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Autopsie du phénomène migratoire tunisien : entre "rationalité" de l'émigré et pragmatisme politique

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par Raef JERAD
Ecole Nationale d'Administration de Tunis - Cycle Supérieur de l'ENA 2011
  

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Section II. Des avantages médiats

Le rapatriement des investissements (paragraphe 1) et la capitalisation des connaissances et le « gain de cerveaux » (paragraphe 2) constituent les deux avantages médiats que les autorités tunisiennes espèrent faire dériver du phénomène migratoire.

§1. Rapatriement des investissements

La démarche migratoire, étant, à priori, temporaire et inscrite dans le temps, le retour définitif, terminaison du projet migratoire, est perçu comme une occasion, à la fois, pour l'émigré et l'État, pour monter des projets en Tunisie et fructifier les montants épargnés. L'impact de ces investissements est d'autant plus convoité que ce sont les régions ignorées et délaissées qui sont censées en disposer, étant, naturellement, les grands bassins de l'émigration. Il n'est pas indifférent de noter, donc, que c'est dans les régions les plus ignorées des finances publiques que se produisent les effets les plus visibles, telles la création de petites entreprises, la profusion des spéculations

foncières et immobilières, l'urbanisation des campagnes, etc.84. C'est dire que les revenus de la migration stimulent l'activité économique locale et compensent les déficiences d'une politique de développement qui relèguent les régions intérieures à l'arrière-plan et pallient à l'inaccessibilité des crédits et autres modes de financement pour les populations déshéritées de ces régions. En tout état de cause, les pouvoirs publics continuent à appréhender le fait migratoire comme une sorte de recette qui permettra finalement d'entrainer vers le pays des flux d'investissement qui se démarquent, de par leur vocation permanente et non versatile, des investissements directs étrangers, même si cela reste, dans les faits, problématique et largement discutable. En tout cas, les statistiques officielles les plus récentes estiment à 900 le nombre des projets qui ont été agrées en 2010, représentant ainsi un volume global d'investissement de 42.2 millions de Dinars85.

Une telle aspiration, nous semble-t-il, est trop ambitieuse pour se confirmer dans les faits, même si elle demeure toujours légitime. Elle manque de réalisme dans le sens où elle semble établie sur une évaluation piétinée, à la fois, de la propension et de la capacité d'investir des Tunisiens résidents à l'étranger. De prime abord, pour des immigrés qui ont passé des années en tant que salariés dans les pays d'accueil tout en bénéficiant de certaines garanties sociales, il est difficile de rentrer au pays avec un esprit d'entrepreneur qui doit composer avec le risque et les aléas du marché86.

84 Voir BOUHDIBA (Abdelwahab), « Le poids de l'émigration et l'avenir des rapports de l'Europe et du Maghreb », in Quêtes sociologiques : continuité et ruptures au Maghreb, Collection Enjeux, Cérès Édition, Tunis, 1996, p. 20.

85 Mohamed ENNACEUR, Ministre des Affaires Sociales, allocution prononcée à l'ouverture du colloque international La contribution des Tunisiens résidant à l'étranger au développement économique et social de la Tunisie post-révolutionnaire, Gammarth, 22 Juin 2011 ; voir ANNEXE I.

