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Les Réfugiés comme enjeu de sécurité

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par Coraline Barré
Sciences Po Grenoble - Diplôme de Sciences Po Grenoble 2006
  

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CHAPITRE II

LA MANIPULATION DES REFUGIES, LA PROPAGATION D'UN CONFLIT ET
L'INERTIE DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE

Le manque d'intervention de la communauté internationale, qui se traduit par une action insuffisante du HCR comme agence chef de file, fait que l'insécurité peut parfois s'installer dans les camps de réfugiés. Cela peut se traduire par une « manipulation des réfugiés », comme le décrivent S. J. Stedman et F. Tanner39 dans leur ouvrage. La manipulation des réfugiés se traduit d'abord par une manipulation du régime des réfugiés. Cette manipulation n'est pas un phénomène nouveau. Depuis la guerre israélo-arabe de 1948-49, les milliers de réfugiés palestiniens sont utilisés par les Etats voisins d'Israël comme un soutien dans leur guerre contre Israël, et ont été responsables de la propagation du conflit dans tous le Proche-Orient (Jordanie, Liban...). S'occuper du retour de ces réfugiés n'a jamais été dans la stratégie de ces Etats, qui ont préféré les installer dans des camps qui n'ont rien de provisoire, pour les garder sous la main et montrer au monde entier combien la création d'Israël a posé et pose encore problème dans la région. Ces réfugiés font donc partie intégrante de la stratégie de ces Etats arabes contre Israël. Alors, cette situation a créé les conditions favorables à l'éclatement de deux Intifada, ainsi que les conditions favorables au recrutement de jeunes déshérités sans avenir par des milices armées pour lutter contre l'ennemi Israël.

Parfois les réfugiés eux-mêmes sont en fait complices de cette manipulation et soutiennent ceux qui militarisent leurs camps, les accueillant comme des protecteurs ou des libérateurs. D'autres fois les réfugiés sont plus à considérer comme les otages des combattants. Mais dans tous les cas, les « refugee warriors »40, ou combattants réfugiés, sont d'excellents manipulateurs du régime international sur les réfugiés. Même si les réfugiés palestiniens ne sont pas sous le mandat du HCR, cet exemple prouve bien que la politique de gestion des réfugiés a des incidences directes sur la continuation ou le règlement d'un conflit.

Pendant la Guerre Froide déjà, la manipulation des réfugiés et du régime des réfugiés faisait partie intégrante des stratégies des grandes puissances pour se faire la guerre à distance. Par exemple les Etats-Unis ont manipulé les réfugiés afghans au Pakistan (ceux qui fuyaient la guerre d'occupation soviétique dans les années 80) afin de faire de ceux-ci une arme potentielle pouvant se retourner contre l'ennemi communiste. Le gouvernement pakistanais organisa alors les camps de manière à privilégier les groupes afghans nationalistes ne voulant pas s'installer définitivement au Pakistan41 (ce qui était aussi dans l'intérêt de l'Etat pakistanais, étant donné le

39 Stephen J. Stedman et Fred Tanner, "Refugee manipulation. War, Politics, and the Abuse of Human Suffering", Brookings Institution Press, Washington, 2003, 190 p.

40 idem

41 Frédéric Grare, "The Geopolitics of Afghan Refugees in Pakistan", in "Refugee Manipulation...", S. J. Stedman et F. Tanner, Op. Cit.

nombre important de réfugiés afghans), ce qui se traduisit par le recrutement militaire de jeunes afghans déshérités dans ces camps. Dans les années 90 les réfugiés seront manipulés par les Talibans, fondamentalistes musulmans, qui eux recruteront des jeunes afghans réfugiés pour se retourner cette fois contre l'ennemi américain. La manipulation des réfugiés afghans durant toutes ces décennies aura donc eu des répercussions considérables en termes de sécurité internationale aujourd'hui.

Cet exemple met au défi le système humanitaire international, qui est censé apporter son aide à des réfugiés civils non-combattants. Cependant, certains groupes armés profitent des réfugiés et de leur statut international protégé pour poursuivre leurs propres buts politiques. Ce constat mène alors à trois conséquences implacables : d'abord, l'aide internationale aux réfugiés laisse les guerres se poursuivre ; ensuite, les camps de réfugiés deviennent des cibles pour les parties en guerre, enfin, les conflits peuvent se propager dans la région au fil des mouvements de réfugiés.

Ce chapitre décrit les mécanismes menant à la manipulation des réfugiés, en analysant le cas des réfugiés rwandais. Nous nous pencherons par conséquent sur le problème de la propagation des conflits à travers les mouvements de réfugiés.

