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Etude comparative sur les pratiques de coopération décentralisée de la ville de Porto- Novo

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par Sebastian Peà±a Marin
Université de Poitiers - Master II migrations internationales: conception de projets en coopération pour le développement 2011
  

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Chapitre V : Enjeux et approche critique de la coopération décentralisée Nord-Sud : Le cas de la ville de Porto-Novo

1. La coopération décentralisée et la solidarité internationale

1.1. Les ambivalences de la coopération décentralisée

1.1.1. Le marché de l'aide au développement

Au premier abord et de façon générale, il parait toujours inapproprié de parler d'« intérêts économiques » dans la sphère publique, et d'autant plus quand il s'agit du domaine de la solidarité, car l'intérêt économique et l'action solidaire ne sont pas censés cohabiter dans ce cadre de travail. De plus, dans la culture ou plutôt dans la tradition intellectuelle francophone, l'intérêt économique relève d'avantage du tabou ou du « non dit », la notion d'intérêt économique est associée au « politiquement incorrect ». La situation est sensiblement différente dans la culture anglo-saxonne qui utilise l'approche entrepreneuriale avec moins de réserve. Quoi qu'il en soit, l'idée de « profit » mêlée à la solidarité projette des légitimes suspicions sur l'éthique des stratégies engagées.

Dans le domaine de la solidarité internationale, la notion d'intérêt économique n'est pas uniquement réelle et très présente mais elle s'associe également aux intérêts politiques et géostratégiques formant un trio qui suscite la controverse et qui a d'ailleurs déjà fait couler beaucoup d'encre dans la réflexion sur l'aide au développement. Cette réalité mérite ainsi d'être interrogée dans le cadre de ce travail afin de dégager les enjeux qui interagissent dans ce volet « moins noble » de l'aide au développement et de la solidarité internationale.

Dans cette partie, nous verrons que « coopération décentralisée » ne rime pas forcement avec « coopération désintéressée ». Toutefois, il ne s'agit nullement de faire ici un procès d'intention ou de développer une approche moraliste pour pointer du doigt les acteurs mobilisés par cette notion. Nous partons de la prémisse que la coopération décentralisée pour le développement est bien une action à vocation solidaire. Nous pensons que la motivation

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principale pour engager des accords de coopération décentralisée entre collectivités territoriales d'un bout à l'autre du monde est avant tout le rapprochement entre territoires, le besoin de créer de liens d'amitié et d'intérêt réciproque, la mise en partage de savoir-faire et la recherche de solutions à des problématiques propres de chaque territoire. Cependant, l'implication des différents facteurs tout au long du processus de mise en oeuvre des projets se traduit par l'inclusion d'une logique économique portée par des acteurs qui gravitent autour des fonds considérables alloués chaque année aux projets de coopération décentralisée.

Pour débuter notre analyse, il est important de comprendre le contexte et les modes de fonctionnement de l'Aide publique au développement.

Le Bénin est classé parmi les « pays pauvres très endettés10 », ce classement est lié à un programme international de réduction de la pauvreté impulsé par le Fond monétaire international et par la Banque mondiale en 1996.

Suite aux résultats désastreux de la politique de réajustement structurel préconisée par ces deux organismes dans les années 1980, l'Organisation de Nations Unies décide en 2000 de changer de stratégie et de créer les OMD (Objectifs du millénaire pour le développement) qui se traduisent par huit objectifs adoptés par 193 États et 23 organismes et qui devraient être atteints en 2015. Ces objectifs sont : réduire l'extrême pauvreté et la faim, assurer l'éducation primaire pour tous, promouvoir l'égalité de sexes et l'autonomisation des femmes, réduire la mortalité infantile, améliorer la santé maternelle, combattre le VIH, le paludisme et d'autres maladies, préserver l'environnement et mettre en place un partenariat mondial pour le développement.

Pour l'application de ces objectifs, le Fond monétaire international et la Banque mondiale ont mis en place le DSRP (Document stratégique de réduction de la pauvreté) qui est une sorte de feuille de route ou de cahier des charges qui définit les réformes que doit entreprendre un État s'il veut gagner la bienveillance des grandes puissances économiques. Ainsi, tous les pays qui souhaitent bénéficier d'un allègement de leurs dettes extérieures sont appelés à élaborer et à mettre en oeuvre la stratégie globale de réduction de la pauvreté fixée par le DSRP. Le DSPR

10 Classement international PPTE (Pays pauvre très endetté).

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est donc un document unique de politique économique et macroéconomique, un instrument qui sert de référence pour l'attribution d'une grande part de l'aide internationale au développement.

Dans le DSRP, la décentralisation figure comme une reforme incontournable dans la stratégie de lutte contre la pauvreté afin de favoriser la concertation des acteurs locaux. En adoptant le DSPR, le Bénin s'est donc engagé à entamer un processus de décentralisation, processus qui a été bien évidement fortement déterminé par la perspective de voir un allègement important de la dette extérieure qui pesait lourdement sur les finances internes.

Dans le cadre de ce même dispositif d'aide au développement, les pays industrialisés membres du CAD (Comité d'aide au développement) de l'OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économique) sont contraints, dans le cadre de leurs engagements internationaux, à débourser 0,7% de leur Revenu national brut (RNB) sous forme d'Aide publique au développement. Depuis, tous les fonds ou financements de projets qui relèvent de l'aide au développement et qui sont destinés aux pays ayant adopté le DSPR peuvent être déduits de ce 0,7% du RNB que les pays les plus riches doivent mettre à contribution. Les subventions allouées à la coopération décentralisée rentrent également dans ce calcul.

Dans la pratique les choses sont un peu différentes car très peu des pays riches ont véritablement honoré ces engagements. Dans le cas de la France, son Aide publique au développement de 2009 représente 0,46% de son RNB11.

Depuis leur mise en place dans les années 1950 les différentes politiques d'Aide publique au développement (APD) ont été la cible de fortes critiques et ont suscité de vifs débats. La mise en place des OMD (Objectifs du millénaire pour le développement) n'a pas apaisé les esprits. Mais qu'est-ce qu'on reproche exactement au système d'Aide publique au développement ? On lui reproche de servir avant tout comme un instrument de domination des pays industrialisés, de fonctionner comme une véritable plate-forme d'investissement pour les operateurs économiques et les entreprises transnationales des pays donateurs ainsi que de servir comme un outil de chantage pour influencer ou contraindre certains états à effectuer des

11 www.insee.fr

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modifications économiques et politiques. Ce mécanisme contribue également à maintenir les pays pauvres dans une relation de dépendance.

Les enjeux économiques de l'Aide publique au développement se reflètent par ailleurs dans un paradoxe assez révélateur : le financement des structures et des dispositifs d'aide sociale destinés aux populations défavorisées en France est à la baisse alors qu'en même temps le financement de l'Aide publique au développement de ce pays est une constante hausse depuis 4 ans12. S'agit-il d'un acte d'altruisme cosmopolitique du gouvernement français ? Certainement pas.

En conséquence, la supposée vocation solidaire de l'Aide publique au développement est remplacée par une logique mercantile pour promouvoir les intérêts économiques et politiques des pays donateurs. « L'aide s'inscrit alors dans une relation intéressée par laquelle les donateurs consentent un effort financier pour conquérir des marchés, maintenir et accroître leurs aires d'influence et promouvoir les intérêts de leur classe dirigeante 13».

Il y a également un autre problème qui se pose. En effet, les pays membres du Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE incluent dans le calcul du budget de l'Aide publique au développement des dépenses qui ne contribuent en rien à la lutte contre la pauvreté. « Pour ActionAid International (2005), deux tiers des flux d'APD fournis en 2003 représentent une « aide fantôme » : 20 % de l'aide sont investis dans des projets de coopération technique inefficaces dont les prix surfaits profitent essentiellement aux consultants des pays donateurs ; 14 % de l'APD sont enregistrés au titre de mesures de désendettement qui ne correspondent qu'à des jeux d'écriture comptable ; de plus, l'APD se trouve gonflée par des coûts de transaction excessifs liés aux frais administratifs et de coordination de l'aide ; et pour finir, une part croissante de l'APD enregistre les frais d'accueil des requérants d'asile dans les pays industrialisés durant les douze premiers mois de leur séjour 14», mais dans le cas de la France la situation est encore pire car par exemple les frais d'éducation des étudiants

12 http://stats.oecd.org

13 Gilles Carbonnier, « L'aide au développement une fois de plus sous le feu de la critique », Revue internationale de politique de développement [En ligne], 1 | 2010, mis en ligne le 11 mars 2010. URL : http://poldev.revues.org/122 ; DOI : 10.4000/poldev.122

14 Gilles Carbonnier, « L'aide au développement une fois de plus sous le feu de la critique », Revue internationale de politique de développement [En ligne], 1 | 2010, mis en ligne le 11 mars 2010. URL : http://poldev.revues.org/122 ; DOI : 10.4000/poldev.122

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étrangers inscrits dans les universités publiques françaises ainsi que les frais de reconduite aux pays des immigrants irréguliers servent aussi à gonfler les chiffres de l'Aide publique au développement.

Les controverses que suscite la politique mondiale d'Aide publique au développement mériteraient certainement un examen plus approfondi et quelque centaines de milliers de pages de plus, toutefois, cela risquerait de nous éloigner de notre objet principal qui est la coopération décentralisée.

Comment la coopération décentralisée s'inscrit-elle dans les enjeux de ce contexte international ?

Tout d'abord, il faut bien garder à l'esprit que la coopération décentralisée et l'Aide publique au développement sont deux niveaux d'intervention avec des modes de fonctionnement complètement différents l'un de l'autre, cependant, et en fonction de l'échelle des projets, les deux systèmes s'entrecroisent. C'est le cas notamment pour les projets qui nécessitent des moyens importants : des agences étatiques peuvent figurer comme bailleurs de fond (Agence française de développement par exemple), tout comme d'autre organismes internationaux (Banque mondial, FMI) ainsi que des operateurs économique tels que des entreprises soustraitantes dans l'exécution de projets (transport, développement urbain, énergies, etc.). Le rôle des grands bailleurs de fonds ne se résume pas au déboursement d'argent, leur aide financière est souvent conditionnée à des « adaptations » du projet en question.

Ensuite, le budget que les collectivités territoriales françaises consacrent à leurs dispositifs de coopération décentralisée ainsi qu'à la mise en oeuvre des projets sont déductibles de l'Aide publique au développement. En effet, chaque collectivité territoriale doit déclarer ses dépenses et les résultats sont pris en compte par le ministère de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi et par l'OCDE. Pour faciliter cette tache, le Ministère a mis en place un système de télédéclaration, « La télédéclaration concerne d'une part les montants que les collectivités territoriales ont alloués dans le cadre de projets menés dans des pays en développement ou versés à des associations locales ou des ONG en France ou dans le pays partenaire afin

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qu'elles gèrent pour leur compte des projets de développement. Elle concerne, d'autre part, les dépenses de service [et] charges de suivi des actions...15»

Le fait que le budget consacré par une collectivité territoriale à la coopération décentralisée pour le développement soit considéré comme composante du budget total de l'Etat en termes d'Aide publique au développement n'a, au premier abord, rien d'étonnant. Toutefois, l'implication de l'Etat dans la coopération décentralisée ne se limite pas à des enjeux comptables ou budgétaires. En effet, les organismes d'Etat susceptibles d'accompagner, techniquement ou financièrement, les collectivités territoriales dans la mise en oeuvre de leur programme de coopération, vont prioriser d'avantage les projets qui s'inscrivent dans la politique étatique, soit au niveau du secteur de coopération, soit au niveau de la zone géographique. L'Etat va donc « jouer », au sens stratégique, avec l'assignation de subventions. Par exemple, la nouvelle politique de coopération pour le développement instaurée par la France consiste, entre autre, à établir des zones géographiques prioritaires, notamment, des zones d'où proviennent certains flux migratoires.

Aussi ignoble et stupide que soit cette politique d'aide au développement (les études en la matière ont déjà prouvé le caractère contre-productif de ces mesures), si les objectifs d'un projet ne s'accordent pas à ceux de l'état et des organismes publics de cofinancement en matière de politique extérieure, la collectivité territoriale devra compter sur ses propres moyens.

Or, les collectivités restent libres de choisir, dans le respect de la loi, les orientations de leur coopération en fonction des spécificités de leurs territoires et de leurs priorités. Cependant, dans la course aux subventions pratiquée par la presque totalité des organismes susceptibles de recevoir des subventions, il est difficile d'établir quelle est la part de la stratégie de coopération d'une collectivité qui se trouve conditionnée ou influencée par cette politique gouvernementale.

Pour revenir à l'idée principale qui nous occupe, nous devons concevoir la coopération
décentralisée comme une grande machine qui met en relation les acteurs les plus divers pour

15 http://cncd.diplomatie.gouv.fr

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accomplir les tâches les plus diverses. Nous avons vu dans le deuxième et troisième chapitre de ce travail la quantité de secteurs et d'activités qui pouvaient être concernés par un projet de coopération décentralisée : chantiers écoles, santé, culture, appui institutionnel, patrimoine, développement numérique, transport public, développement durable, urbain, territorial, économique, etc.... Or, les collectivités territoriales ne disposent pas obligatoirement des capacités techniques, logistiques ou de gestion pour gérer à 100% leurs projets de coopération, ce n'est d'ailleurs pas le but. Le rôle d'une collectivité est de faire, entre autre, un travail de fédérateur, de coordination, de contrôle, d'intermédiaire, de gestionnaire des projets, de socle institutionnel, de bailleur de fonds, de créateur de liens, de dynamisation, etc..., en fonction du domaine la collectivité devra faire appel à d'autres acteurs pour déléguer des taches spécifiques et c'est par ce biais-là que la coopération décentralisée offre des débouchés importants pour un nombre croissant d'operateurs. « Si leur engagement en coopération décentralisée n'est pas exempt d'une certaine solidarité avec les pays en développement notamment dans le cadre de jumelages franco-africains, c'est beaucoup moins simple pour la coopération urbaine et économique. Si les villes françaises se lancent dans la coopération avec les métropoles du tiers monde c'est parce qu'il s'est constitué un véritable marché international de l'expertise en ingénierie urbaine »... « la chose est apparue encore plus évidente dans le champ de la coopération économique et financière »16.

Ainsi, les offices de consultants, les bureaux d'étude, les maitres d'ouvrage externes, les operateurs économiques, les ONG, etc... sont tous des acteurs, en majorité privés, qui se trouvent au sein de ce qu'on peut appeler « le marché de la solidarité internationale ». De plus, dans la plupart de cas, les conclusions des expertises et des études restent sans suite et ne sont exploitées par personne.

Dans le cadre de la coopération avec Porto-Novo, les collectivités françaises pratiquent une sorte d'« économie circulaire ». Pour imprimer l'idée dans une figure imagée ou sous forme d'analogie plus éclairante cela équivaut à « sortir de l'argent d'une poche, pour le mettre dans l'autre ». En effet, la plupart des budgets et des subventions alloués aux collectivités françaises servent à payer les activités d'operateurs locaux ainsi qu'à alimenter et à stimuler

16 Franck Petiteville, « La coopération décentralisée. Les collectivités locales dans la coopération Nord-Sud ». Collection Logiques politiques. Ed L'Harmattan, 1995.

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les compétences des sphères professionnelles locales. Elles servent donc à dynamiser d'avantage leur propre territoire car, par ailleurs, le choix des prestataires et des fournisseurs de services se fait rarement par un système ouvert d'appel d'offre.

Pour les idéalistes, l'aide au développement est un système à vocation solidaire stimulé par des préoccupations d'ordre humanitaire et démocratique, une espèce d'altruisme au service de la paix et de la justice sociale mondiale. Pour d'autres, elle répond à une culpabilité et participe à la réparation historique des pays riches. Quoi qu'il en soit, une reformulation du système d'Aide publique au développement s'impose, l'enjeu est urgent et le mécanisme actuel a déjà montré des résultats mitigés dans la réduction de la pauvreté. Mais sans une implication et une pression plus importante de la société civile et de l'opinion publique mondiale la logique du système continuera certainement dans la même direction.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle