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Pénalisation et dépénalisation (1970 - 2005)

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par Gatien-Hugo RIPOSSEAU
Université de Poitiers - Master II Droit pénal et sciences criminelles 2004
  

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B - La criminalisation des discriminations : la volonté d'assurer l'égalité dans un contexte d'éclatement de la société.

La lutte contre les discriminations est un phénomène qui ne cesse de s'intensifier en France depuis maintenant 1972, date à laquelle la première forme de discrimination a été criminalisée. Cette pénalisation répond vraisemblablement à la montée des minorités au sein de la société française et à la nécessité de leur assurer au quotidien, un traitement équivalent à celui du plus grand nombre. Cette pénalisation répond d'ailleurs à une seule exigence : le respect de l'autre dans son être et dans sa différence. Cette lutte contre le mépris de la différence est organisée autour de trois secteurs de répression qui ont tous connu une pénalisation toujours plus accrue au fil du temps : les discriminations proprement dites qui interviennent dans le secteur économique, les propos racistes (publics ou non) et les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe.

· La lutte contre les discriminations proprement dites :

En France, la lutte contre les discriminations a été marquée par une forte propension du législateur à la pénalisation qui s'est d'ailleurs opérée dans deux directions différentes : il s'est tout d'abord évertué à étendre considérablement le champ d'application des discriminations répréhensibles, à la fois quant aux motifs discriminatoires et quant au domaine de ces discriminations ; puis, il a procédé parallèlement à des aggravations successives des peines encourues pour de telles atteintes à l'égalité.

La lutte contre les discriminations a tout d'abord débuté avec la criminalisation des discriminations « racistes » ; c'est donc la lutte contre le racisme qui a initié la lutte contre les discriminations qui n'a cessé de prendre de l'ampleur par la suite. La « loi PLEVEN » du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme a introduit dans l'ancien Code pénal, l'article 416 qui sanctionne alors certains comportements discriminatoires dans le domaine de l'emploi et de la fourniture d'un bien ou d'un service70(*). Ensuite, la loi n° 75-625 du 11 juillet 1975 étend la répression aux discriminations fondées sur le sexe ou la situation de famille. La loi du 7 juin 1977 a ensuite amendé la loi de 1972. Dans le contexte de certains appels au boycott de produits en réponse au conflit israélo-arabe, cette loi a complété la liste des comportements réprimés en ajoutant la notion « d'entrave à une activité économique quelconque » pour les motifs raciaux ou religieux énoncés par la loi de 1972. La loi n° 85-772 du 25 juillet 1985 étend quant à elle la protection assurée par les textes de l'ancien Code pénal, aux victimes des discriminations fondées sur les moeurs71(*). Ensuite, une loi du 13 juillet 1989 élargit la répression aux discriminations fondées sur le handicap, puis une loi du 12 juillet 1990 fit de même concernant les atteintes à l'égalité fondées sur l'état de santé de la victime72(*). La réforme du Code pénal a également été l'occasion de pénaliser les discriminations fondées sur l'activité syndicale et les opinions politiques. Par ailleurs, la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 a étendu le champ des discriminations répréhensibles à celles qui sont fondées sur l'apparence physique, le patronyme, l'orientation sexuelle et l'âge. Cette loi a également procédé à la pénalisation des autres formes de discrimination via l'élargissement des cas de discrimination sanctionnables73(*). Enfin, la loi n° 2002-203 du 4 mars 2002 sur les droits des malades a ajouté les discriminations fondées sur les caractéristiques génétiques à la liste des discriminations condamnables.

La seconde direction que prit la pénalisation des discriminations, est celle d'un durcissement des sanctions encourues, parallèlement à l'extension du champ d'application de la répression en la matière. Ainsi, les peines encourues au titre de l'article 416 ACP sont passées d'1 an d'emprisonnement et 20 000 F d'amende, à 2 ans d'emprisonnement et 200 000 F d'amende à l'occasion de la réforme du Code pénal (art.225-2 CP). Le Code pénal de 1994 a également repris les incriminations prévues en cas de discriminations commises par un dépositaire de l'autorité publique ou en charge d'une mission de service public (art.432-7 CP), punies de 3 ans d'emprisonnement et 300 000 F d'amende. Le second temps de l'aggravation des peines est le fait de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la Justice aux évolutions de la criminalité. Par le biais de cette loi, les peines passent de 2 ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende, à 3 ans et 45 000 € d'amende pour les discriminations dites « simples ». Cette loi introduit les discriminations « aggravées »74(*) qui élèvent la sanction à hauteur de 5 ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende. Enfin, dans le but de sauvegarder la cohérence dans l'échelle des peines en la matière et pour ne pas réserver au fonctionnaire un sort équivalent à celui du « simple particulier », la loi de 2004 a également rehaussé les sanctions prévues à l'égard des premiers75(*).

Au terme de cette vue rapide du mouvement de surpénalisation des discriminations, s'impose un constat qui est celui de l'échec du système répressif dans ce domaine : le droit pénal s'avère en effet impuissant face au phénomène des discriminations, les résultats de la répression étant pour le moins mitigés. Par, exemple, selon les informations du casier judiciaires publiées chaque année dans le rapport de la Commission Nationale des Droits de l'Homme (C.N.C.D.H), on est passé de 16 condamnations prononcées pour discrimination raciale en 2001, à 29 condamnations en 2002, ce qui est loin du nombre supposé de faits commis76(*).

· La répression des propos racistes :

Des qualifications juridiques réprimant les propos racistes existaient déjà dans la France du XIX éme siècle, mais auraient été omises dans la loi du 29 juillet 1881. Le décret-loi du 21 avril 1939, dit « loi MARCHANDEAU », pris à la suite de manifestations racistes et antisémites, intégra dans la loi du 29 juillet 1881, les notions de diffamation et d'injure raciales ou religieuses, mais en prévoyant que ces faits n'étaient répréhensibles qu'à la condition qu'ils aient pour but d'exciter à la haine entre les citoyens. C'est surtout la loi n° 72-546 du 1er juillet 1972, dite « loi PLEVEN », qui a franchi un pas important en prévoyant de réprimer les faits de diffamations et injures raciales et d'incitation à la haine raciale. Cette loi a tout d'abord supprimé la condition relative au but d'excitation à la haine et a également étendu la répression aux diffamations et injures publiques fondées sur l'ethnie ou la nationalité ; cette loi a en outre pris en considération les propos qui visent un individu et pas seulement un groupe d'individus. Enfin, cette loi a également crée une nouvelle infraction de provocation publique à la discrimination , à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes, en raison de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une « race » ou une religion déterminée. Pour finir, la loi n° 90-615 du13 juillet 1990, dite « loi GAYSSOT », a criminalisé les propos négationnistes avec l'insertion d'un article 24 bis à la loi sur la presse qui vise à réprimer toute contestation du génocide juif77(*).

Malgré un arsenal juridique sévère et une structure qui ne cesse d'ailleurs de se renforcer78(*), les condamnations pénales restent quantitativement peu nombreuses et les poursuites engagées aléatoires quant au résultat, de sorte que cette pénalisation perd de son pouvoir dissuasif du fait du caractère on ne peut plus incertain de la sanction. En effet, en 2001, il y eut 137 condamnations pour propos racistes et en 2002, 133 condamnations (chiffre provisoire) n'ont donné lieu qu'à 9 peines de prison ferme : l'ineffectivité de la loi s'avère criante !

· La pénalisation des infractions motivées par un mobile discriminatoire :

A coté des discriminations qui peuvent intervenir dans la vie économique et des propos discriminatoires, le législateur a également mis en place un système répressif pour lutter contre les violences spécialement motivées par des considérations de nature discriminatoire. En effet, jusqu'à 2003, aucune disposition de notre législation pénale ne permettait d'appréhender les atteintes à l'intégrité physique d'une personne ou les atteintes à ses biens résultant d'un dol spécial, la motivation discriminatoire. La loi n° 2003-88 du 3 février 2003, dite « loi LELLOUCHE », visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe, conduit à prendre en compte le mobile de l'infraction dans la qualification pénale retenue, comme élément constitutif de l'infraction par exception au principe qui régit le droit pénal français. Cette loi conduit à retenir la circonstance aggravante pour des infractions d'atteinte aux personnes (meurtres, tortures, violences) et pour des infractions d'atteinte aux biens (dégradations). Ensuite, la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, dite « loi PERBEN II », a ensuite élargi aux menaces, vols, extorsion la liste des infractions pour lesquelles la circonstance aggravante à caractère raciste ou antisémite peut être retenue. Enfin, afin de lutter contre les violences perpétrées à raison d'un mobile discriminatoire, le législateur a retenu, dans le même esprit que la circonstance aggravante « raciste », celle qui vise à appréhender le « mobile homophobe » pour les infractions de nature sexuelle. C'est la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure qui a retenu cette nouvelle circonstance aggravante pour les infractions de moeurs (viols et autre agressions sexuelles).

Ces circonstances aggravantes s'avèrent elles aussi très peu appliquées en pratique79(*) et la loi du 3 février 2003 n'a pas eu pour effet de ralentir la progression en France des actes racistes ou antisémites.

La lutte contre les discriminations en France procède incontestablement d'une volonté politique sans faille. Cette volonté, et c'est un phénomène on ne peut plus contemporain, s'exprime ici encore par le recours au droit pénal pour pallier l'éclatement de la société conjugué au développement d'un phénomène d'effritement des valeurs morales et sociales communes. Ce recours au droit répressif ne remplit pas sa fonction de prévention générale et pire encore, traduit l'impuissance des pouvoirs publics devant l'ampleur de ces atteintes inacceptables à la dignité d'autrui.

* 70 BRILL J-P., La lutte contre les discriminations raciales dans le cadre de l'article 416 du Code pénal, RSC 1977, p. 35.

* 71 Tous les commentateurs soulignèrent alors que cette loi avait eu pour objectif de lutter contre les attitudes de rejet dont font l'objet les homosexuels, 5 ans à peine après la dépénalisation relative à cette orientation sexuelle.

* 72 Sur cette dernière loi, v. VERON M., Le renforcement du dispositif répressif contre les discriminations et le racisme. Présentation des lois des 12 et 13 juillet 1990, Dr. pén. 1990, chr. 1. Cette dernière loi s'est inscrite dans le débat relatif au traitement des personnes atteintes du virus du S.I.D.A. dont la protection contre la discrimination n'était pas pleinement assurée avant 1990.

* 73 Désormais, l'ensemble de la carrière professionnelle, y compris le cas de formation et de stage et non plus seulement l'embauche ou le licenciement, est protégé contre les actes discriminatoires.

* 74 Il s'agit des discriminations commises « à l'entrée d'établissements accueillant du public ».

* 75 Les peines encourues par les dépositaires de l'autorité publique ou en charge d'une mission de service public, passe de 3 ans d'emprisonnement et 45 000 €, à 5 ans et 75 000 €.

* 76 BOURETTE M., Le droit pénal face au racisme, Regards sur l'actualité (La Documentation française), n° 305, novembre 2004, p.53.

* 77 Désormais, la répression des propos racistes comprend quatre délits contenus dans la loi sur la liberté de la presse : la provocation à la discrimination ethnique, nationale, raciale ou religieuse (art.24, al.6), la diffamation(art.32, al.2) et l'injure présentant les mêmes caractères ainsi que les propos négationnistes (art.24 bis). Il existe également trois contraventions qui sanctionnent les propos racistes non publics : les injures raciales art.R.624-4 CP), la diffamation raciale (art.R.624-3 CP) qui sont des contraventions de 4e classe, et la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes (art.R.625-7 CP) qui est une contravention de 5e classe.

* 78 La loi du 9 mars 2004 porte le délai de prescription des infractions de presse à caractère raciste, de 3 mois à 1 an. Par ailleurs, la pénalisation des propos racistes a fait l'objet d'une extension de son domaine au mode d'Internet par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 sur la confiance dans l'économie numérique.

* 79 Pierre LELLOUCHE a lui-même dénoncé le fait que cette loi « n'était pas appliquée », mettant en avant le très faible nombre de procédures pour les quelles la circonstance aggravante avait été retenue par les parquets : v. LELLOUCHE P., Une loi tragiquement inappliquée, Le Monde, 15 juin 2004.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand