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Pénalisation et dépénalisation (1970 - 2005)

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par Gatien-Hugo RIPOSSEAU
Université de Poitiers - Master II Droit pénal et sciences criminelles 2004
  

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§ 2- Le recours au droit pénal pour cadrer les évolutions techniques.

Depuis les années 70, les progrès techniques se sont montrés particulièrement importants et cette évolution a vu l'émergence d'un nouveau type de criminalité qui suscite l'inquiétude des pouvoirs publics dont la crainte est de ne pas pouvoir maîtriser ces nouvelles formes de déviance. La pénalisation a donc été le vecteur de la mise en place d'un cadre aux évolutions techniques en matière d'éthique biomédicale (A) et d'informatique (B).

A - Le mouvement de pénalisation caractérisée en matière d'éthique biomédicale.

« Vu de l'an 2000, un des phénomènes historiques dont on ne mesure pas encore toute l'importance tient dans les formidables avancées récentes des sciences biologiques et médicales. Cela constitue assurément un bienfait pour l'humanité à cause des multiples améliorations que cela apporte pour la vie, la santé, la génération...Mais c'est aussi un grand sujet d'inquiétude en raison des risques vertigineux que cela engendre : de plus en plus, le scientifique dispose de la vie humaine, le crée, la façonne, l'altère...187(*) ». C'est cette inquiétude et les enjeux qu'elle implique nécessairement qui ont conduit le législateur à opter le recours au droit pénal pour encadrer les évolutions techniques pour le moins exponentielles en matière biomédicale.

Ce choix législatif de l'arme pénale pour faire barrage aux excès ou abus des progrès des sciences biomédicales ne date pas de 1994, mais a au contraire été précédé d'une initiative certes plus discrète, mais qui marque cependant le début de la pénalisation caractérisée dans ce domaine et ainsi l'émergence de la répression d'une nouvelle forme de criminalité : la criminalité « en blouse blanche ». En effet, la première loi « bioéthique » en France est la loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales. Elle s'est efforcée d'encadrer les expérimentations sur la personne humaine en imposant des conditions qu'elle assortit pour certaines de sanctions pénales188(*). La pénalisation en matière d'éthique biomédicale se poursuit ensuite avec les lois n° 94-653 et 94-654 du 29 juillet 1994189(*) qui marquent quant à elle la volonté ostensible des pouvoirs publics de stigmatiser les comportements qu'elle dénonce en brandissant la menace massive de sanctions pénales. Avec cette législation de 1994, c'est en effet tout un champ nouveau d'incriminations qui s'ouvre, un chapitre nouveau du droit pénal qui s'écrit. Au prétexte qu'il s'agit de problèmes techniques entièrement nouveaux bien qu'ils touchent à l'éternelle question de la vie, le législateur préfère, au lieu de s'en remettre au droit pénal existant, créer de multiples infractions particulières qui tendent à proscrire les violations éventuelles des règles de bioéthique qu'il vient de consacrer juridiquement.

La loi du 29 juillet 1994 a créé une division spéciale dans le Code pénal pour y introduire plusieurs dizaines d'infractions nouvelles en matière d'éthique biomédicale qu'elle répartit en trois sections consacrées successivement à la protection de l'espèce humaine, du corps humain et de l'embryon humain.

Au titre de la protection de l'espèce humaine, elle incrimine tout d'abord « le fait de mettre en oeuvre une pratique eugénique tendant à l'organisation de la sélection des personnes », qui constitue alors (en 1994) le seul crime en matière d'éthique biomédicale (art.511-1 CP). Il s'agit de ce que l'on nomme couramment les manipulations génétiques dans un but d'amélioration de la « race » (circulaire du 19 janvier 1995) si redoutées qu'il est apparu nécessaire qu'une incrimination particulièrement préventive soit créée, car consommée même en l'absence de résultat.

Au titre de la protection du corps humain, sont alors pénalisés les prélèvements illicites d'organes (art.511-2 et 511-3), de tissus, cellules ou produits (art.511-4, 511-5) et de gamètes (art.511-6 et 511-9). Il y a illicéité en l'absence de consentement de la personne concernée (art.511-3, 511-5, 511-6), en cas de trafic contre paiement (art.511-2, 511-4, 511-9), en cas de violation du principe de l'anonymat (art.511-10, 511-13) ou des règles d'autorisation administrative et de sécurité sanitaire (art.511-7, 511-8, 511-8-1, 511-8-2, 511-11, 511-12, 511-14). Ces différents délits sont punissables à hauteur de 7 ans d'emprisonnement (art.511-2 et 511-3) ou de 5 ans (art.511-4, 511-5, 511-6, ; 511-9) et de 2 ans pour les autres.

Au titre de la protection de l'embryon humain, sont visés comme les plus graves et passibles de 7 ans d'emprisonnement et de 100 000 € d'amende : le trafic d'embryons (art.511-15), le don illicite d'embryons (art.511-16), la production et l'utilisation d'embryons à des fins industrielles ou commerciales (art.511-17), la production à des fins expérimentales (art.511-18) et l'expérimentation sur embryons (art.511-19). Le détournement d'assistance médicale à la procréation est quant à lui passible de 5 ans d'emprisonnement (art.511-24). Les autres délits de cette section sont quant à eux sanctionnés de 2 ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende. Il existe en outre d'autres infractions en matière d'éthique biomédicale, qui, bien que ne figurant pas au livre V du Code pénal, sont issues de la même législation de 1994 ou bien d'une autre de semblable inspiration190(*)

Au terme de ce rapide panorama de la législation en matière d'éthique biomédicale telle qu'elle résulte de la loi du 29 juillet 1994, plusieurs remarques sont nécessaires pour évaluer la substantifique teneur de ces dispositions. Tout d'abord, le système répressif ainsi mis en place se révèle particulièrement sévère, la grande masse des délits en matière d'éthique biomédicale étant punis soit de 7 ans d'emprisonnement (et 100 000 € d'amende), soit de 5 ans d'emprisonnement (et 75 000 € d'amende). Le législateur en édictant de telles peines a nettement voulu tabler sur les vertus dissuasives attachées traditionnellement au droit répressif. Ensuite, le principal reproche que l'on pourrait adresser à cette législation, est que les incriminations qui la composent, sont particulièrement défectueuses. Cet écueil se manifeste d'une part, par le fait que trop souvent, « le législateur utilise des termes techniques et savants sans même les définir ou des termes très peu précis qui ne peuvent que mettre le pénaliste chargé de leur application dans le plus grand embarras »191(*). Il est d'autre part regrettable que le législateur abuse de la technique d'incrimination par renvoi. Dans ce cas, les difficultés de lecture rendent le texte pénal en lui même souvent très obscur, voire même parfois incompréhensible : ce sont les textes de renvoi figurant dans le CSP qui lui donnent sa véritable signification.

Cette loi du 29 juillet 1994 apparaît donc défectueuse dans sa rédaction, ce qui est un facteur indéniable de paralysie de la répression et d'ineffectivité du système dans sa globalité. C'est ainsi que pour des impératifs de qualité de la loi, tant au niveau rédactionnel, qu'au niveau de son adéquation à la réalité des progrès scientifiques du moment, le législateur s'est fixé l'objectif de revoir le texte dans un délai maximum de cinq ans. Cependant, cette promesse n'a pu être tenue et il faudra finalement attendre la loi du 6 août 2004192(*) pour que cette législation soit revue. Malheureusement, la nouvelle loi relative à la bioéthique, souffre des mêmes maux que la première : les incriminations, qu'elles soient nouvelles ou simplement revues dans leur rédaction, se trouvent toujours grevées de termes techniques difficilement accessibles aux juristes et de renvois récurrents. Néanmoins, quelques innovations symboliques sont à signaler. La loi du 6 août 2004 a en effet pris le parti de stigmatiser un peu plus les atteintes aux règles en matière d'éthique biomédicale, en créant au sein du Livre II du Code pénal (relatif aux crimes et délits contre les personnes), un titre II intitulé crimes contre l'espèce humaine, juste après le titre I consacré au crimes contre l'humanité. Ce titre II comporte deux infractions : le crime d'eugénisme et celui de clonage reproductif auxquels sont attachées des peines identiques193(*). Ce titre II aux vertus hautement symboliques se distingue donc tout d'abord par la criminalisation du clonage reproductif qui figure à l'article 214-2. Ensuite, les pratiques eugéniques sont sorties du Livre V194(*), véritable partie fourre-tout du code dans laquelle on trouvait même les infractions contre les animaux, pour figurer désormais à l'article 214-1. Ce crime a également fait l'objet d'une pénalisation particulière à l'occasion de la nouvelle loi puisque la répression au titre de ce comportement passe de 20 ans, à 30 ans de réclusion criminelle et 7 500 000 € d'amende pour les personnes physiques. Ces dernières encourent même la réclusion criminelle à perpétuité lorsque ces crimes (eugénisme ou clonage reproductif) sont commis en bande organisée (art.214-3), ou lorsqu'il s'agit de la participation à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation de l'un de ces crimes (art.214-4). Outre les innovations relatives aux crimes contre l'espèce humaine, cette nouvelle loi se caractérise par une notable accentuation de la répression puisqu'on observe d'une part, la criminalisation de certains comportements195(*) et d'autre part, l'aggravation des peines attachées à des infractions issues de la législation de 1994196(*).

