B. Le déclenchement des poursuites par d'autres
personnes
L'article 60 du code de procédure pénale
dispose que « l'action publique est mise en mouvement et
exercée par le Ministère public. Elle peut aussi être mise
en mouvement par une administration (II) ou par la victime (I)
dans les conditions déterminées par la loi ». La
situation des juges nécessite également d'être
étudiée (III)
I. Le déclenchement des poursuites par la partie
civile ou victime
La partie civile bénéficie de la faculté
de déclencher l'action publique, soit pour vaincre l'éventuel
blocus opéré par le Procureur de la République, soit tout
simplement pour éviter de passer par ce dernier. Il convient de
présenter les conditions (a) et les modalités de cette
mobilisation des poursuites (b).
a. Les conditions du déclenchement de l'action
publique par la partie civile
84. Toute victime peut engager les poursuites qu'elle soit
une personne physique ou morale. Mais le problème s'est posé
relativement aux personnes morales représentant un groupe car leur
action présente l'aspect d'une action publique surtout lorsqu'elles
agissent pour ne pas demander grand-chose comme indemnisation120. Le
législateur y a apporté des solutions en fixant certaines
conditions pour le déclenchement de l'action publique par la partie
civile en
117 L'exercice de ce pouvoir nécessite un courage
énorme au regard de l'instrumentalisation possible du régime
disciplinaire des magistrats du parquet.
118 La liberté de parole ne pouvant intervenir
qu'après le déclanchement de l'action publique nécessite
une information préalable de l'autorité hiérarchique
directement supérieure (art 3 (3) du Décret portant statut de la
magistrature).
119 L'article 133 (2) dispose que « il (le Procureur
Général près la Cour d'Appel) a autorité sur tous
les magistrats du Ministère public de son ressort >>.
120 Lire LARGUIER (J), L'action publique menacée (à
propos de l'action civile des associations devant les juridictions
répressives), Recueil Dalloz 1958, chron. VI pp 6 et s.
générale (1) et celles relatives aux personnes
morales en particulier (2).
1. Les conditions générales de
déclanchement des poursuites par la partie civile
Aux termes de l'article 71 du code de procédure
pénale, toute personne qui aurait subi un préjudice
résultant d'une infraction est recevable en justice à l'exception
des mineurs non émancipés et des majeurs frappés d'une
incapacité. Ceux-ci ne peuvent agir que par le biais d'un
représentant. Il suffit donc pour une personne physique de prouver
qu'elle a subi un préjudice que celui-ci résulte de l'infraction
et qu'il s'agit d'un préjudice direct, certain et actuel. Les ayants
droits d'une personne décédée peuvent également
exercer l'action civile née d'une infraction devant une juridiction
répressive.
Des conditions supplémentaires existent pour les
personnes morales.
2. Les conditions particulières aux personnes
morales
L'article 74 CPP fixe les conditions particulières aux
personnes morales. Le paragraphe 1 de cet article est relatif aux associations,
syndicats et ordres professionnels. Ces personnes morales ne sont recevables
que sous la condition d'invoquer un dommage certain et un intérêt
collectif ou professionnel. C'est dire qu'elles sont irrecevables si
l'intérêt en cause est particulier à un des membres ou si
le préjudice n'est qu'éventuel.
Le paragraphe 2 quant à lui est relatif à
l'assureur de responsabilité. Celui-ci est irrecevable devant les
juridictions répressives.
85. Il ne suffit pas d'être recevable et d'exercer une
action devant une juridiction répressive pour voir l'action publique
mobilisée. Il faut en plus le faire par les modalités
appropriées.
b. Les modalités du déclenchement de
l'action publique par la partie civile
La partie civile peut mettre l'action publique en mouvement par
citation directe (1) ou par plainte avec constitution de partie civile (2)
1. La citation directe
86. La citation directe est la sommation à
comparaître devant une juridiction de jugement délivrée par
exploit d'huissier à la requête soit, du Ministère public,
soit de la partie lésée par l'infraction ou de toute autre
personne intéressée. Elle permet à la personne ayant subi
un préjudice résultant de l'infraction de mettre l'action
publique en mouvement. Lorsque
la victime le fait, elle est tenue d'élire domicile au
siège du tribunal saisi si elle n'y est pas domiciliée. La
citation portera éventuellement la mention de ce domicile élu
ainsi que d'autres indications telles que la date de sa délivrance, les
noms, prénoms, adresses, profession et résidence du
requérant ; les noms, prénoms et adresses de l'huissier ; les
noms, prénoms, filiation et l'adresse complète du destinataire,
particulièrement son domicile ou son lieu de travail. La citation doit
en outre énoncer les faits incriminés et viser le texte de loi
qui les réprime121.
87. L'huissier doit faire toutes diligences
nécessaires pour servir la citation au destinataire. Il mentionne sur
l'original ainsi que sur les copies ses diligences, ainsi que les
réponses faites à ses éventuelles
interpellations122. L'huissier de justice est tenu de signifier la
citation dans les 5 jours de sa délivrance sauf si le destinataire
réside hors de la ville du lieu de comparution. La prorogation est de 1
jour/25 km et de 90 jours si le prévenu réside à
l'étranger. Le non respect des délais entraîne la
nullité de la citation. Celle-ci est prononcée par la juridiction
qui ordonne une nouvelle citation. Elle peut aussi être annulée en
cas d'inobservation d'autres formalités portant atteinte aux droits du
concerné. Les frais d'annulation sont à la charge de l'huissier
de justice si elle résulte de son fait.
On peut tout de même signaler que les frais
nécessaires pour procéder par voie de citation directe ne sont
pas à la portée de toutes les bourses. Ce qui rend cette
modalité sélective123.
2. La plainte avec constitution de partie
civile
88. La plainte avec constitution de partie civile est l'acte
par lequel une personne qui s'estime lésée par une infraction
saisit le juge d'instruction pour obtenir réparation du préjudice
qu'elle prétend avoir subi. Elle est soumise à certaines
conditions pour son admission124 et met l'action publique en
mouvement.
La constitution de partie civile n'est pas possible pour les
infractions dont la poursuite est réservée au seul
Ministère public et pour les contraventions. La personne qui entend se
constituer initialement partie civile doit consigner au greffe du tribunal une
somme fixée par une ordonnance du juge d'instruction suivant les
nécessités des enquêtes ; un supplément de
consignation pouvant être demandé au cours de celles-ci.
89. Lorsque ces conditions sont remplies, la saisine du juge est
valable et met l'action
121 Art. 41 CPP.
122 Lire pour complément l'art. 42 et suivants CPP.
123 Surtout lorsqu'on sait que les aider judiciaires n'est pas
facile à obtenir au Cameroun.
124 Il faut de savoir qu'il existe deux types de constitution
de partie civile ; la constitution de parte civile initiale (celle que nous
étudions ici) et la constitution de partie civile incidente qui vient se
greffer à l'action publique déjà engagée.
publique en mouvement. Cela n'a pas toujours été
ainsi c'est la jurisprudence qui, opérant un revirement, a eu à
l'admettre dans un arrêt de la Cour de Cassation
française125. Le législateur camerounais vient
confirmer cette jurisprudence dans les dispositions de l'article 157,
paragraphe 2 CPP.
Toute constitution de partie civile abusive engage la
responsabilité civile de son auteur, ce qui permet d'éviter
l'engorgement des cabinets d'instruction par des constitutions de partie civile
fantaisistes.
Le législateur prévoit, en dehors du
déclenchement de l'action publique par la partie civile, la
possibilité pour certaines administrations de le faire.
II. Le déclenchement de l'action publique par
certaines administrations
90. Certaines administrations peuvent également mettre
en mouvement l'action publique mais seulement lorsque l'infraction porte sur la
violation d'une disposition de la législation dont elles ont la charge
de veiller au respect. Il s'agit des administrations telles que les eaux et
forets, les douanes, le fisc, la prévoyance sociale...il s'agit en fait
d'un droit de déclanchement spécial pour les infractions touchant
à leur domaine d'activité. En effet si une infraction est commise
dans ces domaines, ces autorités joueront à la fois le rôle
de la police judiciaire et, dans une moindre mesure, celui du Ministère
public qu'elles assistent devant la juridiction de jugement.
91. A l'examen on se rend compte que les voies ouvertes aux
autres personnes pour mobiliser les poursuites sont assez sélectives,
soit du fait du manque de moyens financiers pour les emprunter, soit pour des
causes relatives à la spécialisation du domaine d'intervention.
Ceci rend donc l'utilisation de la voie principale assez incontournable.
On pourrait dire que c'est le Ministre de la justice ou le
pouvoir exécutif qui est juge des poursuites puisqu'il dispose non
seulement des moyens de pression sur le Ministère public susceptibles de
réduire son pouvoir d'apprécier l'opportunité des
poursuites, mais également, peut autoriser ou « demander »
l'arrêt des poursuites à toutes les étapes de la
procédure même lorsque c'est d'autres personnes ou administrations
qui les ont déclenchées.
Le législateur aurait pu prévoir un organisme
national ad hoc composé de magistrats de la cour de cassation qui
déciderait du bien fondé des classements sans suite politiques ou
non, et de l'arrêt de la procédure. Ceci pourrait obliger le
Procureur de la République récalcitrant à délivrer
le réquisitoire litigieux, d'éviter les frustrations et de
125 Cass. 8 /12/1906 (arrêt Laurent ATTHALIN) D 1907, I,
p207 « qu'en investissant la partie lésée du droit
de
saisir de l'action civile le juge d'instruction, le
législateur a nécessairement entendu que le dépôt
même de la
plainte entre les mains du magistrat, avec constitution de
partie civile, mettrait également en mouvement
l'action publique »
respecter le principe de la séparation des pouvoirs. Ce
serait une adaptation de la commission des requêtes qu'avait
proposée en France, la commission TRUCHE126, dans notre
système judiciaire. Aussi l'article 64 devrait être
revisité par le législateur.
III. Le déclenchement de l'action publique par
les juges
Les juges dont il s'agit sont le juge d'instruction (a) et le
juge de jugement (b).
a. Le juge d'instruction et la mise en mouvement de
l'action publique
92. Dans le CIC, le juge
d'instruction avait la possibilité de se saisir d'une affaire en cas de
crimes ou de délits flagrants. Avec le code de procédure
pénale, aucune permission ne lui est accordée pour
déclancher l'action publique. Les articles 143 et 157 sont assez clairs
à ce sujet. L'information judiciaire ne peut être ouverte que si
le juge d'instruction est saisi par un acte du Procureur de la
République ou par une plainte avec constitution de partie civile. A ce
niveau la séparation des fonctions de justice répressive est
respectée. Qu'en est il du juge de jugement ?
b. Le juge de jugement et le déclenchement de
l'action publique
93. En principe, le juge de jugement
ne dispose pas du pouvoir de mettre l'action publique en mouvement. Mais la loi
lui donne la possibilité de le faire lorsqu'une infraction est commise
à l'audience. A ce niveau il faut distinguer selon que l'infraction est
une contravention, un délit ou un crime.
En cas de contravention, le tribunal dresse sur le champ un PV
des faits et entend les contrevenants, les témoins et le
Ministère public, et statue. Il met donc l'action publique en mouvement
(art. 624 a) CPP).
Lorsque l'infraction est un délit, le tribunal
procède comme dans le cas des contraventions.
En cas de crime, « le président du tribunal
ordonne l'arrestation de son auteur, procède à son audition,
dresse PV de ses déclarations et le fait conduire devant le Procureur de
la République qui procède conformément à la loi
» (art. 624 c) CPP). On peut au regard de ces dispositions, dire que
le président de la juridiction ne dispose pas du pouvoir de
déclancher l'action publique. Ce d'autant plus que suivant les
dispositions de l'article 142 CPP, l'information judiciaire est obligatoire en
matière de crime. Donc en disposant que le
126 ROBERT (J-H), De la nécessité d'un
Ministère public, l'office du juge : par de souveraineté ou
puissance nulle. Etudes rassemblées par CAYLA (O), MARIE-France,
RENOUX-ZAGAME, Bruyant LGDJ, 2001.
Procureur de la République procède
conformément à la loi, l'article 624 c renvoie certainement
à l'exercice par ce dernier de son pouvoir d'appréciation de la
mise en mouvement de l'action publique. Ce déclanchement des poursuites
qui ne peut se faire que par le truchement du réquisitoire introductif
d'instance. Ce qui rend aussi le juge d'instruction actif. C'est cette
mobilisation qui caractérise le Ministère public à
l'audience pénale.
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