I - Comment expliquer la propagation des conflits par les crises de réfugiés ?

La propagation de la guerre par les mouvements de réfugiés est un phénomène répandu. Dans de nombreux cas, la crise de réfugiés devient pour les combattants réfugiés une stratégie de guerre. Les rebelles emmènent dans leur exil des réfugiés qui leur fournissent des ressources alimentaires ou médicales (par taxation), une légitimité internationale (c'est pourquoi l'on peut parler de manipulation du régime des réfugiés), un bouclier humain, des jeunes hommes à recruter dans leurs milices... Les réfugiés sont donc manipulés et les camps, au lieu de constituer un endroit sûr, en termes de sécurité humaine, pour les réfugiés, servent de base arrière aux rebelles dans leur stratégie de guerre.


·.. Petite histoire du Rwanda et du génocide rwandais

L'histoire du génocide rwandais a ses racines, du moins en partie, dans le déplacement de milliers de rwandais à partir des années 6042. Un des drames majeurs de notre siècle trouve en partie ses sources dans des déplacements de populations. Du fait de la polarisation ethnique en cours au Rwanda depuis des années (et encouragée par le colonisateur belge), environ 120 000 Tutsis allèrent se réfugier dans les pays voisins entre 1959 et 1963.

42 Rachel Van Der Meeren, «Three Decades in Exile : Rwandan Refugees, 1960-1990», Dossier sur le Rwanda in Journal of Refugee Studies, Vol. 9, N° 3, 1996, p. 253-267.

Cette polarisation ethnique était basée à la fois sur des faits réels, comme le fait que les Tutsis, éleveurs aux caractéristiques physiques particulières et moins nombreux, constituaient une sorte d'aristocratie au pouvoir. Les Hutus, eux, étaient des agriculteurs semi-sédentaires dominés, du moins en apparence, par les Tutsis. Dans ce mode de production et de relations sociales proche du servage, un Hutu mécontent pouvait prêter allégeance à une autre famille de Tutsis. La domination des Tutsis était donc réelle mais plus souple que ce qu'imaginèrent les premiers colons allemands qui découvrirent le Rwanda. L'administration belge, ainsi que l'Eglise catholique, insistèrent beaucoup sur cette différenciation, ce qui eut pour effet de rigidifier les clivages, surtout dans le contexte de la construction d'un Etat moderne et centralisé. L'administration belge porta le vice jusqu'à créer des cartes d'identité portant la mention « Hutu » ou « Tutsi ». Les nouveaux rapports de production créèrent également de nouveaux rapports patrons / ouvriers entre Hutus et Tutsis.

Cependant, l'administration belge ne saurait être jugée seule coupable du génocide rwandais. Les luttes politiques pour le pouvoir qui précédèrent l'indépendance accentuèrent encore cette polarisation ethnique. Les Hutus, qui représentaient environ 85% de la population et qui furent dominés pendant des centaines d'années, formèrent leurs propres partis politiques, et s'unirent pour prendre le pouvoir à l'indépendance. Après l'établissement de la République par le Hutu Kayibanda, la justification ethnique de la domination des Tutsis fut littéralement mise sens dessus dessous par les Hutus, qui commencèrent à construire un mythe fondateur autour de la « race supérieure » Hutu.

Environ 120 000 Tutsis furent alors chassés du Rwanda dans les années 60. Ces réfugiés Tutsis ne se voyaient eux absolument pas comme des aristocrates, mais plutôt comme des victimes des luttes politiques pendant la domination coloniale. Les réfugiés rwandais Tutsis s'organisèrent dans les camps, et plusieurs factions politiques se dégagèrent. Une faction modérée prônant la méthode douce, c'est à dire la négociation avec le nouveau gouvernement Hutu pour organiser le rapatriement des réfugiés, était soutenue par l'ONU. Cependant, à mesure que le rapatriement des réfugiés Tutsis disparaissait de l'agenda international, une faction extrémiste et militariste, le FPR (Front Patriotique du Rwanda), pris le pouvoir dans les camps et entretint pendant des années le mythe d'une reprise du pouvoir par les Tutsis. Ce qui est particulièrement marquant, c'est que le mythe du retour au Rwanda survécut pendant trente ans et sauta une génération. Le FPR, qui mena plusieurs attaques et incursions au Rwanda afin de reprendre le pouvoir, affirmait haut et fort son droit au retour. Le FPR recrutait largement ses soldats dans les camps de réfugiés Tutsis en Ouganda et étaient largement soutenus par Museveni, le nouveau président ougandais, porté au pouvoir en partie grâce à l'aide des réfugiés armés Tutsis. Le conflit dura environ quatre ans, débouchant sur les accords d'Arusha en 1994. Une force de maintien de la paix de l'ONU, appelée UNAMIR, était chargée de faire respecter le cessez-le-feu entre belligérants. Mais ces accords étaient inacceptables pour les plus extrémistes

des combattants, des deux côtés. Les militaires rwandais Hutus et certains leaders politiques initièrent alors un plan délibéré pour éliminer définitivement les Tutsis. La planification et la propagande pour le génocide commence. Puis, le 6 Avril 1994, l'avion transportant les présidents rwandais (Hutu) et Burundais est abattu quand il quitte l'aéroport de Kigali (Zaïre). Cet événement déclenchera le génocide de 800 000 Tutsis et Hutus modérés en à peine trois mois. A peine la nouvelle de l'attentat contre l'avion présidentiel est-elle donnée que les milices d'extrémistes hutus, partisans du « Hutu Power », installent des barrages dans Kigali et commencent le massacre, listes à l'appui. En quelques, jours, l'incendie embrase tous le pays. Ce génocide, le premier depuis la Shoah, n'impliqua pas seulement des soldats aux ordres de leur hiérarchie, mais aussi de nombreux civils hutus, embrigadés et pris dans une sorte d'hystérie collective, ou la radio43 appelait tous les matins au réveil non pas à aller cultiver les champs mais à se munir de sa machette pour aller massacrer ses voisins tutsis44. Dans les campagnes, le choix imposé par les populations civiles hutues par les notables et les milices est simple : tuer les Tutsis ou être tué.

De nombreux spécialistes aujourd'hui considèrent qu'il est probable que ce soit des leaders du FPR, et donc des Tutsis, qui commanditèrent l'attaque contre l'avion présidentiel. Certains vont même jusqu'à accuser Paul Kagamé, actuel président du Rwanda, Tutsi et ancien leader du FPR, d'avoir voulu provoquer la colère des Hutus afin que la guerre reprenne. Le génocide des siens aurait donc profité largement ses buts politiques, à savoir le retour au pouvoir des Tutsis. En effet, pendant la période du génocide (avril, mai et juin 1994), la guerre entre l'armée rwandaise hutue et le FPR continua de plus belle, et le FPR finit par l'emporter.

Après avoir organisé le massacre de centaines de milliers de Tutsis, les leaders hutus du génocide forcèrent plus d'un million de Hutus à les suivre dans leur fuite,

Ils s'installèrent dans les camps de réfugiés ou à proximité et attirèrent à eux toute l'aide humanitaire dont ils avaient besoin pour se réorganiser. Dans les premières semaines, le temps que l'aide humanitaire arrive, l'anarchie la plus totale régnait dans les camps et environ 30 000 réfugiés moururent du choléra et de la dysenterie. Mais au fil des semaines, les cadres responsables du génocide reprirent le contrôle des camps. Les acteurs internationaux, armées, HCR, ONG... qui vinrent en aide aux réfugiés restèrent aveugles, ou plutôt sans moyens face à cette situation.

43 Le rôle de la « Radio des milles collines » dans l'organisation du génocide fut reconnu par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda, qui la condamna pour complicité dans un crime de génocide.

44 « Tuer était moins échinant que de cultiver », in Télérama, n° 2799, 3 Septembre 2003


·:. Comment le secours aux réfugiés peut exacerber le conflit

-"To deliver humanitarian assistance in a no-questions asked, open-ended manner, is to deliver the extremists their strongest remaining card"45

L'aide humanitaire aux réfugiés peut exacerber le conflit de quatre différentes manières : en nourrissant les « refugee warriors », en soutenant et en protégeant les familles et les soutiens politiques des ces « refugee warriors », en supportant l `économie de guerre, et en donnant de la légitimité à ces combattants.

Au niveau le plus basique, nourrir et assister directement ces militants, que ce soit intentionnel ou non, revient à les dispenser de l'effort de trouver de la nourriture par leurs propres moyens. Pendant la crise du Rwanda, de nombreux travailleurs humanitaires n'étaient même pas au courrant du génocide ayant eu lieu quelques semaines auparavant et nourrissèrent donc des chefs hutus génocidaires sans même le savoir. Mais dans certains cas, les ONG ont intentionnellement fourni les dignitaires hutus responsables du génocide en nourriture et autres biens de survie. Au Zaïre, certaines ONG raisonnaient en se disant que si elles ne leur fournissaient pas à manger, ces « refugee warriors » iraient de toutes façons taxer la nourriture des réfugiés. Ce raisonnement, qui peut paraître cohérent, ne permet pas de s'approcher d'une solution pour se débarrasser des combattants réfugiés. Mais ce raisonnement est une adhésion stricte au principe d'impartialité de l'assistance humanitaire, qui dit que « même les coupables ont besoin d'être nourris ».

