la prononciation sénégalaise de « Zakat » qui est une aumône ordonnée parmi les cinq piliers de l'Islam.

« Sama style moy sa aar , di sa moussiba ak sa bala » Free style

Les mots d'origine arabe dans ce syntagme sont « moussiba » et « bala » qui, à quelques nuances près, signifient la même chose. C'est l'expression du malheur et de la désolation. Ce sont des mots qui figurent dans les versets du Coran tout comme «barsax» » qui renvoie à l'au-delà, dans :

« Waye ba barsax, » Borom bi

Comme on a pu le constater, la majorité des mots relevés et qui sont d'origine arabe sont des mots qui existent aussi dans le Coran. Cela suppose une certaine imprégnation de l'Islam dans l'argot.

Le mode principal d'introduction de la langue arabe est la religion.

-Les emprunts à l'argot.

Nous avons déjà souligné des emprunts à l'anglais, à l'arabe et au français marqués essentiellement par des glissements sémantiques caractéristiques. Mais il y a aussi des mots qui ne sont pas empruntés aux langues citées, mais bien à l'argot que les rappeurs utilisent dans l'élaboration de leur stratégie de communication. Dans ce cas de figure, toutes les langues sont concernées.

Ces mots et expressions sont aussi bien utilisés dans le cadre du code mixte que lorsqu'une seule langue est utilisée.

Nous avons tout d'abord des emprunts à l'argot wolof :

« Fo tox tabac sax / ñune gisal tox na bon » Diengouman (Même quand tu prends une cigarette, on dit regarde il fume du chanvre indien). Bon est le mot utilisé dans le milieu de la pègre pour désigner le cannabis.

Si « bon »est un substantif, il faut souligner que ce ne sont pas seulement des substantifs wolof qui sont utilisés. Nous avons des expressions qui fonctionnent comme des slogans.

« Nay jolli na shilly shaley » Free Style

Dans ce syntagme, le rappeur proclame à l'endroit de ses confrères rappeurs la volonté nécessaire ne pas s'arrêter et de continuer de plus belle.

Les rappeurs empruntent également à l'argot français :

« Dégonflés, non se défoncer » Microphone Soldat

« En lyriques 9mm je les crible » Microphone Soldat

Dégonflés est utilisé par les Français pour désigner le poltron alors que le verbe cribler rend compte du choc des balles qui sont destinées aux mauvais rappeurs.

Les rappeurs prennent aussi des mots de l'anglais. par exemple, il y a :

« Sound boy, don't give up da fight »

Dans ce verset, on peut souligner d'une part le mot boy qui peut être considéré comme un emprunt à l'anglais dans d'autres circonstances d'autant que le mot est passé dans le langage courant des Sénégalais. Boy est un substantif qui permet d'apostropher quelqu'un et d'afficher ou bien une distance par rapport ( rapport d'infériorité ) ou bien une complicité d'une fraternité ( rapport d'égalité ). D'autre part , il y a aussi l'article

" da " qui est une déformation phonétique de "the" très fréquente dans le langage et les chansons américaines .Cela peut-être une référence au black English ( cf. labov) ou au reggae etc.

Il y a également ces mots qui ont été empruntés au vocabulaire de l'armée américaine :

« Distingue le vrai du wack » Microphone Soldat

Wack signifie « faux »; c'est une comparaison entre le vrai rap et le faux rap.

«Mes frères, Mey dey, à tous les microphones soldats » Microphone Soldat.

Meydey qui est un cri d'alarme utilisé par les soldats américains pour prévenir d'une attaque ( traduction de Aladji Man, Ndongo D ).Ce cri d'alarme s'adresse au rappeurs qui s'attaquent à eux.

-Les mots d'origine espagnole

Il y a aussi dans le corpus un mot qui renvoie à l'univers espagnol :

« Détiennent une fama magique » M.S

Fama signifie reconnaissance trop rapide. Il s'adresse aux rappeurs qui veulent brûler les étapes, et sans assez travailler avoir une renommée.

Comme on a pu le constater, il y a une grande richesse et une grande variété des sources qui alimentent l'argot utilisé par les rappeurs Sénégalais. Ils empruntent au français, à l'anglais, et l'arabe de même à l'argot des différentes langues. Aussi le rappeur ne s'arrête pas là puisqu'il va user de toutes les possibilités offertes par la langue pour compléter son lexique. C'est ainsi que nous allons tenter de voir comment il parvient à créer des mots.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon