Paragraphe I : le déclenchement
préalable de l'action publique
76. Le Procureur de la République est le destinataire
de tous les procès verbaux de la police judiciaire relatifs aux
infractions commises dans son ressort et relevant de la juridiction de droit
commun101. Lorsqu'il les reçoit il décide de la suite
à leur donner ce qui lui confère un
97 La mesure de sûreté se distingue de
la peine par son caractère généralement préventif
puisqu'elle intervient avant la commission de l'infraction. Elle découle
des idées de l'école positiviste qui préconise les mesures
de protection de la société contre l'état dangereux de
l'individu.
98 Art. 59 (2) CPP.
99 MATTER dans ses conclusions sur un arrêt de
la cour de cassation française ch. réunies en date du 29 Jan.
1931, DP 1931, I, 94, pense que « les poursuites
sont tous les actes accomplis par les officiers du Ministère
public depuis la mise en mouvement de l'action publique
jusqu'à ce qu'une décision judiciaire définitive soit
intervenue sur la question ».
100 RASSAT (M-L) Le Ministère public entre son
passé et son avenir, éd 1967 pp 88-90
101 Les procès verbaux afférents aux faits relevant
du tribunal militaire sont transmis au Ministère chargé de la
rôle prépondérant dans le
déclanchement des poursuites dont il apprécie
l'opportunité (A) ; les excès susceptibles d'en résulter
sont atténués par le droit de mettre l'action publique en
mouvement reconnu à d'autres personnes (B).
A. L'appréciation de l'opportunité des
poursuites
L'appréciation de l'opportunité des poursuites (II)
se fait par le Procureur de la République à la suite d'autres
actes préalables (I).
I. Les actes préalables à
l'appréciation de l'opportunité des poursuites
Les opérations préalables à
l'opportunité des poursuites sont en principe le contrôle de la
légalité (a) et la vérification des obstacles aux
poursuites (b)
a. La vérification de l'incrimination des
faits
77. Le Procureur de la République doit
vérifier, chaque fois qu'il est saisi des faits, si ceux-ci tombent sous
le coup d`une qualification légale afin de se conformer au principe de
la légalité des délits et des peines, principe fondamental
dans la garantie de la sécurité juridique et de l'Etat de droit.
En fait, le Procureur va se servir de sa culture juridique pour repérer
dans le catalogue des infractions du code pénal, celles qui cadreraient
avec les faits qu'il est appelé à qualifier. Après avoir
recensé les différentes qualifications possibles, il retiendra
celle qui correspondra exactement aux faits dont il est saisi. Il lui est
parfois arrivé d'ignorer certains faits pour pouvoir modifier la
qualification qui devrait normalement être retenue. C'est ainsi qu'on a
eu au Cameroun pendant la période d'application des ordonnances
répressives de 1972, les pratiques de « correctionnalisation
>>102 et de « contraventionnalisation
>>103. Ce qui en soit, était protecteur des droits du
suspect mais contraire au principe de la légalité des
délits et des peines.
78. Au terme de cette confrontation des faits aux
différentes qualifications du code pénal, le Procureur de la
République peut, soit classer l'affaire sans suite lorsque les faits ne
constituent pas une infraction pénale, soit alors, si les faits
constituent une infraction, vérifier s'il n'existe aucun obstacle
à leur poursuite.
b. La vérification des obstacles aux
poursuites
79. Le code de procédure
pénale a prévu plusieurs obstacles aux poursuites
pénales.
justice militaire (art. 85 CPP)
102 La correctionnalisation est transformation d'un crime en
délit pour atténuer la sanction.
103 La contraventionnalisation quant à elle est la
transformation d'un délit en contravention.
Ceux-ci peuvent être l'extinction de l'action publique
pour les causes prévues par l'article 62 CPP. Il s'agit notamment de :
<< a) la mort du suspect, de l'inculpé, du prévenu ou
de l'accusé ; b) la prescription104 ; c) l'amnistie
; d) l'abrogation de la loi ; e) la chose jugée ; J) la transaction
lorsque la loi le prévoit expressément ; g) le retrait de la
plainte lorsque celle-ci est une condition de la mise en mouvement de l'action
publique ». Pourraient aussi constituer des obstacles à la
poursuite, la condition préalable d'une plainte de la victime,
l'immunité de poursuite ou de juridiction dont
bénéficierait le suspect, les causes d'exonération ou de
non imputabilité105, ou l'autorité de la chose
jugée...le Ministère public, par la personne du Procureur de la
République, va s'assurer qu'aucun de ces freins n'existe.
Après l'appréciation de la
légalité106 et la vérification des obstacles
à l'action publique, le Procureur de la République n'est pas
ténu d'engager les poursuites. Il dispose d'une assez grande marge de
liberté pour décider de la suite à donner au
procès.
II. Le principe l'opportunité des
poursuites
80. Le code de procédure
pénale camerounais a opté pour principe de l'opportunité
des poursuites107. Une fois le constat de l'infraction
opéré ainsi que celui de l'absence des obstacles ci-dessus, le
Procureur de la République décidera de poursuivre ou non. Dans la
première hypothèse, il pourra saisir, soit le juge d'instruction
par un réquisitoire introductif d'instance, obligatoire en cas de crime
et de délit commis par un mineur de 18 ans, soit la juridiction de
jugement par une citation directe en cas de délit ou de contravention,
ou par la voie de la procédure de flagrant délit. Dans la seconde
hypothèse, il procédera à un classement sans
suite108. La doctrine s'est toujours intéressée
à ce pouvoir pour savoir sous quelle impulsion la décision du
Procureur de la République devrait obéir109. Mais le
moins que nous pouvons dire est que l'opportunité des poursuites a un
fondement (a) qui confère une liberté au Procureur de la
République, liberté limitée par la subordination
hiérarchique (b).
a. Le fondement de l'opportunité des
poursuites
104 La prescription est de 1 an pour les contraventions, 3ans
pour les délits et 10 ans pour les crimes.
105 Les cas de causes d'exonération ou de non
imputabilité ne le contraignent pas forcement à classer l'affaire
puisque celles-ci doivent être soulevées par la défense si
elle est assez performante. Mais pour des raisons d'économie et de
désencombrement du prétoire, le Ministère prend
généralement la décision de classer simplement les cas
pareils.
106 Les partisans de la légalité des poursuites
soutenaient que pour des injustices, chaque fois que des faits tombent sur le
coup d'une qualification pénale, elles devraient faire l'objet des
poursuites. Ils s'opposaient ainsi à l'opportunité des
poursuites.
107 Voir art. 141 CPP << le Procureur de la
République saisi dans les conditions prévues aux articles 135,
139 et 140 peut (...) décider de la poursuite du suspect ».
108 Art. 141 (c) et (e).
109 ROBERT (J-H), De la nécessité d'un
Ministère public, in l'office du juge : part de souveraineté ou
puissance nulle, études rassemblées par Olivier CAYLA,
MARIE-France, RENOUX-ZAGAME, éditons BRUYANT LGDJ 2001, pp 227et
s
81. La décision de classer sans suite une affaire
serait fondée sur la qualité de représentant de la
société et de gardien de l'ordre public. En effet, étant
le représentant de la société et le gardien de l'ordre
public, le Ministère public est compétent pour apprécier
l'ampleur du trouble causé à la société par
l'infraction, ou que pourrait causer un déclanchement immédiat de
la répression110.
En droit français, il est permis au Procureur de la
République de recourir à la médiation pénale en
accord avec les parties111 s'il lui paraît « qu'une
telle mesure est susceptible d'assurer la réparation du dommage
causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de
l'infraction et de contribuer au reclassement de l'auteur de l'infraction
». Il lui est même reconnu pour les infractions
graves112, le pouvoir de proposer une composition
pénale113 à la personne majeure qui reconnaît
avoir commis le délit114.
b. La subordination hiérarchique comme limite
à la liberté du Procureur de la République
82. La liberté d'apprécier l'opportunité
des poursuites n'est pas absolue. Elle est relativisée par la soumission
du parquet à l'autorité hiérarchique du Garde des
Sceaux.
Le Garde des Sceaux, à travers l'autorité qu'il
exerce directement sur le Procureur Général près la Cour
d'Appel115, peut soumettre indirectement le Procureur de la
République puisque celui-ci est soumis au Procureur
Général près la Cour d'Appel116. En effet le
Procureur général, aux termes de l'article 133 (1) veille
à l'application de la loi pénale dans toute l'étendue du
ressort de la Cour d'Appel. Il peut prescrire aux magistrats du
Ministère public de son ressort d'enquêter sur les infractions
dont il a connaissance, de procéder à un classement sans suite ou
d'engager les poursuites. Ces prescriptions s'imposent au Procureur de la
République qui ne peut s'y opposer qu'en se fondant sur les limites de
la subordination
110 Il serait par exemple inopportun pour le Ministère
public d'engager des poursuites immédiatement contre le proviseur d'un
lycée et les professeurs du même lycée à l'approche
des examens officiels car ces poursuites nuiraient plus qu'il ne plairaient.
111 Art. 41-1 CPPF.
112Violence, vols simples, usage de
stupéfiants, port d'armes, abandon de famille, conduite en état
d'alcoolique...
113 La composition pénale consiste à verser une
amende au trésor public, se dessaisir au profit de l'Etat de l'objet qui
a servi à commettre l'infraction, remettre au greffe son permis de
conduire ou de chasser, effectuer au profit de la collectivité un
travail non rémunéré. Cette sanction doit être
acceptée par l'auteur de l'infraction et validée par le
président du TGI ; son exécution éteint l'action
publique.
114 LE GUNEHEC (F), Présentation de la Loi
n°99-515 du 23 Juin 1999, JCP 1999, actualité n°28, p.1325 et
n°29, p 1393 ; PRADEL (J), Une consécration du << plea
bargaining >> à la française : la composition
pénale, JCP 2000, F, 198.
115 L'article 30 (1) de la Loi du 29 Décembre 2006
dispose qu' << il existe auprès de chaque Cour d'Appel un parquet
général dirigé par un Procureur Général qui
relève directement du Ministre chargé de la justice >>
116 L'article 30 (2) op. Cit. Prévoit la subordination
directe du Procureur de la République au Procureur Général
près la Cour d'Appel.
hiérarchique que sont le pouvoir propre du chef de
parquet117 et la liberté de parole118 pourtant ces
limites sont inefficaces.
83. Le pouvoir propre des chefs de parquets peut être
aisément contourné par la prescription à un substitut du
Procureur de la République « récalcitrant >>
d'effectuer les actes de celui-ci. Ce qui est d'autant plus plausible lorsqu'on
voit l'effort de renforcement de la subordination de parquet à
parquet119opéré par le législateur de 2005.
En fin de compte on pourrait dire que l'opportunité
des poursuites appartient plus au Ministre de la justice, Garde des Sceaux
qu'au Procureur de la République, nonobstant la possibilité
reconnue à d'autres personnes de mettre l'action publique en
mouvement.
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