Même si l'assistance humanitaire ne soutient pas directement les combattants réfugiés, elle peut soutenir leurs familles ainsi que leur base politique, celle qui les soutien et justifie leur combats. Pendant ce temps là, les combattants réfugiés n'ont pas besoin de s'occuper des leurs, ils ont donc les mains libres pour continuer la guerre. Si ces militants se considèrent souvent comme un Etat en exil, ce sont les organisations humanitaires qui fournissent toutes les fonctions étatiques de base. Alors, quand les organisations de secours internationales assument la responsabilité de la survie des populations, les seigneurs de la guerre eux définissent leur unique responsabilité en termes de stratégie militaire.

D'autre part, les combattants réfugiés peuvent utiliser les ressources qui leur sont fournies, ou qu'ils taxent aux réfugiés pour financer l'économie de guerre. Ils peuvent également, quand ils contrôlent la distribution de l'aide, comme c'est souvent le cas, la détourner pour par exemple la revendre au marché noir. Qui contrôle la nourriture contrôle le sort des réfugiés. Dans tous les cas, le temps et l'argent qu'ils ne dépensent pas grâce au travail des humanitaires se

45 Cité par Lischer in "Dangerous Sanctuaries: Refugee Camps, Civil War and the Dilemnas of Humanitarian Aid", Ithaca, Cornell University Press, 2005, 204 p.

tourne vers l'économie de guerre (achat d'armes, de matériels...). Quand ils ne contrôlent pas la distribution de l'aide, les combattants réfugiés peuvent se mettre à voler l'aide internationale. Médecins Sans Frontières décida ainsi de se retirer du Libéria dans les années 90 après s'être fait voler pour 20 Millions de Dollars d'équipement (voitures, radios, téléphones, ordinateurs...). Certains affirment cependant qu'il ne faut pas blâmer l'intervention des organisations internationales puisque ce type de vols ne constituerait q'une partie infime des ressources de ces « refugee warriors ». Mais c'est autant d'argent, de matériels et de ressources qui ne seront pas affectés ailleurs par les ONG.

Enfin, le principal effet pervers de l'assistance humanitaire est la légitimité qu'elle fournit aux combattants réfugiés. En effet, pour lever des fonds et convaincre les publics occidentaux ainsi que les Etats de les financer, les agences de secours internationales doivent présenter le conflit en faisant apparaître des « bons » et des « méchants ». Le conflit est alors simplifié, et cela peut mener à des erreurs historiques, comme au Rwanda, où tout le monde a cru que les réfugiés quittant le pays étaient des victimes du génocide. De plus, les populations réfugiées qui bénéficient de l'aide internationale ne font que rarement la différence entre les agences internationales qui fournissent l'aide, et les milices des combattants réfugiés qui la distribuent. Par conséquent, les combattants réfugiés reçoivent toute la gloire et toute la sympathie des populations réfugiées, renforçant ainsi leur notoriété et leur pouvoir. Dans un processus de reconstruction, comme au Libéria, ce type de légitimité donnée à certaines factions de combattants réfugiés et pas à d'autres les favorisa largement lors des élections qui suivirent.

Malgré tous ces effets pervers, largement vérifiés, de l'aide humanitaire, certains continuent de soutenir l'idée que l'impartialité et la neutralité doivent rester les deux principes fondateurs de toute intervention humanitaire. Le problème est que dans le cas contraire, jamais les organisations de secours ne pourraient avoir accès aux populations dans le besoin, et les travailleurs humanitaires deviendraient des cibles vivantes et faciles à atteindre pour les parties en guerre.

En réalité, toute intervention humanitaire dans une zone de guerre aura des incidences politiques, quelles que soient la neutralité des intentions. Alors, dans une crise de réfugiés ou les camps sont militarisés, les organisations humanitaires doivent faire un choix difficile entre d'un côté aider à la fois les réfugiés et les combattants, et de l'autre, n'aider personne.

- La question des camps

Cependant, sur un plan strictement technique, la constitution de camps de réfugiés peut poser problème. En période d'urgence et de catastrophe humanitaire, les camps de réfugiés installés à proximité des frontières sont a priori l'unique réponse possible, car techniquement, financièrement, et même de manière éthique, ils permettent la meilleure réponse aux migrations

forcées, ils sont le meilleur moyen d'éviter la dispersion des populations, et ils sont enfin le meilleur cadre pour un rapatriement à venir. Mais dans la réalité du terrain ils sont le meilleur moyen de fixer les les populations dans la durée, faute de résolution des crises politiques. La pérennisation des camps alimente alors un noeud de problèmes. Surtout, la localisation des camps près des frontières permet aux membres armés de ces camps de passer la frontière beaucoup plus facilement que s'ils en étaient éloignés, leur permettant ainsi de continuer et de propager le conflit. Entre la gestion d'urgence de la crise et l'implication à long terme dans la crise, les solutions techniques à apporter sont bien différentes.

Les camps peuvent constituer un obstacle au processus de résolution des conflits car ils permette,t d'entretenir des mobilisations radicales, en raison de l'accumulation des frustrations sociales et politiques, et ce d'autant plus s'ils se situent à proximité de la frontière. C'est pourquoi le HCR, ayant saisi les dynamiques engendrées par la proximité d'une frontière, a décidé après la crise du Rwanda d'instaurer comme règle la construction des camps de réfugiés à une distance minimum de 50 km. Cette règle ne suffit pourtant pas pour décourager les combattants réfugiés, mais rend leur travail un peu plus difficile.

En outre, la politisation qui peut surgir dans certains camps de réfugiés doit se lire en prenant en compte les changements sociologiques qui peuvent y avoir lieu. Malgré la reconstitution des clans familiaux et de la structure sociale d'origine, favorisée par la politique des acteurs humanitaires, on observe en général une montée en puissance des jeunes et une déstabilisation des structures traditionnelles. Ces jeunes politisés deviennent ainsi les leaders d'opinion, et ils ont tendance à répandre la violence, d'abord une violence domestique, puis une violence politique. Les camps offrent donc en permanence les bases sociales et générationnelles à des courants politiques radicaux qui peuvent y puiser leurs cadres au fur et à mesure que montent les frustrations politiques communautaires.


·.
· Comment expliquer la violence politique des réfugiés ?

« When I finally found out about the genocide, I realized, « Hey, I've been busting my butt

for a bunch of ax-murderers!»

Un travailleur humanitaire américain à Goma46
Dans le milieu des humanitaires, la violence et la persistance des conflits avec les
mouvements de réfugiés sont souvent expliquées par des facteurs socio-économiques. Selon
certains, des camps trop grands contribuent à exacerber des tensions déjà existantes et
aboutissent à des violences et des conflits. D'autres expliquent la continuation des violences par le
positionnement des camps, souvent trop proches des frontières, facilitant ainsi les incursions

46 Cité par Kurt Mills et Richard Norton, "Refugees end Security in the Great Lakes Region of Africa», in Civil Wars, Vol. 5, n° 1 (Spring 2002), p. 1-26

armées dans le pays d'origine. Enfin, la violence peut s'expliquer par la concentration de jeunes hommes désoeuvrés et déshérités dans les camps.

Toutes ces explications sont certes réelles, mais elles restent insuffisantes pour expliquer la propagation d'un conflit à partir des camps de réfugiés. Quand les explications socio- économiques ignorent les motivations politiques derrière la militarisation des camps, alors, l'assistance humanitaire devient un facteur aggravant. La supériorité des explications (et des réponses) politiques est flagrante. Le contexte politique d'une crise explique beaucoup mieux la propagation d'un conflit que le simple contexte socio-économique. Il faut étudier l'origine de la crise de réfugiés, la politique de l'Etat hôte, et l'influence des acteurs extérieurs.

L'origine de la crise de réfugiés est un important facteur à prendre en compte pour expliquer comment un conflit peut se propager. Lischer47 distingue dans son ouvrage trois catégories de réfugiés en les distinguant par la cause de leur fuite.

Il y a tout d'abord les « situational refugees »48, qui fuient leur pays d'origine en raison des conditions de vie intolérables dues à une destruction générale, en raison d'une guerre civile ou tout autre conflit armé. Ces réfugiés, qui ne sont pas spécialement et individuellement persécutés, expriment le désir en général de retourner chez eux dès la paix et la stabilité revenues.

Lischer distingue ensuite les « persecuted refugees », qui eux fuient à cause de la persécution et de l'oppression systématiques, plutôt qu'à cause d'un chaos général. Ces réfugiés veulent échapper au nettoyage ethnique, au génocide, ou à toute autre persécution basée sur l'ethnicité, la langue, la couleur, la religion ou l'appartenance politique. Cette persécution de groupe dont ils sont victimes facilite en général l'organisation politique ou militaire parmi les réfugiés, et facilite aussi l'apparition de violences à la frontière. Ces réfugiés ne veulent en général rentrer chez eux qu'une fois qu'ils sont sûrs que leurs bourreaux ne leur feront plus de mal.

L'ensemble formé par le troisième type de réfugié est en fait un « Etat en exil » (« State in exile »). Parmi ce groupe se trouvent des leaders politiques et militaires qui dans certains cas organisent la crise de réfugiés de telle manière à ce qu'elle devienne une stratégie pour éviter la défaite dans la guerre civile. Comme nous allons le voir, l'exemple rwandais offre pour ce dernier cas un magnifique exemple de manipulation des réfugiés et de propagation du conflit.

47 Lischer, «Dangerous Sanctuaries, Refugee Camps, Civil War and the Dilemnas of Humanitarian Aid", Op. Cit.

48 Voir Annexe 4

- L'utilisation et la manipulation des réfugiés rwandais au Zaïre

"We are in a state of virtual war in the camps" -Un officiel du HCR, août 199449


·..
· L'organisation de l'exode des Hutus

Après la victoire du FPR fin juin 1994, les leaders hutus qui avaient organisé le massacre de plus de 800 000 Tutsis (et Hutus modérés), défaits, créèrent cet Etat en exil en emmenant avec eux dans leur fuite plus d'un million de Hutus. Un second flot de 300 000 réfugiés arriva au Zaïre en août 1994, quand les français de l'opération turquoise décidèrent de fermer la zone sûre qu'ils avaient créée pour les réfugiés dans le sud-ouest du Rwanda. Un réfugié raconte comment il a été forcé à suivre les chefs hutus dans leur fuite : "People were given a deadline, by which time they must be in Zaïre. We were told that whoever did not leave by the deadline, which I think was 30 June, would be swept away by the Interahamwe who would come from behind"50. Un responsable du HCR décrit même la population hutue des camps comme une population "abattue, en colère"51, chez qui les chefs exerçaient un contrôle social total par la violence et les menaces. Les leaders génocidaires hutus emmenèrent avec eux les restes des richesses de l'Etat. Cette crise de réfugiés faisait clairement partie d'une stratégie de guerre, servant de base arrière à leur guerre. Plus les leaders hutus avaient de réfugiés sous leur contrôle, plus ils pouvaient réclamer l'aide internationale, et renforcer leur pouvoir en taxant les ressources des réfugiés, en contrôlant la distribution, en recrutant des réfugiés dans leurs milices... Leur pouvoir augmentant avec le nombre de réfugiés à leur disposition, ils tentaient également de manipuler la comptabilisation des réfugiés. Les chiffres cités dans ce mémoire se basent sur les statistiques officielles émanant du HCR et servant de base à tous les chercheurs.

A la mi juin 1994, la France, avec l'autorisation du Conseil de Sécurité de l'ONU, déploya l'opération turquoise afin de créer des zones sûres dans le sud-ouest du pays. Cette intervention faisait office de palliatif, le génocide ayant déjà eu lieu. L'opération française est en plus aujourd'hui accusée de toutes parts, car les militaires français, auraient aidé certains génocidaires hauts placés à fuir, au nom de la vieille amitié entre français et hutus52. De nombreux membres du FAR, des milices interahamwe (milices hutues), ainsi que de nombreux bureaucrates, fuyèrent effectivement vers le Nord et le Sud Kivu avec les français, entraînant dans leur sillage de nombreux réfugiés hutus. Cette fuite fut en fait largement commanditée par les dignitaires hutus

49 Idem

50 Idem

51 Lischer, "Dangerous Sanctuaries : Refugee Camps, Civil War, and the Dilemnas of Humanitarian Aid", Op. Cit.

52 Kurt Mills et Richard J. Norton, «Refugees and Security in the Great Lakes Region of Africa», in Civil Wars, Vol. 5, n° 1 (Spring 2002), p. 1-26

qui voulaient entraîner dans leur défaite le plus de Hutus possible, le but étant d'utiliser les réfugiés pour pouvoir rentrer en vainqueurs au Rwanda, par la lutte armée. Quand les français décidèrent en août 1994 de fermer la zone sûre qu'ils avaient créée, les leaders hutus emmenèrent, par la force s'il le fallait, ces 300 000 réfugiés vers le Zaïre, pour rejoindre le flot de plus d'un million de réfugiés qui s'y trouvaient déjà. Les différents leaders hutus organisèrent la propagande pour convaincre les Hutus que les Tutsis du FPR, qui avaient repris la capitale Kigali, ne les laisserait pas en vie s'ils restaient. De nombreux Hutus ayant participé aux massacres ne furent pas difficiles à convaincre. Les autres avaient en général effectivement peur des possibles représailles tutsies. Les derniers qui résistaient à l'exode étaient souvent menacés de mort par les milices hutues. Après une telle hystérie meurtrière à laquelle de nombreux Hutus particippèrent, la propagande des génocidaires en chef ne faisait de toutes façons qu'attiser une peur déjà présente parmi nombre d'entre eux. Simplement l'exode massif qui découla du génocide a été largement encadré par les chefs et les milices hutus défaits par le FPR.

Dans les premiers mois de l'exode, le chaos et la violence régnaient dans les camps, où une épidémie de choléra sévit et tua environ 50 000 réfugiés. La confusion régnait pendant que les différents chefs hutus se battaient pour contrôler les camps. Ils ne se cachaient pas de leurs intentions d'envahir le Rwanda, et se promenaient même dans les camps vêtus de leurs uniformes. Ils contrôlaient toutes les activités des camps, et empêchaient par la force les réfugiés de rentrer au Rwanda.


·.. Le contrôle des camps et l'impossible rapatriement

Comme mentionné précédemment, environ 1 million de réfugiés s'installèrent le long de la frontière zaïroise53. Après une période chaotique, les militants hutus réussirent à établir un contrôle total des camps, démontrant ainsi leur performance organisationnelle, militaire et politique. Dès les premiers jours de la crise, les réfugiés rwandais hutus au Zaïre ont constitué une sorte d'Etat en exil. Des officiels du HCR ont même rapporté qu'à l'automne 1994, un premier ministre et un ministre de la Défense avaient été élus, et qu'ils avaient reçu pour mandat de "libérer le Rwanda". Et en avril 1995, les leaders hutus annoncèrent dans un communiqué la formation du gouvernement rwandais en exil au Zaïre. Ils recréèrent les anciennes structures sociales et politiques, comme dans leurs communes et villages d'origine. Certains camps comme Goma ou Bukavu54 furent même organisés en quartiers, sous-quatiers, et cellules par les chefs hutus, qui organisaient eux-mêmes des patrouilles et parfois instauraient des couvre-feu. En plus de l'organisation géographique, l'organisation politique mise en place démontra également son efficacité. L'organisation des camps étaient en général basée sur une superposition de groupes, où souvent les militaires avaient des positions privilégiées. Une mission de la banque mondiale

53 Voir Annexe 3

54 Voir Annexe 3

rapporta : "There was an underlying power structure based on a committee of fifteen or seventeen members, made up of former government, military and business leaders, and possibly directed from abroad which still controlled most of what went on in the camps. It appeared that elected leaders would not go against the decisions of this committee."55 La crise de réfugiés fournit en effet une excellente occasion aux génocidaires de renforcer encore leur pouvoir et leurs capacités. Leur envie de retourner au Rwanda pour "finir le travail" n'en était donc que plus forte. Le camp de réfugiés du Lac Vert56était ainsi connu pour avoir hébergé et permit l'entraînement de nombreux ex-membres des FAR. C'est à partir de ce camp que des combattants réfugiés infiltraient les autres camps, au caractère trop "civil" pour s'en servir de base arrière lors des attaques transfrontalières contre le Rwanda. La crise de réfugiés augmenta les capacités et la détermination des extrémistes, puisque les FAR disposaient d'environ 5 000 hommes avant l'exode, et de plus de 50 000 en 1995. Et selon l'Union Africaine, environ 10% des réfugiés zaïrois, soit un minimum de 100 000 personnes, étaient des militants hutus.

Une fois « installés », les chefs des génocidaires insistèrent dans leur stratégie d'utilisation des réfugiés et firent tout ce qui était en leur pouvoir pour empêcher les réfugiés de repartir se réinstaller au Rwanda. Des documents de propagande furent même distribués dans certains camps afin de démontrer avec quelle implacable détermination les Tutsis du RPF au pouvoir procédaient à une vengeance sanglante et méthodique envers les Hutus qui décidaient de retourner s'installer au Rwanda.

Si les extrémistes hutus qui faisaient la loi dans les camps de réfugiés du Zaïre avait instauré un quasi Etat, les véritables réfugiés (non combattants) qui se trouvaient à l'intérieur ressemblaient plus à des otages qu'à des citoyens. Dans leurs discours, les leaders hutus des camps rendaient les Tutsis responsables de leur situation, faisant des Hutus des victimes, et menaçaient de mort quiconque voulait rentrer au Rwanda.

Le HCR aussi fut manipulé par ces « refugee warriors ». En effet, le HCR recrutait des « volontaires » pour aller étudier la situation politique au Rwanda et en conclure s'il était possible ou non pour les Hutus d'y retourner. Mais en réalité, ces « volontaires » étaient désignés par les leaders hutus qui ne voulaient que rentrer en vainqueurs et donc poursuivre la guerre. Les rapports de ces « volontaires » étaient donc bien sûr toujours alarmistes et catastrophistes sur la situation au pays et sur le sort réservé aux hutus, génocidaires ou non. Malgré cela, le HCR ne changea pas de politique et décida de s'en tenir au principe du rapatriement volontaire. Le HCR se rendait bien compte que la situation dans les camps risquait à tout moment de dégénérer, mais il n'était pas en son pouvoir de séparer les « refugee warriors » des autres réfugiés, et face à eux le HCR eut du mal à faire la promotion du rapatriement volontaire.

55 Cité par Lischer in "Dangerous Sanctuaries : Refugee Camps, Civil War and the Dilemnas of Humanitarian aid", Op. Cit.

56 Camp dont la pancarte indique le chemin aux réfugiés sur la photo en couverture.


·..
· L'attitude du gouvernement rwandais

Le nouveau gouvernement rwandais et tutsi, qui peinait à se mettre en place après la prise de Kigali par le FPR, accueillit favorablement l'idée d'un rapatriement des Hutus. En effet, le principal souci du nouveau gouvernement tutsi était de faire cesser la menace que constituaient les camps de réfugiés hutus au Zaïre. Ainsi, le tout jeune gouvernement insistait pour que cette opération de grande envergure soit gérée de A à Z par le HCR. En effet, le gouvernement, qui sera bientôt dirigé par Paul Kagame, désirait que le retour des réfugiés ne s'effectue pas en masse mais de manière ordonnée. Cette exigence devint encore plus forte après que sa volonté de fermer le camp de déplacés internes hutus à Kibeho débouche sur un massacre d'environ 2 000 à 4 000 personnes, civils et « refugee warriors » confondus, le 18 Mai 199557. Quoiqu'il en soit cet épisode dissuada nombreux hutus de rentrer chez eux, et le HCR rejeta la faute sur le nouveau gouvernement de Kigali qu'il accusa de mauvaise volonté dans le rapatriement des réfugiés hutus. Cependant les dysfonctionnements du HCR, ainsi que du CICR puisqu'il s'agit ici de déplacés internes, et leur incapacité à gérer les éléments armés des camps, ont permis d'aboutir à un tel massacre.

La situation apparaissait tendue également du fait de l'inaction e la communauté internationale, qui laissait en face les combattants hutus réfugiés se réarmer avec l'appui de l'Etat hôte, le Zaïre, et le financement de la communauté internationale. Dans ce contexte il paraît plutôt légitime que le nouveau gouvernement rwandais reste sur ses gardes concernant ses relations avec l'extérieur et avec les réfugiés hutus. L'armée rwandaise tutsie participera d'ailleurs à la guerre au Zaïre.

A l'automne 1995, quelques diplomates occidentaux commencèrent à évoquer le rapatriement forcé comme seule solution viable à terme pour les réfugiés rwandais. Mais pour organiser un tel rapatriment, comme l'épisode de Kibeho l'a montré, le désarmement des réfugiés par une force indépendante était nécessaire. Or, dans ce cas, aucune autre armée que celle de l'Etat hôte n'était en mesure d'effectuer un tel travail, étant donné l'investissement minimum de la part de la communauté internationale.

57 Les interpretations sur l'intentionnalité de ce massacre diffèrent selon les sources. Dans tous les cas il est sûr que des éléments armés du camp ouvrirent le feu sur l'armée rwandaise et utilisèrent les IDP's comme des boucliers, aboutissant à une boucherie largement médiatisée qui émut la communauté internationale et fut l'objet de plusieurs études et rapports du HCR notamment. Voir « Joint Evaluation of Emergency Assistance to Rwanda », March 1996.

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