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Autopsie du phénomène migratoire tunisien : entre "rationalité" de l'émigré et pragmatisme politique

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par Raef JERAD
Ecole Nationale d'Administration de Tunis - Cycle Supérieur de l'ENA 2011
  

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CHAPITRE II. DES INSTRUMENTS OPÉRATOIRES

Les instruments opératoires renvoient aux modalités et techniques pratiques que les autorités publiques adoptent pour atteindre les objectifs fixés. Il s'agit, dans ce qui suit, d'examiner l'éventail des actions menées par les structures intervenantes dans le champ migratoire. Convaincues que, faute d'attaches identitaires solides, la diaspora tunisienne risquerait de se fondre dans les sociétés d'accueil, les autorités établissent une stratégie globale de rattachement à la communauté nationale (section I). Il a fallu, par ailleurs, concevoir des mécanismes institutionnels particuliers, adaptés à chaque finalité (section II).

Section I. Rattachement à la communauté nationale

Le façonnage d'un sentiment d'appartenance commune et la subordination affective de la diaspora tunisienne à la communauté nationale est une condition nécessaire pour le déploiement des enjeux politiques. La communalisation passe par la promotion de la religion en tant que marqueur culturel (paragraphe 1), et l'inculcation de la langue arabe outil de socialisation communautaire (paragraphe 2).

§1. La religion : un marqueur culturel

L'histoire moderne de la Tunisie, colonisée et indépendante, ne manque pas d'exemples qui nous renseignent à quel point la religion et la logique religieuse ont été mobilisées en faveur de l'entérinement et de la validation d'entreprises et actions politiques, voire politiciennes. L'appartenance fondée

sur le critère religieux étant reconnue par les sociologues et anthropologues comme une appartenance hautement mobilisatrice et à forte charge identificatoire. Toute religion étant basée sur un lien communautaire spécifique, entre tous ceux qui partagent le même système de croyances, l'idenditarisation de la conviction religieuse revient à sacraliser la cohésion groupale et à coller l'individu à son groupe d'origine. Dès lors, le nationalisme, idéologie de l'État-nation, ne pouvant s'empêcher de récupérer les mérites d'une conception religieuse du lien national, tellement avantageuse en termes de solidarisation et de communautarisation des individus90. L'encadrement religieux de la diaspora tunisienne, notamment en Europe, terre de chrétienté, mené sous les auspices des services consulaires tunisiens, s'insère dans cette même logique de particularisation culturelle par la valorisation du référent religieux. L'entreprise est d'autant plus opportune et avantageuse qu'elle s'adresse à une communauté nationale menacée de dilution dans une société occidentale fondamentalement chrétienne. Un constat saute aux yeux, la Tunisie d'aujourd'hui peine à retenir et accrocher les nouvelles générations de Tunisiens nées en immigration91. Dans cette optique, la valorisation du sentiment religieux coïncide avec l'affermissement de l'appartenance à l'État-nation tunisien. Cette corrélation trouve ses justifications dans la dialectique attraction/répulsion induite par la logique qui anime au fond le sentiment religieux. Attraction vers la communauté des croyants, devenue le Moi, et répulsion vis-à-vis de la communauté des non-

90 Voir DARDOURI (Moez) et MELLITI (Imed) (Dir.), La régulation institutionnelle de l'Islam en Tunisie : entre audace moderniste et tutelle étatique, Mémoire en vue de l'obtention du Mastère en Sciences Politiques, Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis, 2008 ; voir JERAD (Raef) et MELLITI (Imed) (Dir.), Politiques de l'identité nationale en Tunisie, Mémoire en vue de l'obtention du Master en Sciences Politiques, Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis, 2009.

91 Entrevue avec Mr. Frej SOUISSI, Directeur Général de l'Office des Tunisiens à l'Étranger, effectuée le 21 mai 2011.

croyants, devenue l'Autre. Expédition des Imams, apprentissage du coran, célébrations des différentes fêtes du calendrier hégire dans les centres et cercles culturels, etc., constituent les modalités pratiques de l'actualisation et de l'initiation à la foi religieuse pour entretenir des liens avec l'entité nationale. La sacralisation du lien avec le pays en l'empreignant de religiosité est l'un des éléments phares de la politique migratoire en matière de lutte contre l'assimilation des ressortissants tunisiens92.

§2. La langue arabe : outil de socialisation communautaire

La langue est un noyau autour duquel se constituent les ensembles culturels. Plus qu'un simple outil de communication, la langue sert à façonner un Être, spécifique et distinct, et procède à la vulgarisation de cet Être et à son intériorisation par les membres du groupe. En d'autres termes, l'inculcation et la transmission des normes culturelles et sociétales passent, principalement, par la pratique langagière. La langue apparaît, à cet égard, comme constitutive d'identité collective, comme garante de la perpétuation du groupe social en tant que tel. La charge identificatoire qu'elle recèle n'est plus à démontrer depuis qu'elle a été reconnue et adoptée comme paramètre, à part entière, permettant l'identification des communautés humaines et leur différenciation les unes des autres. L'État-nation, cadre de la communauté nationale, se doit, donc, de s'attribuer une langue nationale, c'est-à-dire parlée, comprise, et écrite, par tous les nationaux. La langue nationale de l'entité tunisienne étant l'arabe, celui-ci se voit attribuer le statut de véhicule et de passerelle de l'acculturation nationale de ses membres constitutifs, c'est-à-dire leur imprégnation d'une culture nationale homogénéisante. De cette manière,

92 SRAIEB (Nouredine), « Chronique sociale et culturelle : Tunisie », Annuaire de l'Afrique du Nord, volume 14, 1975, pp, 605-637.

comprendre et parler la langue arabe devient une condition sin qua non pour réussir le rattachement et l'accrochage des Tunisiens à la communauté des nationaux93. La question se pose avec beaucoup plus d'acuité, se rapportant aux générations issues de la diaspora tunisienne qui s'avèrent peu initiées, voire totalement incapables de pratiquer la langue vernaculaire. Du moment où le cordon linguistique est rompu, on imagine combien il devient difficile et complexe de vulgariser, auprès de cette population, l'image d'une Tunisieracines et terre originaire94. Le véritable point nodal étant que, privées d'outil de communication avec les parents proches ou lointains restés en Tunisie, ces nouvelles générations se montreront beaucoup moins motivées à regagner le pays puisque on va s'y sentir « étranger ». Pour tenter de résumer, nous pensons que l'altérité linguistique, dans ce contexte bien particulier, ne peut que déboucher sur une altérité culturelle, beaucoup plus influente en termes de distanciation et de dissociation entre descendants de l'émigration et communauté d'origine. Dans les faits, un militantisme linguistique est mené par les services de l'Office des Tunisiens à l'Étranger, que ce soit dans les pays de résidence ou lors des retours périodiques au pays. En collaboration avec le Ministère de l'Éducation, l'Office des Tunisiens à l'Étranger organise des cours gratuits d'enseignement de l'arabe, pour les enfants d'émigrés tunisiens en visite au pays, et ce, dans des centres disséminés sur tout le territoire et répartis proportionnellement selon la densité de la communauté émigrée. Des cours particuliers sont disposés aux plus âgés bénéficiant, en l'occurrence, d'enseignement et supports pédagogiques plus adaptés à leur

93 GRANDGUILLAUME (Gilbert), « langue, identité et culture nationale au Maghreb », in Peuples Méditerranéens, n°9, octobre-décembre, 1979, pp. 4-14 ; CHARAUDEAU (Patrick), « Langue, discours et identité culturelle », in Ela. Études de linguistique appliquée, n°123-124, 2001/3, pp. 341-348.

94 Entrevue avec Mr. Frej SOUISSI, Directeur Général de l'Office des Tunisiens à l'Étranger, effectuée le 21 mai 2011.

particularité d'apprenants retardataires de la langue arabe.

Le déploiement des enjeux politiques est tributaire, outre l'effectivité du rattachement à la communauté nationale, de la mise au point des mécanismes institutionnels, à vocation précise et bien particulière.

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"Ceux qui rĂªvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rĂªvent de nuit"   Edgar Allan Poe