86 Voir KASSAR (Hassan) et TABAH (Léon) (Dir.), Émigration tunisienne en France et

D'autre part, le surplus de revenus des immigrés suffit à peine à couvrir les charges de la famille large ou nucléaire restée au pays, la capacité d'épargne se trouvant, en l'occurrence, fortement réduite par la diversification des dépenses courantes en termes de consommation de biens, de soins de santé, de frais de scolarisation, etc. Selon une enquête de l'Office des Tunisiens à l'Étranger, les transferts sont affectés pour 87,8% aux dépenses courantes, et seulement 2,13% sont investis87. Hormis les capacités d'autofinancement limitées, un autre point mérite d'être souligné, il se rapporte au manque de qualifications professionnelles spécifiques qui exerce un effet dissuasif sur l'investissement. D'un autre côté, il ne faut pas perdre de vue que les facteurs qui poussent à l'émigration sont les mêmes facteurs qui réduisent les éventualités d'investissement et les potentialités productives des fonds. Les zones d'émigration, étant pour beaucoup des contrées retranchées, éloignées des marchés, accusant une carence des services publics et manquant d'infrastructures de base, il est peu probable d'espérer que l'émigration promeuve le développement et que les migrants transforment les montants épargnés en des investissements productifs. L'émigration ne peut ramener des investissements que dans les lieux où il y a les conditions minimales de l'entreprenariat88. Il ne faut pas s'attendre à ce que l'émigré tunisien joue, à la fois, les rôles multiples de travailleur, d'épargnant, d'investisseur et de producteur. Ce n'est pas fortuit, donc, que, d'une manière générale, les investissements réalisés n'ont été que d'une rentabilité en dents-de-scies.

problématique du retour, Mémoire en vue de l'obtention du Diplôme des Études Approfondies en Socio-Économie du Développement, École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris, 1989, p. 77.

87 Données recueillies auprès de l'Office des Tunisiens à l'Étranger, en juin 2011, voir ANNEXE I.

88 Comité Français pour la Solidarité Internationale, Phénomènes migratoires : flux financiers, mobilisation de l'épargne et investissement local, Groupe Agence Française de Développement, avril 2004, p. 15.

Naturellement, dans un milieu relativement défavorable et incertain, le projet cède la place aux tâtonnements.

§2. Capitalisation des connaissances et « gain de cerveaux »

Les analystes tiennent à noter que l'émigration des populations hautement qualifiées, phénomène plus connu sous la désignation de la fuite des cerveaux, n'implique pas que des effets négatifs, comme on a tendance à le croire, mais peut s'avérer d'une grande utilité pour le pays émetteur. Le déplacement géographique de cette catégorie d'émigrés est une démarche rendue nécessaire afin d'affûter leurs compétences. Ces acquis seront largement profitables pour une Tunisie ayant tout intérêt à faire de l'économie du savoir et de la connaissance, contexte mondial oblige, le fer de lance de ses politiques publiques89. La concrétisation d'un tel raisonnement est tributaire de l'implication et de la mobilisation effectives de ces compétences au service des défis nationaux. L'expatriation de cette population, étant de plus en plus durable et définitive, le taux élevé du non-retour biaise les expectatives gouvernementales. Par ailleurs, faut-il mentionner que la rentrée des compétences expatriées demeure, par essence même, fort problématique et aléatoire puisque la grille des causes à l'origine de l'enclenchement de cet exode massif demeure, en même temps, celle justifiant la désaffection au retour. De plus, on reconnait, sans ambages, que nombres de qualifications professionnelles acquises à l'extérieur sont rarement réutilisables sur place. Ce constat peu promoteur semble devenir une règle qui s'inscrit dans la durée, étant donné l'absence d'une réelle stratégie d'incorporation dans la sphère

89 BEL HAJ ZEKRI (Abderrazek), « Les compétences tunisiennes à l'étranger », CARIM, Note analytique n°2009-15 ; BEL HAJ ZEKRI (Abderrazek), « Le cadre sociopolitique de la migration hautement qualifiée en Tunisie », CARIM, Note analytique n°2010-38.

économique nationale. Les pouvoirs publics procèdent régulièrement à l'identification des compétences tunisiennes résidentes à l'étranger et à leur répartition par pays d'accueil et par champs d'activité. Un répertoire des compétences fut créé, en collaboration avec les services consulaires, afin de garder un oeil sur cette richesse immatérielle qui demeure encore inexploitée.

La politique migratoire tunisienne, après avoir identifié les avantages fort convoités qu'elle compte recueillir du phénomène migratoire national, toujours fidèle au même cheminement pragmatique, conçoit les instruments opératoires adéquats.

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