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La relation maà®tre disciple dans le monachisme primitif, d'après les écrits de Jean CASSIEN

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par Isabelle PEREE
Université de Strasbourg - Master 2009
  

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B. L'Ecriture revisitée par les sentences du maître.

Les moines lettrés recopiaient des passages de l'Ecriture afin de s'en imprégner et de les apprendre. Ainsi, petit à petit, ils s'appropriaient les textes et les transmettaient oralement à leurs disciples. Il arrivait que des jeunes moines soient pourvus d'un charisme particulier à recevoir et comprendre la Parole sans se la faire expliquer. Un ancien, interrogé sur les raisons d'un tel charisme avait répondu que l'on trouvait d'ordinaire plus d'eau dans les vallées que sur les montagnes. Ainsi les âmes simples, promptes à se mettre à la dernière place, plus désireuses de pratique que de connaissance, obtiennent beaucoup plus aisément que les moines orgueilleux, la connaissance des Ecritures105. Pour reprendre une expression de D. Burton-Christie, les anciens « faisaient la Parole106 ». Le langage pratique utilisé par les moines pour décrire la manière d'approcher l'Ecriture indique leur orientation de base envers le texte. Un ancien recommandait généralement à ses disciples de « faire ce qu'il est écrit ». Parfois, les paroles des anciens paraissent presque équivalentes à l'Ecriture en tant que paroles nouvelles de puissance, censées être entendues, mises en pratiques et passées les uns aux autres. Chez les Pères du désert, l'Ecriture existait pour être mise en pratique et ils l'ont incluse petit à petit dans le tissu de leur vie.

D. Burton Christie précise que même si les frères ne contestaient pas nécessairement l'autorité de la Parole de l'Ecriture, ils voulaient entendre les mots bien fondés que le maître donnerait. Une telle demande de la part des frères reflète un rapport fluide entre les paroles de l'Ecriture et celles de l'ancien et aussi entre les paroles bien fondées de l'Ecriture et celles plus discrètes et plus intimes des anciens107. Certains Pères citent davantage l'Ecriture que

106 D.BURTON-CHRISTIE in « The World in the desert. » New-York/Oxford. 1993.

107 Ibid.

d'autres. Ainsi verrons-nous Abba Chérémon citer cent soixante et onze passages bibliques dans l'un de ses enseignements, Abba Nestéros quatre-vingt-trois passages, alors qu'Abba Isaac n'en citera que vingt-six. Il arrive que les disciples ne puissent se consoler au moyen de la Bible et que ce soient les paroles des anciens qui servent de remède :

« Faites-les connaître (vos pensées) ; comme prix de votre foi, la divine clémence est assez puissante pour vous accorder le remède par le moyen de mes conseils. » (Coll. 17)

Il apparaît qu'au désert, la Parole prend vie lorsqu'elle est parlée. Mêlée à l'expérience des anciens, elle est vivante, dynamique pour le jeune en formation. Elle se matérialise, s'incarne autrement et tout ce qui passe par la médiation humaine prend vie. L'Ecriture est faite pour être recréée, actualisée sans cesse, les Pères s'en font les porte-parole et la complètent en l'adaptant à des situations vécues pour initier les débutants. Leur exemple permet de structurer la vie du jeune moine. L'expérience est du domaine de la vie et non du raisonnement, ce ne sont pas seulement les états d'âme dans la prière mais la pratique des commandements qui font l'expérience.( Même si cette thèse est contredite à plusieurs reprises lors de discours sur la prière et concernant les priorités données à la contemplation sur l'action.) L'Ecriture, elle, donne court à l'interprétation. Il y a donc un risque plus ou moins important de trouble pour le jeune initié. L'Ecriture passe par l'interprétation des Pères afin d'éviter la déformation , voire les déviances. Certains moines et a fortiori les plus jeunes, ne pouvaient aller au-delà du sens purement littéraire des Ecritures, ce qui rendait l'exercice dangereux. Dieu montre aux anciens ce qu'ils doivent faire, c'est le charisme qui joue. La parole des Pères peut être davantage compréhensible que l'Ecriture car elle est appliquée, en perpétuel mouvement, adaptée à chaque demandeur. Tel Père citera tel exemple à tel jeune. L'enseignement n'est pas le même pour tous les disciples, il est individualisé selon l'état d'avancée spirituelle du jeune moine. L'Ecriture est sans cesse repensée, ré-appliquée en fonction des questions et des besoins du novice. L'exemple des Pères semble plus compréhensible que la Parole divine, pour le moine en formation. Les sentences sont parfois exprimées de manière paradoxale, provoquant par là, réflexion et obligation pour le novice de trouver la réponse par lui-même.

Il arrive également au disciple de s'asseoir et de regarder l'ancien, ce qui lui suffit pour comprendre et obtenir réponse à sa question. Il est indispensable que l'ancien, avant d'enseigner, ait expérimenté lui-même l'objet de l'enseignement, sans quoi ses paroles n'auront aucune portée auprès du disciple.

Abba Nestéros l'explique :

« Il est constant que deux causes rendent inefficace la doctrine spirituelle. Ou bien celui qui enseigne n'a pas expérimenté ce qu'il dit ; et tous ses efforts pour instruire l'auditeur ne sont qu'un vain bruit de paroles, ou bien c'est l'auditeur qui est mauvais et rempli de vices ; et son coeur endurci demeure fermé à la salutaire et sainte doctrine de l'homme spirituel. »

(Coll. 14)

Cassien, par Paphnuce commente l'Ecriture et l'adapte à la vie du désert (Coll.3) :

« Quiconque, après avoir renoncé au monde, retourne à ses penchants d'autrefois et à ses passions premières, crie par ses actes et ses pensées avec les Juifs : Qu'il faisait bon en Egypte ! » (Ex 38,25)

L'Ecriture est citée et commentée de manière pure, avec un interprétation propre à l'ancien. Paphnuce passe d'une citation à l'autre en les liant fort habilement mais son expérience personnelle n'y est pas mêlée, ce qui pourrait nous indiquer que Cassien dépeigne l'ancien comme ayant davantage de qualités exégétiques que pédagogiques. On remarque après lecture des trois premières conférences (dans l'ordre que présente Cassien) que chaque Père a sa spécialité dans la manière d'enseigner son disciple. Paphnuce privilégie le commentaire alors que Moïse semble préférer la formation directe du maître à disciple même s'il met en garde tout de même contre la mauvaise interprétation des textes et du risque de se détourner de leur sens profond. (Coll. 2) Abba Isaac cite son expérience comme enseignement mais renvoie toujours à l'Ecriture et s'appuie sur les exemples du Christ. (Coll. 10) I.Gobry pense que la vie monastique exige un délicat apprentissage et Antoine prodigue maints avis sur ce sujet. Il ne faut pas s'encombrer de livres : l'Ecriture suffit. Il est bon de ne pas garder pour soi les trésors qu'on y découvre ; aussi les moines sont encouragés non seulement à écouter les leçons des anciens mais aussi à s'exhorter mutuellement. « Il est utile de ne pas suivre l'exemple d'un seul car le Christ est seul parfait (...)nous devons donc profiter de ce qui est édifiant dans chacun des frères qui brillent par leurs vertus 108. »

Les Pères étaient hostiles à toute recherche rhétorique ; les mots de leur prière sont simples et les mots de l'enseignement le sont également109. Dans la formation dispensée au disciple, il doit y avoir la part de Dieu mais aussi la part de l'homme. L'enseignement des anciens est simple comme leur prière, mais il procure la vie parce qu'il est mouvement. Certains d'entre les Pères du désert ont éprouvé, devant la difficulté des Ecritures, un réflexe de crainte. Un frère demandait à Abba Poemen si, obligé d'entretenir un compagnon, il pouvait lui parler des Saintes Ecritures et Poemen répondit :

108 I.GOBRY in « De Saint Antoine à Saint Basile » Fayard 1985.

109 Dom L.LELOIR in « Désert et communion » S0 n° 26 Bellefontaine 1978.

« Mieux vaut te taire mais si tu n'en es pas capable, parle des sentences des anciens et non des Ecritures, car les paroles des Ecritures sont graves et entraînent des afflictions (...)Il ne s'agit donc pas de les utiliser à tort et à travers (...) parce que si, en raison de leur obscurité, les chrétiens ne s'entendent pas sur leur interprétation, elles les diviseront, au lieu de les unir 110. »

Dom L. Leloir nous conforte dans notre étude en précisant que la lecture de la Bible par les Pères du désert, pour ceux qui y avaient accès, était extrêmement personnelle et vivante, adaptée aux situations précises qu'ils vivaient, au milieu dans lequel ils étaient placés et aux conditions d'existence que celui-ci leur créait. Les anciens abordaient l'Ecriture avec réserve, ils refusaient et décourageaient les frères à en parler. Ils estimaient généralement au-delà de leurs compétences le fait d'informer sur la signification de l'Ecriture et le fait de l'expliquer ne pourrait pas être plus clair qu'une tentative humble de la pratiquer.

Quand quelqu'un demanda à Abba Amoun s'il valait mieux parler des sentences des pères que de l'Ecriture, il répondit : « Vous devriez parler des sentences des Pères, c'est moins dangereux 111. »

Les deux visiteurs demandent à Abba Daniel ce qu'est cette joie ineffable qui les emplit parfois lorsqu'ils sont retirés au fond de leur cellule, alors qu'à certains moments, ils sont plongés dans l'angoisse. L'ancien répond par un enseignement appris de « leurs pères. » Les citations scripturaires viennent plus tard dans le discours, mais elles ont elles-mêmes été citées par les Pères de qui parle Daniel. (Coll. 4) Germain demande un éclaircissement de la pensée de l'apôtre et Daniel continue ses citations et commentaires de l'Ecriture. Ses commentaires lui sont personnels. On devine derrière les explications de Cassien, que l'ancien a expérimenté la Parole de l'Ecriture. Il insiste cependant sur le fait qu'il s'agisse d'une « exhortation monastique » puisqu'il traite de chasteté, de jeûnes sévères, de veilles et de prières ininterrompues dans la solitude effrayante du désert. Daniel parle de « l'Esprit pédagogue ». Son discours est donc bien celui d'un moine qui s'adresse à d'autres moines moins expérimentés. Il s'agit d'un long discours et non pas d'un apophtegme, mais le but est identique : toucher et enseigner de son expérience en revisitant la Parole, les disciples venus chercher un enseignement ou un précepte basé sur l'expérience.

D'Abba Sérénus, on apprend qu'il connaissait le Pasteur d'Hermas, dont il dit qu'il a « une doctrine très complète », ce qui veut dire que plusieurs Pères avaient une connaissance

110 Paterica Arméniens : 11, 3R : III,132. ( in D.Louis Leloir : « Désert et communion. » S0 n°26. Bellefontaine.1978.)

111 D.BURTON CHRISTIE in « Word in the desert » New York/Oxford 1993.

livresque certaine, dépassant même celle de la seule Ecriture Sainte (Coll. 8) et qu'ils pouvaient donc également s'en inspirer.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery