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L'apport du droit de l'union européenne en droit des contrats internationaux de cloud computing

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par Yoann MUNARI
Université Jean Moulin Lyon 3 - Master 2 droit européen des affaires 2015
  

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CHAPITRE 2 - L'APPORT DU DROIT DE L'UNION EUROPEENNE EN DROIT DES CONTRATS INTERNATIONAUX DE CLOUD COMPUTING

L'inadaptation du droit actuel conduit à s'interroger sur l'apport potentiel du droit de l'Union européenne en droit des contrats de cloud computing. Les défauts décrits précédemment sont particulièrement liés à la diversité des droits nationaux et aux lacunes du droit européen. Le droit international privé qui coordonne actuellement l'application des droits nationaux ne paraît pas non plus suffisant. Dès 2001, le Parlement européen rapportait en ce sens que « le droit international privé a cessé d'être un instrument approprié pour un marché intérieur largement intégré »330(*). Dans ce contexte les objectifs de la Commission européenne, à savoir ceux de l'établissement du marché unique numérique et du développement de l'informatique en nuage, passeraient donc par un processus d'intégration normative. À l'insécurité juridique liée à la diversité et à la méconnaissance des droits nationaux des contrats de cloud devrait succéder un instrument juridique commun (Section 1). Une fois la confiance rétablie envers le droit applicable aux contrats, rien ne s'opposerait alors à la conclusion transfrontière de ces services. Néanmoins, nous étudierons que l'harmonisation comme l'unification des droits nationaux peut être sujette à des difficultés au sein de l'Union, notamment lorsqu'il est question du droit des contrats. Aussi, l'étude de la pratique actuelle démontrerait que si une alternative devrait être trouvée, la piste de nouvelles formes de normativités, notamment à travers les mécanismes de corégulation, mériterait particulièrement notre attention (Section 2).

SECTION 1 - L'APPORT POTENTIEL D'UN DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE DES CONTRATS INTERNATIONAUX DE CLOUD COMPUTING

Si la diversité des droits nationaux a pu être considérée comme un des défauts essentiels du droit actuellement applicable aux contrats internationaux de cloud, notre intérêt doit alors se tourner vers les instruments de gestion de cette diversité. Ayant déjà prouvé que le droit international privé, outil de coordination des ordres juridiques, ne convient pas à régir convenablement les contrats internationaux de cloud, ce sont les procédés permettant leur intégration qui retiendront désormais notre attention. En ce qui concerne le droit des contrats de cloud computing, la substitution de la diversité des droits nationaux par un droit européen unique apparaît particulièrement intéressante (§1), mais sa réalisation appelle l'expression de certains doutes (§2).

§ 1 - L'intérêt d'un droit européen des contrats de cloud computing

Les États membres de l'Union et la Commission disposent de plusieurs voies juridiques pour l'élaboration d'un droit européen des contrats de cloud computing. L'étude des principaux procédés de gestion de la diversité des droits nationaux par l'Union européenne (A) permet de mesurer l'opportunité du rapprochement de ces droits en matière de cloud computing (B).

A - La gestion de la diversité des droits nationaux par l'Union européenne

Conceptuellement, A. Jeammaud distingue trois méthodes de régulation de la pluralité des droits : l'harmonisation, l'uniformisation et l'unification. L'harmonisation conduit à l'équivalence des différentes règles de droit national entre elles, l'uniformisation consiste à ce que des règles formellement distinctes aient un contenu matériellement identique alors que l'unification vise à substituer un droit commun à la diversité des droits nationaux331(*). L'auteur souligne cependant qu'en pratique cette distinction est mise à mal par une « inconstance terminologique »332(*). Il prend notamment pour exemple UNIDROIT qui est l'institut pour l'unification du droit privé mais dont le statut organique prévoit en son premier article la mission d'« harmoniser et de coordonner le droit privé entre les États » et d'aboutir in fine à une « législation privée uniforme »333(*). Force est de constater que cette distinction trouve difficilement sens en pratique. Il semblerait au contraire qu'entre ces trois formes de rapprochement de législations, deux d'entre elles seulement soient consacrées par les politiques internationales : l'unification et l'harmonisation334(*). On ne peut qu'adhérer à ce constat tant il trouverait un écho dans les caractéristiques qui différencient les deux principaux actes de droit dérivés des institutions de l'Union européenne que sont les règlements et les directives. Même si le rapprochement entre les modalités de convergence des droits et la nature des actes de droit dérivé peut être intéressant d'un point de vue pédagogique, il est loin d'être systématique en pratique335(*). Si l'on confie généralement au règlement la vertu d'unifier les droits et à la directive de les harmoniser, il peut arriver qu'en pratique un règlement ait pour effet d'harmoniser les droits nationaux et qu'une directive les unifie336(*). Pour autant, dans un cas comme dans l'autre, le rapprochement des droits, notamment lorsqu'il est relatif aux contrats, favoriserait les échanges économiques sur le marché intérieur337(*). En ce sens, les articles 114 et 115 du TFUE portent un intérêt tout particulier au « rapprochement des dispositions législatives, règlementaires et administratives » dans le but de perfectionner le fonctionnement du marché intérieur. Aussi, la description liminaire des particularités des techniques d'unification (1) et d'harmonisation (2) devrait permettre de mesurer l'opportunité de leur éventuelle application au droit des contras de cloud computing.

1 - L'unification des droits nationaux

À première vue, l'unification des droits n'est pas connue du droit de l'Union. L'expression ne figure tout du moins pas explicitement dans les Traités européens. Comme on l'a déjà laissé entendre, cette technique est hostile à la diversité des droits en ce sens qu'elle a pour effet de la remplacer par une règle unique, en l'espèce une norme de source européenne. Parmi les actes juridiques que les institutions ont la capacité d'adopter, le règlement paraît l'outil le plus approprié pour opérer la substitution du droit européen aux droits nationaux. Le second alinéa de l'article 288 du TFUE dispose en ce sens que le règlement « est obligatoire dans tous ses éléments et [...] directement applicable dans tout État membre ». Cela n'est pas, en soi, une qualité exclusive du règlement puisque ça l'est aussi pour les dispositions des Traités produisant des effets directs. Aussi, la pratique prouve que la relation entre le droit communautaire et les droits nationaux peut être affectée de différentes manières par ces dispositions. En effet, soit le droit européen se substitue réellement aux droits nationaux, soit il coexiste avec eux. C'est par exemple, le cas du droit européen de la concurrence qui ne s'appliquera que pour les affectations du commerce entre États membres. Ainsi, si le territoire ou le marché d'un seul État membre est impacté, les droits nationaux de la concurrence trouveront à s'appliquer. Le règlement et les Traités ne sont pas non plus les seuls instruments européens menant à l'unification des droits. La Cour de Justice a elle-même pu considérer qu'une directive pouvait avoir pour effet d'uniformiser les droits nationaux dans un arrêt ENKA BV de 1977. Dans cette affaire était en cause l'effet direct de la directive de 1969 concernant l'harmonisation des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives au régime des entrepôts douaniers. Or, en dépit de l'intitulé de la directive qui visait l'harmonisation des droits, la Cour a clairement considéré qu'elle avait pour objectif d'« assurer une application uniforme du tarif douanier commun » et, dans ce cas, qu'« il peut s'avérer nécessaire de réaliser une identité rigoureuse [des dispositions] qui règlent le traitement à réserver aux marchandises importées dans la Communauté »338(*). Cela se remarque également en droit des contrats, L. Fin-Langer invoque à cet égard une « dérive vers l'unification »339(*). Elle cite à l'appui de ses prétentions l'influence de certaines directives sur les mentions obligatoires d'informations dans les offres de contrats, comme c'est le cas de l'article 3 de la directive relative aux voyages340(*) dont elle considère que « certes, l'État peut imposer des mentions supplémentaires, mais en réalité, tout est déjà prévu par la directive »341(*).

Finalement, peu importe l'acte qui permet l'uniformisation des droits nationaux par le droit européen. Aussi, l'unification des droits peut revêtir différentes caractéristiques. On distingue généralement son caractère impératif de son caractèresupplétif. D'une part, l'unification supplétive a pour vocation la création d'un instrument optionnel. Le droit ainsi créé ne se substituera aux droits nationaux que, lorsque dans une situation juridique internationale, il a volontairement été décidé de le rendre applicable. Appliqué aux relations contractuelles il s'agit alors pour les parties au contrat de choisir le droit européen supplétif et, en quelques sortes, de s'affranchir des autres droits nationaux potentiellement applicables selon les règles de droit international privé. Il est intéressant à cet égard de constater que le règlement Rome I tolèrerait la désignation d'un tel droit optionnel dans ses treizième et quatorzième considérants342(*). F. Viangalli considère que ces instruments supplétifs ont pour intérêt la possibilité de pallier à « l'effet paralysant de la diversité des lois sur le commerce interétatique »343(*) et qu'à cet égard notamment, ils constituent l'une des plus probables perspectives de développement du droit européen344(*). Le Comité économique et social européen porte également un certain intérêt à ce type d'instrument. Ainsi, dans un avis de 2011, le CES a pu considérer le régime optionnel comme « une option pour mieux légiférer au niveau communautaire »345(*). L'origine du plébiscite pour cette option se trouve principalement dans l'idée qu'elle pourrait s'appliquer indistinctement à tous les échanges transnationaux, par le simple choix des opérateurs économiques, tout en n'éludant pas pour autant les droits nationaux. Pour le CES le succès de cet instrument passe par un régime de protection élevée de la partie la plus faible, permettant de faire fi des lois de police nationales et réduisant les coûts ou l'insécurité juridique supplémentaire que cause la diversité des droits nationaux actuels. D'autre part, l'unification impérative suppose la création d'un instrument qui a vocation à remplacer les droits nationaux. Elle fait cependant l'objet de davantage de réticences, comme en témoignent les hostilités manifestées à l'encontre du projet de Code civil européen dont on craignait qu'il menace l'autonomie des États membres346(*). Pour toutes ces raisons la délimitation du champ d'application spatial suscite des enjeux particulièrement intéressants. En effet, deux situations semblent envisageables. La première consisterait à admettre l'application de tels instruments aux seules situations internationales, dans ce cas l'unification n'élude pas réellement l'intérêt pour les droits nationaux. En revanche une juste définition de l'élément d'extranéité permettant l'application du droit supplétif ou impératif doit être établie. Il est en effet nécessaire de déterminer les cas où le droit national devrait s'appliquer et ceux où l'instrument d'unification pourra l'être. La seconde situation viserait à permettre leur application à toutes les situations, même lorsqu'elles sont strictement nationales, ce qui consisterait à substituer littéralement le droit de l'Union aux droits nationaux.

Ainsi présentée, l'unification pourrait paraître difficilement réalisable, notamment si elle suppose l'anéantissement des droits nationaux. Or, cette technique n'est pas exclusive de la gestion de la diversité des droits. En ce sens, et face aux difficultés pratiques de l'unification des droits, J. Porta considère que l'harmonisation représente une alternative opportune347(*).

2 - L'harmonisation des droits nationaux

Contrairement à l'unification, les Traités fondateurs de l'Union européenne font directement référence à l'harmonisation des droits nationaux348(*). Comme il l'a déjà été mentionné, l'harmonisation est respectueuse de la diversité en ce sens qu'elle tolère l'existence des droits nationaux mais les influence en rapprochant leur contenu. Sur un même domaine, le droit de l'Union européenne et les droits nationaux coexistent. L'acte juridique de droit européen qui semble le plus approprié à l'harmonisation des droits nationaux serait donc la directive. L'article 288 alinéa 3 du TFUE dispose en ce sens que « la directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ». Une distinction entre la fin et les moyens est ainsi opérée. J. Porta écrit à ce sujet qu'en présence d'une directive, le droit national « se trouve privé de déterminer lui-même ses finalités »349(*). A contrario, le respect de la diversité des droits réside dans la marge d'appréciation laissée aux autorités nationales pour définir les moyens par lesquels ils transposeront les objectifs européens dans leur droit national. Il s'agit d'une technique respectueuse de l'autonomie des ordres juridiques nationaux. Ainsi, un objectif fixé par l'ordre juridique européen est atteint dans les ordres juridiques nationaux suivant des procédures et actes juridiques de nature qui leurs sont propres. Partant, il est possible de distinguer différents résultats d'harmonisation par voie de directives. Une directive est dite d'harmonisation totale lorsqu'elle se substitue à la loi nationale antérieure alors qu'elle sera dite optionnelle lorsque l'autorité nationale a la simple faculté d'opérer ou non cette modification. Lorsque l'harmonisation est totale, celle-ci peut avoir un caractère complet si elle concerne tout ou partie d'un domaine juridique ou partiel lorsqu'une partie du domaine juridique seulement est visée. On voit qu'au sein même de la technique d'harmonisation, différents degrés de tolérance de la diversité coexistent. D'ailleurs, l'harmonisation totale ne se rapproche-t-elle pas davantage de l'unification, en ce sens qu'elle a pour effet non pas le seul rapprochement des droits mais leur identité ?

Tout comme c'est le cas pour l'unification, ce n'est pas tant l'acte de droit que les effets qu'il produit sur les droits nationaux qui doit intéresser. Il est acquis que, politiquement, l'harmonisation est une méthode plus douce et diffuse de rapprochement des droits que celle de l'unification. Plus respectueuse de la souveraineté et des identités nationales des États, l'harmonisation n'oppose pas les ordres juridiques les uns aux autres et, pour cela, conviendrait davantage au rapprochement des droits des contrats350(*). En effet, comme on l'a déjà mentionné, aucun projet d'unification du droit des contrats au sein de l'Union européenne n'a encore abouti. Aussi, pour l'heure, les principales avancées en la matière ont été sectorielles et concernent principalement l'harmonisation des législations nationales en faveur des contrats conclus par voie électronique, et notamment dans l'objectif de protection des parties les plus faibles dont les consommateurs. Ainsi, les directives relatives aux clauses abusives351(*), aux produits défectueux352(*), aux contrats conclus à distance353(*) ou au commerce électronique s'inscrivent incontestablement dans cette tendance. Il est important dans ce contexte de souligner le rôle qu'a pu jouer la Cour de Justice de l'Union européenne dans le rapprochement de ces législations. Par exemple l'affaire Pannon GSM354(*) fut l'occasion pour la Cour de rappeler les juges nationaux à leur obligation « d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'[ils disposent] des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ». Cela traduit des avancées concrètes du droit de l'Union européenne en droit des contrats, même si celles-ci sont matériellement circonscrites à quelques types de contrats ou, le plus souvent, au bénéfice des parties faibles.

C'est ainsi que le rapprochement des législations nationales peut s'effectuer de différentes manières, toutes plus ou moins tolérantes de la diversité et des particularités des droits. L'unification, impérative ou supplétive, tout comme l'harmonisation, totale, complète ou partielle et optionnelle procèdent toutes à ce rapprochement. Plus concrètement il convient de s'intéresser à leur application au cloud computing et leur capacité à régler les défauts du droit actuel. La question se pose donc de l'opportunité du rapprochement des droits nationaux applicables aux contrats internationaux de cloud.

B - L'opportunité d'un rapprochement des législations en droit des contrats de cloud computing

Rappelons peut être qu'en 2012, la Commission considérait qu' « il sera peut-être nécessaire d'élaborer des clauses et conditions reposant sur un instrument de droit des contrats facultatif de façon à disposer de contrats clairs et équitables en matière de services en nuage ». À première vue, c'est donc vers la création d'un instrument optionnel spécialement dédié aux contrats de cloud que la Commission semble se projeter. Depuis 2012, la Commission a proposé plusieurs projets dont le dernier en date, concernant la fourniture de contenu numérique, intéresserait les activités de cloud. Néanmoins,ils n'ont qu'un intérêt limité pour notre objet d'étude puisqu'ils n'intéressent pas les contrats conclus entre professionnels (1). De ce fait, aucun projet d'unification d'un droit européen des contrats de cloud computing entre professionnels n'a encore été proposé, alors même qu'il pourrait être particulièrement opportun (2).

1 - L'intérêt limité des projets relatifs au droit des contrats de fourniture de contenu numérique

Par des initiatives sectorielles qui ne visent pas explicitement les contrats de cloud computing, l'Union européenne tente déjà de clarifier la question du droit qui y est applicable. En ce sens, le nouveau règlement relatif à la protection des données à caractère personnelest révélateurde l'adaptation aux nouveaux enjeux de la pratique dont le cloud est vecteur. Plus précisément la Commission a entendu proposer la formation d'un cadre juridique davantage adapté aux contrats de cloud computing à travers la notion de « contrats de fourniture de contenu numérique ». Cela aurait pu être le cas de la proposition de droit commun européen de la vente, aujourd'hui abandonnée et remplacée par deux projets dont celui d'une directive relative au droit des contrats de fourniture de contenu numérique.

Tout d'abord, le projet de règlement de droit commun européen de la vente355(*) aurait pu intéresser les contrats de cloud computing conclus entre professionnels. Ce règlement aurait du instaurer deux régimes juridiques : l'un facultatif et applicable au choix des parties356(*) pour les contrats transfrontières conclus entre professionnels357(*) ayant leurs résidences habituelles dans différents États, dont un au moins est membre de l'Union ; l'autre impératif et concernant les contrats conclus entre professionnels et consommateurs358(*). Ces contrats, au-delà de la vente, concernaient également ceux ayant pour objet la fourniture d'un contenu numérique ou d'un service connexe359(*). Le contenu numérique étant défini à l'article 2. j) comme : « des données produites et fournies sous forme numérique [...] notamment les vidéos, enregistrements audio, images ou contenus numériques écrits, les jeux numériques, les logiciels, et les contenus numériques qui permettent de personnaliser des équipements informatiques ou des logiciels existants », il pouvait donc inclure certaines activités de cloud, mais seulement pour les contenus numériques fournis par le vendeur. En ce qui nous concerne, rappelons qu'il n'avait donc pas pour vocation de comprendre les contrats ayant pour objet l'externalisation de services informatiques d'entreprises, ni même certains services applicatifs comme les services de messagerie électronique360(*). J.Sénéchal dénonçait en ce sens les lacunes de ce règlement361(*). D'ailleurs, les considérants ne donnaient comme exemple concret de « contenu numérique » que le téléchargement de musique362(*),manifestant donc un intérêt privilégié pour les services à destination des consommateurs.Néanmoins, si le projet initial de la Commission ne visait pas explicitement l'informatique en nuage, le Parlement européen a entendu y faire explicitement référence en amendant ainsi le considérant n°17 bis :

« L'informatique en nuage se développe rapidement et recèle un grand potentiel de croissance. [...] Ces règles devraient pouvoir s'appliquer également lorsque les contenus numériques ou les services connexes sont fournis en utilisant le nuage, en particulier lorsque les contenus numériques peuvent être téléchargés depuis le nuage du vendeur ou stockés temporairement sur le nuage du fournisseur. [Am. 8] »363(*) .

En réalité, ce projet visait plus précisément les contrats conclus entre professionnels dont l'un d'eux était une PME, c'est-à-dire une entreprise qui n'emploie pas plus de 250 personnes et dont le chiffre d'affaire annuel ne dépasse pas 50 millions d'euros. Ce règlement devait unifier le droit des contrats en prévoyant par exemple des obligations précontractuelles d'information entre professionnels, en posant les conditions de formation des contrats364(*) ou des vices de consentement365(*) et allait jusqu'à poser un cadre juridique pour les clauses contractuelles abusives dans les contrats entre professionnels dans son article 86. Or, depuis mars 2014 le Conseil de l'Union n'a encore adopté aucune position en première lecture de ce texte, à l'inverse la Commission semble avoir prévu d'autres projets touchant au droit des contrats et tendant àla spécialisation de la matière. Ce courant semble particulièrement intéressant en matière de cloud.

C'est donc, ensuite, par une proposition de directive que les contrats de fourniture de contenu numérique ont été abordés par l'Union européenne. À l'approche « optionnelle » du droit commun de la vente succède une approche privilégiant l'harmonisation complète de règles précises. Ce projet concernerait davantage le cloud computing. En effet, la directive définit le contenu numérique tant par des données, quelque soit leur format, que par les services permettant leur conservation, traitement, création ou partage366(*). D'ailleurs, l'exposé des motifs de la directive mentionne à deux reprises que « le contenu numérique couvre une large gamme de produits, comme [...]les applications, [...] les services de stockage en nuage »367(*). Cela dit, l'intérêt de ce projet est tout relatif pour ce qui concerne notre champ d'étude puisqu'il exclut explicitement de son d'application les contrats de cloud conclus entre professionnels. En effet, l'article 1er de la directive dispose que seuls sont concernés les contrats pour lesquels « un fournisseur fournit un contenu numérique au consommateur »368(*). Une autre limite à l'intérêt de cette proposition de directive réside dans le fait que, contrairement au projet de droit commun européen de la vente, elle exclut de son champ d'application les questions de droit des contrats relatives à la formation, la validité, les effets et les conséquences des éventuelles résiliations369(*). En effet, l'essentiel des dispositions impose certaines obligations et responsabilités du fournisseur à l'égard du consommateur. Pour ces raisons le projet de directive concernant certains aspects des contrats de fourniture de contenu numérique n'a que peu d'intérêt pour ce qui concerne les contrats internationaux de cloud conclus entre professionnels, et ne réduit que partiellement les effets de la diversité des droits nationaux.

C'est ainsi que depuis maintenant cinq ans, tous les projets concernant de loin ou de près le droit des contrats relatif aux transactions transfrontières de services de cloud ont, soit échoué, soit ne concernaient que la protection des consommateurs. Aussi, les projets actuellement soumis au Parlement européen et au Conseil de l'Union ne favoriseront que les prestations intracommunautaires de service de cloud à destination des consommateurs. Pour autant, dans l'objectif d'instaurer les conditions juridiques les plus profitables aux opérateurs économiques dans leurs recours aux services de cloud dans le cadre de leurs activités professionnelles, la création d'un instrument de droit privé unifié demeure particulièrement opportune.

2 - L'opportunité d'une unification supplétive du droit des contrats de cloud computing

L'idée d'une unification supplétive du droit des contrats de cloud computing avancée par la Commission en 2012 conserve tout son intérêt dans l'objectif d'achèvement du marché unique numérique. Rappelons que cette méthode est, d'un point de vue général, relativement prometteuse en ce qui concerne le droit des contrats en Europe. En particulier, le droit de l'Union européenne paraîtrait d'autant plus légitime en intervenant en matière de droit des contrats de cloud par l'unification supplétive, notamment en vue de protéger les parties les plus faibles.

Tout d'abord, l'idée d'un instrument optionnel semble particulièrement adaptée aux enjeux européens du droit des contrats. Cette piste était déjà invoquée à l'appui de projets relatifs au droit européen des contrats par la Commission européenne. Cette dernière l'invoquait en 2001370(*) et davantage encore dans son livre vert de 2010371(*). En effet, la quatrième option du livre vert proposait la création d'un règlement instituant un instrument facultatif de droit européen des contrats. L'apport de cet instrument serait particulièrement adapté aux besoins du marché intérieur. La Commission mentionne à cet égard que ces règles bénéficieraient particulièrement à « l'utilisateur moyen » et devraient être particulièrement claires afin de garantir toute la sécurité juridique nécessaire à ses activités transnationales. Aussi, cet instrument facultatif n'altèrerait pas la diversité des droits nationaux mais se superposerait à eux, pouvant s'appliquer soit aux seules situations transnationales, soit également aux situations purement nationales. La Commission mentionne également le fait que, contrairement à la pratique actuelle, les juristes et magistrats appliquant l'instrument facultatif seraient ainsi dispensés d'éventuelles études des droits étrangers que les règles de conflit de lois actuelles désignent. C'est enfin du côté des principes de subsidiarité et de proportionnalité, principes clés de l'attribution des compétences de l'Union européenne, que ce type d'instrument trouve son intérêt. Le principe de subsidiarité sous-entend que l'action de l'Union européenne ne peut se justifier qu'à condition que les États membres ne puissent pas apporter une réponse jugée satisfaisante et qu'à l'inverse l'action de l'Union s'avère manifestement plus efficace. Pour respecter le principe de proportionnalité il faudra en revanche que l'action de l'Union ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs visés. Ainsi, appliquée au droit des contrats, la condition du respect de la subsidiarité serait remplie puisque la création d'un droit commun est manifestement plus adaptée à régir une situation juridique transnationale que les 28 droits nationaux préexistant. Aussi, du fait de son caractère facultatif, respectueux de la diversité des droits nationaux et de leurs normes impératives, on ne saurait qualifier l'instrument de droit européen de disproportionné à l'objectif visé de facilitation des échanges transfrontières. De toute manière, le succès d'un tel instrument se mesurera probablement par l'usage qui en sera fait suivant la désignation du droit applicable par les parties au contrat. Néanmoins, et puisque la diversité des droits nationaux n'a pas le même effet sur tous les acteurs du commerce européen, un tel instrument serait plus légitime à s'appliquer davantage aux consommateurs et PME qui sont les parties les plus affectées par la diversité des droits. C'était d'ailleurs la position de la Commission dans le projet de règlement de droit commun européen de la vente où elle considérait que « les contrats conclus entre des particuliers et ceux conclus entre des professionnels dont aucun n'est une PME ne sont pas inclus, aucun besoin d'action pour ces types de contrats transfrontières n'ayant été constateì »372(*). Au contraire les PME, dans leur recours aux services de cloud, tout comme les PME qui sont prestataires de services de cloud, trouveraient un réel avantage au type d'instrument optionnel dans leurs activités. Ainsi, qu'elles souhaitent prester leurs services à l'étranger ou qu'elles souhaitent souscrire à un service de cloud offert par un opérateur étranger, les PME n'auraient pas à craindre l'application d'un droit national qui leur est étranger373(*). Pour toutes ces raisons, les instruments optionnels sont qualifiés en doctrine de « smart regulation »374(*) et retiennent l'intérêt des institutions dans une perspective d'amélioration du processus législatif européen. En ce sens, l'unification supplétive semblerait tout autant légitime dans son application aux contrats de service de cloudnotamment si elle passait par la protection des PME y souscrivant.

C'est donc l'apport d'un tel instrument applicable aux contrats de cloud qui doit ensuite retenir notre attention. Rappelons qu'actuellement les professionnels désireux de souscrire à des services de cloud computing sont soumis à bon nombre de contraintes qui pourraient les en dissuader. Parmi celles-ci figurent surtout le fait que la sécurité du système ne leur est pas toujours garantie par les contrats et que, si l'opérateur est étranger, c'est probablement son droit d'origine qui trouvera à s'appliquer. En la matière un instrument optionnel n'aurait donc d'intérêt que s'il était particulièrement protecteur des parties les plus faibles, à l'instar de ce qui était prévu pour les PME dans le projet de droit commun de la vente. Dans ce cas alors, la seule référence dans le contrat à un tel instrument juridique pourrait être un gage, pour les utilisateurs professionnels, de la prévisibilité juridique nécessaire pour contracter des solutions cloud avec des opérateurs étrangers. Celui-ci devrait alors surtout, unifier les obligations à la charge du prestataire de cloud, soit en lui imposant un certain résultat quant à la sécurité de l'information, soit en lui imposant le respect de certains procédés jugés nécessaires pour y parvenir. Tout l'enjeu d'un tel instrument pour les institutions européennes est de trouver le juste équilibre entre la protection des utilisateurs nécessaire à rétablir leur confiance dans ces services et la liberté des fournisseurs dans leurs offres de services, nécessaire à l'innovation et la compétitivité des opérateurs sur le marché européen. En effet, à l'inverse, garantir un niveau de service particulièrement élevé aux utilisateurs aura pour effet néfaste, d'une part, de décourager les initiatives des prestataires et, d'autre part, d'augmenter le coût des prestations. Dans l'état du droit actuel, l'échec des projets relatifs à la création d'un droit européen des contrats ou de la plus récente proposition de droit commun européen de la vente pourrait entretenir des doutes quant à la réalisation d'un droit commun des contrats de cloud. Au contraire, face aux difficultés classiques altérant l'unification du droit des contrats en général, on pressent la volonté, au niveau européen, de s'intéresser davantage à certains types de contrats manifestant un intérêt particulier pour les échanges intracommunautaires. C'est par exemple la position unanime des cinq groupes de réflexion sur le livre vert relatif au droit européen des contrats du réseau Trans Europe experts qui portent leurs faveurs à « un ou plusieurs instruments spéciaux »375(*). Appliqué au cloud computing et au commerce électronique plus généralement, l'européanisation du droit semble d'autant plus légitimée par la volonté d'apporter une solution internationale à des phénomènes eux-mêmes internationaux. Aussi, à l'inverse, il est possible d'avancer que les contrats de cloud, par leurs spécificités, ne pourraient être convenablement régis par un instrument général concernant le droit des contrats. En effet, l'intérêt d'une intervention européenne en la matière réside tant dans le droit des contrats, en général, que dans le droit matériel spécialement applicable aux activités de cloud. Or, l'émergence d'un droit des contrats spéciaux de cloud suffirait à concilier ces deux aspects, alors qu'un instrument général ne le permettrait pas. Ainsi, ce sont surtout les obligations incombant à chacune des parties dans les contrats de cloud qui devront être clarifiées, et plus particulièrement sur des éléments clés de ces contrats tels que la question de réversibilité des données, la flexibilité, l'interopérabilité et la sécurité du service. Enfin, la crédibilité d'une telle action en droit spécial de contrats de cloud serait renforcée par le fait que, pour l'instant, aucun droit national des contrats de cloud n'a encore été développé. À l'inverse, une attente trop importante des institutions européennes pourrait voir tout projet européen concurrencé directement par le développement des droits nationaux. En ce sens par exemple, le législateur français est en passe d'y procéder en ce qui concerne les services de cloud à destination des consommateurs. En effet, le projet de loi pour une République numérique prévoit actuellement une section intitulée « portabilité et récupération des données » et un article 20 qui dispose de l'obligation pour les fournisseurs de services de stockage de données en ligne de garantir la réversibilité des données aux utilisateurs consommateurs, à défaut de quoi les prestataires défaillants seraient sujets à une amende d'un montant de 15 000 €.

C'est ainsi que la perspective d'un rapprochement des législations européennes en matière de contrats de cloud computing pourrait être légitime, notamment en faveur des PME utilisatrices des services de cloud. Cependant, le fait que la Commission n'ait pas encore avancé de proposition concrète en la matière doit attirer notre attention sur certaines limites affectant l'unification du droit des contrats de cloud computing.

§ 2 - Les limites à l'unification européenne du droit des contrats de cloud computing

L'unification du droit des contrats de cloud par le droit de l'Union européenne est confrontée en pratique à de nombreuses limites. Celles-ci concernent généralement l'unification du droit européen des contrats en elle-même (A) mais d'autres sont propres aux contrats de cloud computing (B).

A - Les limites inhérentes à l'unification européenne du droit des contrats

On oppose plusieurs limites à l'unification européenne du droit des contrats qui, en pratique, se confirment dans les échecs successifs des projets les plus ambitieux tenant au droit des contrats en droit de l'Union européenne. Nous proposons de distinguer ici les obstacles inhérents à l'unification des droits (1) des limites liées à la spécificité du droit des contrats (2).

1 - Les limites inhérentes à l'unification des droits

L'unification des droits se voit généralement opposer des limites pratiques et politiques. C'est également l'opportunité du caractère optionnel des instruments procédant à l'unification qui pourrait, en soi, être contestée.

D'une part, parmi les limites pratiques, il est possible de distinguer le coût d'autres difficultés, linguistiques ou d'interprétation, dont l'unification fait l'objet. Tout d'abord, en ce qui concerne le coût du rapprochement des droits, celui-ci est évidemment lié aux travaux menant à l'élaboration de l'instrument mais surtout à ceux tenant à la formation des juristes nationaux et l'adaptation des cadres juridiques préexistants376(*). En ce sens, les projets d'unification du droit des contrats ont pu être critiqués en opposant à la Commission européenne de s'être longuement employée à défendre les économies que les opérateurs économiques tireraient d'un tel projet, sans jamais en évoquer le coût377(*).Ensuite, 24 languessont officiellement employées parmi les 28 États membres de l'Union. Or cette diversité est particulièrement mal adaptée à l'unification du droit. La question se pose alors de savoir si la réduction de la diversité des droits peut concorder avec le maintien de la diversité des langues. Une première réponse peut être apportée en ce que l'anglais a, seul, été utilisé pour la conception du Cadre commun de référence de droit des contrats. À cela H. Claret rappelle que la langue privilégiée par les institutions européennes dans leurs travaux préparatoires est l'anglais et que cela se vérifie par des « malfaçons » de certaines versions françaises des actes finaux378(*). Or, la traduction des principaux actes européens dans les langues nationales est encore une obligation et reste également nécessaire à l'application du droit européen dans les États membres. Dans ce contexte, la diversité linguistique en Europe complique davantage la tâche de l'unification. Hormis le coût et la lenteur que l'on peut imputer à la traduction, des difficultés juridiques peuvent également naître des interprétations. Dans cet esprit, S. Glanert dénonce généralement la qualité des traductions et considère à cet égard que les études juridiques actuelles laissent trop peu de place aux autres disciplines que sont « la linguistique, la traductologie ou la philosophie »379(*) alors que, pourtant, leur pertinence en dépend. En ce sens, faisant référence à J. Derrida et M.Heidegger, elle rappelle que derrière la traduction se cache en réalité une appropriation : « un transfert ou un déplacement de sens »380(*). Ainsi, la traduction juridique d'un acte de droit unifié rétablirait, de fait, une diversité de sens et d'interprétation qui ressortira peut être de la pratique ou des décisions de justices nationales. À cet égard la question s'est posée de savoir si les différences d'interprétations d'un droit unifié ne rétabliront pas, de fait, la pluralité des droits que l'on a souhaité atténuer. La réponse a pu être affirmative dans les cas où aucune juridiction internationale n'a pas la compétence de régler les difficultés d'interprétation du droit uniforme. En pratique, P.Lagarde rapporte que les juges ont pu avoir recours aux méthodes de conflit de lois pour coordonner les interprétations divergentes d'une convention internationale qui devait pourtant unifier le droit matériel applicable381(*). L'auteur prend pour principal exemple l'arrêt « Hocke » de la Cour de cassation française382(*) dans laquelle les juges se référèrent à la loi allemande pour régler une divergence d'interprétation de la Convention portant loi uniforme sur les lettres de change et billets à ordre qui était applicable. Cette pratique ne fait pas office d'exception, l'auteur l'identifie également dans la jurisprudence des juges allemands, italiens et belges383(*). Mais le droit de l'Union n'est a priori pas concerné par cette limite. Les décisions de la Cour de Justice de l'Union ayant autorité de chose interprétée et la Cour ayant compétence pour guider l'interprétation des actes de l'Union, sa jurisprudence ordonnera ainsi toute interprétation d'un acte européen de droit unifié. C'est ainsi que les principales limites relatives à la disparité des langues européennes résident dans le coût et la lenteur que le processus de traduction cause inéluctablement.

D'autre part, les limites à l'unification sont également politiques. Rappelons que du Traité de Paix de Westphalie signé en 1648 résultait que chaque État serait souverain et l'égal l'un de l'autre au sein de la société internationale. L'État est donc seul souverain dans la production du droit applicable sur son territoire. En revanche, les deux premières guerres mondiales de la première moitié du XXème siècle ont marqué le passage d'une société dite de coexistence à une autre, dite de coopération entre États. La coopération s'est traduite par l'émergence et le développement d'organisations internationales. À cet égard l'Union européenne est topique. En tant qu'organisation internationale d'intégration, l'Union dispose de compétences exclusives et ses institutions sont dotées, dans ce cadre, d'une certaine capacité normative. Néanmoins, malgré ces qualités et la particularité de la nature juridique de l'Union européenne, il n'empêche que celle-ci demeure une organisation internationale et qu'elle soit, à ce titre, soumise aux principes et procédures classiques des relations internationales. Le réalisme impose d'admettre que l'Union ne tire ses compétences que des États membres qui, par les Traités fondateurs, ont consentis à en faire un exercice partagé. À cet égard l'unification des droits est symbolique en ce sens qu'elle a pour condition préalable le concourt de volonté des États membres. Si elle est donc possible quand les États qui y participent sont animés d'un dessein commun, l'unification peut tout autant être mise à mal si l'un d'entre eux s'y refuse. À cela on pourrait opposer que les modalités de vote à la majorité qualifiée auraient du annihiler le caractère interétatique du processus législatif de l'Union européenne. Cela dit, il s'avère qu'en pratique la majorité qualifiée prévue au sein du Conseil laisse place au consensus entre ses membres384(*). J-P Jacqué écrit d'ailleurs à cet égard que « les discussions au Conseil visent aÌ rechercher un consensus » et que « si, aÌ l'origine, l'exigence de l'unanimité ne laissait pas d'autre choix, le passage aÌ la majorité dans un très grand nombre de cas n'a pas sensiblement modifieì la pratique »385(*). Cela est d'autant plus vrai en matière de rapprochement des droits nationaux. En effet, les articles 115 et 352 du TFUE prévoient tous deux l'unanimité du Conseil en vue du rapprochement des législations entre États membres. Aussi, comme nous le démontrerons plus loin, la complexité et la particularité du droit des contrats serait également facteur de blocage politique, au point que l'unanimité, et a minima un consensus, soient difficiles à trouver entre les États membres.

Enfin, même si l'instrument a un caractère optionnel, celui-ci serait également sujet à critiques. Tout d'abord, il n'écarterait pas l'application des règles nationales impératives386(*), ce qui en complexifierait l'application alors même que l'avantage escompté initialement consistait à donner plus de prévisibilité aux opérateurs économiques en clarifiant le droit applicable et écartant les interférences des droits nationaux. Ensuite, la question de la base juridique poserait également problème. Un Groupe du réseau Trans Europe experts rappelle en ce sens que les articles 114 et 115 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne mentionnent tous deux le « rapprochement » des droits nationaux. Or, un instrument uniforme supplétif n'a pas pour effet de modifier et rapprocher les droits nationaux. La base juridique la plus pertinente à leur égard serait donc plutôt la clause de l'article 352 du TFUE. Or, les projets présentés par la Commission demeurent sourds à cet égard, la proposition de droit commun européen de la vente qui devait instaurer un régime optionnel pour les contrats entre professionnels se fondait d'ailleurs sur l'article 114 du TFUE.

C'est ainsi qu'en soi, l'unification des droits nationaux fait face à de nombreuses difficultés qui ne seraient qu'exacerbées pour ce qui concerne le droit des contrats.

2 - Les particularités du droit des contrats

Le droit est généralement perçu comme un produit social en ce sens qu'il est intimement lié à la société qu'il régit387(*). Lors d'une audition au Conseil économique social et environnemental français, le professeur Grimaldi rapportait en ce sens que : « de la même manière que l'on a du mal aÌ extirper d'un peuple sa langue, on a du mal aÌ extirper d'un peuple son droit »388(*). Ce lien entre l'identité d'un peuple et le droit qui en régit les rapports sociaux serait d'autant plus prégnant en ce qui concerne le droit des contrats. Ainsi, relativement à l'unification du droit des contrats, G. Cornu rappelait qu'il n'y a « aucun rapport entre une unité lentement, longuement secrétée par un peuple et, tombant un jour de l'extérieur, une unification décrétée »389(*). Aussi, le bijuridisme du Canada est particulièrement pertinent pour témoigner de l'aspect identitaire du droit des contrats. Après la conquête de la Nouvelle-France par la Grande-Bretagne, la proclamation royale de 1763 substituait le droit anglais à l'application de la Coutume de Paris. Un tel changement, sur un territoire peuplé en très grande majorité de colons français a donné lieu à des tensions sociales. Or, pour le maintien de la paix, le Gouverneur Carleton fit le choix, par l'acte de Québec de 1774, de restaurer l'application du droit romano-civiliste au Québec. Fondateur du « contrat social » canadien, ce fait explique encore aujourd'hui qu'après la séparation entre le haut et le bas Canada en 1791, l'acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 confère désormais aux provinces canadiennes, par son article 92, la compétence pour légiférer en matière de propriété et de droits civils390(*). Aujourd'hui encore coexistent au Canada, le code civil du Québec et la Common law. C'est donc peut-être au Québec que le « rôle de symbole identitaire du droit civil»391(*) se perçoit davantage. Appliqué à l'Europe, ce raisonnement fait particulièrement sens. En effet, à en croire la classification réalisée dans les travaux comparatifs de la Commission à propos des contrats de cloud computing, celle-ci distingue 6 traditions juridiques coexistant entre les États membres de l'Union. Il s'agirait de la Common law, du droit de tradition germanique ou civiliste, du droit nordique, du droit romain et du droit d'Europe de l'Est392(*). Or, chacun de ces droits se rattacherait à une unité économique, sociale et culturelle donnée. Cela n'a rien d'étonnant pour un continent ayant connu l'émergence des États-nations. Les liens unissant la culture et l'histoire de l'Europe ont en effet été largement mise à mal par la création, dans chacun des États européens d'une identité nationale qui leur est propre, et qui fondent alors leurs distinctions les uns des autres393(*). Dans la lignée d'E. Renan qui distinguait deux éléments constitutifs d'un nation, à savoir « un plébiscite de tous les jours » et « un riche legs de souvenirs », A.-M. Thiesse entend décrire la création, durant le XVIIIème siècle, des identités nationales en Europe. Pour cela, elle distingue huit éléments constitutifs de « l'âmenationale » et en décrit l'émergence dans les sociétés européennes394(*). Mais elle ne désigne pas directement comme tel, le lien entre une nation et son droit. À cet égard pourtant, il ne faudrait pas minimiser l'influence de l'unification du droit des contrats, et plus généralement du droit privé, sur la création de ces identités nationales. D'ailleurs, l'unité de la Nation française n'a-t-elle pas été considérablement consolidée par la codification napoléonienne de 1804 qui, de ce fait, mit un terme à quelques 700 coutumes locales qui divisaient la France395(*) ? Le lien entre l'unification des droits et l'unification politique semble ainsi posé et, dans ce cadre, les difficultés qui affectent l'unification politique sont autant de difficultés pouvant affecter l'unification des droits. Dans ses réponses au livre vert de la Commission sur le droit européen des contrats, le réseau Trans Europe experts regrette d'ailleurs que cette dernière n'ait avancé, au soutien de son projet, que des arguments économiques, masquant par la même occasion « la volonté des européens d'appartenir à une même communauté »396(*). Dans cet esprit toujours, J.Sénéchal rappelle la difficulté politique qui s'oppose à la création, ex nihilo, d'un droit supranational des contrats397(*). Aussi, une autre difficulté réside dans le fait qu'à ces divergences de traditions juridiques s'ajoute un facteur d'influence politique qui n'est pas à minorer dans la réalisation d'une unification. Il s'agit tout simplement du risque d'influence d'un droit sur l'autre lorsque, par l'unification, un choix est opéré. Rappelons à ce titre que sur la scène internationale, le droit continental et la common law, sont proies à une certaine compétition. À l'intelligibilité et la prévisibilité du droit continental s'opposerait le caractère libéral et anglophone de la common law398(*). Dans ce contexte par exemple, la concurrence entre les systèmes juridiques a pu se mesurer dans les rapports Doing Business de la Banque Mondiale. En effet, ceux-là sont inspirés du courant de sciences économiques « Theory of legal origins » d'après lequel la tradition juridique des États influencerait la régulation de l'économie et quiperçoit la common law comme globalement favorable au commerce399(*). Cela a d'ailleurs conduit l'association Henri Capitant à critiquer vivement la méthode de réalisation des rapports de la Banque mondiale et, partant, de mettre en exergue les nombreux atouts de la tradition civiliste française400(*). Dans cette guerre d'influence, l'on a pu considérer que le droit français avait, à travers la francophonie, une carte particulière à jouer. J. Attali a d'ailleurs pu conseiller au Président de la République française de « créer une union juridique francophone » en promouvant le droit continental et diffusant les normes françaises401(*), vantant notamment les qualités des contrats synthétiques de droit continental contre les longs, complexes et onéreux contrats de common law. Or, de telles positions juridiques traduisent l'opposition d'intérêts politiques nationaux et semblent difficilement conciliables avec la conception d'un droit européen des contrats unifié.

C'est ainsi qu'à l'unification des droits, et particulièrement du droit des contrats, s'opposent nombre de difficultés pratiques et politiques en altérant la réalisation. Dans ce contexte il peut être pertinent d'identifier les limites qui s'opposent particulièrement à l'unification du droit des contrats de cloud computing.

B - Les limites d'une unification européenne du droit des contrats de cloud computing

En plus des limites précitées, l'idée d'une unification européenne du droit des contrats de cloud se heurte à des difficultés qui lui sont propres (1). Ce sont enfin les défauts propres au droit de l'Union européenne qui questionnent l'opportunité d'un rapprochement des législations en matière de contrats de cloud computing (2).

1 - Les limites de l'unification juridique inhérentes à la nature du cloud computing

Le cloud computing revêt des qualités qui, comme on l'a déjà mentionné au préalable, rendent son appréhension par le droit complexe. Aborder cette problématique par le prisme du droit européen et de l'unification peut, certes, résoudre les difficultés liées à la nature transnationale de ces services et à la diversité des droits applicables au contrat de cloud computing mais cela ne permet pas d'écarter du débat les limites liées au caractère protéiforme et évolutif du cloud computing, ni de la grande diversité de données qui peuvent faire l'objet d'un traitement par des services de cloud computing. Effectivement, le cloud computing peut être le vecteur d'une multitude de prestations différentes, ce qui en fait un objet difficilement saisissable juridiquement. Rappelons peut-être ici qu'entre le contrat d'externalisation de service, de stockage de données, de fourniture d'applications hébergées qui permettent l'utilisation de messageries ou d'application de gestion, tout comme entre les contrats de cloud « SaaS », « PaaS » et « IaaS », nombre de différences existent. Ces différences touchent particulièrement à la nature des obligations qui incomberont à chacune des parties. Ainsi, les attentes et les risques d'un client ne sont assurément pas les mêmes lorsqu'il opte pour l'utilisation d'un logiciel professionnel de gestion accessible sur le cloud que quand il souscrit à l'externalisation de la totalité de ses ressources informatiques sur l'infrastructure d'un prestataire. Les difficultés rencontrées en droit français pour appliquer les concepts contractuels préexistants à ces formes de services en témoignent. La flexibilité du cloud et sa capacité d'adaptation aux besoins du client, participent également à cette impression en rendant la révision des contrats de cloud essentielle à la fourniture du service. Aussi, au sein même de chacune de ces catégories, le niveau de service fourni peut être d'une infinie variété, et un même contrat pourrait très bien donner lieu à la prestation de plusieurs services. Cette caractéristique est assurément accentuée par l'internet. En ce sens, à propos de la fourniture de contenus numériques (« digital content ») M. Loos prends l'exemple d'un utilisateur lambda souhaitant souscrire à un service lui donnant accès à des jeux en ligne pour lequel il souscrit un abonnement mensuel. L'auteur recense par cela la souscription de l'utilisateur à trois transactions de natures différentes que sont la fourniture du logiciel d'installation, l'accès au compte du joueur et l'abonnement mensuel au contenu en ligne. Le contrat ainsi conclu serait un contrat complexe recouvrant à la fois la vente d'un logiciel que l'utilisateur installera sur son ordinateur personnel, l'accès à un compte personnel d'utilisateur en ligne et la fourniture à distance d'un contenu numérique. Ainsi, tant la vente du logiciel que la prestation de service d'accès au contenu numérique sont les prestations caractéristiques du contrat, puisque les deux sont nécessaires pour que l'utilisateur puisse jouer en ligne402(*). Par ailleurs, ce contrat pourrait être caractérisé de contrat de cloud en ce sens qu'il revêt ses principales caractéristiques, à savoir un accès sur demande, par internet, à un outil informatique distant de l'utilisateur mais mis à sa disposition par un prestataire. Cet exemple prouve que, repoussant le champ des possibles, la technique informatique participe à la complexification des relations contractuelles et rend la tâche du juriste particulièrement complexe. En ce sens, prévoir un instrument juridiquesuppose préalablement d'appréhender clairement les contours des services de cloud. À défaut, le droit unifié soufrerait d'incomplétude et ne règlementerait qu'une partie des activités de cloud, laissant aux droits nationaux le soin de régir tous les autres. Aussi, quand bien même il ait vocation à saisir l'ensemble des usages actuels du cloud, le droit unifié se verrait probablement aussitôt dépassé par les pratiques que le progrès technologique rendra possible. Or, à cet égard, la complexité et la lenteur des procédures législatives européennes ne permettront certainement pas la prompte adaptation du droit. De plus, même si l'on se réfère à une seule forme de service comme celle du stockage de données, là encore, l'unité apparente du service cache une grande diversité de données qui peuvent y être stockées. Légiférer sur le droit matériel applicable aux contrats de cloud suppose au préalable de définir des standards de protection des données incombant aux prestataires. Dans ce cas se pose la question de savoir si toutes les données méritent un même niveau de protection et, si la réponse est négative, comment définir le standard propre à chacune d'entre elles ? Cela supposerait également au préalable une reconnaissance juridique des données d'entreprises, à l'instar, peut-être, de ce qui a été fait pour les données à caractère personnel. Sur ce point les opérateurs et les clients professionnels se sont, en pratique, accommodés de leur liberté contractuelle en s'accordant, au cas par cas, quant au niveau de service presté. Celui-ci est défini par les « Service Level Agreements » joints aux contrats de cloud et propres à chaque relation contractuelle. L'idée persiste donc que, pour les professionnels, ceux-là sont à même de définir le niveau de protection devant incomber à leurs données.

Il s'avère donc particulièrement compliqué de réguler juridiquement les contrats de service de cloud computingdans leur ensemble. Aussi, toute tentative d'unification du droit en la matière serait sujette à des défauts. Ceux-là nous conduisent à douter de la pertinence et de la réalisation de l'unification des droits relatifs aux contrats de cloud.

2 - Les défauts d'un éventuel instrument de droit des contrats de cloud computing

Alors que l'on avance des arguments économiques à l'appui de l'unification des droits, l'instrument qui y procèderait s'expose intrinsèquement à deux types de défauts juridiques : son caractère lacunaire, dans le sens d' « incomplet », et une critique de la méthode comparative employée par la Commission européenne.

D'une part, il est possible d'avancer l'idée selon laquelle une unification du droit des contrats de cloud ne permettrait pas efficacement de réduire la diversité des droits nationaux, car il serait nécessairement incomplet. En effet, toutes les matières non réglées par le droit de l'Union seront soumises aux droits nationaux dont la désignation sera encore établie par des règles de droit international privé. Cela n'est pas rare en droit européen. Au contraire, Viangalli qualifie d'ailleurs le renvoi à un droit national comme un « remède ultime à l'incomplétude » du droit de l'Union européenne403(*). En ce sens, la directive de 1990 harmonisant la protection des consommateurs de forfait de voyages faisait par exemple un renvoi explicite au droit national. Son article 4 paragraphe 6 détermine l'indemnisation du consommateur en cas modification du voyage par l'organisateur qui fait face à des événements imprévus, « selon ce que prescrit la législation de l'État membre concerné ». La proposition de droit commun européen de la vente se voulait ambitieuse en concernant toute la matière contractuelle, de l'information précontractuelle en passant par les conditions de formation du contrat à sa résiliation. Or, ce n'est plus le cas des directives d'harmonisation lui succédant. En ce sens, la proposition de directive concernant les contrats de fourniture de contenu numérique disposent explicitement à l'article 3 paragraphe 9 qu'elles n'ont « pas d'incidence sur les dispositions générales du droit des contrats prévues au niveau national, notamment les règles relatives aÌ la formation, aÌ la validité et aux effets des contrats, y compris les conséquences de la résiliation d'un contrat ». N'est-ce pas là un signe de blocage institutionnel à l'unification des éléments les plus sensibles du droit commun des contrats ? Il est vrai que certains pans du droit des contrats s'avèrent particulièrement difficiles à unifier. Il en va par exemple de la sorte pour les règles tenant à la formation du contrat et qui font l'objet de particularismes nationaux à l'instar de la cause404(*) française et de la consideration405(*) de common law. À ce titre, l'argument principal à l'unification des droits nationaux étant de réduire le coût et les difficultés que cause la diversité des droits nationaux, il est pertinent de douter de l'intérêt d'un instrument de droit unifiant seulement quelques champs du droit des contrats applicables aux services decloud.

D'autre part, les fondements d'un éventuel instrument de droit des contrats de cloud pourraient eux-mêmes être critiqués. Rappelons à ce titre que les travaux de la Commission se baseraient sur une étude de droit comparé, présentée précédemment. Celle-ci est d'ailleurs citée deux fois dans la proposition de directive concernant les contrats de fourniture de contenu numérique406(*) et une fois dans celle relative aux contrats de vente en ligne407(*). Or, les fondements de cette étude comparée pourraient être critiquables. En effet, un choix a été opéré parmi les droits qui ont fait l'objet d'une étude approfondie et, à ce titre, seuls huit droits nationaux ont été retenus dans le panel, au motif de leur représentativité d'une tradition juridique particulière. On en déduit un certain désintérêt pour la vingtaine d'autres droits nationaux au motif de leurs similitudes avec les droits choisis. Aussi, parmi les huit droits concernés compte celui des États-Unis d'Amérique. Si ce choix est légitime quant au cloud computing puisque, d'une part,de nombreux opérateurs de services de cloud se situent sur le continent américain et que,d'autre part, les États-Unis peuvent être un exemple de gestion de la diversité des droits des États fédérés, ce choix peut aussi questionner politiquement. Effectivement, suivant la place qui serait accordée à l'influence d'un instrument européen de droit unifié, quelle légitimité aurait la Commission pour, en éludant vingt-et-un droits nationaux, procéder à un apport d'un droit étranger à l'Union ? De plus, l'étude ayant été publiée en 2013, elle se base sur des fondements juridiques nécessairement antérieurs. Alors, quelle fiabilité accorder à cette expertise si elle devait servir à ce jour de référence à la création d'un instrument d'unification des droits ? Certains doutes sur sa pertinence peuvent également être formulés. Tout d'abord la partie concernant le droit français ne sera-t-elle pas biaisée du simple fait que l'étude comparative ne tient pas compte de la réforme du droit des obligations française dont quelques changements par rapport au régime antérieur sont notables, notamment en ce qui concerne la disparition de la cause en tant qu'élément de formation du contrat. Ensuite, cela ne tient pas compte des travaux législatifs qui ont eu, depuis, vocation à intéresser les contrats de cloud computing, notamment dans les rapports entre professionnels et consommateurs. Rappelons en ce sens qu'en France le projet de loi relatif à la République numérique est en passe d'inscrire la réversibilité des données comme un droit des consommateurs.

Pour toutes ces raisons, malgré l'opportunité que pourrait constituer le rapprochement des droits relatifs aux contrats de cloud, toute proposition d'un instrument commun aux États membres de l'Union européenne rencontrera inévitablement des blocages. Ceux-là peuvent être tant politiques puisque certains droits des contrats nationaux font l'objet d'un désintérêt manifeste de la Commission, que juridiques car l'étude comparative des droits s'avèredéjà dépassée par le développement sectoriel des droits nationaux en matière de contrats de cloud. Aussi, en la matière, la question se pose de savoir si l'unification des droits ne serait pas excessive dans le but poursuivi d'intégration du marché intérieur numérique, et plus précisément celui d' « exploiter le potentiel de l'informatique en nuage ». Dans son discours d'introduction devant la Société de Législation Comparée à propos du cloud computing, J.-M. Sauvé se demandait justement si la réglementation du cloud ne produirait pas un effet inverse à celui escompté, à savoir de pénaliser les acteurs opérant sur le marché européen par rapport à un marché international davantage compétitif 408(*). Toute intervention juridique en la matière devrait donc permettre l'équilibre entre le libéralisme économique, nécessaire à l'innovation et à la compétitivité du marché et des opérateurs européens, et un certain interventionnisme, étatique ou européen, garantissant un développement raisonnable de ces services en vue d'établir la confiance des utilisateurs. Ces remarques conduisent à s'interroger sur le fondement même du mode d'intervention de l'Union européenne sur la diversité des droits. F. Viangalli rapportait dans un paragraphe critiquant la technique du droit privé uniforme supplétif qu'il peut être « reproché à la Commission de vouloir intervenir dans un domaine où le marché s'autorégule, et où des initiatives privées et informelles apportent déjà des solutions satisfaisantes aux problèmes qui surgissent lors de la réalisation d'opérations commerciales transfrontières »409(*). À la doctrine économique libérale prônant l'autorégulation d'un marché, s'ajouterait une doctrine juridique également libérale prônant l'émergence et la reconnaissance de nouvelles formes de normativités, notamment d'initiatives privées. Appliqué au cloud computing, un tel raisonnement apparaît d'autant plus pertinent que l'on constate dores-et-déjà un intérêt manifesté par les institutions européennes pour des normativités alternatives.

* 330K.-H. LEHNE, Rapport sur la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant le rapprochement du droit civil et commercial des États membres, COM(2001) 398, C5-0471/2001, 2001/2187 (COS).

* 331A. JEAMMAUD, «  Unification, uniformisation, harmonisation : de quoi s'agit-il? », in.Vers un code européen de la consommation, Bruxelles, Bruylant, 1998, p.47.

* 332Idem, p.48.

* 333Idem, p.38.

* 334 J. PORTA, La réalisation du droit communautaire. Essai sur le gouvernement juridique de la diversité, éd. Varenne, Tome I, 2008, pp. 212-326.

* 335Idem, p. 309 : « l'appauvrissement de la signification des notions d'unification, d'harmonisation ou de coordination ne garantit pas leur concordance à l'intégration juridique communautaire. La richesse des procédés mis en oeuvre par le législateur communautaire pour procéder au rapprochement des droits nationaux peine à se laisser enfermer dans ces catégories classiques ».

* 336 C.MIALOT et P.DIMA EHONGO, « De l'intégration normative à géométrie et à géographie variable », in. Critique de l'intégration normative, sous la direction de M. DELMAS-MARTY, PUF, Paris, 2004, p. 27 : « Par exemple, les directives sur les clauses abusives dans les contrats de consommation sont précises et relèvent d'une stratégie d'unification, cependant que le règlement de 1995 relatif à la protection des intérêts financiers prévoit l'harmonisation, et non l'unification, des sanctions administratives en cas de fraude contre les intérêts financiers de l'Union européenne ».

* 337 L. FIN-LANGER, « L'intégration du droit du contrat en Europe », in. Critique de l'intégration normative, op.cit., p.39.

* 338 CJCE, ENKA BV, 23 nov. 1997, affaire n°38-77, pt 12.

* 339 L.FIN-LANGER, « L'intégration du droit du contrat en Europe », in. Critique de l'intégration normative, op. cit, p.70.

* 340Directive 90/314/CEE du Conseil, du 13 juin 1990, concernant les voyages, vacances et circuits à forfait, Journal officiel n° L 158 du 23/06/1990.

* 341Idem, p.71.

* 342 Règlement Rome I, considérant n°14 : « Si la Communauté adopte dans un instrument juridique spécifique des règles matérielles de droit des contrats, y compris des conditions générales et clauses types, cet instrument peut prévoir que les parties peuvent choisir d'appliquer ces règles ».

* 343 F. VIANGALLI, op. cit. note 162, p.415.

* 344Idem, p.399.

* 345M. PEGADOLIZ (rapporteur),?Avis du Comité économique et social européen, «Le 28e régime -- une option pour moins légiférer au niveau communautaire» (avis d'initiative), 2011/C 21/05.

* 346 F. VIANGALLI, op. cit. note 162, p.438.

* 347 J. PORTA, La réalisation du droit communautaire. Essai sur le gouvernement juridique de la diversité, op. cit., pp. 270-277.

* 348 C'est notamment le cas de l'article 114 TFUE.

* 349 J. PORTA, La réalisation du droit communautaire. Essai sur le gouvernement juridique de la diversité, op. cit., p. 307.

* 350 L. FIN-LANGER, « L'intégration du droit du contrat en Europe », in. Critique de l'intégration normative, op. cit., pp.39-40.

* 351Directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avr. 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, Journal officiel n° L 095 du 21/04/1993.

* 352Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juil. 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, Journal officiel n° L 210 du 07/08/1985.

* 353Directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 1997 concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance,?Journal officiel n° L 144 du 04/06/1997.

* 354 CJCE, Pannon GSM, 4 juin 2009, C-243/08, n° 2009 I-04713.

* 355 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à un droit commun européen de la vente, COM/2011/0635 final - 2011/0284 (COD), (ci-après  « DCEV »).

* 356Idem, article 3.

* 357Idem, article 4.

* 358Idem, article 7.

* 359Idem, article 5.

* 360 D'ailleurs, était explicitement exclu de son champ d'application : «  vi) la création de nouveaux contenus numériques et la modification de contenus numériques existants par des consommateurs, ou toute autre interaction avec les créations d'autres utilisateurs ».?

* 361J. Sénéchal,« Les règles applicables au contrat international de cloud computing : des règles bien imparfaites pour un contrat d'avenir »,RLDI nov. 2013, n° 3269, p.102.

* 362 DCEV, op. cit. note 354, considérant n°17.

* 363 Cf. Résolution législative du Parlement européen du 26 fév. 2014 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à un droit commun européen de la vente (COM(2011)0635 - C7-0329/2011 - 2011/0284(COD)).

* 364 DCEV, op. cit. note 354, art. 30-39

* 365 DCEV, op. cit. note 354, art. 40-48.

* 366 DCEV, op. cit. note 354, Article 2, paragraphe 1.

* 367Idem, p.3 et 13.

* 368Idem, art. 3.

* 369Idem, art. 3§9.

* 370 Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant le droit européen des contrats, (2001/C 255/01), pt. 66. a).

* 371 Livre vert de la Commission relatif aux actions envisageables en vue de la création d'un droit européen des contrats pour les consommateurs et les entreprises, (COM/2010/0348 final).

* 372 DCEV, op. cit. note 354, p.11.

* 373 M.B.M. LOOS, « Scope and application of the optional instrument », Vers un droit européen des contrats spéciaux, sous la direction de D. VOINOT et J. SÉNÉCHAL, p.144.

* 374 J. SÉNÉCHAL, « Quels contrats spéciaux pour quels futurs instruments en droit européen des contrats ? », Vers un droit européen des contrats spéciaux, sous la direction de D. VOINOT et J. SÉNÉCHAL, p.23.

* 375 Sous la direction de M.BEHAR-TOUCHAIS et M.CHAGNY, Livre vert sur le droit européen des contrats. Réponses du réseau Trans Europe Experts, op. cit. note 287 pp. 22-33.

* 376 Sous la direction de J.-S. BORGHETTI, Réponse au livre vert de la Commission européenne relatif aux actions envisageables en vue de la création d'un droit européen des contrats pour les consommateurs et les entreprises, Trans Europe Expert, Janv. 2011, p.6 ; et ; R. SEFTON-GREEN, « instrument optionnel », in. La concurrence normative, mythes et réalités, op. cit. note 303, pp. 203-204.

* 377 M. CLERMONT, Le rapprochement du droit européen des contrats, enjeux et perspectives, mémoire de DEA sous la direction du professeur C. JAMIN, Lille 2, p.81-86.

* 378 H. CLARET, « Le défi du langage (déterminabilité d'un droit européen des contrats et pluralisme linguistique) », Les défis de l'harmonisation européenne du droit des contrats, Université de Savoie, 2012. <hal-01120176>, p. 54.

* 379 S. GLANERT, « Comparaison et traduction des droits : à l'impossible tous sont tenus », inComparer les droits, résolument, sous la direction de P. Legrand, p. 279.

* 380Idem, 283.

* 381 P. LAGARDE, « Les interprétations divergentes d'une loi uniforme donnent-elles lieu à un conflit de lois ? (à propos de l'arrêt HOCKE de la Section commerciale du 4 mars 1963) », in. Revue critique de droit international privé, 1964, pp. 235-251.

* 382Cass.,Com., 4 mars 1963, n°137.

* 383 P. LAGARDE, « Les interprétations divergentes d'une loi uniforme donnent-elles lieu à un conflit de lois ? (à propos de l'arrêt HOCKE de la Section commerciale du 4 mars 1963) » op.cit., pp. 240-241.

* 384 S. NOVAK, Usages du vote à la majorité qualifiée de l'Acte unique européen à nos jours : une permanence inattendue, Notre Europe, nov. 2011.

* 385 J.-P. JACQUÉ, Les déclarations unilatérales lors de l'adoption d'actes législatifs européens, Direction générale des politiques internes, affaires constitutionnelles, 2010, p. 7.

* 386 Sous la direction de M.BEHAR-TOUCHAIS et M.CHAGNY, Livre vert sur le droit européen des contrats. Réponses du réseau Trans Europe Experts, op. cit. note 287, pp. 127-128.

* 387 S.NADAUD, « Codifier le droit civil européen », Larcier, Bruxelles, 2008, p.78 : « Le droit est partiellement le fruit des données historiques, sociales, religieuses, économiques et réflexives ».

* 388 Citation rapportée par l'avis du CESE, l'influence de la France sur la scène européenne et internationale par la promotion du droit continental, Me D. GORDON-KRIEF, sept. 2014, p.9.

* 389 G. CORNU, « Réflexions en attendant le tricentenaire », Le Code civil 1804-2004, Livre du bicentenaire, 2004, p.709,

* 390 Loi constitutionnelle canadienne de 1867, Article 92 § 13.

* 391 T. TREMBLAY, le code civil chez les canadiens français : une question d'identité. Disponible sur : <  https://www.erudit.org/livre/CEFAN/1996-1/000467co.pdf>

* 392Cf. Annexe 3, p.83.

* 393 A.-M. THIESSE, La création des identités nationales, Europe XVIIIe-XIXe siècle, Édition du Seuil, 2001, 307 pages.

* 394Idem, p. 14 : « une histoire établissant la continuité avec les grands ancêtres, une série de héros parangons des vertus nationales, une langue, des monuments culturels, un folklore, des hauts lieux et un paysage typique, une mentalité particulière, des représentations - hymne et drapeau - et des identifications pittoresques - costume, spécialités culinaires ou animal emblématiques ».

* 395 J. LIPENS, « Les constantes de l'unification du droit privé », In. Revue Internationale de Droit Comparé, Paris, 1958 pp. 278.

* 396 Sous la direction de M.BEHAR-TOUCHAIS et M.CHAGNY, Livre vert sur le droit européen des contrats. Réponses du réseau Trans Europe Experts, op. cit. note 287, p.21.

* 397 J. SÉNÉCHAL, « Quels contrats spéciaux pour quels futurs instruments en droit européen des contrats ? », Vers un droit européen des contrats spéciaux, sous la direction de D. VOINOT et J. SÉNÉCHAL, p. 45.

* 398 Conseil Économique Social et Environnemental, l'influence de la France sur la scène européenne et internationale par la promotion du droit continental, Me D. GORDON-KRIEF, sept. 2014.

* 399 A. RAYNOUARD, « La contestation des indicateurs Doing Business : un positionnement politique », Petites affiches, 11 sept. 2009, n°182.

* 400 Association Henri CAPITANT des amis de la culture juridique française, Les droits de tradition civiliste en question, à propos des Rapports Doing Business de la Banque Mondiale, Société de législation comparée, 2006, 143 pages.

* 401 J. ATTALI, La francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable, Rapport à François Hollande, Président de la République, Août 2014, parti politique.77-79.

* 402M.B.M. LOOS, « Scope and application of the optional instrument », in. Vers un droit européen des contrats spéciaux, sous la direction de D.VOINOT et J.Sénéchal, pp. 124-125 : « For example, how to classify the acquisition of an internet game with a monthly subscribtion ? The transaction comprises of three elements : the installation software to install game locally, the player account and the online subscription. All of these elements are in principle necessary to play the game online. The installation software could qualify as a digital good, whilst the subscription as a service. The player account and its content are stored at a distance and cannot be downloaded on a personal device. [...] it is likely that the classification of digital content as goods or services will be even more problematic in the future ».

* 403F. VIANGALLI, la théorie des conflits de lois et le droit communautaire, p.341.

* 404 Cf. Article 1108 du Code civil.

* 405 Cf. Case Currie v Misa (1875), LR 10, Ex 153 : « A valuable consideration, in the sense of the law, may consist either in some right, interest, profit, or benefit accruing to the one party, or some forbearance, detriment, loss, or responsibility, given, suffered, or undertaken by the other. »

* 406 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant certains aspects des contrats de fourniture de contenu numérique, 2015/0287 (COD), p. 5 et 9.

* 407 Proposition de directive du Parlement Européen et du Conseil concernant certains aspects des contrats de ventes en ligne et de toute autre vente à distance de biens, 2015/0288 (COD), p.11.

* 408 J.-M., SAUVÉ, in. Le cloud computing, l'informatique en nuage, Société de législation comparée, Sous la direction de Bénédicte Fauvarque-Cosson et Céclia Zolynski, op. cit. note 12 : « Une question se pose alors: jusqu'ouÌ aller dans la fixation des normes? Une règlementation excessive, ou inadaptée, ne risquerait-elle pas de produire l'effet inverse, c'est-aÌ-dire de freiner l'industrie européenne dans le contexte d'un marcheì international extrêmement compétitif ? ».

* 409F. VIANGALLI, op. cit. note 162, p.417.

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