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L'éloge du matriarcat dans "la mémoire amputée de Werewere-Liking

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par Arnaud TCHEUTOU
Université de DoualaCameroun - Diplôme d'études approfondies 2008
  

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CHAPITRE VI : LE GRAND PRETRE.

Outre la faveur que lui accorde le destin d'une part et son magnétisme irrésistible d'autre part, l'onction divine se manifeste chez le personnage féminin par son élévation spirituelle et son pouvoir messianique.

VI.1- L'élévation spirituelle.

Deux signes indiquent que le personnage féminin est spirituellement élevé : sa capacité à se gouverner et sa capacité à décrypter les mystères. Une marque de l'élévation spirituelle du personnage féminin est sa capacité à se taire et à contenir ses instincts sexuels. Garder le silence n'est pas la chose la plus facile à faire quand on sait que les hommes, d'une manière générale, sont prompts à la loquacité. Ils aiment raconter leurs expériences, exprimer leurs points de vue, dire leurs joies et leurs peines, et même se plaindre. La particularité du personnage féminin dans La Mémoire amputée, et notamment celui inscrit dans la tradition africaine, est sa propension au silence. D'ailleurs, l'exergue qui résume l'Avant-propos de Michelle Mielly est une pensée de Sony Labou Tansi qui rend hommage au silence : « J'écris parce que je suis six cents ans de silence » (M.A., 7).

Garder le silence pendant si longtemps face aux violences et injustices sociales dont on est victime est un témoignage de la capacité à se gouverner, à contrôler son inconscient. C'est une preuve de l'enracinement en soi du pouvoir de la volonté : on ne fait que ce qu'on veut, et quand on veut, on n'est pas sujet à l'entraînement des circonstances. C'est donc une attitude hautement initiatique qui n'est pas l'apanage du commun des mortels, prompt à crier quand il a mal. L'initié ne dévoile pas spontanément ses états d'âme. Il vit dans une sorte d'emmurement d'où seule sa volonté le sort. Le silence est une marque de l'affermissement de la spiritualité. C'est un signe distinctif du Lôs, de la surpuissance. Or tous les personnages masculins présentés dans l'intrigue

comme des Lôs ne possèdent pas cette vertu ; ce qui remet en question leur statut. Un grand initié ne saurait être loquace et bavard.

Le rituel osirien prouve que l'une des finalités de l'initiation est la culture du silence : apprendre à se taire. Se taire dans le domaine initiatique ne signifie pas forcément ne pas parler. Il invite à un travail de soi sur soi, un travail de maîtrise et de contrôle de ses émotions. Il s'agit de taire les émotions qui excitent la pensée. Si la pensée est agitée, la parole suivra puisque les deux entretiennent une relation de cause à effet. Garder le silence c'est alors créer le vide dans sa mémoire pour la laisser se pénétrer des enseignements de la nature, pour lui permettre de comprendre et non de s'émouvoir. Se taire c'est parler quand on a choisi de le faire et utilement.

C'est ce que Werewere-Liking fait en écrivant ce roman qu'elle considère comme une oeuvre de maturité. Pendant longtemps, elle est restée en hibernation, gardant le silence, pour lire et comprendre la société, la femme africaine. Durant une bonne dizaine d'années environ, de 1996 à 2004, elle a consigné par écrit les résultats de sa riche expérience ruminée en silence. En tant que grande initiée, Liking a suivi les étapes qui conduisent à la parole : observer, comprendre, parler. Ses personnages féminins suivent le même parcours et se démarquent comme de véritables avatars, de véritables Lôs, tel que l'affirme Mielly :

« C'est la reconnaissance mutuelle de leurs destinées communes d'"avatars féminins" des Lôs qui révèlera les liens inextricables entre Tantie Roz et Halla. Mais la découverte de ces liens éveille simultanément une étendue immense de silence : il aurait fallu étouffer violence et méfaits, amours et déceptions dans un mutisme solitaire jusqu'à cette scène crépusculaire sous l'arbre où Roz dévoile leurs innombrables liaisons communes. Le silence est moteur créateur du Lôs féminin, et prend, chez les héroïnes de ce roman, une qualité autant morale que pratique » (M.A., 8).

La continence sexuelle s'illustre comme un autre indice d'élévation spirituelle. Une fois de plus, seuls les personnages féminins, et notamment Tantie Roz, font preuve de cette ascèse. Aucun personnage masculin n'est présenté comme célibataire ou sans enfant. Pourtant, en plus de Tantie Roz, Dora sa camarade n'a pas d'enfant. Cette situation est très incompréhensible pour la narratrice qui ne parvient pas à cerner comment une femme peut vivre seule, sans compagnon, dans un environnement où chaque femme fait les frais de nombreux courtisans qui l'approchent au quotidien. Halla qui s'emploie résolument, mais sans succès, à arracher quelques paroles à Tantie Roz sur sa vie, exprime son indignation :

« Mais surtout, acceptera-t-elle de me parler de son rapport avec les hommes ? Je l'ai toujours connue seule, sans homme dans sa vie. Comment en vient-on là avec tous les hommes qu'elle n'a pourtant pas dû manquer de rencontrer ? » (M.A., 316).

S'interroger sur le célibat de sa tante c'est enquêter sur les forces déployées pour dominer ses instincts sexuels. Les instincts sexuels sont des pulsions les plus irrésistibles que vivent les hommes. Seuls les initiés d'un haut rang sont capables de les contenir. Le rituel osirien n'interdit pas l'acte sexuel mais le recommande au couple seulement au cas où il est dans le besoin de procréer.

L'histoire du couple divin africain le plus amoureux, symbole du mariage parfait, ne fait en aucun cas mention des rapports sexuels qu'Osiris et Isis auraient connus du vivant d'Osiris dans ce monde. Isis n'a été fécondée qu'après la mort de son époux dans le but d'avoir un enfant qui devait succéder à son père au trône. L'acte de fécondation fait partie du rituel institué par Isis : « "Osiris, murmurait-elle, vois, ta soeur Isis est venue, ton épouse, s'ouvrant à ton amour. Place-la sur ton phallus afin que ce qui sortira de ta descendance soit en

elle" »92. L'abstinence sexuelle et surtout l'interdiction de l'infidélité semblaient être une règle au point où la grossesse d'Isis avait soulevé un tollé général tant chez les humains que chez les dieux. Nul ne comprenait d'où était venue la grossesse alors qu'Osiris était mort. Même Isis a dû prendre peur avant de se raviser :

« Les retrouvailles entre Isis et Osiris, l'union qui en résulta, la semence que ce dernier, qui était mort, déposa en celle qui l'avait ranimé firent trembler la terre et le ciel. La foudre fouetta la nuit, les dieux eux-mêmes prirent peur. Isis, esseulée, se cacha, mais elle exultait : l'enfant qu'elle portait en son sein, celui de son frère Osiris, règnerait à son tour sur ce pays qui devait tant à ce grand dieu si injustement assassiné. Par elle, femme isolée et abandonnée de tous, ce fils vengerait la mort de son père »93.

Il peut sembler contradictoire que le roman célèbre la procréation et en même temps la continence sexuelle dans la mesure où Halla pâme d'admiration pour sa tante esseulée. Il ne s'agit pas d'une contradiction, mais d'une complémentarité de nature androgyne. Les deux types de personnages doivent se côtoyer pour réaliser l'équilibre du monde. Mais tout compte fait, la narratrice encourage la continence quand l'exigent les besoins de la cause. Ayant déjà subi la neuvième initiation alors qu'elle n'avait pas encore d'enfant, Tantie Roz ne pouvait plus procréer. Au lieu de s'engager dans le vagabondage sexuel pour de simples plaisirs, elle a choisi de rester fidèle au serment initiatique. Elle n'a pas joué les parjures. En cela, elle montre qu'elle est une vraie initiée. Le silence et la continence sexuelle sont recommandés parce qu'ils assurent un développement ascétique qui permet de percer les mystères.

Le mystère dont les arcanes sont pénétrés dans l'univers romanesque est la mort. Elle est décryptée à travers deux actions qui sont des rituels : la cérémonie d'accompagnement du défunt d'une part et son autopsie d'autre part.

92- Nadine Guilhou, et Janice Peyré, Op. Cit., p. 86.

93- Nadine Guilhou, et Janice Peyré, Op. Cit., p. 87.

Ces rituels sont d'une haute portée initiatique dans la mesure où ils sont pratiqués par des initiés de hauts rangs dotés d'une grande élévation spirituelle. C'est Tantie Roz qui s'en charge dans le récit. Elle pratique une cérémonie d'accompagnement pour la mère de Halla lorsqu'elle décède. Ce rituel est ce qu'on a appelé en Egypte antique la momification c'est-à-dire le fait de redonner vie à un corps, à un défunt ; le fait de le diviniser :

« Avant de reposer dans le tombeau, d'entreprendre ce voyage périlleux, le corps aura été momifié. La momification a pour but de rendre divin. C'est d'abord de la liquidité de la mort (la semence d'Osiris défunt venant féconder Isis) que pourra rejaillir la vie : l'inéluctable déliquescence écoulement de ce qui est mauvais (c'est-à-dire mortel) devient "humeurs" initiales. Ensuite seulement aura lieu l'habillage à l'abri duquel se produira la transformation. Les rituels de la momification que suivent les égyptiens ont été initiés par la préparation du corps d'Osiris par Anubis »94.

Selon les personnalités ressources95 consultées, c'est ce rituel qui continue d'être pratiqué en Afrique lors des cérémonies d'obsèques de tout individu et surtout d'un roi. Il a pour but de permettre au défunt « de traverser son `' purgatoire» avant de regagner le Grand Tout Lumineux »96. C'est grâce à la cérémonie d'accompagnement qu'on dit en Afrique que :

« Ceux qui sont morts ne sont jamais partis Ils sont dans l'ombre qui s'éclaire

Et dans l'ombre qui s'épaissit,

Les morts ne sont pas sous la terre

[...]

Les morts ne sont pas morts »97.

94- Nadine Guilhou, et Janice Peyré, Op. Cit., p. 260.

95- Nous avons consulté dans le cadre de ce travail des personnes et des personnalités traditionnelles d'Afrique qui ont une bonne maîtrise de la culture et des initiations africaines. Tous sont membres du C.E.R.V.A., une association internationale dont le siège social est à Paris. Cette association a pour but de promouvoir la culture africaine.

96- Christiane Desroches Noblecourt, Op. Cit., p. 253.

97- Birago Diop, « Souffles » In Anthologie africaine II, Paris, Hatier, 2002, pp. 54-55.

Cet extrait du poème « souffle » nous permet de justifier le concept « cérémonie d'accompagnement ». Nous préférons cette terminologie à la place d'« obsèques » ou de « cérémonie d'enterrement ». En réalité, la mort ne constitue pas une fatalité en Afrique même si elle suscite des douleurs. Or ces deux expressions couramment utilisées ont une connotation péjorative voire négative. La mort étant considérée comme l'ultime initiation ou l'initiation suprême dans la cosmogonie africaine, elle est une occasion pour les vivants d'envoyer leurs meilleures pensées au défunt afin qu'il ne rencontre pas d'obstacle sur le chemin qui mène vers Osiris. C'est pour cette raison que cette cérémonie est réservée aux grands initiés qui ont le parfait contrôle de leurs émotions et qui maîtrisent les paroles incantatoires à prononcer et même les éléments nécessaires pour le rituel. La société du texte, pour ce qui est de Naja, a fait recours à Tantie Roz :

« A minuit, nous l'avions appelée pour allumer les cinq bougies de l'étoile de notre mère Naja, et les déposer sur le grand lit mortuaire lobi dans le salon. Nous [...] avions alors observé les bougies se consumer pour recueillir les ultimes indications sur la manière dont maman était partie, et pouvoir lui envoyer des énergies sur les pointes les plus défaillantes, afin qu'elle puisse se présenter plus équilibrée dans son scintillement devant la porte étroite. » (M.A., 348).

Cet extrait donne la précision selon laquelle le but de la cérémonie d'accompagnement est aussi de procéder à une autopsie initiatique. Cette pratique permet de disséquer le corps en fonction de la résistance des flammes des cinq bougies placées respectivement sur la « "pointe corps" », « la pointe des émotions », « la pointe intellectuelle » et « sur les pointes volonté et conscience » (M.A., 348-349). Si la flamme d'une bougie résiste, cela témoignage de la résistance de la partie de l'être où est placée cette bougie. Et l'initiée peut donc faire des lectures profondes en décelant les dernières volontés

du défunt et l'origine de sa mort. Limitons-nous en guise d'illustration aux interprétations faites des deux dernières flammes :

« Les deux dernières bougies, sur les pointes volonté et conscience ne se sont éteintes qu'au bout de presque cinq heures de temps en même temps. Elle nous a attendues trois jours dans un profond coma d'où elle n'émergeait que pour demander si ma cadette et moi étions arrivées. [...] La volonté et la conscience ont dû quitter rageusement un corps déjà abandonné par tous ses aspects subtils de survie depuis trop longtemps » (M.A., 349).

Au terme de l'autopsie, le diagnostique général révèle que la mort de Naja est désastreuse et humiliante parce qu'elle a été provoquée par son mauvais mariage :

« Voilà ce qu'on appelle mourir dans le désespoir, mourir de misère, mourir pourri [...]. Voilà à quoi ça sert de s'imposer de subir les mauvais choix. [...] Pourquoi n'as-tu pas pu nous aimer plus que ce foutu mec maman, comme nos grands-mères aimaient plus leurs enfants que les mecs ! Et voilà que tu nous as abandonnés pour de bon, et pour rien ! » (M.A., 349).

Les interprétations faites de la mort de Naja montrent bien que ce travail n'est pas réservé aux profanes. Il est l'oeuvre des êtres ayant reçu l'onction divine pour sonder les mystères et même envisager l'avenir.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon