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Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud.

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par Anne-Gaël JOUANNIC
IRIS - Master 2 Relations internationales 2016
  

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I - LE SPORT, VECTEUR DU CHANGEMENT INSTITUTIONNEL ET DE LA RECONSTRUCTION SOCIALE EN AFRIQUE DU SUD

A - Le boycott sportif international comme levier du changement institutionnel et social en Afrique du Sud

L'Afrique du Sud, dans les années 1950, est un pays dirigé par ses « colons fondateurs » à travers un régime politique de ségrégation raciale. Cette ségrégation s'exerce à tous les niveaux : social, économique, politique, administratif et jusque dans les loisirs et dans le sport. Parce que le sport a une vocation quasi religieuse pour l'Afrique du Sud, souvent qualifiée de rugby mad, et qu'il représente un outil de rayonnement international, il constitue un enjeu sacré. Ainsi, lorsque la communauté internationale dénonce le traitement discriminatoire de la communauté Noire, elle utilise le boycott sportif pour acculer le gouvernement sud-africain. Les relations sportives avec l'Afrique du Sud ont constitué un puissant outil de pression extérieure. Ce boycott sportif est l'outil du changement institutionnel contraint.

LE CONTEXTE POLITIQUE ET SOCIAL, LES RAISONS DE LA COLÈRE

Le système de ségrégation racial appelé Apartheid est officiellement entré en vigueur après la victoire du National Party en 1948. Bien que l'apartheid ait un fondement juridique depuis 1948, le système social a évolué de manière informelle depuis la formation de l'Union en 1910. La nouvelle donne politique réside sur le principe de la pureté raciale, de la ségrégation et de la domination blanche. Les données démographiques sud-africaines (13.000.000 Noirs, 1.912.000 « colorés » ou métisses, 575.000 asiatiques et 3.600.000 blancs) ont convaincu les sud-africains qu'ils devaient dominer pour ne pas être dominés.

L'apartheid fait partie intégrante du « South Africain way of life » et représente alors pour le gouvernement et la nation un « monolithe inamovible et implacable »2.

Les colons sud-africains sont des calvinistes fondamentalistes, convaincus d'être investis d'une mission divine de préservation de la civilisation blanche, du puritanisme et du nationalisme. Cette idéologie a abouti à l'instauration d'un système juridique et politique par le National Party qui entérine un système de ségrégation et de domination : les non-blancs

2 Hendrik Verwoerd, homme politique, universitaire un éditorialiste sud-africain, membre du Parti national.

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Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

(Noirs, couloured et asiatiques) se sont vus dépourvus de leurs droits politiques, de leur liberté de circulation, de leur droit de propriété et de choix de résidence et de leur droit au mariage. Ainsi le Group Areas Act (GAA) impose une stricte ségrégation spatiale et les Reservation of Separate Amenities Acts (RSAA) impose une ségrégation dans l'accès aux services et aux infrastructures. Le sport permet le contrôle social de la communauté Noire et sa subordination aux colons. En effet, toutes ces interdictions légales oeuvrent à empêcher la communauté « non-blanche » de constituer un contre-pouvoir compétitif.

Les lois instituant l'apartheid sont entrées en vigueur graduellement et n'ont fait que légaliser un état de fait : le système social ségrégationniste qui a évolué depuis la formation du National Party en 1910. Le sport en Afrique du Sud s'est racialisé depuis le début du XIXème siècle. Les résidents Blancs d'Afrique du Sud se revendiquent « anglais » ou « afrikaners » selon leur langue, religion, localisation, leur race, leurs sports et leur idéologie. Les auto-proclamés « afrikaners » sont un amalgame d'hollandais, de français, d'allemands, de portugais et d'autres nations européennes. Cette diversité généalogique rend la culture pratiquée par les afrikaners aussi déterminante que leur couleur de peau.

Ainsi, la plupart des afrikaners rejettent le cricket car associé à l'impérialisme anglais. Les afrikaners sont religieusement passionnés de rugby et le football est historiquement joué et suivi par la communauté Noire3.

Avant l'élection de 1948, les organisations sportives elles-mêmes maintenaient ce système social dans le sport, depuis les élections, le gouvernement a progressivement pris le contrôle de la politique sportive.

Au lendemain de l'élection du National Party, pour entretenir l'idéal idéologique d'identification du « peuple élu », le rugby devient le symbole de la domination Blanche dans une Afrique du Sud majoritairement Noire. Le rugby permet également d'entretenir le mythe de la supériorité anthropologique des européens sur les africains. Ainsi est initié le processus d'ethnicisation et de politisation du rugby.

En juin 1956, le ministre de l'intérieur indique que le sport en Afrique du Sud ne serait pas mixte : les Noirs qui souhaitent une carrière internationale devront intégrer des organisations raciales spécifiques subordonnées à des organisations officielles blanches. Cette règle reflète la vision paternaliste et réductrice des relations entre la communauté originelle et les colons. La logique d'affiliation entend en réalité réduire l'autonomie de la communauté Noire et donner au monde l'illusion du progrès social en Afrique du Sud.

3 Nous reviendrons plus en détails sur le cas du football en Afrique au sein de cette étude (au sein du II) B)).

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Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

Dès la fin des années 1950, le gouvernement se montre menaçant et souligne le danger du sport mixte en évoquant les traditions et coutumes de leur peuple en Afrique du Sud et le risque pour la paix sociale. Émerge alors l'opposition non-raciale à l'hégémonie Blanche.

En 1958, la politisation du rugby est exacerbée lors du discours du Premier ministre Hendrik Verwoerd qui proclame: « vos prestations dans les arènes sportives nationales et internationales doivent en permanence témoigner de combativité et de la bravoure légendaire des afrikaners, et refléter la nécessaire suprématie de la race Blanche sur les Cafres et les croisés (...) je compte sur vous pour faire du rugby l'étendard qui ravive notre flamme patriotique ».

Les Noirs sont privés des infrastructures matérielles et diminués dans l'accès au sport afin que la communauté Blanche puisse conserver l'ascendant politique.

En réaction à ce dénuement, l'Association Sportive Sud-Africaine (SASA)4 fondée en 1959 demande le droit pour tous les sud-africains d'intégrer des équipes sportives mixtes au niveau national, avec ce slogan : « du pain et non des miettes ».5

Dès le début des années 1960, les politiques sportives émanent du sommet du gouvernement, en la personne du premier ministre lui-même. En 1966, un ministère du sport est institué pour gérer les problèmes liés au sport, lesquels tendent à se complexifier et à devenir fréquents. Lorsque le nouveau premier ministre John Vorster suggère qu'une équipe mixte (ou intégrée) néo-zélandaise pourrait être autorisée à jouer en Afrique du Sud au titre de la politique extérieure, une élection nationale doit être organisée avant le terme de la mandature législative, tant le problème est névralgique en Afrique du Sud. En dépit des fortes

contestations sur la scène régionale et internationale, les organisations sportives
internationales menées par le Comité International Olympique décident de laisser l'Afrique du Sud poursuivre la compétition.

Cette décision par l'organisation et les individus et nations qui les composent est davantage motivée par des critères économiques et politiques que par des facteurs sportifs. Le sport joue un rôle croissant dans la politique, tant dans l'avenir de la compétitivité et du rayonnement international de l'Afrique du Sud que dans les relations diplomatiques des nations impliquées.

4 The South African Sports Association

5 « Bread, not crumbs »

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Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

L'OPPOSITION INTERNATIONALE À L'APARTHEID, L'ISOLEMENT SPORTIF DE L'AFRIQUE DU SUD

Le boycott sportif contre l'Afrique du Sud ségrégationniste est à ce jour le plus important mouvement antiraciste de l'histoire du sport. Aucune intervention depuis celle de Jesse Owens aux Jeux Olympiques de Berlin n'a eu de telles répercussions politiques.

Le boycott sportif de l'apartheid révèle le degré d'enchevêtrement de la revendication politique initialement locale puis de la sanction internationale. En effet, le boycott a donné une dimension internationale à un phénomène qui aurait pu rester un problème local, circonscrit à l'Afrique du Sud. Les activistes ont mis en évidence la corrélation entre le système de l'apartheid et l'héritage colonial raciste du multi nationalisme dans la majorité des nations à majorité Blanche : le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, la France et l'Irlande, principaux rivaux sportifs. Le sport apparaît comme une inextricable ressource politique. L'Afrique du Sud fait l'objet d'une condamnation croissante par la communauté internationale en raison de sa politique d'apartheid. Ce faisant, l'acceptation dans la communauté sportive internationale devient un enjeu croissant pour ce pays fanatique de sport.

Après que l'Inde a déposé une plainte contre les discriminations subies par les populations indiennes en Afrique du Sud, le comité spécial contre l'apartheid des Nations Unies adopte en 1962 la résolution 1761 contre l'apartheid. La résolution déclare le régime sud-africain contraire à la charte des Nations Unies et constitutif d'une menace à la Paix et à la sécurité internationale. De surcroît, la résolution invite ses États membres au boycott en cessant toute relation diplomatique avec l'Afrique du Sud.

Dès 1968, l'Assemblée Générale des Nations Unies demande à tous les États et organisations de « suspendre tous les échanges à caractère culturel, éducatif ou sportif avec le régime raciste sud-africain ».

Dans sa résolution XXVI de novembre 1971, les Nations Unies appellent à un boycott des équipes sportives sélectionnées en violation du principe olympique de non-discrimination.

Le pays est présent dans la compétition olympique depuis 1908 lors de la quatrième olympiade de Londres et représente le premier pays du continent à y participer. De 1908 à 1960 les athlètes Blancs sud-africains, seuls autorisés à participer aux Jeux, enlèvent 54 médailles : 16 en or, 17 en argent et 21 en bronze. Toutefois, L'Afrique du Sud compromet sa participation aux Jeux Olympiques.

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En 1964, 23 pays africains sont invités à rejoindre les Jeux Olympiques de Tokyo et contestent la politique raciale sud-africaine.

L'Afrique du Sud qui refuse de dénoncer sa politique d'apartheid est bannie des Jeux Olympiques de Tokyo sur décision du CIO le 18 aout 1964, en vertu de l'article 3 de la charte qui interdit « toute discrimination raciale, politique ou religieuse ». C'est historiquement la première fois qu'un membre du CIO sort du mouvement olympique, à l'exception de l'Allemagne et du Japon, perdants de la Seconde guerre mondiale et absents à Londres en 1948. Le gouvernement de John Vorster est soucieux de contenir les mouvements de protestation. Dans les années 1960, il existe alors deux mouvements de protestation non-raciaux : l'Association Sportive Sud-Africaine (SASA)6, formée en 1959 et son successeur, le Comité Olympique Non-Racial Sud-Africain (SAN-ROC)7.

Puisque les non-blancs n'étaient pas autorisés dans les associations de sports « blancs », tous les joueurs non-blancs étaient membres du SAN-ROC lorsque l'Afrique du Sud est finalement bannie des Jeux de 1964, le gouvernement réalise qu'il doit diviser les mouvements sportifs non-raciaux.

Pour ce faire, le gouvernement initie la formation d'une association « non-blanche » affiliée à une association Blanche, cette affiliation signifiant en réalité subordination (les organisations « non blanches » ne détenaient jamais plus de 10% des droits de vote).

Les quelques joueurs non-blancs qui rejoignent volontairement l'organisation le font sur la promesse du gouvernement qu'ils pourront participer aux compétitions internationales et accéder aux formations et aux infrastructures sportives. Toutefois, cette concession est strictement limitée à l'Afrique du Sud dans le cadre des politiques de l'apartheid. Soulignons que les sud-africains non-blancs qui se sont affiliés à ces associations n'avaient, pour certains, pas d'autre choix et l'opposition contre le système d'apartheid engendrait de lourdes représailles. Certains athlètes meneurs des mouvements anti-raciaux ont été exclus, emprisonnés, exilés (c'est notamment le cas de Deniis Brutus, Wilfred Brutus, John Harris, Omar Cassem, Chris de Broglio et Reg Hlongwane).

Aucun « non blanc » ne pouvait contester l'apartheid sans encourir de répercussions personnelles ou collectives. Cette menace suffit à réfuter le discours du gouvernement arguant devant la communauté internationale que les non-blancs qui coopèrent avec le système sont représentatifs de la communauté « non-blanche » sud-africaine, sous couvert donc d'une apparente réconciliation raciale. Le gouvernement sud-africain affiche donc une

6 The South African Sports Association

7 The South African Non-Racial Olympic Committee

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Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

volonté de réconciliation devant la communauté internationale mais se montre inflexible en interne.

Ainsi, en avril 1967, le premier ministre John Vorster explique les concessions au Parlement en précisant clairement qu'aucun sport mixte entre Blancs et non-blancs ne serait pratiqué localement, peu important le degré de compétence sportive et de mérite.

Il explique également qu'aucune concession ne serait transigée quant à la politique raciale de sélection sportive, peu important que cette politique d'apartheid sportive nuise aux relations sportives et diplomatiques internationales de l'Afrique du Sud.8 L'exclusion interne des compétitions mixtes est ainsi entérinée. Elle signe, entre autres, la fin de la carrière de l'emblématique joueur de golf indien Sewsunker "Papwa" Sewgolum qui avait été le seul non blanc autorisé à concourir aux compétitions blanche. Figure emblématique du mouvement de boycott sportif, Papwa est au centre de l'attention internationale lorsqu'il gagne le Natal Open contre 113 joueurs Blancs et est contraint de recevoir son trophée dehors sous la pluie alors que les 113 autres participants prennent le cocktail dans le clubhouse.

Cet événement, qui atteint le paroxysme du pathétique de l'apartheid, recevra de fortes critiques internationales. Ce discours de John Vorster sonne également le glas des jeunes athlètes espoirs non-blancs. À la lumière de ce discours, il apparaît que l'apartheid est renforcée en interne. Toutefois, grâce aux concessions à l'extérieur du pays, principalement la participation aux Jeux d'une équipe mixte, la communauté internationale est temporairement leurrée. Localement, le premier ministre John Vorster est contesté par les membres de son parti de droite et par l'opposition, estimant qu'il a fait des concessions trop radicales.

Quatre mois après son discours, le ministre du sport, Frank Waring, remet en question la participation d'une équipe mixte aux Jeux Olympiques de 1968 jugeant que la politique sud-africaine doit être tenue séparée du sport et qu'une demande fondée sur un motif politique de mixité raciale ne peut pas être accueillie par le pays, il est donc désormais question d'envoyer une équipe Noire et une équipe blanches, distinctes.

8 Discours du premier ministre John Vorster au Parlement, le 11 avril 1967 : « I want to make it quite clear that from South Africa's point of view no mixed sport between whites and non-whites will be practiced locally, irrespective of proficiency of the participants (...) no matter how important those sports relations are in my view, I am not prepare to pay that price (...) we are not prepared to compromise, negotiate or make any concessions ».

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LA PASSIVITÉ DU COMITÉ INTERNATIONAL OLYMPIQUE ET LES PREMIERS SUCCÈS DU MOUVEMENT DE CONTESTATION AFRICAIN

Le Comité Olympique International ignore le fait qu'absolument rien n'a changé pour les non-blancs dans le sport sud-africain et la réadmission de l'Afrique du Sud est temporairement considérée aux Jeux Olympique de Mexico en 1968.

Le gouvernement se sert de cette illusion pour laisser entendre aux sud-africains que la communauté internationale les accepte en dépit de la contestation idéologique globale et en dépit de la résolution des Nations Unies.

Frank Braun, le directeur du comité olympique sud-africain implore ses alliés dans la communauté internationale d'entendre leur position et de réaliser que la condition Noire en Afrique du sud n'est pas aussi dégradée qu'elle le paraît dans la presse internationale.

Le National Party propose des concessions pour les Jeux Olympiques de Mexico en 1968, acceptant d'envoyer une équipe d'athlètes mixtes, ceux-ci porteraient le même drapeau et les mêmes couleurs ; les sud-africains et d'autres groupes raciaux pourraient s'affronter ; un comité olympique « non-blanc » et un comité de liaison entre Blancs et non-blancs seraient formés.

À cette occasion le Times (London)9 et le New York Times ont souligné10 l'importance que le sport avait pris en tant que levier de la diplomatie, le sport apparaît comme l'arme du monde extérieur pour vaincre l'apartheid.

Les concessions du gouvernement sont jugées « révolutionnaires » par la presse occidentale. Mais les journalistes locaux questionnent le sens de l'influence et se demandent si c'est l'opinion mondiale qui change l'attitude de l'Afrique du Sud ou bien si c'est l'Afrique du Sud qui change progressivement l'opinion mondiale sur l'apartheid.

Un éditorial d'un journal local résume ainsi le rôle du sport dans la politique extérieure sud-africaine : « chaque victoire internationale de l'Afrique du Sud est un coup porté contre nos ennemis sportifs et politiques »11.

Confronté à son déclin sportif et politique, le gouvernement sud-africain se soucie de l'image que renvoie le sport sud-africain aux autres États. D'ailleurs, lorsque les sud-africains envoient leur équipe de rugby au Royaume-Uni en 1969, un autre journal local estime que

9 Editorial, The Times (London), 17 février 1968

10 Editorial, New York Times, 22 février 1968

11 Editorial, Die Volksblad (Bloemfontein), 13 mars 1969 : « Every international sport success is a blow against our sports and political enemies ».

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l'équipe de rugby a la lourde responsabilité d'influencer l'opinion publique britannique en faveur de l'Afrique du Sud.12

Il est primordial pour l'Afrique du Sud d'améliorer l'image du sport sud-africain tant au niveau international qu'au niveau de local parmi sa communauté « non-blanche ».

En effet, si le gouvernement parvient à présenter des athlètes et des représentants sportifs qui adhèrent à la politique d'apartheid dans le sport, alors la légitimité des contestations internationales serait sérieusement entachée.

Cependant, et alors que le gouvernement de John Vorster a abrogé la législation d'apartheid interdisant les équipes sportives multi-raciales, le CIO est contraint par les menaces de boycott des pays africains de retirer l'invitation faite à l'Afrique du Sud.

En effet, l'invitation du CIO à l'Afrique du Sud provoque l'indignation de la communauté africaine et de toutes les nations « non blanches ». La communauté africaine comprend que les relations internationales sportives sont devenues le talon d'Achille de l'Afrique du Sud13. Les nations africaines ont formé en décembre 1966 le Conseil Suprême du Sport en Afrique (SCSA) 14 et l'une de ses premières résolutions a été d'appeler au boycott des Jeux Olympiques de 1968 si l'Afrique du Sud devait y participer. La veille du verdict du Comité Olympique International à Grenoble, le Congrès National Africain (ANC) diffuse un appel sur Radio Tanzania pour les Jeux et soutient qu'il appartient au domaine du sport, des arts et de la culture de faire ressentir à l'Afrique du Sud le poids de l'indignation morale internationale contre l'apartheid15. Par le boycott aux Jeux Olympiques, les nations africaines ont fait le sacrifice de leur temps et de l'investissement de leurs athlètes ainsi que du prestige international qui accompagne les victoires médiatisées, mais c'est au profit d'une plus grande victoire.

Malgré la pression, le Comité Olympique Internationale décide dans un premier temps d'autoriser l'Afrique du Sud à participer aux Jeux de Mexico.

Toutefois, le Comité a sous-estimé la portée de la menace, s'il savait que les jeux seraient boycottés par les 32 pays membres du SCSA, il n'a pas réalisé à quel point le débat politique et racial avait pénétré le sport.

12 Die Burger (Cape Town), 15 décembre 1969 : « The eugby teal has the extraordinary responsibility to influence British public opinion in favor of South Africa »

13 Editorial in the Uganda Government Newspaper, The People (Kampala) : « Here is a field in which Africa does not need to plead, cajole or threaten other powers to take action against apartheid, we can act decisively ourselves (...) the South Afrcains do not consider it minor », 1er avril 1967

14 Supreme Council for Sport in Africa

15 ANC, discours sur Radio Tanzania, 30 janvier 1968 : « It is in the sphere of sports, arts and culture that South Africa can be made to feel the full weight of interntional moral indignation against apartheid ».

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En effet, un mois seulement après la décision de Grenoble, le New York Times16 rapporte que seules dix nations, toutes blanches, maintiennent leur participation aux Jeux de Mexico. Lorsque le Comité réalise la portée du boycott, il est contraint de renverser sa décision, le vote est éloquent : 47 votent pour l'exclusion de l'Afrique du Sud, 16 pour son maintien et 8 s'abstiennent. Consciente de son influence, la communauté africaine maintient la pression et parvient à faire annuler le tournoi de cricket britannique en Afrique du Sud de 1970, notamment grâce au soutien des manifestants britanniques mobilisés à Londres.

C'est le gouvernement britannique lui-même, en la personne du premier ministre Harold Wilson, qui annule le tournoi par crainte de voir se dégrader les relations du Common Wealth. Le tournoi de cricket est alors devenu un problème politique majeure entre le premier ministre Wilson et le leader de l'opposition du parti conservateur, Edward Heath.

La population britannique « non-blanche » suit le débat très attentivement. Opposé à l'intégration proposée par le Royaume-Uni, le premier ministre sud-africain John Vorster réaffirme sa position et refuse d'intégrer une équipe mixte au tournoi de cricket. Il déplore que l'objectif poursuivit par l'Angleterre ne soit par sportif mais purement politique, il déplore l'influence du mouvement anti-apartheid17. Le gouvernement britannique annule donc le tournoi. L'annulation par l'entité gouvernementale britannique du tournoi de 1970 illustre à nouveau à quel point la politique et le sport sont liés.

16 New York Times, 10 mars 1968

17John Vorster, 18 septembre 1968, « We are not prepared to accept a team thrust upon us by people whose interests are not the game but to gain political objectives which they do not even attempt to hide, the team as constituted now is not the team of the MCC but the team of Anti-Apartheid movement ».

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L'AFFAIRE ARTHUR ASHE ET LE RENFORCEMENT CROISSANT DES MESURES D'ISOLEMENT DE L'AFRIQUE DU SUD

Cette même année 1970, « l'affaire Arthur Ashe » envenime les relations diplomatiques entre les États-Unis et l'Afrique du Sud et renforce son isolement par la communauté internationale.

En 1969, le joueur de tennis Arthur Ashe dépose une demande de visa à l'Afrique du Sud pour participer l'Open sud-africain le 15 décembre 1969.

Le secrétaire d'État William P. Rogers s'arrange pour que la représentation soit faite directement devant l'ambassadeur américain à Washington et auprès du ministre des affaires étrangère Hilgard Muller à Pretoria.

Le premier ministre John Vorster et le ministre des affaires étrangères refuseront d'accorder un visa au joueur Arthur Ashe au motif qu'il dissimulerait un dessein politique à son voyage. Devant les Nations Unies, Arthure Ashe estimera pour sa part qu'il a été rejeté par ce qu'il « n`était pas Blanc »18.

L'humiliation est vivement ressentie, non seulement par Arthur Ashe mais également par les responsables du Département d'État américain.

En représailles, les États-Unis suspendent l'Afrique du Sud de la Coupe Davis.

Le retentissement de l'affaire est tel que les alliés traditionnels de l'Afrique du Sud (l'Australie et la Nouvelle-Zélande) votent eux-aussi contre la participation de l'Afrique du Sud à la Coupe Davis. L'affaire Arthur Ashe agit comme un catalyseur qui attire davantage encore l'attention des États étrangers sur l'injustice du système d'apartheid sud-africain. Ainsi, le pouvoir du Comité Suprême Africain est renforcé par le soutien croissant de la communauté internationale. Le Comité triomphe à la réunion d'Amsterdam du Comité International Olympique. Il était attendu que le Comité exclue l'Afrique du Sud des Jeux de 1972, mais la communauté africaine demande davantage et finit par obtenir l'exclusion définitive de l'Afrique du Sud du mouvement Olympique lui-même par un vote de 35 à 28 avec 3 abstentions. La presse internationale est interpellée par la force acquise par la communauté africaine. La dernière participation de l'Afrique du Sud aux Jeux date donc de ceux de Rome en 1960 et ce jusqu'au 25 juillet 1991, date ou est engagé le processus de démocratisation et la libération de Nelson Mandela.

Le monde du sport international des années 1970 est assez éloigné de la vision de Pierre de Coubertin qui voyait dans le mouvement Olympique un organe pacificateur.

18 UN Unit on Apartheid Papers, 23 avril 1970, audition d'Arthur Ashe, P. 3

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La réalité se rapproche davantage de la vision de George Orwell qui dépeint le sport comme un lieu de haine, de jalousie, de mépris et de violence lorsqu'il écrit que « le sport c'est la guerre, les fusils en moins ».19

Trois facteurs principaux ont permis le tournant des années 1970 : l'opposition militante internationale et notamment au Royaume-Uni, l'appui des États-Unis et le rôle des nations africaines soutenues par la communauté internationale.

La compétition internationale participait au succès de l'Afrique du Sud et le rejet de la compétition internationale implique donc son déclin.

En 1970, l'isolement de l'Afrique du Sud est quasiment complet et les appels aux changements politiques sont pressants. Le Sunday Times de Johannesburg explique d'ailleurs que « les critiques de l'Afrique du Sud ont simplement découvert que le sport est l'arme la plus utile pour nous battre et alors que ce sont les sportifs qui sont les victimes de ce sacrifice, ils sont exclus et privés de leur droit de participer aux compétions internationales, la principale cible de cette attaque est la politique raciale du National Party »20.

Le cas sud-africain est devenue une préoccupation mondiale et l'année 1971 est proclamée « année internationale de la lutte contre le racisme et la discrimination raciale » par les Nations Unies. Le 29 novembre 1971 l'Assemblée plénière rappelle les demandes qu'elle a faites (dès 1968) aux États et aux organisations sportives de suspendre toutes les événements sportifs avec les équipes sud-africaines sélectionnées en application de la politique d'apartheid. L'Assemblée générale des Nations Unies demande à tous les sportifs de refuser de participer à toute activité sportive dans les pays appliquant officiellement une politique de discrimination raciale ou d'apartheid dans le domaine des sports.

De surcroît, l'Assemblée déplore que certaines organisations sportives nationales et internationales aient continué à organiser des rencontres sportives avec l'Afrique du Sud et elle invite tous les États à agir conformément à la résolution.

Cependant, l'exclusion des Jeux et la résolution des Nations Unies ne suffisent pas à interrompre l'ensemble des confrontations sportives internationales avec l'Afrique du Sud, la Nouvelle-Zélande poursuit un grand nombres de rencontres sportives avec l'Afrique du Sud en dépit du consensus international et de la résolution.

19 Tribune Newspaper, décembre 1945, George Orwell, « Sport is war minus shooting ».

20 Sunday Times Johannesburg, 31 mai 1970 : « South Africa's critics have simply discovered that sport is the most powerful weapon they have found with which to beat us while it is the sportsmen who are the sacrificial victims - they are being ostracized and deprived of their right to participate in world sport - the main target is the racial policiy of South Africa, or precisely of the National Party ».

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L'INSATISFAISANT « COMPROMIS » DE JOHN VORSTER ET L'INFLEXIBILITÉ DU RÉGIME D'APARTHEID

Le 22 avril 1972, le premier ministre John Vorster annonce ce qui se revendique être une nouvelle donne politique en matière de ségrégation sportive.

Ce discours tend à convaincre les organisations internationales que la politique sud-africaine a effectivement changée. Cependant, un examen attentif semble indiquer que le changement est purement sémantique. En effet, alors que la politique précédente impliquait une ségrégation stricte dans tous les événements sportifs au niveau local, national et international, la nouvelle politique de « sport multinational » autorise l'intégration d'équipes sud-africaines mais exclusivement pour certains évènements tels que la Coupe Davis et les Jeux Olympiques. La politique du « sport multinational » s'avère être la réflexion du programme national de « développement séparé » avec la création des Bantoustans21.

Ce programme est largement condamné par la communauté internationale et la conférence des Nations Unies à la Havane a permis de statuer que « toute tentative par les Bantoustans d'établir des liens sportifs avec le monde extérieur doit être condamnée ». En 1974, le ministre du sport, Pier Koornhof, a déclaré que les organisations sportives suspendues par les organisations internationales pouvaient instaurer des évènements multinationaux mixtes même lorsqu'aucune équipe étrangère ne participait à l'évènement. Ainsi, une nation sud-africaine pouvait affronter une autre nation sud-africaine. Toutefois, il est important de souligner que cette règle ne s'appliquait qu'aux organisations sportives sud-africaines qui avaient été suspendues, il s'agit donc d'une stratégie pour convaincre les organisations internationales qu'un réel effort vers l'intégration raciale était initié.

Un autre volet de cette politique permettait aux pays entretenant des liens traditionnels avec l'Afrique du sud (Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande et Australie) d'envoyer des équipes multiraciales affronter des équipes séparant les blancs et les non-blancs au sein de stades pratiquant la ségrégation raciale. Au terme de cette politique, aucun blanc n'était autorisé à assister à un match auquel une équipe étrangère rencontrait une équipe non-blanche. Par conséquent, l'équipe de Rugby anglaise a affronté séparément l'équipe « blanche » et l'équipe couloured au tournoi sud-africain de 1972.

En définitive, l'Afrique du sud envoie des équipes « intégrées » à l'international pour quatre évènements seulement : les Jeux Olympiques, La Coupe Davis, La fédération de la Coupe et

21 En Afrique du Sud, au temps de l'apartheid, territoire délimité, « foyer national » attribué à un peuple ou à un groupe de peuples Noirs (bantous)., dictionnaire Larousse, éd. 2015.

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le Tournoi de Golf Canadien. Hormis ces quatre exceptions, c'est toujours l'apartheid qui régit le sport à domicile : aucun comité sélection mixte n'est institué.

Comme le rappelle Dennis Brutus, le leader sud-africain du Comité Olympique Non-Racial sud-Africain (SANROC), le multi-nationalisme « n'est qu'un nouveau nom pour un jeu inchangé »22.

Par ailleurs, bien que le gouvernement assure qu'il est équitable et juste envers la communauté sportive non-blanche, les sommes octroyées aux Blancs et aux non-blancs entre 1965 et 1972 attestent du contraire.

En effet, alors que les Blancs représentent moins de 25% de la population, 2 708 900R (environ 175 880 EUR) sont dépensés dans les sports de la communauté Blanche, contre seulement 102 150R (environ 6 633 EUR) pour la communauté « non-blanche » pour la même période. Le compromis annoncé par John Vorster et la réalité inchangée en Afrique du Sud insurgent les activistes et des sportifs anti-apartheid. Tous les leaders du mouvement non-racial poursuivent le même objectif : la fin de l'apartheid sportif. Cet objectif constitue la seule façon de garantir l'accès équitable aux installations sportives et aux opportunités de formation. L'enjeu est également d'assurer la sélection d'une équipe nationale selon le degré de mérite, par un comité de sélection mixte et de permettre un accès libre aux tribunes spectateurs.

La première résolution des Nations Unies à la Havane salue « le courage des sportifs en Afrique du Sud qui soutiennent la fin de la ségrégation sportive ». Traversée par les contestations internes et isolée, la société sud-africaine semble s'ouvrir au changement. Un signe éloquent de ce climat d'ouverture est observable à travers deux sondages conduits en 1971. Dans le premier, sur 925 sud-africains interviewés, 79% d'entre eux se sont prononcés favorables à l'intégration sportive. Dans le deuxième sondage, 276 sur 292 joueurs de crickets Blancs se sont estimés prêts à jouer avec ou contre une équipe « non-blanche » au niveau de la ligue. Rappelons qu'en décembre 1969, seules 3 ou 4 figures blanches se prononçaient en faveur de l'intégration sportive. L'isolement a donc influé l'opinion publique et a poussé le gouvernement à adopter de nouvelles politiques sportives plus tolérantes.

Nonobstant l'embryon d'évolution des mentalités sud-africaines, le gouvernement de John Vorster ne montre aucun signe de progrès. Depuis son bannissement des Jeux Olympiques de 1964, l'Afrique du Sud a essayé d'organiser des « Mini Olympiques » dans le pays. La liste des pays participants à ces Jeux est similaire à la liste des pays favorables au maintien de la

22 « It's a new name for the old game »

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participation de l'Afrique du sud dans les évènements sportifs internationaux : L'Allemagne de l'Ouest, le Royaume-Uni, l'Australie, l'Irlande, la Rhodésie et le Malawi, seul pays du contiennent africain à soutenir le système de l'apartheid sportif au niveau international.

En 1973, les Jeux Olympiques sud-africains ont été largement médiatisés et dénoncés par la communauté internationale. D'ailleurs, la conférence des Nations-Unies à la Havane a fermement condamné les États et les sportifs participants aux évènements sportifs sud-africains.

Au début des années 1970, l'Afrique du Sud a davantage régressé qu'elle n'a fait d'efforts pour mettre véritablement terme à l'isolement diplomatique et l'apartheid sportif s'est en réalité intensifié.

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LE SOULÈVEMENT ANTI-APARTHEID DES MEMBRES DU COMMONWEALTH ET L'OPPORTUNISTE « EFFORT D'INTÉGRATION RACIALE »

Au début des années 1970, les alliés historiques de l'Afrique du Sud - traditionnellement réticents au boycott diplomatique avec l'Afrique du Sud - commencent à s'indigner à leur tour du régime d'apartheid.

En 1971, l'Australie est semblable au Royaume-Uni en 1969 lorsque le pays est bouleversé après l'annulation du tournoi de rugby en Afrique du Sud et du tournoi de cricket en Angleterre par le parti travailliste après que 50.000 citoyens ont protesté dans les rues. Le tournoi de rugby de l'Australie en Afrique du Sud en 1971 a engendré de nombreuses violences, entre 500 et 700 arrestations, 18 jours d'état d'urgence dans l'état du Queensland, la grève de 125 000 employés et le coût des services de police s'élevant à 11 600 000R.

Le tournoi de rugby australien de 1971 est finalement mené à terme mais à un lourd tribu et l'opinion publique réclame l'annulation du tournoi de cricket devant avoir lieu cette même année. Ce tournoi de cricket est contesté par le Conseil oecuménique des églises23, le conseil des syndicats 24 , la majorité des journaux australiens, la majorité des citoyens et le gouvernement d'Australie du Sud et de l'Ouest. Le comité australien de contrôle du cricket, contraint, annule donc le tournoi.

Le tournoi de rugby néo-zélandais en 1973 fait l'objet de véhémentes contestations des organisations HART (Halt All Racist Tours) et CARE (Citizens Association for Racial Equality). Les deux organisations s'engagent à ne pas interrompre le tournoi si l'Afrique du Sud sélectionne ses équipes selon le critère du mérite et non de l'appartenance raciale. Lorsque l'Afrique du Sud refuse ce compromis, CARE et HART passent à l'action et mobilisent forces anti-apartheid. Le premier ministre néo-zélandais, Norman Kirk, refuse d'annuler le tournoi mais retire, parallèlement, le soutien financier du gouvernement accordé pour son organisation.

Plus de la moitié des nations du Common Wealth, mené par le Comité Suprême du Sport en Afrique (SCSA)25 menacent le tournoi. Par conséquent, le premier ministre Norman Kirk est contraint d'annuler le tournoi.

Il maintiendra cette position en annonçant le 1er novembre 1973 qu'il n'autoriserait pas le tournoi de tennis de la Coupe de la fédération, l'équivalent féminin de la Coupe Davis, qui

23 Council of Churches

24 Council of Trade Unions

25 Council for sport in Africa

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devait se tenir en Nouvelle Zélande et à laquelle devait participer l'Afrique du Sud, en dépit de la politique d'Apartheid appliquée au tennis.

Toutefois, sous le premier ministre Robert Muldoon, les tournois de rugby avec l'Afrique du Sud reprennent. Les relations sportives avec l'Afrique du Sud firent d'ailleurs débat pendant la campagne électorale de 1975 avec la le slogan de campagne de Robert Muldoon : « Pas d'interférence du gouvernement dans le sport » 26, autorisant donc la compétition avec l'Afrique du Sud.

Au Royaume-Uni, les protestations se poursuivent, une nouvelle organisation appelée Stop the Apartheid Rugby Tour (SART) est formée par les anciens de la coalition SANROC parmi lesquels le leader Dennis Brutus, dans le but d'empêcher la tenue le tournoi de rugby sud-africain des British Lions de 1975.

Le tournoi aura tout de même lieu mais aura pour conséquence de faire réfléchir le cabinet sur l'opportunité d'étendre les couleurs du Springbok aux non-blancs.

En effet, le tournoi s'achève sur la défaite des sud-africains. Les sud-africains sortent du tournoi vaincus et humiliés par l'équipe britannique en raison de leur interdiction d'employer leurs joueurs vedettes Noirs.

C'est la raison pour laquelle le cabinet accepte d'étudier la question de leur intégration.

Cette ouverture est politiquement récupérée par le premier ministre sud-africain John Vorster dans son discours d'octobre 1974 lorsqu'il promet de mettre fin à la discrimination raciale, il souligne la démarche vers la réintégration dans la communauté internationale.

Toutefois, bien que le cabinet sud-africain décide d'autoriser les joueurs non-blancs à porter les couleurs des Springbok dans les matchs tels que ceux des tournois contre le Royaume-Uni, le pourcentage de joueurs échappant à la politique d'apartheid est insignifiant (de l'ordre de 6% des joueurs non-blancs).

Cette décision s'inscrit davantage dans une politique d'assouplissement des sanctions internationales que d'une véritable intégration raciale.

L'importance du sport et du changement en Afrique du Sud apparaît d'autant plus crucial si l'on appréhende le sport comme le reflet de la société globale en Afrique du Sud.

En effet, pour les Blancs sud-africains, le sport a une connotation sacrée et religieuse. Alors qu'avant l'isolement sportif 79% des Blancs sud-africains jugeaient inconcevable l'intégration sociale des non-blancs, 79% se positionnaient pour après la mise au ban par la communauté internationale.

26 « No government interference in sports »

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Il aura fallu l'isolement pour que les joueurs osent parler de sport multiracial puisque les joueurs n'ont aucune autre alternative : s'ils veulent reprendre les compétitions internationales, c'est au prix de l'éradication de l'apartheid dans le sport.

L'année 1976 est l'année de la reprise des compétitions internationales.

Le premier espoir pour les sud-africains Blancs est en tennis : la Coupe Davis et la Coupe de la Fédération, traditionnellement soutenus par de puissantes structures dirigées par des occidentaux.

L'Afrique du Sud concourt fréquemment dans ces deux tournois bien que de nombreuses nations refusent de l'affronter. Le paroxysme de l'absurdité est atteint à la victoire de la Coupe Davis par l'Afrique du Sud en 1974 lorsque l'Inde préfère déclarer forfait plutôt que d'affronter une équipe issue de l'apartheid.

Les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ont ensuite annoncé leur retrait définitif de la Coupe Davis, puis, s'apercevant que la Coupe Davis continuerait sans eux, sont revenus sur leur décision.

LE MASSACRE DE SOWTEO ET LA CONTESTATION DE LA PARTICIPATION NÉO-ZÉLANDAISE AUX JEUX OLYMPIQUES DE MONTRÉAL

Le mercredi 16 juin 1976 débute la révolte des écoliers et des étudiants de Soweto, townships de la banlieue de Johannesburg. Ces étudiants Noirs s'opposent à l'obligation qui leur est imposée de suivre des cours d'Afrikaans comme seconde langue d'enseignement.

Pour les étudiants sud-africains, l'afrikaans est la langue « du colon et de l'oppresseur ». Durant la manifestation, les policiers utilisent des gaz lacrymogènes et tirent pour disperser la foule.

La première victime de ces tirs incontrôlés est un jeune garçon de 13 ans, Hector Paterson. La photo de son corps dans les bras d'un homme accolé à sa soeur en pleurs a fait le tour du monde et a « éveillé la conscience publique sur la politique d'apartheid27 ». Plus de 600 personnes décèdent dans les émeutes de Soweto, principalement des manifestants Noirs. Des dizaines de milliers de manifestants Noirs sont emprisonnés, des milliers traversent la frontière pour trouver refuge à l'étranger et d'autres organisent une lutte clandestine contre l'oppression blanche.

Pour les Noirs sud-africains, Hector Paterson devient le martyr de la lutte anti-apartheid et ces émeutes meurtrières émeuvent l'opinion publique.

27 http://archives.radio-Canada.ca/IDC-0-9-2279-10/index_souvenirs/guerres_conflits/emeute-soweto

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Les pays membres de l'Organisation de l'Union Africaine exigent l'application immédiate des résolutions prises par les Nations Unies contre le régime d'apartheid. Ils dénoncent la participation néo-zélandaise aux tournois de rugby en Afrique du Sud.

Pour l'Organisation de l'Union Africaine l'attitude la Nouvelle-Zélande constitue une violation des résolutions des Nations Unies. Elle réclame à titre de sanction l'exclusion de la Nouvelle-Zélande des Jeux Olympiques de Montréal.

À trois jours de l'ouverture des Jeux Olympiques de Montréal et en pleine indignation contre le massacre de Soweto, une équipe néo-zélandaise est en tournée en Afrique du Sud.

Le 15 juillet 1976, deux jours seulement avant la cérémonie d'ouverture, 16 pays africains adressent une lettre au président du Comité International Olympique, lord Killanin, pour dénoncer la tournée des joueurs de rugby néo-zélandais en Afrique du Sud.

Les signataires demandent ainsi l'exclusion de Jeux de la Nouvelle-Zélande. Sir Cecil Lance Cross, membre du Comité International Olympique depuis 1969 déclare que « le rugby n'est pas un sport olympique et que ni le CNO ni les membres de l'équipe olympique de Montréal n'ont eu de contact avec l'Afrique du Sud ». Il rappelle que « le gouvernement néo-zélandais est opposé à l'apartheid mais respecte le droit de chacun de faire du sport ou il l'entend. Qu'il n'existe donc aucune raison en faveur de l'exclusion de la Nouvelle-Zélande ».

Après avoir consulté les autres membres du Comité International Olympique, lord Killanin adresse sa réponse au 16 pays africains exigeant l'exclusion de la Nouvelle-Zélande : « Le rugby est un sport qui échappe entièrement à l'emprise du Comité International Olympique. Comité qui a déjà pris des mesures en retirant l'Afrique du Sud des Jeux en 1972. Nous convenons à l'unanimité que cette question dépasse la compétence du Comité et la Nouvelle-Zélande n'a enfreint aucune règle ».

Constatant cette fin de non-recevoir, les équipes nationales des pays signataires sont rapatriées le jour même, à l'exclusion du Sénégal et de la Côte d'Ivoire qui décident de rester. Au total, 22 comités olympiques se retirent des Jeux Olympiques28. Du 13 au 17 octobre 1976, la Commission exécutive du Comité Internationale Olympique de Barcelone est dédiée prioritairement au boycott des Comités nationaux olympiques africains.

Le Comité relève que la grande majorité des motifs concernant la non-participation aux Jeux de Montréal sont liés à la volonté de protester contre les relations sportives entre la Nouvelle-Zélande et l'Afrique du Sud.

28 Algérie, Cameroun, Éthiopie, Égypte, Ghana, Guyane, Haute-Volta, Irak, Kenya, Libye, Mali, Maroc, Niger, Nigeria, Ouganda, République Populaire du Congo, Soudan, Swaziland, Tchad, Togo, Tunisie et Zambie.

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Lord Killanin et les membres du Comité décident de ne pas sanctionner les athlètes et les comités nationaux olympiques africains ayant décide de leur tardif et engagé retrait, estimant que ceux-ci avaient déjà payé un lourd tribu en sacrifiant « toute une génération d'athlètes ». Le 23 décembre 1976, lord Killanin rappelle que la charte olympique doit être respectée et que le mouvement olympique doit être autonome et non dicté par des ingérences extra-sportives ou gouvernementales et donc de la politique purement politicienne.

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LE GLENAGLES AGREEMENT, L'OPPOSITION FORMELLE DU COMMON WEALTH ET SA TARDIVE APPLICATION RÉELLE

En 1977, les nations du Commonwealth signent le Commonwealth Gleneagles Agreement et décident de soutenir la campagne anti-apartheid pour décourager les relations et les compétitions entre les athlètes et les organisations sportives, les équipes ou individus d'Afrique du Sud.

Le Commonwealth est un organe compétent pour imposer un boycott à l'Afrique du Sud puisque plusieurs sports populaires et typiquement coloniaux en Afrique du Sud sont dominés par le Commonwealth, à l'exemple du cricket et du rugby de l'Union. Les membres du Commonwealth embrassent des nations de diverses races, cultures, langages et confessions ont depuis longtemps perçu le danger de la discrimination raciale et se sont donc engagés dans la lutte contre la ségrégation.

Au sommet de Londres, les représentants des gouvernements ont réaffirmé que l'apartheid sportif était une abomination contraire aux principes de la Déclaration du Commonwealth prévus par la Déclaration de Singapore le 22 janvier 1971. Le Commonwealth est conscient que les relations sportives entre leurs pays et les pays pratiquant l'apartheid tend à laisse penser qu'ils encouragent et partagent une politique de discrimination raciale prohibée par la Déclaration de Singapore. Toutefois, malgré cette volonté politique de façade, en pratique le rugby de l'Union et le cricket ont continué à être joués au niveau international entre l'Afrique du Sud et le Commonwealth malgré le Gleneagles Agreement. Le dernier tournoi de rugby britannique en Afrique du Sud a lieu en 1985 et une équipe australienne visite l'Afrique du Sud en 1986 et en 1987.

En réalité, le boycott sportif du Commonwealth commence véritablement à la fin des année 1980 lorsque la pression internationale est telle que les relations entre les pays membres et l'Afrique du Sud relatives au rugby et au cricket sont suspendues et que l'Afrique du Sud se voit refuser le droit de faire participer leurs équipes régionales et internationales pour une saison entière et non seulement quelques matchs. Le South African Financial Mail affirme alors que « le boycott sportif est probablement l'arme la plus puissante dans la lutte contre l'apartheid. Et ce parce que en affectant leurs loisirs, il a forcé les blancs apolitiques à se positionner et à questionner l'iniquité et l'absurdité de l'apartheid »29.

29 The South African Financial Mail, 28 septembre 1990 : « The sports boycott has perhaps been the most successful weapon in the struggle against apartheid. This is because, by directly affecting their recreation, it forced apolitical whites to consider the inquity and absurdity of apartheid ».

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DU CHANGEMENT COSMÉTIQUE DES ANNÉES 1980 « A NORMAL SPORT IN AN ABNORMAL SOCIETY » À L'HUMILIATION DES TOURNOIS « MERCENAIRES »

Au début des années 1980, le sport est exempté de la politique d'Apartheid, mais en réalité l'Apartheid est toujours pratiquée. Ce faisant, la réadmission de l'Afrique du Sud dans la compétition sportive internationale devra attendre le débanissement du Congrès National Africain (ANC) en 1990. Sous le poids de la croissante pression internationale et fragilisée par son isolement de la communauté sportive internationale, l'Afrique du Sud tente de distinguer le sport de sa politique raciale.

En 1979, le Département du Sport des Loisirs30 devient un service accessible à toutes les communautés. Toutefois, sa mission est strictement encadrée par le Liquor Act et les Reservation of Separate Amenities Acts (RSAA) et le gouvernement continue d'insister sur la nécessité de leur application pour maintenir l'ordre et la loi et éviter les tensions. Le sport est finalement dissocié du Group Areas Act (GAA) en octobre 1979 : les billets des matchs joués sur des zones Noires peuvent être achetés par des Blancs et inversement, selon un système de permis.

Les institutions sportives revendiquent cette séparation entre le sport et la politique sociale sur la scène internationale. Toutefois, cette distinction entre le sport et la politique ne fera que renforcer le diction du South African Congress of Sport (SACOS)31 selon lequel « il ne peut y avoir de sport normal au sein d'une société anormale »32.

Le Conseil de Recherche en Sciences Humaines33 (HSCRC) recommande dans un rapport de 1980 que le sport soit dépolitisé, libéré des restrictions légales et fasse l'objet d'un financement équitable. Cette même année, la délégation du Conseil des Sports Britanniques34 menée par Richard Jeep visite l'Afrique du Sud.

Le rapport de la commission se montre plutôt favorable à l'Afrique du Sud mais ne met pas fin à l'isolement internationale parce que la réforme consentie dans le domaine du sport n'est pas acceptable si elle se tient isolée du changement politique.

Le sport en Afrique du Sud est alors dépolitisé, certes. Toutefois, un grand nombre de lois et de pratiques d'apartheid demeurent.

30 Department of Sport and Recreation

31 L'organisation interne anti-apartheid dans le sport fondée en 1973.

32 « No normal sport in abnormal society ».

33 The Human Sciences Research Council

34 British Sports Council

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D'après la Constitution de 1983, le sport au sein des écoles devient la responsabilité d'un département de l'éducation racialement constitué selon et une structure tricamérale (blancs, indiens et couloured).

À la fin des années 1980, le gouvernement encourage prudemment des tournois entre écoles mixtes et se fait attaqué tant par la droite que par la gauche qui le jugent toutes deux trop progressiste.

Des études montrent que 70% des infrastructures sportives sont contrôlées par les Blancs et que les dépenses par habitant sont 7 fois plus élevées pour les Blancs que pour les Noirs en dehors du bantoustan. Les groupes politiques de droite émergent à travers les municipalités conservatrices et des écoles financées par l'État. Le gouvernement sud-africain contre l'opposition de gauche en diabolisant la SACOS et en retenant arbitrairement, sans procès préalable, les passeports de ses leaders au motif que l'organisation fait parie d'un « complot » contre le pays. La SACOS dénonce la situation aux médias internationaux en précisant que si les joueurs Noirs sont traités équitablement sur le terrain c'est ensuite pour mieux regagner une société d'apartheid plus légitimé et trompeuse.

Pour assurer la sécurité publique, le Joint Management Center (JMC) mène campagne contre la SACOS. À la fin des années 1980, celle-ci a perdu de son influence au profit du Conseil du Sport National (NSC)35et du Congre National Africain (ANC), grâce au boycott international et à une stratégie pratique plus avisée. Selon l'ANC, le boycott doit être ciblé et non plus systématique pour être plus efficace et crédible. Alors que la SACOS était devenu trop rigoriste et doctrinale.

L'Afrique du Sud réplique au boycott en organisant des tournois de cricket, de rugby et de football « mercenaires » formés de joueurs pour la plupart en disgrâce ou en fin de carrière que certains qualifient de « parias ».

Ces tournois clandestins sont dénoncés unanimement et même par certains représentants de partis eux-mêmes très conservateurs, tels que Margaret Thatcher qui dénoncent ces tournois au nom du Gleneagles Agreement, lequel acte, nous l'avons vu, contraint le Commonwealth à l'isolement de l'Afrique du Sud ségrégationniste.

Ces tournois sont qualifiés par certains universitaires de « rencontre illicite d'arrière-cour avec l'Apartheid sud-africaine»36.

35 National Sport Council

36 H.M Beckles, The development of West Indian Cricket, The Age of Nationalism, London, Pluto, 1998, P.20 : « A backstreet illicit encounter with South Africa Apartheid ».

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Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

La communauté internationale y voit donc un renforcement de l'apartheid sportif et un triomphe du nationalisme, bien que ces compétitions ne reçoivent que peu de soutien.

Au moment où le monde du cricket est instable, l'Afrique du Sud menace de séparer le sport selon une logique raciale. En 1985, lorsque les « mercenaires » australiens arrivent en 1985, il apparaît évident que cette visite est motivée par les avantages fiscaux consentis aux sponsors. Ces subventions sont en fait des subventions gouvernementales dissimulées.

Assez ironiquement, les sponsors impliqués souhaitaient préserver leur anonymat par crainte d'être rejetés par une partie de la société sud-africaine.

Le dernier tournoi « mercenaire » de cricket coïncide avec la levée du ban et la libération de Nelson Mandela en février 1990. Ces tournois auront attiré la désapprobation internationale, un faible intérêt sportif et auront surtout permis l'ascension de l'ANC. L'ANC détient un rôle crucial dans le retour de l'Afrique du Sud à la compétition internationale, grâce à son stratagème pour permettre un changement, cette fois politique. Si le sport dans l'Afrique du Sud Apartheid a longtemps permis aux Blancs sud-africains de distinguer leur identité de celle des autres communautés raciales, il participe finalement à la vulnérabilité puis à l'effondrement du système.

La législation apartheid n'a pas réussi à régir durablement le sport et les loisirs. La communauté internationale s'est saisie du sport pour exprimer son aversion pour l'apartheid et le boycott sportif a constitué un formidable instrument de condamnation. Comme nous l'avons expliqué, pour les Blancs sud-africains, le sport a une vocation quasi divine et chaque victoire sur le terrain leur permettait d'établir la pertinence et la légitimité tant de leur mode de vie que de leur structure sociale et politique.

Paradoxalement, le sport s'avère être le talon d'Achille de l'Afrique du Sud. Pendant toute la période que nous venons d'étudier, la relation entre le gouvernement et les organisations sportives internes est symbiotique : les organisations sportives n'étant que des entités supportrices d'une politique gouvernementale qui les dépassent. Ces organisations n'ont aucune vision globale de leur rôle dans la société et n'ont fait qu'appliquer la politique du National Party. Finalement, la nécessité de présenter un visage de l'apartheid plus acceptable puis, sous la pression de la communauté internationale, d'y mettre un terme absolu a précipité un changement d'abord cosmétique puis profond.

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Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud LA RÉINTÉGRATION AUX JEUX DE BARCELONE ET LA MONTÉE AU POUVOIR DE L'ANC

À la fin des années 1980, les organisations sportives sont donc contraintes de se réorganiser selon une politique non-raciale pour réintégrer la compétition internationale. Les organisations sportives précédemment distinctes telles que l'organisation pour le « White Cricket », l'organisation pour le « Black Cricket » et l'organisation pour le « Coloured Cricket » ont du s'amalgamer en une seule organisation avec des représentants de diverses races.

Les organisations sont également contraintes d'adopter une Constitution qui soutient la non-ségrégation et prévoit un plan de développement prouvant que les ressources financières de l'État seront allouées à la majorité Noire historiquement désavantagée.

Ces changements sont en partie déterminés par la volonté de l'Afrique du Sud de réintégrer les Jeux Olympiques de Barcelone de 1992.

Le SACOS se montre très critique de ces opportuns changements et voit dans cette réorganisation un leurre. Le fait que les anciennes organisations sportives Blanches soient désormais des comités « intégrés » ne permet selon le SACOS aucun véritable changement des conditions sportives dans la pratique. Les représentants du SACOS, à travers plusieurs entretiens à la presse internationale, expriment également que les plans de développement resteront lettre morte faute de financement publique. En outre, une fois que l'Afrique du Sud sera réadmise aux Jeux, l'attention internationale se focalisera sur la compétition sportive au détriment de l'insuffisance du changement social. Malgré ces critiques, la communauté internationale constate la démocratisation et l'ouverture de l'Afrique du Sud, les sanctions bilatérales ainsi que celles des Nations Unies sont progressivement levées.

En 1992, l'Afrique du Sud est réadmise aux Jeux de Barcelone, les sportifs Noirs concourent sous les couleurs olympiques et non plus sous les couleurs de l'apartheid, ce qui est une première historique. C'est la première fois depuis 1960 que l'Afrique du Sud est autorisée à participer aux Jeux Olympiques et Nelson Mandela, alors leader de l'ANC, y assiste. L'Afrique du Sud se réclame « rainbow nation » et multiculturaliste. Cette même année, et pour la première fois depuis 10 ans, une équipe de rugby étrangère est autorisée à visiter l'Afrique du Sud mais selon les strictes conditions posées par l'ANC : aucun hymne national n'est chanté, le drapeau sud-africain n'apparaît pas et une minute de silence est observée en hommage aux victimes de l'apartheid.

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Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

Le premier match-test contre la Nouvelle-Zélande à Ellis Park, Johannesburg, est un échec puisque aucune des conditions imposées par l'ANC n'est respectée. L'ANC menace donc à nouveau d'appeler à de nouvelles sanctions internationales contre le sport sud-africain.

En 1993, l'ANC et le gouvernement adoptent conjointement un nouveau drapeau aux couleurs combinant les couleurs de l'ANC (Noir, vert et jaune) à celles des républiques blanches (rouge, blanc et bleu), un nouvel hymne est adopté réunissant l'hymne de l'ANC37 et celui de l'Afrique du Sud38.

En 1994 sont organisées les premières élections législatives multiraciales au suffrage universel, l'ANC présidée par Nelson Mandela conquière le pouvoir.

C'est l'aboutissement de la lutte anti-apartheid. Une cinquantaine de chefs d'État et le secrétaire général de l'ONU, Boutros Boutros-Ghali, sont présents à l'investiture présidentielle de Nelson Mandela. Un nouveau modèle pour le sport en Afrique du Sud est proposé selon lequel un ministère du sport distinct régit la politique sportive. La première priorité de cette politique sportive étant d'améliorer les infrastructures sportives dans les communautés Noires précédemment marginalisées par l'apartheid. L'ANC vise le développement et la réconciliation nationale à travers le sport et institue le Programme de Développement et de Reconstruction39. Sont donc formées des « delivery units » chargées d'apporter l'éducation sportive, l'entraînement, les infrastructures et l'équipement aux masses des communautés désavantagées.

En réalité, l'accès au sport pour ces communautés souffrant de l'apartheid est une illusion. Les écarts entre les Noirs et les Blancs concernant les besoins primaires sont trop primordiaux pour imaginer que le sport soit une priorité réaliste à moyen terme.

Par exemple, entre 1989 et 1990, la dépense par habitant pour l'éducation primaire et secondaire était de 930R pour les Noirs et de 3739R pour les Blancs.

En 1991, 83% des Noirs économiquement actifs gagnent moins de 10 000R par an ce qui n'est le cas que de 15% des actifs Blancs. En outre, 0,6% des Noirs gagnent plus 50 000R par an alors que ce salaire est atteint par 87% des actifs blancs.

L'espérance de vie à la naissance est de 59 pour les Noirs et de 71 ans pour les Blancs, le taux de mortalité infantile sur 1000 naissance viables est de 61 pour les Noirs et 9 chez les Blancs. Une population estimée à 7 000000 Noirs vit dans des townships insalubres,

37 Nkosi Sikelel' iAfrika

38 Die Stem Van Suid-Afrika

39 Reconstruction and Development Programme

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Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

23.000.000 n'ont pas accès à l'électricité, 10.000.000 n'ont pas accès à l'au potable et 15.000.000 aux sanitaires.

Par conséquent, les « delivery units » ne peuvent être effectives dans une société où le sport n'est pas la priorité puisque le pays dénombre de sérieuses carences en matière de logement, de santé, d'emploi et d'éducation.

Ainsi, le sport a été l'instrument du changement en Afrique du Sud et le terrain historique des inégalités raciales. Logiquement, l'ANC fait du sport sud-africain un priorité politique parce que le sport est étroitement lié à l'intégration et au développement, mais le sport n'est pas la priorité sociale réelle en Afrique du Sud et les moyens limités du pays ne permettent pas les changements et améliorations structurels promis par l'ANC.

LE RUGBY ET LA RECONSTRUCTION IDENTITAIRE, LA SYMBOLIQUE WORLD RUGBY CUP DE 1995

La Coupe du monde de rugby de 1995 est le premier événement sportif à avoir lieu en Afrique du Sud après la fin de l'apartheid, il s'agit de la première compétition internationale à honorer la réintégration de l'Afrique du Sud au sport international. Le 24 juin 1995, à Ellis Park, Johannesburg, les Springboks sud-africains vainquent les All Blacks néo-zélandais. Parmi l'équipe sud-africaine, Chester Williams, le seul joueur Noir des Springboks, souvent qualifié par la presse de « black pearl », devient une icône du « nouveau » sport sud-africain, l'emblème de la réconciliation nationale.

La scène est culte, historique et hautement symbolique (la photo de cette scène se trouve d'ailleurs au Muséum de l'apartheid), Nelson Mandela, récemment élu Président, habillé d'un jersey aux couleurs des Springboks, remet le trophée au Capitaine Pienaar, symbole de la réconciliation et de la victoire : l'ascension et la réunification de l'Afrique du Sud. Le rugby est perçu, nous l'avons vu, comme un sport traditionnellement Blanc et issu de l'idéologie afrikaner. C'est le sport par excellence du nationalisme afrikaner et de l'impérialisme. Le symbolisme de la poignée de main entre le leader de la révolution Noire et le capitaine du bastion de la « suprématie blanche » est très forte. Interrogé sur les événements politiques marquants de l'année 1995, le politologue et ambassadeur Dennis Worral répond « c'est lorsque l'Afrique du Sud a battu la Nouvelle-Zélande pendant la Coupe du Monde, en portant le jersey numéro 6 du capitaine François Pienaar Mandela est le symbole de l'unité dans une société profondément divisée... L'impact émotionnel et le

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Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

symbole politique de cet événement a éclipsé tout ce qui passe en Afrique du Sud cette même année »40.

Cette importance politique ne s'entend que si l'on resitue cette victoire dans le contexte du gouvernement de Nelson Mandela qui tente de promouvoir une vision de l'Afrique du Sud qui transcende la vision divisionnaire de l'identité ethnique longtemps entretenue par l'idéologie apartheid. Réunir et fédérer tous les sud-africains derrière une équipe de rugby est un symbole manifeste qui donne une impulsion à la création de l'identité unitaire sud-africaine malgré les différences raciales : la « rainbow nation ».

Comme l'a exprimé Nelson Mandela au cours du banquet officiel concluant la fin du tournoi « lorsque le sifflet final a retenti, les fondations pour la réconciliation et la construction nationale ont été renforcées »41. Le message émis par la Coupe du monde de 1995 est un message de réconciliation, les participants et les spectateurs sont invités à s'unir et à enfin dépasser les clivages raciaux.

Les Springboks ne sont plus l'équipe de l'hégémonie afrikaner mais l'incarnation sportive de la « rainbow nation »42 grâce à la participation de Chester Williams.

Pour le sociologue Wilmot James, l'équipe de rugby sud-africaine a excellé et dépassé les attentes de la nation et ce faisant a élevé le concept d'unité nationale à un niveau non atteignable par les discours politiques ou les ateliers communautaires. Ainsi, le sport est un standard infaillible qui implique des millions de personnes dans une logique collective et de célébration, c'est un exemple puissant d'idéologie spontanée43.

Ce tournoi incarne l'entrée de l'Afrique du Sud dans la démocratie. Lorsque Nelson Mandela se tient debout au milieu de l'Afrikanerdom, lieu sacré du rugby sud-africain, sport du confinement de la communauté Noire pendant l'apartheid, il symbolise la réconciliation.

40 Cape Times, 29 décembre 1995 « This was when South Africa defeated new-Zealand for the World Rugby Cup and Nelson Mandela wearing South African captain Francois Pienaar's numer six jersey, symbol of unity in a deeply divided society... The emotional impact ans political symbolism of this event eclipsed everything else that happened in South Africa in 1996 ».

41 Eastern Province Herald, 17 aout 1995 « When the final whistle blew... the foundations for reconciliation and nation-building had been truly strengthened »

42 Après la victoire des Spingboks, ce terme est récurrent dans les titres des journaux : « How rugby scored a try for new South Arica » Mail and Guardian, « Rugby World Cup - All Blacks v the rainbow nation » Mail and Guadian, « Reign-Bow Boks » Sunday Tribune, « Our Guts and glory boys... and the rainbow nation rejoices » Sunday Times, « Rugby helped to heal the nation » Eastern Province Herald

43 Wilmot James, Democracy in action, mars 1996 p. 3. « South African sport teams have excelled beyond expectations and in doing so have elevated the concept of national unity in a way that 1000 lectures and community workshops could not have begun to achieve. President Nelson Mandela, too is a major party to the lifting of the national spirit ... Some people wonder aloud how deeply athletic excellence can penetrate the spirit. However, it is a mistake of the intelligence to think that prowess on the sports field evokes merely a momentary sentimentality for the masses. It sets an unmistakable example, involves millions of people in collective forms and celebrations, and is in fact a powerful example of spontaneous ideology. »

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À ce sujet, Nelson Mandela confiera en 2001 : « Le sport a le pouvoir de changer le monde. Il a le pouvoir d'inspirer et d'unir un peuple comme peu d'autres évènements peuvent le faire (...) Il est pus puissant que les gouvernements pour briser les barrières raciales »44.

L'événement transcende les anciens clivages et permet l'émergence d'une nation unifiée selon le slogan « one team, one nation » par l'exaltation d'un succès partagé.

La Coupe du Monde de 1995 signe la réintégration à la communauté sportive internationale et la reconnaissance au sein du monde occidental après un long isolement.

Sur le plan économique, la fuite des sponsors et la non-participation aux tournois principaux pendant ces années d'isolement apartheid ont engendré un manque à gagner entre 460 à 690 millions de Rand à (soit environ 30 à 45 millions d'euros) et ont diminué la compétitivité des équipes sud-africaines.

Au lendemain du mondial de 1995, l'Afrique du Sud apparaît réconciliée et l'espoir d'un rapprochement durable entre les différentes et divisées communautés nationales est permis.

44 Playing the Enemy : Nelson Mandela and the game that made the nation, John Carlin, 2009, « Sport has the power to change the world. It has the power to inspire, the power to unite people that little else has (...)It is more powerful than governments in breaking down racial barriers. »

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