WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Politique de l'enseignement universitaire en République Démocratique du Congo (1947-1993)

( Télécharger le fichier original )
par Aurélie Maketa
Université de Kinshasa - Licence 2011
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

II. Premiers jalons pour un enseignement universitaire pour indigènes au Congo

La question universitaire congolaise a mis la scène coloniale belge en ébullition et la bataille a été rude entre les partisans du oui et ceux du non. Tous les arguments étaient bons dans les deux camps pour expliquer le bien fondé de sa position. Ce que nous allons faire ici, c'est de tenter une synthèse des avis qui motivaient la controverse en cette matière.

18 SABAKINU KIVILU J., « Paul-Gabriel-Dieudonné Bolya : de l'assistant médical à l'homme politique » dans La mémoire du Congo, le temps colonial sous la direction de Jean Luc Vellut, p. 238.

A. Les études universitaires pour Congolais

Cette perspective n'était pas populaire dans le milieu colonial belge. Pour en juger, il suffisait de se référer à la chronologie des faits. En effet, l'E.I.C devint une colonie belge en 1908. Le Congo belge existait déjà depuis 46 ans quand la première université pour autochtones ouvrit ses portes en 1954. Si l'accès des Congolais à cette formation était un sujet tabou, c'était surtout dû à la politique coloniale en matière d'enseignement. Et lorsqu'une poignée d'hommes estimèrent que, pour la continuité de l'oeuvre coloniale, il fallait en arriver là, ils durent faire preuve de beaucoup de détermination pour réussir à concrétiser cette idée.

Le 20 octobre 1947 lorsque Mgr Van Waeyenbergh, recteur de l'Université Catholique de Louvain, UCL, parle dans son discours d'ouverture de l'année académique 1947- 1948 de l'opportunité de faire accéder les indigènes à l'enseignement universitaire, c'est avec beaucoup de réserves:

« ... il nous faut préparer les générations capables de répondre à l'appel du Pays. Le développement de l'enseignement secondaire implique (...) la construction d'un enseignement universitaire. Mais il faut attendre qu'il y ait des étudiants suffisamment préparés et sélectionnés. (...) je ne crois pas que la génération actuelle soit déjà prête à recevoir un enseignement véritablement universitaire, mais elle doit être conduite à un tel enseignement, car elle en a la capacité »19.

Cet exemple illustre le climat de méfiance qui régnait dans les milieux coloniaux belges vis-à-vis de l'idée d'une instruction pas seulement universitaire mais aussi trop élevée pour les Noirs. Ceux qui militaient pour cela, savaient qu'il fallait user de beaucoup de précautions lorsque l'on abordait le projet sous peine de voir ces efforts tomber en ruine. C'est pour respecter cette réserve - qui permettait d'avoir droit à l'appui du gouvernement et des sociétés coloniales - que pour parler des écoles affiliées à l'Université de Louvain qui existaient déjà dans la colonie, la FOMULAC et la CADULAC, les promoteurs disaient « écoles professionnelles à un degré supérieur » tout en précisant qu'il n'était pas question dans l'immédiat de créer un enseignement universitaire20.

De nombreux dirigeants belges estimaient que pour le développement harmonieux du pays, il n'était pas nécessaire de créer une petite élite indigène. Il valait

19 « L'appel de la colonie à l'université », la promotion honoris causa Juste Lipse, Mgr VAN WAEYENBERGH recteur magnifique, Université catholique de Louvain, ouverture de l'année académique 1947-1948. Aula, 20.X.1947,

20 MALENGREAU, G., « L'université Lovanium: Des origines lointaines à 1960 », Kinshasa, Editions universitaires africaines, 2008, p. 6

mieux se focaliser d'abord sur la formation d'un grand nombre de cadres moyens qui pourraient efficacement seconder les autorités coloniales.21 Il ne fallait surtout pas creuser un fossé trop profond entre l'élite et la masse, mais s'assurer « que tous les noirs étaient capables d'assimiler les matières de l'enseignement primaire, la plupart d'entre eux d'assimiler les matières de l'enseignement moyen du degré inférieur, et un certain nombre d'aborder avec fruits les études moyennes du degré supérieur, et même les études supérieures proprement dites»22.

Cela permettrait de dégager progressivement de manière harmonieuse une élite de la masse, sans que cette élite ne perde contact avec la masse qui, elle-même, aurait reçu une bonne formation23.

D'aucun pensait qu'avec les structures d'enseignement supérieur, qui existaient au Congo depuis les années 20, la promotion intellectuelle des Noirs allait déjà trop vite et qu'il fallait se contenter des structures existantes avant de chercher à en créer de nouvelles. La question qui se posait était celle des débouchés que ces étudiants pourraient avoir après la fin de leurs études. Il ne fallait pas créer une classe de chômeurs mais « plutôt proportionner aussi exactement que possible la préparation scolaire aux emplois susceptibles de s'ouvrir aux élèves formés »24. Les coloniaux ne voulaient pas créer une classe de contestataires qui pourrait à la longue remettre en question leur légitimité et par la même occasion contester leurs pouvoirs. Ils voulaient encore moins faire face à une concurrence congolaise.

Heureusement pour ce projet que ce n'étaient pas tous les coloniaux qui pensaient de cette manière. Pour certains, il était impératif de penser à former la relève congolaise qui prendrait le relais une fois que les Belges seraient partis. Car la décolonisation ne manquerait pas d'arriver un jour ou l'autre. Le professeur Van Bilsen l'écrivait en 1954 déjà : « L'émancipation est inéluctable »25. Il ne fallait pas, selon lui, chercher à freiner la transformation des masses indigènes qui se poursuivait à une allure rapide. Pour cela, il était dans l'intérêt de la colonie de préparer des élites autochtones solides, des cadres sociaux éprouvés capables de fournir l'armature d'un Congo, d'un RuandaUrundi autonomes, si la Belgique voulait garder un certain ascendant sur les Congolais.

21GILLON, L., Op. Cit.., p.75

22 MALENGREAU, G., Op. Cit., p. 44.

23 STENGERS, J., Congo mythes et réalités (100 ans d'histoire), Paris, document Duculot, 1989, p. 198.

24 GELDERS, V., Quelques aspects de l'évolution des colonies en 1938, Bruxelles, ARSOM, 1941, p.17

25 VAN BILSEN, A., « Pour une politique coloniale de mouvement en Afrique » La revue Nouvelle, Bruxelles 1954, dans MUTAMBA J-M., « L'histoire du Congo par les textes. Tome II : 1885-1955 », Kinshasa, éditions universitaires africaines, 2007, p. 249 : même si pour lui cette émancipation ne devait pas venir en 1960 mais beaucoup plus tard.

Un appel fut lancé par des partisans de l'enseignement universitaire pour Noirs :

« Des problèmes que soulèvent la politique indigène, ceux qui touchent directement à l'évolution des Noirs, sont parmi les plus urgents. La transformation des masses indigènes se poursuit à une allure rapide qu'il serait vain de vouloir freiner. De ces masses en effervescence sortira demain une classe dirigeante qui en fixera les destinées. Si nous voulons éviter (qu'elle) ne sombre dans le désarroi et l'anarchie, nous devons en préparer les cadres par la formation d'une élite ; c'est là une nécessité admise par tous les esprits clairvoyants, au Congo comme dans les territoires voisins (...). Il faut dés à présent, donner aux Noirs l'enseignement supérieur qu'ils réclament (...)26.

Pour tous ceux qui avaient participé à la création de l'enseignement primaire puis supérieur au Congo belge, former une élite était inéluctable. Les Français et les Anglais l'avaient fait dans leurs colonies et les Belges devaient faire de même. Car ainsi ils pouvaient former des dirigeants qui, plus tard, pourraient devenir leurs plus chauds partisans en Afrique. Cette étape n'était qu'une suite logique et inévitable dans l'histoire de l'enseignement au Congo belge.

L'incapacité d'assimilation de toutes les connaissances par les Africains figurait parmi les arguments avancés. Cette thèse raciste soutenait que le Noir n'avait pas le même quotient intellectuel que le Blanc ; l'on pouvait, selon eux, comparer son Q.I. à celui d'un enfant d'une dizaine d'années. A cause de cela, il leur serait impossible d'apprendre quoi que ce soit. Cet extrait tiré d'une défense de mémoire de 1954, exprime assez bien cette idée générale. L'auteur y fustige la création d'une faculté de médecine pour indigènes :

« Les connaissances exigées à l'heure actuelle (...) sont vastes, nombreuses et appuyées sur une formation scientifique et mathématique très poussée, ensemble de connaissances abstraites qui, à notre avis ne sont pas encore accessibles au cerveau du Noir, à peine sorti d'une civilisation élémentaire, qui est au stade que nous dénommons(...) intelligence pratique.

N'oublions pas que quelle qu'en soit la raison, le Noir n'est pas, ou si l'on veut n'est pas encore, doué pour les sciences mathématiques ni pour le raisonnement logique et rationnel et nous considérons que c'est pourquoi il serait erroné de le pousser dès à présent, dans la voie des connaissances universitaires pour lesquelles il ne semble pas être doué. (...) En réalité, l'enseignement universitaire n'est pas indépendant de la recherche scientifique et nous mettons fortement en doute la possibilité pour les Noirs

26 MALENGREAU, G., Op. Cit., p. 11 : Ce texte fut signé par : Mgr Van Waeyenbergh, P. Ryckmans, L. Van Hoof, V. Antoine, prof G. Debaisieux, et F. Malengreau. Elle date du 20 août 1947, et elle ne fut pas distribuée à cause de l'opinion coloniale belge qui dans sa grande majorité était contre l'idée d'un enseignement supérieur pour Noirs dans la colonie...

de passer dès à présent, tout de go à ce stade de développement qui va à l'encontre de leur tempérament qui n'a rien et n'a jamais eu rien de créateur »27.

Ici on souligne que même si l'idée part d'un bon sentiment, elle ne pourrait aboutir qu'à un fiasco car toute tentative d'enseignement universitaire pour indigènes aboutirait à un échec ou emmènerait à devoir revoir à la baisse la qualité de l'enseignement, ce qui amènerait à l'obtention d'un diplôme sans aucune valeur réelle. On ne voulait pas donner de trop grands espoirs aux Noirs en leur faisant miroiter un niveau d'instruction qu'ils ne pourraient pas atteindre. Pour cette raison il ne faillait pas que l'enseignement laisse trop de jeunes gens préparer des diplômes qu'ils ne parviendraient pas à atteindre28. De plus ! La colonie ne pouvait pas se permettre de créer des universités pour les Noirs car la préparation intellectuelle, morale et sociale que cette formation demandait n'était pas atteinte au Congo Belge29. L'extrait suivant traduit cette crainte :

«Il y a (...) une espèce de mystique scolaire, qui voit dans la diffusion de l'instruction, et spécialement dans l'instauration et l'extension de l'enseignement universitaire, le moyen de réaliser l'égalité de civilisation avec les européens. Les protagonistes ne se rendent pas compte que, si l'école peut répandre la science, elle est impuissante à conférer la sagesse fruit d'une expérience séculaire, sans laquelle la conduite des sociétés humaines n'est qu'une succession d'aventures »30.

Cet avis n'était pas partagé par tous. Nombre de ceux qui étaient d'un avis contraire faisaient partie de l'Université de Louvain. Il s'agissait de ceux qui s'étaient déjà impliqués dans la formation supérieure des Congolais dans des structures telles que la FOMULAC, la CADULAC et avaient obtenus d'excellents résultats. Dans son discours, dont nous parlions plus haut, Mgr Van Waeyenbergh, qui venait d'une tournée dans la colonie et avait visité les fondations de l'Université de Louvain au Congo Belge, expliquait que les centres existant déjà au Congo belge, avaient formé de nombreux « indigènes de premières valeurs »31. Les assistants médicaux ont rendu de grands services à la métropole durant la deuxième guerre mondiale. Comme le disait le professeur Louis Bruyns : « pour ceux qui préconisaient un enseignement au

27 ROBERT Maurice, extrait du mémoire présenté le 16 janvier 1954 à l'Institut Royal Colonial Belge. Repris dans MUTAMBA Jean-Marie, Op. Cit., document n°69 : L'enseignement universitaire est-il accessible au Noir du Congo-Belge ?, p.243

28 GELDERS, V., Op. Cit., p. 40

29 GILLON, L., Op. Cit., p. 75.

30 GELDERS, V., Op. Cit., p. 41

31 Mgr Van Waeyenbergh, Op. Cit., p.11

Congo, (...) les africains avaient déjà montré leurs capacités d'assimiler et de réussir brillamment (...)32.

Après la deuxième guerre mondiale, les partisans de l'université pour les Noirs reçoivent une aide importante et décisive de l'ONU grâce à la Charte de San Francisco du 26 juin 1945. L'article 73 du chapitre XI contient une déclaration relative aux territoires non autonomes parmi lesquels se rangent les colonies. Il y est écrit :

« Les membres des Nations Unies qui ont ou qui assument la responsabilité d'administrer des territoires dont les populations ne s'administrent pas encore complètement elles-mêmes, reconnaissent le principe de la primauté des intérêts des habitants de ces territoires. Ils acceptent comme une mission sacrée l'obligation de favoriser dans toute la mesure du possible leur prospérité, dans le cadre du système de paix et de sécurité internationale établi par la présente charte et, à cette fin :

- a) D'assurer, en respectant la culture des populations en question, leur progrès politique, économique et social, ainsi que le développement de leur instruction, de les traiter avec équité et de les protéger contre les abus ;

-b) De développer leur capacité de s'administrer elles-mêmes, de tenir compte des aspirations politiques des populations et de les aider dans le développement progressif de leurs libres institutions politiques, dans la mesure approprié aux conditions particulières de chaque territoire et de ses populations et à leurs degrés variables de développement »33.

La Belgique ayant ratifié ce traité, elle se trouvait contrainte de prendre des mesures vis-à-vis de sa colonie pour y satisfaire et éviter ainsi une intrusion trop évidente de cet organisme dans sa gestion de la colonie. Car l'ONU, en plus de ses recommandations, demandait à tous les signataires de la Charte de « Communiquer régulièrement au Secrétaire Général de l'ONU(...) des renseignements statistiques et autres de nature technique relatifs aux conditions économiques, sociales et de l'instruction dans les territoires dont ils sont respectivement responsables(...) »34. En 1948, le conseil de tutelle de l'ONU fut saisi de l'opportunité de créer, à partir de l'année 1952, une université commune en Afrique pour satisfaire aux besoins de tous les territoires sous tutelle. La France, la Belgique et la Grande Bretagne écrivirent un mémorandum pour protester. Chacun y mit en avant les progrès qui avaient déjà été accomplis en termes

32 BRUYNS, L., « les fondations FOMULAC Lovanium à Kisantu », dans Recueil d'étude en l'honneur de Guy Malengreau. Problèmes de l'enseignement supérieur et de développement en Afrique centrale, UCL, groupe de travail en relations internationales, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, p.69.

33 MUTAMBA, J-M., Op. Cit., p. 29.

34 Ibidem.

d'enseignement universitaire dans leurs colonies respectives. La Belgique expliqua qu'un établissement d'enseignement universitaire était prévu à Léopoldville dans de bref délai et qu'un collège universitaire avait déjà ouvert ses portes à Kisantu en 1947. Cela a facilité les démarches des promoteurs du C.U.L et le 21 février 1949 un arrêté royal le reconnut comme établissement d'utilité publique ayant pour objet l'enseignement supérieur et tout objet pouvant directement ou indirectement favoriser cet enseignement.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus