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L'application de la charte africaine des droits de l'homme et des peuples

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par Blé Eddie Zakri
Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest- Unité Universitaire d'Abidjan (UCAO-UUA) - Master 2 Recherche Droit public fondamental 2014
  

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INTRODUCTION

« A tous les niveaux, il est indispensable de faire vivre les droits de l'homme au quotidien, de les protéger, mais aussi de les mettre en oeuvre, à travers des politiques volontaristes, des programmes d'action »1(*).

Cet appel saisissant du professeur Emmanuel DECAUX témoigne s'il en était encore besoin de l'intérêt à accorder aux droits de l'homme. Dans ce sens, il faut saluer l'adoption par les pays africains de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples (CADHP) ou ``Charte de Banjul''2(*) à laquelle tous les Etats membres de l'Union Africaine (UA)sont actuellement parties, et qui est entrée en vigueur le 21 octobre 1986.

En le faisant, l'Afrique emboîtait ainsi le pas aux continents européen et américain3(*). Certes, elle a attendu longtemps, mais nous devons reconnaître que ce fut un grand pas pour le continent4(*). Et si le mot surprise fut lâché lorsque les Etats africains adoptèrent cet instrument5(*), c'est parce qu' « ils étaient, dans leur grande majorité, caractérisés par des régimes dits présidentialistes et par des dirigeants politiques autoritaires ou peu soucieux des principes démocratiques et du respect des droits de l'homme »6(*). Edem KODJO ne dit pas autre choselorsqu'il affirme que « l'indépendance n'est pas allée de pair avec l'émergence de régimes politiques réellement respectueux des droits de l'homme »7(*).

L'adoption de cette Charte est alors un réel progrès face à l'exigence attachée de nos jours au respect des droits de l'homme. La place centrale qu'occupent ainsi ces droits, tant en droit interne qu'en droit international8(*), commandait qu'il ne soit longtemps toléré le déni des droits fondamentaux de l'homme comme le continent africain nous en a donné l'exemple avec les « régimes totalitaires, à tout le moins terroristes de l'Ougandais Idi Amin DADA (1971-1979), du Centrafricain Jean-Bedel BOKASSA (1966-1979) ou de l'Equato-Guinéen Macias NGUEMA (1966-1979) pour ne citer que les violations des droits humains les plus criardes »9(*).

A l'analyse, la CADHP fut élaborée après un long processus révélant un travail de longue haleine. En effet, l'idée de doter les africains de droits définis par une convention et bénéficiant d'une protection internationale ne date pas d'aujourd'hui. Les propos suivants d'Alioune Badara FALL en sont édifiants : « La préoccupation des Africains au sujet des droits de l'homme à l'époque contemporaine, et en référence au droit moderne occidental, remonte à la proposition que Léopold Sédar SENGHOR avait faite au moment où fut adoptée, par le Conseil de l'Europe en 1950, la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »10(*) L'ancien président du Sénégal émit en effet le voeu de voir ce texte appliqué automatiquement aux territoires dont les États parties à la convention les représentaient dans les relations internationales11(*). Mais cette proposition ne rencontra pas d'écho favorable et l'idée d'appliquer ces dispositions européennes relatives aux droits de l'homme dans les colonies françaises fut rejetée. La solution qui fut plutôt retenue est la subordination de l'application de cette convention aux territoires colonisés à la déclaration expresse de l'Etat colonial12(*).

Sur le plan des idées, des voix s'élevèrent immédiatement après les indépendances des années 60 en faveur de la mise sur pied d'une convention africaine des droits de l'homme. Dans un discours prononcé à Londres le 12 août 1961 sur le panafricanisme, le docteur Nuambi AZIKIWE, alors gouverneur général du Nigéria, allait dans ce sens lorsqu'il invita le Conseil des Etats africains à « promulguer une convention africaine des droits de l'homme comme gage de leur foi dans le gouvernement du droit, de la démocratie comme mode de vie, de la liberté individuelle et du respect de la dignité humaine»13(*). Cette idée, qui circulera chez les juristes, et aussi chez les hommes politiques, va progressivement mûrir, notamment avec l'appui de l'Organisation des Nations Unies (ONU) et de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA), devenue l'UA, après l'indépendance des pays africains, pour finalement porter ses fruits au début des années 1980.

Sur le plan doctrinal, la CADHP a suscité un réel intérêt en raison de l'originalité qui la caractérise14(*). Mais à y voir de près, cet instrument reprend en grande partie les libertés et droits de l'homme et des peuples énoncés notamment dans le cadre des Nations Unies et des autres systèmes régionaux15(*).

Toutefois, si l'on croyait jusque-là que tout a été dit sur cette Charte tant les études sur celle-ci foisonnent, force est de reconnaître que cette dernière n'est que très peu abordée dans la dimension nationale de sa mise en oeuvre. Car pendant longtemps, la littérature juridique n'y a prêté qu'une attention toute relative, pour ne pas dire très accessoire16(*). Ce fait a été indubitablement l'élément catalyseur dans le choix de ce sujet. Cette curiosité sera davantage renforcée par une actualité marquée par l'abondance des violations des droits de l'homme sur le continent africain, cela environ trois décennies après l'entrée en vigueur de la Charte africaine.

De plus, selon Olivier DELAS et Eugène N'TAGANDA, les africanistes n'ont pas manqué parfois de relever « les difficultés d'application du droit positif » des textes relatifs aux droits de l'homme en Afrique17(*). Cette assertion des auteurs préfigure-t-elle l'inapplication de la CADHP au sein des Etats ? Il est plus prudent de ne pas apporter une réponse rapide à cette interrogation et d'aller pas à pas pour y répondre. Cette démarche sera davantage justifiée par la difficulté observée dans l'accès aux documents et informations sur les pratiques nationales.

Cette difficulté a été indéniablement l'obstacle majeur à une appréciation objective de l'application de la CADHP dans les Etats africains. C'est manifestement tout l'enjeu qu'il y a à traiter de ce thème. Car il revêt un intérêt à situer à divers ordres de considération : notamment sur le plan pratique et sur le plan social. Du point de vue pratique, cette étude permet de s'intéresser aux obligations réellement imposées aux Etats et leur exécution par ces derniers. Au plan social, elle permet de révéler, à tout le moins, de porter à la connaissance des Africains l'existence d'une Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, se proposant d'être ainsi une contribution à l'oeuvre de promotion et de vulgarisation du mécanisme africain de protection des droits de l'homme.

Cependant, faute d'envisager tous les États du continent, au risque de la superficialité, on s'enfermera modestement dans l'Afrique noire francophone18(*).

Cela dit, pour bien mener notre étude, nous avons jugé important de clarifier les notions tels ``droits de l'homme'' et ``application''.

S'agissant de la notion de droits de l'homme, relevons qu'aucun texte ne la définit, les instruments de protection des droits de l'homme procédant tous par énumération. Quant à la doctrine, elle semble ne pas s'en préoccuper. Par contre, les auteurs s'attachent à définir les libertés publiques lorsqu'ils traitent de celles-ci. Pis encore, lorsqu'ils traitent des libertés publiques et des droits de l'homme, ils ne définissent que les premières19(*). Cette attitude peut s'expliquer par le fait qu'il n'est point aisé de définir les droits de l'homme. Yves MADIOT ne disait-il pas que « dans un tableau des notions les plus vagues et les plus floues, celle des droits de l'homme occupe certainement une excellente place. Elle est constamment utilisée et fait partie du vocabulaire courant : mais sur le plan scientifique, il est très difficile de la cerner et d'en définir le contour »20(*). Le professeur LEBRETON expliquera cette discrimination de la doctrine par ce que les deux notions ne relèvent pas du même ordre : les premières reposent sur le droit positif, tandis que les secondes, sur des considérations philosophiques. Et pour faire ressortir le lien entre les deux, il écrit : « Les droits de l'homme sont le sous bassement philosophique des règles juridiques que sont les libertés publiques »21(*).

Ainsi, les deux notions, bien qu'elles soient distinctes, se trouvent être complémentaires. Le Doyen René DEGNI-SEGUI est assez proche de cette conception. Lui qui définit sommairement les droits de l'homme comme un « ensemble de droits et de libertés que l'Etat reconnaît dans son ordre juridique et dans l'ordre juridique international aux individus, et qu'il protège »22(*).

C'est donc une conception subjectiviste ou volontariste du droit, qui veut que celui-ci soit fondé sur la volonté de l'Etat, que l'auteur adopte ici. Dans un tel cas, les droits de l'homme résulteraient de la volonté étatique qui les attribuerait à l'individu. Mais, l'autre conception, celle objectiviste qui fait reposer le droit sur les nécessités sociales n'est pas délaissé par DEGNI-SEGUI. Dans cette hypothèse, les droits de l'homme ne dériveraient pas de la volonté de l'Etat, mais seraient consubstantiels à l'homme. L'auteur le dira plus loin et fera reposer les droits de l'homme sur le postulat de la dignité humaine. Lequel postulat fait des droits de l'homme, des droits fondamentaux, des droits premiers qui s'imposent à l'Etat23(*).

Quant au vocable ``application'', Selon Gérard CORNU, il recouvre l'idée d'une mise en oeuvre ou mise en pratique24(*). Plus vaguement, ce mot renvoi à l'observation, au respect d'une chose et aura pour antinomie le terme violation. Parler donc de l'application de la Charte, c'est vérifier si les dispositions de celle-ci sont observées ou respectées par les Etats.

Pour mieux apprécier donc la problématique de la mise en oeuvre de la CADHP au sein des Etats, nous avons utilisé la méthode juridique, soutenue par une approche sociologique, lesquelles ont été complétées par une technique documentaire. La méthode juridique qui suppose « ce qui doit être » nous a permis d'essayer d'analyser la CADHP et d'en tirer sens et portée. L'approche sociologique nous a amené à porter notre regard sur les pratiques des Etats en vue d'y déceler les traces d'une application de la CADHP à partir d'une analyse documentaire et nous rendre compte que l'existence de violations flagrantes des droits humains en Afrique est source d'un profond scepticisme par rapport à l'enracinement de la Charte dans les Etats.

Cette situation a donc ouvert la voie à la question centrale suivante : la CADHP est-elle réellement appliquée dans les Etats d'Afrique noire francophone ?En d'autres termes, quel est l'état de conformité des ordres juridiques des Etats avec la CADHP ?

Cette interrogation nous a conduits à l'examen de la CADHP, l'instrument objet de notre étude. Ce faisant, elle nous a poussés par la même occasion à faire un recensement des mesures prises par les autorités nationales de l'Afrique noire francophone afin de juger d'une part de l'incidence de l'instrument africain de protection des droits de la personne dans l'ordonnancement juridique des Etats et de jeter d'autre part un regard critique sur les faits sociaux défavorisant son effectivité dans les Etats. Car le fossé entre « ce qui devrait être » et « ce qui est » apparaît évident à en juger de par la triste célébrité du continent en matière de violation des droits de l'homme. Et les rapports des organismes internationaux recensant chaque jour ces violations démontrent si besoin en était encore que la CADHP ne fait pas l'objet d'une application effective de la part des Etats25(*).

C'est donc au regard de ce qui précède que nous avons envisagé notre réflexion en deux parties. Nous montrerons dans la première articulation de notre travail que la Charte africaine souffre d'une faible application au sein des Etats (Première partie). Notre seconde articulation s'étendra, quant à elle, sur les facteurs explicatifs de cette faible application (Deuxième partie).

PREMIERE PARTIE :

LA FAIBLE APPLICATION DE LA CHARTE AFRICAINE

Pour Claudia SCIOTTI-LAM, « Les traités de droits de l'homme ont non seulement vocation à s'appliquer en droit interne mais c'est également leur véritable raison d'être et leur efficacité dépend essentiellement de cette application en droit interne. »26(*) En effet, le mécanisme international mis en place par un traité de droit de l'homme ne joue qu'un rôle subsidiaire dans l'application de celui-ci. C'est ce qui a fait dire à Maurice KAMTO que « dans ce domaine, l'Etat demeure le maillon essentiel pour la protection effective des droits de l'homme »27(*).

C'est dire le rôle prépondérant de l'Etat dans la mise en oeuvre des traités internationaux, surtout ceux relatifs aux droits de l'homme. Or, l'Etat est un être artificiel et abstrait : on ne peut le voir, moins encore le toucher, car il n'a ni chair ni os. Cependant, pour être invisible et intouchable, il n'en est pas moins reconnaissable. Quotidiennement et fortement, on le sent et on le ressent : c'est une personne morale, qui agit au travers de ses agents qui la représentent.

Au fond, « si nécessairement, la puissance d'Etat est une, elle s'exprime par plusieurs bouches, ou par divers organes »28(*). Ces organes, prévus par la plupart des constitutions modernes, sont dits « pouvoirs constitués », ou « pouvoirs publics », et s'analysent principalement en l'organe exécutif, l'organe législatif et l'organe juridictionnel. L'application de la CADHP incombe donc à ces pouvoirs publics, qui doivent, dans leurs différentes fonctions, prendre des dispositions afin de donner vie à celle-ci.

Mais, dans la pratique, les Etats d'Afrique noire francophone, à travers ces divers organes, n'appliqueront que faiblement la CADHP. L'objectif de cette première partie est de mettre en exergue cette insatisfaisante application de la Charte, d'abord au regard de l'activité législative et réglementaire (Chapitre 1), ensuite à la lumière de la jurisprudence nationale (Chapitre 2) des Etats.

CHAPITRE 1 : AU REGARD DE L'ACTIVITE LEGISLATIVE ET REGLEMENTAIRE DES ETATS

Les Etats d'Afrique noire francophone, étant tous de tradition juridique de droit civil, adoptent une approche de style moniste. Or, le monisme soutient que le droit international s'applique immédiatement dans l'ordre juridique interne des Etats29(*). Dès lors, dès qu'elle est ratifiée par ces Etats, la CADHP fait partie de leur droit national.

Pour autant, comme la majorité des conventions principales de droits de l'homme, la CADHP oblige les Etats parties à l'introduire en substance dans leur droit interne, c'est-à-dire que les droits et libertés reconnus par la Charte doivent pénétrer l'ordre juridique interne des Etats parties30(*).

En réalité, « l'Etat est tenu de se donner la Constitution et les lois permettant d'assurer l'exécution des traités et cela quelle que soit sa structure interne et la situation respective des organes compétents. Chacun d'eux est tenu d'assurer l'application du traité »31(*).

Ce faisant, au pied de l'article premier de la CADHP, « les Etats membres de l'Organisation de l'Unité africaine, parties à la présente Charte, reconnaissent les droits, devoirs et libertés énoncés dans cette Charte et s'engagent à adopter des mesures législatives ou autres pour les appliquer ». Et l'article 62 de cette mêmeCharte prévoit l'obligation pour les Etats parties de faire des rapports sur les mesures législatives ou autres prises pour appliquer la Charte. Selon Oji UMOZURIKE, la combinaison de l'article premier et de l'article 62 de la CADHP rend obligatoire son introduction en substance en droit interne32(*).

Mais, nonobstant ces mesures, l'on note, avec regret, le manque d'enthousiasme des autorités législatives et réglementaires qui se traduit non seulement par une insuffisance de mesures dans l'application de la Charte (Section 1), mais pis encore, par sa violation dans la pratique(Section 2).

Section 1 : Une insuffisance de mesures dans l'application de la Charte

Relativement aux dispositions prises par les autorités législatives et réglementaires pour mettre en oeuvre la CADHP, un constat s'impose : les Etats dans leur ensemble ont mis l'accent sur certaines catégories de mesures. Ces mesures, il faut le noter, sont louables (Paragraphe 1), mais ne sauraient cependant suffire à donner une effectivité à la Charte. Dès lors, il devient impérieux de les renforcer (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Des mesures louables

Les mesures adoptées par les Etats sont jugées louables dans la mesure où elles demeurent nécessaires, essentielles, voire indispensables. En effet, la constitutionnalisation de la Charte (A), la mise en place de structures des droits de l'homme (B) et aussi la ratification des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme (C) constituent inévitablement les premiers pas d'une implémentation celle-ci.

A- La constitutionnalisation de la Charte

Il n'existe presque pas d'Etat en Afrique noire francophone où les droits de l'homme ne figurent pas dans la Constitution. La lecture des constitutions de ces Etats dégage en effet un constat : les droits de l'homme y sont suffisamment prévus, allant jusqu'à la réaffirmation solennelle de l'adhésion et de l'attachement à des instruments internationaux et régionaux de protection des droits de la personne. Ainsi donc, la consécration constitutionnelle de la Charte s'est faite selon deux techniques : le renvoi à la Charte par la constitution et l'exposé ou l'énoncé des dispositions de la Charte dans la constitution.

Le renvoi de la constitution à la Charte est généralement l'affaire du préambule dans lequel les Etats proclament leur attachement ou leur adhésion à la Charte. Il en est ainsi,par exemple, du préambule de la constitution du Burkina Faso qui affirme : « Nous, peuple du Burkina Faso [...] réaffirmant solennellement notre engagement vis-à-vis de la Charte Africaine », et celui de la Côte d'Ivoire selon lequel « Le peuple de Côte d'Ivoire [...] proclame son adhésion aux droits et libertés tels que définis [...] dans la Charte africaine des Droits de l'Homme et des Peuples de 1981» ou encore de ceux de la République Démocratique du Congo et de la Centrafrique qui réaffirment eux aussi leur attachement à la Charte.

Par ce renvoi, le préambule de la constitution consacre les trois générations de droits à la fois : tout d'abord, les droits civils et politiques qui forment la première génération de droits ; ensuite, les droits économiques, sociaux et culturels qui constituent la seconde génération de droits ; et enfin, les droits de la solidarité appelés droits de la troisième génération. Tous ces droits étant contenus dans la CADHP.

Cette garantie constitutionnelle ressort aussi bien au niveau du corpus même de la constitution. En effet, les constitutions consacrent des titres entiers à l'énoncé des droits et libertés des citoyens. C'est par exemple le cas de la constitution béninoise du 11 décembre 1990 dont le Titre II s'intitule « Des droits et des devoirs de la personnes humaines » et dispose en son article 7 que : « Les droits et les devoirs proclamés et garantis par la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples adoptée en 1981 par l'Organisation de l'Unité Africaine, et ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986, font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois ». Il y a également la constitution burundaise du 9 mars 1992 qui a pour Titre II « De la charte des droits et des devoirs fondamentaux, de l'individu et du citoyen » et qui reprend certaines dispositions de la Charte, tout comme celle congolaise du 15 mars 1992 qui prévoie à son Titre II « Des droits humains, des libertés fondamentales et des devoirs du citoyen et de l'Etat », la constitution  guinéenne du 23 décembre 1990 ou encore celle tchadienne du 14 avril 1996 dont les Titres II s'intitulent respectivement « Des libertés, devoirs et droits fondamentaux » et « Des libertés, des droits fondamentaux et devoirs des citoyens »33(*) pour ne citer que celles-là.

La constitutionnalisation de la CADHP est une mesure fort salutaire ; elle présente des avantages importants en ce sens que ces droits constitutionnalisés seront immuables, stables et inviolables. Telle semble la position du professeur Jacques Yvan MORIN qui affirme que « les principes protecteurs de l'individu n'acquièrent leur pleine signification que dans la mesure où ils sont énoncés et garantis dans les normes qui occupent le rang le plus élevé dans l'ordre juridique interne, prenant ainsi le pas sur toutes les autres règles de droit (lois, décrets, actes et décisions des organes de l'Etat).34(*)»

Au regard de ce qui précède, il convient d'affirmer que la CADHP occupe une place de choix dans les textes fondamentaux des Etats d'Afrique noire francophone. Outre cette consécration constitutionnelle de la CADHP, les Etats ont aussi créé des structures de promotion et de protection des droits de l'homme.

B- La mise en place de structures de promotion et de protection des droits de l'homme

Dans la perspective de l'implémentation de la CADHP, les Etats, dans leur ensemble, n'ont pas omis de créer des instances spécialisées en droits de l'homme, répondant ainsi à l'article 26 de celle-ci35(*). Ces structures se répartissent en deux catégories : les unes étant rattachéesà l'une des institutions nationales classiques, en l'occurrence le pouvoir exécutif, les autres possédant une indépendance vis-à-vis des institutions classiques.

En ce qui concerne les structures gouvernementales, il faut dire que de plus en plus dans les Etats africains, on assiste au sein du gouvernement à la création d'un département chargé de la question des droits de l'homme. Ainsi parle-t-on le plus souvent de ministres ou ministres délégués, de secrétaires d'Etat chargés des droits de l'homme. Au Burkina Faso, par exemple, un Ministère des droits humains et de la Promotion civique a été créé le 4 janvier 2013. La Côte d'Ivoire, elle, prévoit au sein de son gouvernement du 22 novembre 2012 un Ministère de la justice et des droits de l'homme36(*). Au Togo, depuis le 17 septembre 2013, c'est le Ministère des droits de l'homme et de la Consolidation de la démocratie et de la Formation civique qui s'occupe des droits de l'homme, alors qu'en Guinée, il s'agit du Ministère des droits de l'homme et des libertés Publiques.

Quant aux structures indépendantes, c'est-à-dire les institutions nationales des droits de l'homme,instances nationales spécialisées et indépendantes dans le domaine de la protection et de la promotion des droits de l'Homme, on cite les commissions nationales des droits de l'homme (CNDH) et les ombudsmans dont l'essor est aussi remarquable en Afrique noire francophone.

L'institution de Médiateur de la République a été mise en place par la quasi-totalité des Etats. On citera par exemple le décret tchadien N°340 du 12 août 1997, la loi béninoise N°2009-22 du 11 août 2009 ou encore la loi ivoirienne N°2000-513 du 1er août portant Constitution qui instituent le Médiateur de la République. Le Médiateurde la République, ou encore, l'« ombudsman » a pour fonction majeure de veiller au respect de l'équité et de la légalité dans l'administration publique. Plus précisément, il protège les droits des individus victimes d'actes injustes de la part de l'administration. Aussi, joue-t-il souvent le rôle de conciliateur impartial entre les individus et les pouvoirs publics.

Les CNDH, institutions chargées de veiller à la bonne application des lois et des règlements sur la protection des droits de l'homme, telle la Commission Nationale des Droits de l'Homme de Côte d'Ivoire (CNDHCI)37(*) ou encore la Commission Nationale des Droits de la Personne au Rwanda38(*), ont également vu le jour dans beaucoup de pays.

Toutes ces structures ou instances intervenant dans le domaine des droits de l'homme contribuent chacune selon ses compétences et attributions à la mise en oeuvre des droits de l'homme, donc de la Charte africaine. Une mise en oeuvre qui peut également être facilitée par la ratification d'autres traités de droits de l'homme.

C- La ratification des traités de droits de l'homme

Les Etats d'Afrique noire francophone sont aujourd'hui parties à plus d'un traité relatif aux droits de l'homme. Sans qu'il ne soit question d'être exhaustif, on relèvera respectivement les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme en général et ceux qui concernent les catégories particulières de droits ou de personnes.

Comme textes de portée générale, il convient de citer les deux pactes du 16 décembre 1966 : le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). Les deux instruments ont été adoptés le même jour afin de mettre en évidence leur complémentarité et l'indivisibilité des droits de l'homme. Ils ont été tous deux ratifiés par les Etats dans leur ensemble. La dernière ratification en date a été celle de la Mauritanie survenue le 17 janvier 2004, bien après celles par exemple du Burkina Faso (4 janvier 1999) et du Bénin (12 mars 1992).

S'agissant des textes de portée spécifique, contrairement aux textes de portée générale qui procèdent d'une démarche globale et systématique, ils relèvent d'une démarche analytique qui traduit une tendance à un morcellement de l'homme : ce sont des droits particuliers ou des catégories particulières d'individus qui sont ainsi protégés39(*). On peut ainsi citer à titre d'exemple la Convention sur l'abolition de la traite des êtres humains et de la prostitution de 1950, les Conventions de 1953 et 1956 sur l'abolition de l'esclavage, la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes de 1979, la Convention contre la torture et les autres peines et traitements cruels, dégradants et inhumains de 1984 et la Convention sur les droits des enfants de 1989 auxquelles font partie la majorité des Etats d'Afrique noire francophone.

L'un des apports essentiels de toutes ces conventions réside dans le renforcement des obligations de l'Etat dès lors qu'elles contiennent parfois des dispositions communes à la CADHP. Ainsi donc, mettre en oeuvre ces conventions, c'est aussi appliquer, de façon incidente, la CADHP. C'est par exemple le cas de la Côte d'Ivoire qui a récemment modifié sa loi sur le mariage par la loi n°2013-33 du 25 janvier 201340(*). S'il est vrai, selon la ministre de la communication, Madame Affoussiata BAMBA-LAMINE, que cette nouvelle loi a été adoptée pour respecter la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard de la femme de 197941(*), l'on note quecelle-ci met également en oeuvre les articles 2 et 3 de la CADHP dès lors qu'elle apporte plus d'égalité entre l'homme et la femme42(*).

Il suit, de ce qui précède que les Etats ont adopté des mesures indispensables, voire nécessaires à la mise en oeuvre de la Charte africaine. Pour autant, ces mesures ne suffisent pas à elles seules. Il faut donc les renforcer.

* 1 DECAUX (E.), Paroles et textes choisis, 2ème Forum mondial des Droits de l'Homme, Nantes, 2006, p.7.

* 2 La CADHP a été adoptée en juin 1981.

* 3 Créant ainsi, chronologiquement, le troisième système régional de protection des droits de l'homme après celui européen avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (CEDH) de 1950 et celui américain avec la Convention américaine relative aux droits de l'homme (CADH) de 1969.

* 4 Il n'est pas sans intérêt de relever que l'Assemblée générale des Nations Unies adressa le 16 décembre 1981, par la résolution A/Res/36/154, ses vives félicitations à l'OUA pour l'adoption de la Charte africaine.

* 5 Pour Jean Claude MAVILA, « le fait de créer un système régional de protection des droits de l'homme est une révolution », in MAVILA (J.-C.), « Plaidoyer pour le respect des droits de l'homme et des peuples », in MAUGENEST (D.) et POUGOUE (P. G.), (dir.),Les droits de l'homme en Afrique centrale, Colloque régional de Yaoundé, UCAC-KARTHALA, 1994, p.116.

* 6 FALL (A. B.),« La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples : entre universalisme et régionalisme », Pouvoirs, 2009/2 n° 129, p.80.

* 7Edem KODJO cité par SAHIRI (R.), L'analyse de la jurisprudence de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP), Mémoire de fin de formation continue en Droits de l'homme, Droits de l'homme, Genève, Université de Genève, 2002, p.5.

* 8 KAMARA (M.), « La promotion et la protection des droits fondamentaux dans le cadre de la charte africaine des droits de l'homme et des peuples et du protocole facultatif additionnel de juin 1998 »,RTDH, n° 63, 2005, p.710 ; GALLEY (K. J.-B.), « La mondialisation économique saisie par les droits de l'homme », RTDH, n° 66, 2006, p.423.

* 9SAHIRI (R.), L'analyse de la jurisprudence de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP), op.cit. p.5.

* 10 FALL (A. B.), « La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples : entre universalisme et régionalisme », op.cit., p.79.

* 11GONIDEC (P. F.), « Les droits de l'homme », Encyclopédie juridique de l'Afrique, Tome 2, NEA, Abidjan, 1982, p.368.

* 12 SUDRE (F.), Droit international et européen des droits de l'homme, PUF, Paris, 2001, p.111.

* 13 FALL (A. B.), « La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples : entre universalisme et régionalisme », Pouvoirs, n° 129, Avril 2009, p.79.

* 14 Sur l'originalité de la Charte, lire les travaux suivants : OUGUERGOUZ (F.), La Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples, une approche juridique des droits de l'Homme entre tradition et modernité,PUF, Paris, 1993, MBAYE (K.), Les droits de l'homme en Afrique, Pedone, Paris 2004.

* 15 MBORANTSUO (M. M.), La contribution des cours constitutionnelles à l'état de droit en Afrique, Economica, Paris, 2007, p.276.

* 16 La preuve en est que hormis des analyses ponctuelles ou sectorielles, le seul ouvrage traitant du versant national de la mise oeuvre de la Charte africaine semble être celui réalisé sous la direction de Jean-François FLAUSS et Elisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD et intitulé  L'application nationale de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Cet ouvrage, réunion d'articles d'auteurs différents, combinant une approche géographique et thématique, inévitablement, inspirera cette étude.

* 17 DELAS (O.), N'TAGANDA (E.), « La création de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples : mécanisme efficace de protection des droits de l'homme », http://www.rs.sqdi.org/volumes/12.2_-_delas-ntaganda.pdf, page consultée le 16/07/14 ; Voir également BénoîtSaaliu N'GOM qui affirme : « En Afrique, il est important de le souligner, la réalité fait de la violation des droits une règle, et de son respect l'exception. », in N'GOM (B. S.) Les droits de l'homme et l'Afrique, Edition Silex, Paris, 1984, p.9.

* 18 A l'intérieur de cette zone, on ne s'intéressera qu'à 18 États. Ce sont le Bénin, le Burkina Faso, le Burundi, le Cameroun, le Congo, la Côte d'Ivoire, le Gabon, la Guinée, le Madagascar, le Mali, la Mauritanie, le Niger, la République Centrafricaine, le Rwanda, le Sénégal, le Tchad, le Togo et le Zaïre (devenu République démocratique du Congo).

* 19 Voir sur ce point notamment Gilles LEBRETON, Libertés publiques et droits de l'homme, Edition Armand Colin, Paris, 1995 ; Arlette HEYMANN-DOAT, LGDJ, Paris 1997 ; Claude Albert COLLIARD, Dalloz, Paris 1972 ; Yves MADIOT, Droits de l'homme et libertés publiques, Edition Masson, Paris 1976.

* 20 MADIOT (Y.), Droits de l'homme et libertés publiques, op.cit., p.13 ; Voir également en ce sens, Kéba MBAYE qui écrit : « Il n'existe pas, à proprement parlé, une définition satisfaisante des droits de l'homme. La difficulté d'en dégager une répondant aux attentes de tous tient probablement à la variabilité même de la notion de l'homme et à l'importance relative qui lui est accordée compte tenu des civilisations, des régions concernées et des circonstances », in MBAYE (K.), Les droits de l'homme en Afrique, Pédone, Paris, p.34.

* 21 LEBRETON (G.), Libertés publiques et droits de l'homme, op.cit., p.9.

* 22 DEGNI-SEGUI (R.), Les droits de l'homme en Afrique noire francophone : Théories et réalités, CEDA, 2ème édition, Abidjan, 2001, p.13.

* 23 AGUIE (A. L.), Le système ivoirien de protection des droits de l'homme, Mémoire DESS, droits de l'Homme, Abidjan, Université de Cocody, 2002, p.6.

* 24 CORNU (G.),Vocabulaire juridique, PUF, 4ème Edition, Paris, 2009, p.65.

* 25 DELAS (O.), NTAGANDA (E.), « La création de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples : mécanisme efficace de protection des droits de l'homme ? », op.cit., p.100.

* 26 SCIOTTI-LAM (C.), L'applicabilité des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme en droit interne, Bruylant, Bruxelles, 2004, p.47.

* 27 KAMTO (M.), « Charte africaine, instruments internationaux de protection des droits de l'homme, constitutions nationales : articulations respectives », in FLAUSS (J.-F.), LAMBERT-ABDELGAWAD (E.) (dir.), L'application nationale de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, Bruylant, Bruxelles, 2004, p.31.

* 28 GICQUEL (J.), Droit constitutionnel et institutions politiques, Montchrestien, Paris, 1995, p.113.

* 29 NGUYEN (Q. D.), DAILLIER (P.) et PELLET (A.), Droit international public, 6ème édition, L.G.D.J., Paris, 1999, p.94.

* 30 SCIOTTI-LAM (C.), L'applicabilité des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme en droit interne, op.cit., p.53.

* 31 BASTID (S.), Les traités dans la vie internationale, conclusion et effets, coll. de Droit International, Economica, Paris, 1985, p.123.

* 32 UMOZURIKE (O.), The African Charter, of Human and Peoples' Rights, NijhoffPublishers, La Haye, 1997, p.108.

* 33 Sur ce point, consulter l'ouvrage de Jacques Yvan MORIN, Libertés et droits fondamentaux dans les constitutions des Etats ayants le français en partage, Bruylant, Bruxelles 1999.

* 34 MORIN (J.-Y.), Libertés et droits fondamentaux dans les constitutions des Etats ayants le français en partage, op.cit., p.12.

* 35 Article 26 de la CADHP : « Les Etats parties à la présente Charte ont le devoir de [...] permettre l'établissement et le perfectionnement d'institutions nationales appropriées chargées de la promotion et de la protection des droits et libertés garantis par la Charte. »

* 36 Ce Ministère des Droits de l'Homme a été institué par le décret n°2002-398 du 5 août 2002 portant création du Ministère.

* 37 Voir loi n°2004-202 du 3 mai 2004 et décret n°2005-08/PR du 15 juillet 2008 portant création de la Commission Nationale des Droits de l'Homme de Côte d'Ivoire.

* 38 Voir loi n°04/99 du 12 mars 1999 portant création de la Commission Nationale des Droits de la Personne du Rwanda.

* 39 SUDRE (F.), Droit international et européen des droits de l'homme, op.cit., Paris, 2001, p.96.

* 40 Loi portant abrogation de l'article 53 et modifiant les articles 58, 59, 60 et 67 de la loi n° 64-375 du 7 octobre 1964 relative au mariage telle que modifiée par la loi n° 83-800 du 2 août 1983.

* 41GLOVER (D.), « Nouvelles dispositions législatives relatives à la loi sur le mariage en Côte d'ivoire : Mme Affoussiata BAMBA-LAMINE apporte des clarifications », http://www.notreheure.info/news/detail/26/1509, Consulté le 01/12/13 à 11h30. Voir également GRODA-BADA (M.), « Côte d'Ivoire : qu'est-ce qui change dans le code de la famille ? », http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20121204131651/. Consulté le 20/01/14 à 10h58.

* 42 L'article 58 nouveau de cette loi dispose que La famille est gérée conjointement par les époux dans l'intérêt du ménage et des enfants. Et alors que l'article 59 nouveau affirme que Les époux contribuent aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives, l'article 60 nouveau, lui, veut que Le domicile de la famille soit choisi d'un commun accord par les époux. Enfin, l'article 67 nouveau autorise chacun des époux à exercer la profession de son choix, à moins qu'il ne soit judiciairement établi que l'exercice de cette profession est contraire à l'intérêt de la famille.

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