Cette loi du 6 août 2004 ne bouleverse donc pas le système mis en place en 1994, elle s'inscrit au contraire dans la volonté de stigmatiser encore un peu plus les éventuelles violations de l'éthique biomédicale consacrées juridiquement. Pour ce faire, elle crée de nouvelles incriminations pour suivre l'évolution des progrès, elle accentue la répression des infractions déjà existantes, et surtout, elle crée la catégorie des crimes contre l'espèce humaine placés au sein du Livre II juste après les crimes contre l'humanité, tout un symbole... Les lois du 29 juillet 1994, à cause de leur défectuosité paralysante, n'avaient donné lieu à aucune application jurisprudentielle. Dès lors, il apparaît déplorable que la loi nouvelle n'améliore pas la qualité du système de répression en la matière, de sorte que ce dernier a vocation à demeurer dans le registre du symbole, faute d'être appliqué et donc d'être efficace.

* 187 PROTHAIS A., Un droit pénal pour les besoins de la bioéthique, RSC 2000, p.39.

* 188 Une seule des infractions ainsi créées est reprise depuis 1994 dans le Code pénal à la faveur de sa réforme : le fait de pratiquer ou de faire pratiquer sur une personne une recherche biomédicale sans avoir recueilli le consentement de celle-ci notamment (art.223-8) qui est punissable de 3 ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende. Les autres délits sont demeurés dans le CSP.

* 189 La loi n° 94-653 (relative à la protection du corps humain) et la loi n°94-654 (relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à la procréation et au diagnostique prénatal) du 29 juillet 1994 ont été reconnues conformes à la constitution par une décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994 (Cons. const. 27 juillet 1994, déc. n° 94-343-344 DC: JO 29 juillet 1994, p.11024).

* 190 Il s'agit des délits relatifs aux examens génétiques, à la maternité de substitution et à l'expérimentation humaine.

* 191 PROTHAIS A., Tribulations d'un pénaliste au royaume de l'éthique biomédicale, JCP 1999, I, 129, p.723.

* 192 La loi n° 2004-800 du 6 août 2004 a été reconnue conforme à la constitution par la décision n° 2004-498 DC du Conseil constitutionnel intervenue le 29 juillet 2004. Pour une présentation détaillée du contenu de cette loi, v. VERON M., Bioéthique, le contenu pénal de la loi du 6 août 2004, Dr. Pénal, 2004, Chr.16, pp.11 à 13.

* 193 30 ans de réclusion criminelle et 7 500 000 € d'amende pour les personnes physiques.

* 194 Au sein duquel il figurait à l'article 511-1.

* 195 Ainsi, la loi a par exemple criminalisé le clonage d'embryons humains à des fins thérapeutiques, puni de 2 ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende (art.511-18-1). Trois nouvelles infractions assorties de 2 ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende sont également issues de la loi de 2004 : deux d'entres elles encadrent les conditions et les modalités de conservation et d'utilisation des tissus ou cellules embryonnaires ou foetaux (art.511-19-1 et 511-19-2) et la dernière réglemente l'importation ou l'exportation à des fins de recherche des tissus ou des cellules embryonnaires ou foetaux (art.511-19-3).

* 196 C'est notamment le cas pour l'importation ou l'exportation des organes, tissus, cellules et produits cellulaires à finalité thérapeutique en violation des disposition du CSP dont la répression passe de 2 ans et 30 000 € à 5 ans et 75 000 €.

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire