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Pénalisation et dépénalisation (1970 - 2005)

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par Gatien-Hugo RIPOSSEAU
Université de Poitiers - Master II Droit pénal et sciences criminelles 2004
  

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B - Teneur de la pénalisation de la précarité par loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure.

Les pouvoirs publics ont créé de nouvelles incriminations sanctionnant des personnes en situation précaire avec l'entée en vigueur de la loi du 18 mars 2003 relative à la sécurité intérieure qui pénalise certaines formes de précarité, notamment, le racolage, la mendicité, l'attroupement abusif dans les parties communes d'immeubles et l'installation illicite sur un terrain appartenant à autrui. Cette pénalisation de la précarité est une initiative répressive qui n'a d'autre but que de répondre aux préoccupations sécuritaires qui animent de plus en plus les Français, victimes de la psychose ambiante relative à la peur du crime qui est devenue, ces dernières années, la peur la plus probante à travers tout l'hexagone.

Le paragraphe 1er de l'article 50 de la loi pour la sécurité intérieure a inséré, dans le Code pénal, un article 225-10-1 pour faire du racolage, même passif, un délit et compléter sa définition. Depuis la fermeture des maisons closes par la « loi Marthe RICHARD » du 13 avril 1946, l'ordonnance du 23 novembre 1958 a institué deux contraventions réprimant respectivement le racolage public (contravention de 4ème classe) et l'attitude indécente sur la voie publique, encore appelée racolage passif (contravention de 1ère classe). En 1960, la France ratifie la Convention internationale du 2 décembre 1949 (lois des 28 et 30 juillet 1960) : le racolage devient alors une contravention de 5ème classe (punie de 10 jours à un mois d'emprisonnement et de 10 000 F d'amende) et l'attitude indécente sur la voie publique, une contravention de 3ème classe (seulement punie d'une amende). Le Code pénal de 1994 n'a ensuite conservé que l'incrimination de racolage de l'article R.625-8, qui est demeurée une contravention de 5ème classe (punie de 1500 € d'amende). Le nouveau texte tel qu'il résulte de la loi du 18 mars 2003242(*), correctionnalise le racolage en l'érigeant au rang de délit puni de 6 mois d'emprisonnement et de 3750 € d'amende. Cette pénalisation a pris pour prétexte la gêne qu'elle pourrait occasionner aux proxénètes et les implications de la lutte contre la lutte contre le proxénétisme, qui nécessite des témoignages des personnes exploitées, preuves qui seraient rendues plus aisées grâce aux procédures engagées pour racolage contre les prostituées. En réalité, cette pénalisation s'adresse directement aux victimes de ces réseaux de prostitution, à la fois victime d'une forme d'exploitation gravissime, et d'une attention toute particulière de la loi répressive243(*). En outre, la rédaction de l'incrimination est une source d'abus et de non sens dans l'application de la loi : comment établir en effet qu'une personne se livre au racolage public d'autrui si elle reste purement passive sur la chaussée ? Il est à craindre que seule la tenue vestimentaire puisse servir de preuve... La loi pénale se veut alors imprévisible à cause de la subjectivité qu'elle implique et l'insécurité juridique qui en découle nécessairement ne peut que nuire au système répressif lui-même. Quoi qu'il en soit, les premières conséquences de la loi se sont montrées des plus déplorables, puisque le nouveau dispositif n'a eu d'autre effet que de repousser les prostituées dans de véritables zones de non droit qui constituent un facteur supplémentaire de danger pour leur propre sécurité.

L'article a loi du 18 mars 2003 crée également le nouveau délit de demande fonds sous contrainte (art.312-12-1), lui aussi puni de 6 mois d'emprisonnement et de 3750 € d'amende. Cette nouvelle incrimination punit la sollicitation, sur la voie publique, de valeurs ou d'un bien, ou encore de la remise de fonds, en réunion et de manière agressive, ou sous la menace d'un animal dangereux. Outre le fait que ce nouveau délit soulève la question de la forme de l'agression (physique ou seulement verbale ?), il semble une fois de plus que cette incrimination obéisse à une logique de pur affichage. En effet, le droit antérieur permettait déjà de réprimer ce genre de pratiques par le biais de l'incrimination d'extorsion de fonds de l'article 312-1 CP. La volonté des politiques apparaît ainsi claire : utiliser le droit pénal pour rassurer l'opinion exaspérée de voir ce genre de pratiques altérer leur quotidien. Ce « droit pénal spectacle » surcharge un peu plus un droit répressif qui manque de lisibilité et a de plus pour effet de stigmatiser un peu plus encore la pauvreté qui envahit nos rues.

L'occupation illégale de terrain a aussi fait l'objet de la création d'une nouvelle incrimination qui figure à l'article 322-4-1 CP (art.53 à 58 de la loi du 18 mars 2003). Ce délit punit de 6 mois d'emprisonnement et de 3750 € d'amende l'installation en réunion, en vue d'y établir une habitation, même temporaire, sur un terrain appartenant soit à une commune qui s'est conformée aux obligations de la « loi BESSON » du 5 juillet 2000244(*) organisant l'accueil des gens du voyage, soit à tout propriétaire sans être en mesure de justifier d'une autorisation. La loi, bien que d'application générale, concerne encore une autre forme de précarité en se focalisant sur les gens du voyage245(*) qui déplorent le fait que la loi BESSON ne soit que très peu suivie par les différentes communes de France : il existe a peu près 10 000 emplacements pour accueillir une population qui représente 30 000 caravanes. Il apparaît dès lors difficile pour cette communauté de se conformer à la loi alors que peu de moyens ont été mis en place pour la respecter.

La loi pour la sécurité intérieure a également criminalisé une forme courante d'incivilité dans les tours des grandes agglomérations : les attroupements portant atteinte à la liberté de circulation dans les parties communes d'immeubles (art.61 de la loi du 18 mars 2003, art. L.126-3 du Code de la construction et de l'habitation) qui est passible de 2 mois d'emprisonnement et de 3750 € d'amende246(*). Le problème visé est bien connu, mais relève-t-il de la loi pénale de tenter d'y répondre ? « N'est-on pas typiquement dans des hypothèses où si aucune infraction pénale classique (violence, dégradation, menace, injure, etc.) n'est constituée, la réponse au comportement déviant doit être sociétale (conciliation, médiation sociale, groupe de parole, etc.) »247(*). La loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 contenait déjà des dispositions permettant aux services de police d'intervenir en cas d'occupation des espaces communs par des personnes qui entravent l'accès ou nuisent à la tranquillité des lieux (art. L 126-2 Code de la construction et de l'habitation). Une fois de plus, cette nouvelle incrimination ne vient pas apporter une réponse adaptée et surtout rationnelle à un problème de société qui requiert plus une véritable réflexion de fond, que l'utilisation systématique et déraisonnable de l'arme pénale.

Pour conclure, derrière ces nouveaux modes de répression, se dessine en filigrane la volonté de masquer cette délinquance de rue, afin de regagner la confiance des citoyens en leur ôtant toute raison de succomber au sentiment d'insécurité.

En effet, en prohibant le racolage des prostituées et en réglementant l'errance et la mendicité, les pouvoirs publics ont pour principal objectif d'éradiquer les seuls effets visibles de ces délinquances issues de la précarité et de l'exclusion. La précarité qui est souvent la résultante de l'exclusion, constitue très certainement un foyer potentiel de naissance et de propagation de la délinquance. Mais, peut-on penser sincèrement qu'en supprimant les manifestations visibles liées à ce type de délinquance particulière, les problèmes qui en sont la cause disparaîtront pour autant ? Certainement pas ! Le droit pénal apparaît alors comme un remède apparent, superficiel, au malaise social profond dont souffre notre société. Au sujet de cette loi du 18 mars 2003, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, a d'ailleurs fait part de ses inquiétudes relatives à l'évolution contemporaine du droit pénal. Selon elle, « l'inflation des règles encadrant l'exercice des libertés publiques et parfois même la vie privée des individus suscite l'inquiétude de notre société démocratique (...). L'action à mener contre l'insécurité ne légitime pas certaines formes de répressions d'ordre moral (...). Les nouvelles dispositions de la loi risquent d'accroître inutilement les contrôles sur le plus grand nombre, sans faire progresser pour autant la sécurité, et sans, à tout le moins, donner aux individus, les garanties qui leur sont dues »248(*).

Ainsi, le législateur use de plus en plus de l'arme pénale pour satisfaire aux exigences contemporaines de médiatisation de la volonté politique, elle-même érigée en véritable « show » de la vie publique. Aujourd'hui, il est plus important pour le législateur de montrer aux citoyens spectateurs qu'il agit, plutôt que de véritablement agir sur la réalité, tout comme il apparaît désormais plus important d'accuser, que de condamner. L'action du législateur s'inscrit alors dans les logiques de présentisme et d'instantanéité qui caractérisent notre époque : « l'urgence est devenue structurelle »249(*) et le politique se doit de réagir au plus vite aux événements brûlants qui constituent désormais le principal moteur d'édiction de la norme et plus particulièrement de la norme pénale. De cette urgence découlent nécessairement une altération de la lisibilité du droit, une perversion de la norme qui perd de son rationalisme et de sa prééminence sur le fait.

* 242 L'article 225-10-1 punit le fait, par tout moyen, y compris par une attitude passive (c'est à dire par sa tenue vestimentaire ou son attitude), de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération.

* 243 Le Conseil constitutionnel, pour l'application de la loi nouvelle, a cependant recommandé aux juridictions de considérer dans le prononcé de la peine, la circonstance que l'auteur a agi sous la menace ou la contrainte. L'effectivité de cette disposition reste subordonnée à l'attitude du juge, ce qui ne représente évidemment pas une garantie suffisante de l'équité qui devrait gouverner l'application du nouveau dispositif.

* 244 Loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 impose la création d'aires d'accueil aux villes de plus de 5000 habitants.

* 245 Sont également concernés par cette nouvelle incrimination, les « raveurs », qui, pour s'adonner en toute liberté à leur passion festive, prennent possession des terrains publics ou privés. Les « rave party » ou encore «  free party » ont d'ailleurs fait l'objet d'une prohibition par l'article 53 de la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 sur la sécurité quotidienne (J.O. 16 novembre 2001). Cette loi prévoit une amende de 1500 et de nombreuses peines complémentaires (dont la confiscation du matériel et suspension du permis de conduire notamment) en cas de non respect de l'obligation de déclaration préalable à la préfecture au plus tard un mois avant la date prévue pour le rassemblement.

* 246 Ce délit réprime les voies de fait ou la menace de commettre des violences contre une personne, ou l'entrave apportée, de manière délibérée, à l'accès et à la libre circulation des personnes, ou au bon fonctionnement des dispositifs de sécurité et de sûreté, lorsqu'elles sont commises en réunion de plusieurs auteurs ou complices, dans les entrées, cages d'escalier ou autres parties communes d'immeubles collectifs d'habitation.

* 247LAZERGES C., De la fonction déclarative de la loi pénale, RSC 2004, p.199.

* 248 NUTTENS J-D., La loi pour la sécurité intérieure, Regards sur l'actualité (La documentation française), n° 290, avril 2003, p. 78.

* 249 VOGLIOTTI M., Mutation dans le champ pénal contemporain : vers un droit pénal en réseau ? , RSC 2002,

pp. 727-728.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus