Paragraphe I : l'instruction préparatoire,
prérogative du juge d'instruction
48. La décision à
rendre dans un procès pénal nécessite que l'on connaisse
parfaitement les circonstances dans lesquelles la loi pénale a
été violée et assez la personne du contrevenant afin
d'apprécier son degré de responsabilité. Comme les
enquêtes de police judiciaire, l'instruction préparatoire ou
information judiciaire est la phase du procès qui vise l'atteinte de cet
objectif. Cette phase comporte deux aspects distincts. Elle consiste
premièrement à rechercher les preuves à charge et à
décharge vis-à-vis de la personne poursuivie et à les
réunir. Dans un aspect second, elle consiste à apprécier
les charges tant du point de vue du droit (pour vérifier que les faits
tombent sous le coup de la loi pénale), que du point de vue des faits
(pour vérifier qu'elles sont suffisantes pour justifier l'intervention
d'une juridiction de jugement).
Elle est obligatoire en cas de crime et d'infractions commises
par les mineurs de 18 ans58 et facultative en matière de
délit et de contravention. L'article 142 al. 3 du CPP dispose que
l'information judiciaire est conduite par le juge d'instruction, magistrat du
siège59. Celui-ci est saisi au moyen, soit du
réquisitoire introductif d'instance par le Procureur de la
République, soit de la plainte avec constitution de partie60
civile par la victime. Pour l'accomplissement de sa mission, le juge
d'instruction dispose d'importants moyens d'investigation et de contrainte (A)
qui sont effectués suivant des modalités précises (B).
A. Les moyens d'information du juge d'instruction
55 Montesquieu ne disait-il pas déjà que
toute personne qui est portée au pouvoir peut être tentée
d'en abuser ?
56 MEBU NCHIMI (J C), le Procureur de la
République << décoiffée » de sa casquette de
magistrat instructeur, les tendances de la nouvelle procédure
pénale camerounaise, PUA, pp 241 et s.
57 Voir ANOUKAHA (F) << le magistrat
instructeur en procédure pénale camerounaise » et GOUDEM
(J) << l'organisationnelle du Cameroun », thèses de
Doctorat 3eme cycle en droit prive UY
58 Cf. art. 142 (1) et 700(1) CPP.
59 La Loi n° 2006/14 du 29 Décembre 2006
portant organisation judiciaire a rendu effective cette disposition en
prévoyant dans chaque juridiction un ou plusieurs juges
d'instruction.
60 Ces actes de saisine seront
développés plus Loi n cf. le déclanchement de l'action
publique chapitre 2.
On distingue les moyens d'ordre formel (I) et les moyens d'ordre
matériel (II)
I. Les moyens d'ordre formel
Le juge d'instruction a le pouvoir de prendre des actes d'ordre
formel tels que les ordonnances (a), les mandats (b) et le dossier de
l'instruction (c).
a. Les ordonnances
49. Les ordonnances sont les actes
juridictionnels61 pris par un juge seul dans son
cabinet62. Le juge d'instruction les prend dans plusieurs cas, soit
pour répondre à une demande formulée par les parties ou le
Ministère public, soit pour ouvrir ou mettre un terme à
l'information judiciaire... ainsi, lorsqu'il est saisi d'un réquisitoire
à fin d'informer par le Ministère public, il peut prendre,
suivant qu'il entend ouvrir l'instruction ou pas, une ordonnance à fin
d'informer ou une ordonnance de refus d'informer. Au cours de la
procédure d'information, le Procureur de la République peut lui
demander la communication du dossier de procédure de l'instruction, dans
ce cas, il prend une ordonnance de soit informé. Si le Procureur de la
République lui demande de procéder à de nouvelles
inculpations ou investigations, et s'il n'entend pas faire suite à cette
demande, il prend une ordonnance de refus de plus ample informé. A la
clôture de l'information judiciaire le juge d'instruction peut rendre une
ordonnance de renvoi lorsqu'il veut que l'affaire passe en phase de jugement ou
alors une ordonnance de non lieu quand il estime que les éléments
rassemblés ne sont pas suffisants pour pouvoir passer à cette
phase...
b. Les mandats63
50. dans l'accomplissement de sa
mission, le juge d'instruction peut avoir besoin d'entendre une partie ou un
témoin. Dans ce cas il peut décerner contre
l'intéressé un mandat de comparution ou d'amener. Si des
perquisitions doivent être faites pour la découverte de la
vérité, il lui est permis de délivrer des mandats à
cette fin. Lorsque l'inculpé doit être mis en détention
provisoire ou retiré de la prison, il délivre alors un mandat de
détention provisoire ou d'extraction respectivement. Si un suspect ou un
inculpé se trouve sur le territoire de compétence d'un autre juge
d'instruction ou sur le territoire d'un autre pays, un mandat d'arrêt
peut être délivré contre lui par les autorités
judiciaires dont le juge d'instruction.
61 Les actes juridictionnels peuvent être
contentieux (lorsqu'ils tranchent un litige), ou gracieux (lorsque la
juridiction du juge ou du tribunal rend une décision en dehors de toute
contestation). La définition de ces actes pose encore d'énormes
problèmes au regard des critères qui sont dégagés
par la doctrine pour permettre leur identification. Car ces critères
sont difficilement retrouvés en totalité dans un même
acte.
62 Les actes pris par le Président de la
République dans le domaine de la loi sur autorisation du
législateur sont aussi dénommés Ordonnances et ont valeur
égale à celle de la Loi après leur ratification.
63 Art.13 et suivants CPP
c. Le dossier de l'instruction
51. L'information est secrète et écrite
c'est-à-dire qu'elle a un caractère inquisitoire. Elle donne lieu
à l'ouverture d'un dossier dans lequel sont rassemblés tous les
actes dactylographiés par le greffier de l'instruction sous le
contrôle du juge d'instruction. Toutes les pièces du dossier sont
cotées et inventoriées par le greffe d'instruction au fur et
à mesure de leur rédaction. Le dossier est établi en deux
exemplaires dont l'un pourra éventuellement être envoyé
à la Cour d'Appel. Les parties peuvent se faire délivrer une
copie à leurs frais. Le dossier de l'instruction est une
consécration du code de procédure pénale de 2005.
Les moyens d'ordre formel ont pour but de faciliter
l'accomplissement des actes matériels ou de consigner leurs
résultats.
II. Les moyens d'ordre matériel
Les actes matériels permettent de mettre la main sur
les objets suspects, d'éviter la dissipation des preuves ou la
protection des inculpés. Elles facilitent la découverte de la
vérité et portent sur les personnes (a) ou sur les choses (b).
a. Les actes sur la personne
En dehors de l'interception des correspondances qu'il peut
ordonner, le juge d'instruction procède aux inculpations, auditions et
confrontations (1). Il peut procéder aussi au placement en
détention provisoire, ou prendre une mesure de surveillance judiciaire
à l'endroit d'un inculpé (2)
1. Les inculpations, auditions et
confrontations
52. Lorsque l'information judiciaire est ouverte contre
personne dénommée, le juge d'instruction la convoque et l'entend.
Cette première comparution est appelée inculpation. Au cours de
celle-ci, il est procédé à la vérification de
l'identité de l'inculpé qui est ensuite informé des faits
qui lui sont reprochés et de l'impossibilité pour la police et la
gendarmerie de l'entendre à nouveau sauf sur commission rogatoire.
L'inculpé est également informé du fait qu'il pourra
être, à la fin de l'information judiciaire, placé en
détention provisoire ou renvoyé devant la juridiction de jugement
compétente.
L'inculpé peut choisir de se défendre seul ou
assisté d'un ou de plusieurs conseils et n'est tenu de faire aucune
déclaration sur-le- champ. En cas de choix d'un ou de plusieurs
conseils, l'inculpé est tenu de donner le nom et l'adresse de ce conseil
ou de celui des conseils à qui devront être notifiés les
actes de procédure, et doit élire domicile au siège du
tribunal afin
de faciliter sa représentation devant les juridictions.
Les déclarations volontaires que fera l'inculpé
seront enregistrées par le juge d'instruction. Ce dernier ne doit lui
poser aucune question relative à sa responsabilité pénale
et n'est pas tenu de communiquer le dossier à son conseil. Mais avant
les prochaines comparutions, le dossier devra être communiqué au
conseil de l'inculpé au moins dans les 48 heures les
précédent ou dans les 72 heures, si le conseil réside hors
du siège du tribunal. Ceci constitue une garantie du droit à la
défense. Mais on peut tout de même déplorer le fait que le
législateur ait seulement pris en compte l'extranéité de
la résidence par rapport au siège du tribunal sans se
préoccuper de la distance qui pourrait séparer ces
lieux64. Si cette attitude garantit la célérité
de la procédure, on ne saurait en dire autant des droits de la
défense.
En dehors de l'inculpation qui tient plus ou moins compte des
droits de la défense, le juge d'instruction peut aussi entendre les
témoins ou les confronter ainsi que les autres parties.
Certaines mesures de privation ou de restriction de
liberté peuvent être prises par le juge d'instruction telles que
le placement en détention provisoire qui mérite d'être
examinée au regard des innovations qui y ont été
apportées.
2. La détention provisoire
53. Du point de vue de la
théorie générale du droit pénal, la
détention provisoire est un lieu de conflit entre deux
intérêts : l'intérêt social et l'intérêt
individuel65. Elle remplace la détention préventive
qui revêtait une connotation contraire au principe de la
présomption d'innocence.
Jusqu'à lors la détention provisoire faisait
l'objet d'une réglementation insuffisante au Cameroun. Cette
permissivité a entraîné beaucoup de critiques de la part de
la doctrine surtout parce que la détention provisoire était
illimitée dans le temps66. Avec le code de procédure
pénale, elle est désormais une mesure exceptionnelle qui ne peut
être ordonnée qu'en cas de crime ou de délit et si
l'inculpé n'a pas de domicile connu. Elle doit intervenir avant
l'ordonnance de renvoi, sur ordonnance motivée du juge d'instruction. Ce
qui signifie qu'elle est susceptible de recours. Cette ordonnance est
notifiée au Procureur de la République
64 Ainsi un conseil qui résiderait à
KOUSSERI, dans l'Extrême- Nord du pays, sera soumis au même
délai que celui qui réside à SOA si le tribunal avait pour
siège, YAOUNDE
65 Elle recherche soit la protection de l'individu
contre d'éventuelles mesures de vengeance de la victime ou de sa famille
en même temps qu'elle garantit la représentation du suspect devant
la justice.
66 DJOUENDJEU GAMENI (E. N.), code de
procédure pénale, principales innovations et analyses
téléologiques in La Nouvelle Expression, N° 1726 du 11
Mai 2006, p 10.
et à l'inculpé67.
54. La durée de la détention provisoire est de
6 mois avec prorogation motivée de 6 mois pour les délits et 12
mois pour les crimes soit un maximum de 12 mois pour les délits et 18
mois pour les crimes. Ainsi pourrait être sonné le glas des
détentions interminables68 qui ont valu au Cameroun des
condamnations par les instances internationales pour contrariété
au principe du délai raisonnable69.
A l'expiration des délais ci-dessus le juge
d'instruction est tenu d'ordonner la mise en liberté de
l'inculpé. En outre, l'inculpé peut bénéficier
avant le terme légal de la détention provisoire, d'une
liberté sans ou sous caution. Ceci signifie que la liberté dans
ce cas n'est plus « provisoire » et correspond davantage au principe
de la présomption d'innocence.
Afin de garantir le respect de cette réglementation, le
législateur a reconnu à l'inculpé la faculté
d'engager la responsabilité pénale ou civile du juge
d'instruction qui peut également faire l'objet de sanction
disciplinaire.
En dehors de la détention provisoire, on a aussi la
surveillance judiciaire comme mesure restrictive de liberté.
3. La surveillance judiciaire
55. La surveillance judiciaire est une mesure qui peut
être substituée à la détention provisoire et qui
consiste à laisser le prévenu en liberté avec quelques
restrictions de son droit d'aller et venir. Elle est prise en
considération de la personnalité du prévenu. On peut la
rapprocher de la condamnation avec sursis.
A coté des actes sur la personne, le juge
d'instruction peut prendre des actes sur les biens afin de rassembler les
éléments prompts à faciliter l'appréciation de la
suite à donner au procès.
b. Les actes sur les biens
56. En dehors de l'expertise, les actes matériels
renvoient à ceux effectués par les autorités de police
judiciaire telles qu'indiquées supra70. Ils se
déroulent dans les mêmes conditions et susceptibles des
mêmes sanctions. Il s'agit du transport sur les lieux, des
67 Etant motivée, cette ordonnance peut faire
l'objet de recours.
68 Les articles 222 et suivants prévoient
même la mise en liberté avec ou sans caution.
69 Comité des droits de l'Homme des Nations
Unies au sujet de l'affaire MUKONG citée par GONO (S), L'application
des règles internationales du procès équitable in Juridis
Périodique N° 63 Juillet- Août - Septembre 2005,
édition spéciale ; Commission africaine des droits de l'Homme et
de peuples au sujet de l'affaire EMBGA MEKONGO où l'inculpé avait
passé 12 ans de détention...
70 Voir enquête préliminaire.
perquisitions, visites domiciliaires et saisies. Ces actes
doivent être effectués en principe dans les limites territoriales
de la compétence du juge d'instruction. Mais il est possible qu'ils
soient diligentés hors de ce territoire à condition que le
Procureur de la République du lieu des investigations en soit
informé par celui de la juridiction du juge d'instruction. Ces actes
sont effectués suivant des modalités variées. Celles-ci
sont propres à l'instruction préparatoire dans son ensemble.
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