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Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud.

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par Anne-Gaël JOUANNIC
IRIS - Master 2 Relations internationales 2016
  

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B - Un changement institutionnel et social inabouti : l'injustice raciale persistante en Afrique du Sud

À l'abolition de l'apartheid, l'Afrique du Sud ségrégationniste est devenue, selon les propres termes de sa Constitution, une « démocratie multiraciale non discriminatoire et non sexiste ». La rainbow nation se présente comme un pays soucieux de s'affranchir de la période colonialiste et raciste.

Les chercheurs internationaux emploient fréquemment l'expression de miracle sud-africain pour caractériser le changement de régime de l'Afrique du Sud. En effet, le régime sud-africain est l'un des plus libéraux au monde, sa devise unity in diversity et les réformes institutionnelles de correction des inégalités policy of redress laissent envisager un réel progrès démocratique.

Nonobstant, le cas sud-africain est injustement mythifié par la communauté internationale. Dans Invictus, Clint Eastwood dépeint de manière très consensuelle la construction d'une nouvelle Afrique du Sud, incarnée par la Coupe du monde de rugby de 1995, grâce à l'instrumentalisation du sport à des fins politiques. Le scène finale montre des Noirs jouant au rugby, illustrant une Afrique du Sud apaisée, unifiée et victorieuse.

Or, ce happy ending idéalisé qui habite l'imaginaire collectif relève du mythe. Les deux défis qui survivent à la chute de l'apartheid - endiguer le racisme et les inégalités sociales - ne sont actuellement pas atteints. Des récents faits-divers et constats d'inégalité sociale, moins médiatisés que les compétions internationales à symboles et que les productions hollywoodiennes, attestent de la fragilité persistante de la division sud-africaine.

Pour reprendre les termes du joueur de rugby sud-africain Morné du Plessis « il aurait été naïf de penser que ce titre mondial changerait notre société et notre rugby, qu'il aurait été un acte fondateur. Il a juste été un moment important. Il a fait évoluer la perception qu'avaient les Blancs de Nelson Mandela et la perception qu'avaient les Noirs et les Métis du rugby. C'était déjà beaucoup. Ce fut un grand et beau moment mais il ne doit pas être pris pour ce qu'il n'a jamais été en fait. Le chemin est encore long. »

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L'AFRIQUE DU SUD POSTAPARTHEID TOUJOURS INÉGALITAIRE, APRÈS L'APARTHEID POLITIQUE VERS L'APARTHEID SOCIAL

Lorsque l'ANC arrive au pouvoir, il lui appartient de démontrer qu'elle est apte à assurer la transition depuis la libération vers la constitution d'un gouvernement responsable qui se consacre à la réconciliation sociale. Mais l'ANC doit également prouver aux économies capitalistes qu'elle est un partenaire commercial fiable. Le tiraillement entre ces préoccupations antagonistes ne semble pas permettre le changement économique et social par une stratégie politique cohérente et suivie.

L'échec de la transformation sociale apparaît premièrement comme un paradoxe. En effet, l'économie sud-africaine est la première du continent africain duquel elle représente 18,6% du PIB. Elle est classée 29ème au niveau mondial. L'Afrique du Sud en tant que puissance émergente fait partie des BRICS et possède des ressources naturelles exceptionnelles et stratégiques : or, manganèse, chrome, uranium, cuivre, argent, titane fer, plomb, platine (près de 80% des réserves mondiales), diamants (15 millions de carats) et charbon (6ème rang mondial). Malgré son relatif développement économique et l'abolition juridique de l'apartheid, l'Afrique du Sud demeure un pays profondément inégalitaire et l'accès aux fruits du développement est toujours régi selon une implacable logique raciale.

L'abolition de l'apartheid et l'arrivée au pouvoir du premier gouvernement démocratiquement élu et mixte ont suscité de grands espoirs de réformes sociales. Toutefois, plus de 20 ans après la fin de l'apartheid, le bilan social est contrasté. Le régime de ségrégation raciale a profondément marqué la société africaine et la fracture raciale persiste. En 2013, Jeune Afrique relaye les études de Goldman Sachs qui indiquent que si l'Afrique du Sud a progressé depuis la fin de l'apartheid, la société reste plombée par des inégalités accablantes, un chômage massif et une faible productivité. Goldman Sachs note que 85% des Noirs sont pauvres alors que 87% des Blancs disposent de revenus moyens ou élevés.

Les statistiques issues du recensement de 2014 attestent de l'incapacité de l'Afrique du Sud à atténuer les inégalités raciales.

Paradoxalement, alors que l'Afrique du Sud est le pays le plus riche du continent africain, 27% de la population connaît la malnutrition, 52% de la population vit sous le seuil de pauvreté, près de 2 millions d'habitants sont concentrés dans des bidonvilles, le taux de

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chômage officiel atteint 25,2% des actifs (35% en réalité) et plus 6,5 millions de séropositifs déclarés45.

La population Noire est plus exposée à la pauvreté que la communauté blanche. Ainsi, d'après l'Observatoire des inégalités, la communauté Noire représente 79,6% de la population sud-africaine et la communauté blanche 8,9%, la communauté Noire ne perçoit que 41 % des revenus nationaux. Toutefois, un foyer blanc perçoit des revenus en moyenne 6 fois plus élevés qu'un foyer Noir (48 200R contre 8000R). Le fossé racial est toujours très creusé puisque 29% de la population Noire est au chômage contre seulement 4% de la population blanche. Lorsque 62% de la population Noire vit sous le seuil de pauvreté, seul 1% de la population blanche est concernée. En outre, seuls 8,3% de la communauté Noire poursuit des études supérieures post-baccalauréat contre 37% de la communauté blanche. .

Si d'après l'Institut des Relations Raciales (SAIRR)46, la classe moyenne Noire est désormais équivalente à la classe moyenne blanche, il s'agit davantage de l'expansion d'une élite (« happy few ones ») que de l'essor d'une majorité prospère. En 2011, le coefficient de Gini (0,58), en hausse depuis 2000 s'élevait à 0, 64 ce qui classe l'Afrique du Sud pays le deuxième plus inégalitaire au monde derrière la Namibie.

La « rainbow nation » semble toujours payé le tribu de l'apartheid. Sous l'apartheid, nous l'avons vu, l'éducation était ségréguée, les Noirs sont exclus des écoles et des postes à compétence. Aujourd'hui, l'éducation est théoriquement équitable mais les enfants de familles Noires les plus pauvres ne peuvent s'offrir les frais d'inscription exigés par les bonnes écoles. La qualité de l'éducation publique gratuite proposée aux populations Noires démunies est classée comme l'une des plus médiocres au niveau mondial selon le Forum économique mondial.47

Ainsi, les inégalités se sont accrues et polarisées entre les catégories raciales. Les Blancs voient les inégalités au sein de leur communauté régresser de 8% depuis 2000. En revanche, pour toutes les autres catégories raciales, les inégalités continuent de se creuser.

Si l'abolition de l'apartheid a permis à des populations anciennement exploitées de profiter de l'expansion économique, les salaires augmentent seulement pour la poignée des « happy few ones » au détriment d'une majorité vivant dans des conditions misérables et amassée dans des townships.

45 L'Afrique du Sud détient aujourd'hui l'un des plus élevés taux de prévalence du VIH selon la Banque Mondiale (avec la République du Congo, Botswana, Ouganda, Mali et Cameroun).

46 South African Institut of Race Relations

47 http://reports.weforum.org/global-competitiveness-report-2012-2013/

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Pour Kevin Lebone (SAIRR), l'un des chercheurs à l'origine de ces statistiques « un pays aux fortes inégalités est inévitablement instable et devient indésirable pour ses citoyens tout comme pour les investisseurs étrangers ». Mais les inégalités au sein des "groupes raciaux" sont aussi un problème selon lui. Il estime que « ces fortes inégalités sociales entre les Noirs en général, et entre les Africains en particulier, sont un motif d'inquiétude et pourraient être la conséquence inattendue de la politique de discrimination positive à l'égard des Noirs ». Comme nous le verrons ultérieurement à travers la question des quotas raciaux, cette politique de discrimination positive stigmatise une communauté qui a revendiqué dans la lutte contre l'apartheid l'abolition de la distinction raciale et du traitement différencié.

Afrique Relance, département d'information de l'ONU, a étudié l'éloquent parallèle entre le township « Mandela Village » et Johannesburg. « Mandela village », dont la référence devient tristement ironique, est un bidonville de 7000 habitants, exclusivement Noirs, délabré construit en 1990 à partir de matériaux récupérés dans une gare désaffectée non loin de Soweto.

Parmi les habitants interrogés par les enquêteurs ONU, beaucoup doutent de la capacité du gouvernement ANC à améliorer leurs conditions de vie dans les prochaines années. Le rapport de l'ONU décrit le village comme un assemblage de « baraques minuscules, séparées par d'étroits passages et bordées de rigoles ». Le village n'est pas alimenté en électricité et ne dispose que de 5 points d'eau. Parce que la communauté est organisée et représentée par des militants de l'ANC, la municipalité leur a accordé le relatif confort de 90 toilettes portatives. En 2000, la quasi-totalité des habitants sont au chômage et les revenus qu'ils perçoivent proviennent d'activités illicites.

À l'exact opposé, à quelques kilomètre seulement, les habitants de Johannesburg, capitale commerciale d'Afrique du Sud, sont majoritairement Blancs et fortunés. Le quartier résidentiel gardé de Sandton offre de spacieuses maisons, des parcs, des centres commerciaux, des sièges d'entreprises et des hôtels. Les habitants blancs sont regroupés et protégés par des murs, des clôtures électriques et des services de gardiennage privés48.

Pour reprendre les termes du sociologue Roger Southall, dans l'Afrique du Sud postapartheid, la ségrégation socialo-spatiale a remplacé la ségrégation politique livrant le pays à une tacite « apartheid des murs »49. Certes, le système légal et politique ne pratique plus la ségrégation et encourage même à la discrimination positive (« affirmative action ») en

48 http://www.un.org/fr/africarenewal/vol14no4/sudafr.htm

49 Roger Southall, Unions and parties in South Africa : Cosatu and the ANC in the wake of Polokwane, Southall R & Webster E, 2010

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faveur des Noirs mais de nombreuses inégalités sociales subsistent et entretiennent les frustrations héritées de l'apartheid.

En effet, si les actes de violences liées aux revendications politiques ont diminué et que la violence globale est historiquement élevée en Afrique du Sud, on observe une hausse de la criminalité et de la violence sur fond de conflit social.

Et certains troubles ne sont pas sans rappeler ceux de l'apartheid. En août 2012, la grève des mineurs de Marikana dégénère et 34 manifestants travailleurs de la mine de platine sont tués par la forces de l'ordre sud-africaines. Cet épisode est comparé par la presse internationale aux massacres de Sharpeville en 1960 et de Soweto en 1976. Le gouvernement semble incapable de panser les plaies de son histoire coloniale. En réaction, les contestations ont ensuite gagné les ouvriers d'or, de minerai, de fer, de chrome et enfin de charbon. Les grèves de mineurs ont causé la perte d'1 milliard de dollars en 2013, faisant chuter la croissance sud-africaine de 2 points. Le Rand atteint alors son taux le plus bas depuis la crise économique. Déjà affectée par la chute des matières premières en 2015, l'Afrique du Sud traverse depuis une crise économique déstabilisante.

La chute du système de l'apartheid et l'établissement de l'ANC, parti démocratique et progressiste, laissait espérer le passage d'un système d'exclusion et d'inégalités à un système inclusif et égalitaire. Néanmoins, l'Afrique du Sud est en crise économique, politique et sociale. Toujours profondément inégalitaire. Selon le géographe Philippe Gervais-Lambony, si le système d'apartheid est aboli, on n'assiste pas pour autant à une mixité raciale, laquelle reste marginale50.

Pour l'ancien Ministre du Développement et actuel membre du comité exécutif national de l'ANC Zola Skweyiya la société sud-africaine est une « bombe à retardement »51.

Les pouvoirs publics se défendent et attribuent la faiblesse des progrès réalisés à l'héritage de l'apartheid : le pays n'a pas encore dépassé la médiocrité des soins de santé et de l'éducation résultants des politiques discriminatoires menées sous l'apartheid.

Engluée dans ses incapacités et frustrations, l'Afrique du Sud actuelle est en situation d'échec face à ses objectifs fondamentaux de 1994.

50 Les formes de la démocratie locale dans les villes sud-africaines, Introduction, Revue Tiers Monde, 2008/4, n°196 et

51 « South Africa is experiencing a deep social crisis, we are sitting on a time-bomb of poverty and social disintegration. » Zola Skweyiya

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LES CHOIX HÉSITANTS ET CONTRADICTOIRES DE L'ANC : L'ABANDON DU PROGRAMME DE RECONSTRUCTION ET DE DÉVELOPPEMENT ET L'ÉCHEC DE L'ÉCONOMIE LIBÉRALE

Les choix stratégiques de l'ANC ont aggravé la situation socio-économique du pays.

En effet, dans l'euphorie des élections de 1994, l'ANC s'engage auprès de la communauté Noire à des changements sociaux qu'elle s'avère incapable d'atteindre. Comme l'explique Afrique Relance, cette euphorie postapartheid s'est désormais dissipée et le taux de participation aux élections nationales est en baisse depuis les élections de 1999. En outre, l'ANC, originellement marxiste, a fait le choix de s'orienter vers une économie libérale internationalisée en ouvrant les marchés et réalisant des compressions budgétaires. Cette soudaine libéralisation de l'économie sud-africaine est dénoncée comme trop brutale et inadaptée à une économie fragile et une société en reconstruction à fortes disparités sociales. Ainsi, plus de 20 ans après son arrivée au pouvoir et la concrétisation de ses objectifs à travers la Reconstruction and Development (PRD) le gouvernement de l'ANC dresse un bilan insatisfaisant de son action.

Le PRD était initialement, en 1992, le programme socio-économique électoral de l'ANC puis est devenu le principal axe de réforme du nouveau gouvernement. En réalité, dès son élection, l'ANC renonce à ses principaux projets en matière économique : la nationalisation des grands secteurs d'activité et la redistribution des gains excédentaires Blancs au profit des Noirs. En 1994, comme nous l'avons étudié, l'Afrique du Sud sort contrainte d'un système de divisions internes basé sur la ségrégation raciale. La situation économique est impactée par l'apartheid et depuis 1974, le PIB per capita décline de 0,6% par an. Par conséquent, L'ANC hérite d'une situation économique et sociale très précaire. L'objectif de l'ANC est de reconstruire et de transformer l'économie après des années d'apartheid, d'isolation économique et de sanctions financières par la communauté internationale.

Le PRD doit donc construire une Afrique du Sud démocratique, unie et non-raciale et réduire la pauvreté, principalement subie par la population Noire. Il s'agit donc d'atténuer les inégalités sociales héritées du colonialisme. Par ses ambitions, le programme suscite de vifs espoirs à ses débuts.

Lorsqu'il est défini par Nelson Mandela, le PRD comprend des programmes socioéconomiques pour remédier aux inégalités sociales, des mesures de réformes institutionnelles, des programmes éducatifs et culturels et d'accès au marché du travail. Sous la présidence de Nelson Mandela, l'allocation des fonds publics a été repensée et le budget de la défense est réduit pour créditer le budget affecté à l'éducation, à la santé et au logement.

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Le PRD constitue également un fonds spécial crédité tous les ans de plusieurs milliards de rand pour financer les projets présidentiels comme les soins médicaux, les infrastructures scolaires et l'emploi. L'axe principal du PRD est de nationaliser les secteurs clé de l'économie, de redistribuer 30% des terres agricoles et de bâtir 1 million de logements neufs pour accueillir la population accumulée dans les townships. La mise en oeuvre du programme est entravée par plusieurs obstacles tels que la délocalisation des sièges sociaux de multinationales sud-africaines, l'augmentation du chômage suite à la restructuration de la Fonction Publique et la baisse de productivité agricole en raison de la baisse des investissements des détenteurs de capitaux. Certes, le PRD est concluant dans certains domaines tels que l'instauration d'un système de sécurité sociale pour les plus démunis. Toutefois, le programme ne permet pas la croissance économique, son objectif premier. Après seulement une année de mise en oeuvre, la stagnation de la situation économique discrédite le PRD auprès des sud-africains et des investisseurs internationaux.

En 1995, l'ANC est confrontée à la faiblesse de la croissance économique de l'Afrique du Sud et cède à la pression exercée par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire Internationale (FMI). Elle entame ses premières mesures de privatisation. Graduellement, les pouvoirs publics éradiquent les mesures protectionnistes et libéralisent les échanges commerciaux pour se conformer aux exigences de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC).

Ce faisant, l'ANC décide en 1996 de changer ses objectifs pour rassurer les investisseurs et adopte un nouveau plan stratégique macroéconomique : la Growth Employment Redistribution (GEAR). La GEAR oeuvre à instaurer une économie concurrentielle à croissance rapide pour permettre au gouvernement d'investir dans des programmes sociaux. La GEAR a pour objectif de réduire les déficits fiscaux, baisser l'inflation, contenir l'instabilité le taux de change, déréguler les barrières commerciales et libéraliser les échanges. Cette politique a été vivement critiquée notamment par le congrès des syndicats sud-africains (COSATU). Le COSATU lui reproche d'être trop néo-libéral et d'avoir sacrifié ses priorités sociales. Le gouvernement défend sa politique en précisant qu'il est nécessaire de promouvoir une forte croissance économique pour créer des emplois et des revenus pour redistribuer les richesses ainsi engendrées aux communautés Noires.

En 1999, l'ANC décide la loi sur l'équité puis en 2003 le Broad Based Black Economic empowerment Act qui obligent les entreprises sud-africaines à réserver des actions et emplois aux Noirs sud-africains. Ces mesures ont permis l'émergence d'une classe moyenne Noire

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appelée « buppies »52 représentant seulement 11% de la population Noire sud-africaine. En revanche, le plan GEAR a été très néfaste pour la main d'oeuvre Noire peu qualifiée. Les privatisations ont nécessité la mise en oeuvre de plans de restructuration qui ont détruit 500 000 emplois peu qualifiés en seulement 3 ans. Le bilan socio-économique de la GEAR est assez médiocre. La croissance économique est faible et l'investissement privé insuffisant à permettre la réduction du chômage, de surcroît, la redistribution de la richesse des Blancs aisés vers les Noirs défavorisés n'a été que faible. L'enjeu social de réduction de la pauvreté et de la création de l'emploi n'a donc pas été atteint.

La GEAR est remplacée en 2005 par l'Accelerated and Shared Growth Initiative for South Africa (ASGISA) qui a pour objectif de réduire la pauvreté en relançant l'emploi et reprend également les principaux objectifs du GNP : construction nationale, démocratisation, fin de la disparité raciale. Le succès du programme est incertain parce que le gouvernement n'en a pas publiquement fait le bilan. Cependant, les résultats obtenus sont décevants, le PIB réel sud-africain n'a progressé que de 2,1% par an de 1996 à 1999, plus lentement donc que l'accroissement de la population. La faible croissance n'a pas permis de relancer l'emploi et a au contraire aggraver la pauvreté en milieu urbain.

En 2008, l'exclusion du président Thabo Mbeki, l'ASGISA est remplacée par le New Growth Path (GNP). Lorsque Jacob Zuma annonce la stratégie du GNP, il reconnaît la faiblesse des résultats atteints jusqu'alors : le chômage structurel, la pauvreté et les inégalités sociales. À cet égard, le GNP est envisagé comme un outil pour accélérer la croissance et réduire le chômage et les inégalités. En juin 2011, un premier Rapport de Diagnostic sur la politique ANC est publié, le rapport reconnaît que « les conditions socioéconomiques qui ont caractérisé le système de l'apartheid et du colonialisme définissent encore largement notre réalité sociale ». La pauvreté endémique et les inégalités socioéconomiques persistantes laisse l'Afrique du Sud deuxième pays le plus inégalitaire au monde après le Lesotho. Le rapport estime que la transformation ne s'est produite que marginalement laissant la majorité des sud-africains pauvres et toujours victimes d'inégalités53.

À son retrait de la vie politique en 2014, Trévor Manuel déclare qu'il faut cesser de « blâmer l'apartheid pour les défaillances de l'État, depuis 20 ans, la nation a été patiente face à la

52 Black Urban Professionnals

53 « Transformation has occurred marginally, as many South Africans are still not free from tyrannies of poverty

and inequality », Nation Comission Diagnostic Report, 2011, publication intégrale :
http://www.education.gov.za/Portals/0/Documents/Publications/National%20Planning%20Commission%20Dia gnostics%20Overview%20of%20the%20country.pdf?ver=2015-03-19-134928-000

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médiocrité des services publics (...) »54. Le rapport reconnaît également que l'ANC n'a pas atteint les objectifs fixés à l'élection de Nelson Mandela : la réduction de la pauvreté et des inégalités raciales. Cet échec est attribué, par les auteurs du rapport, à deux causes : la première, une confiance disproportionnée dans l'aptitude de l'État à transformer à lui seul la réalité socio-économique du pays ; ensuite, une mauvaise coordination entre l'État, le secteur privé et la nation. Parmi les grandes défaillances désignées par le rapport : le chômage dans la communauté Noire, la faiblesse des standards d'éducation pour les élèves Noirs, l'aménagement spatial qui exclut les plus pauvres de la vie économique et la division raciale.

En 2013, le gouvernement introduit le National Development Plan (NDP) - 2030 qui est annoncé comme le document stratégique du développement socioéconomiques à long terme (de 2013 à 2030). Il entend remédier aux défaillances des précédents programmes en instaurant un développement économique inclusif des programmes sociaux.

À ce jour, l'ANC n'est pas parvenue à dépasser la fracture raciale.

54 « We cannot continue to blame apartheid for our failings as a state, for almost two decades, the public has been patient in the face of mediocre services. The time for change, for a ruthless focus on implementation has come. » 11 mars 2014, Johannesburg

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LE DÉCLIN POLITIQUE DE L'ANC

Après l'abolition de l'apartheid, en 1996, la presse sud-africaine se montre sceptique du changement annoncé. Lorsque l'Afrique du Sud se revendique comme « One Nation », il s'agit davantage d'une aspiration que du constat d'un accomplissement55. L'Afrique du Sud actuelle, passée l'euphorie de la victoire et du changement de la fin des années 1990 est moins optimiste. La frustration de la communauté Noire s'est amplifiée face aux limites de la transformation sociale et de l'égalité économique promis par l'ANC. L'euphorie s'est dissipée et laisse apparaître un « massive post-liberation hangover and a painful case of depressed spirits »56. Nelson Mandela a perdu son « auréole de sainteté » et l'incompétence et la corruption de l'ANC sont de notoriété publique.

Dans les années 2000, Jacob Zuma, alors vice-président de l'ANC, est fréquemment l'objet d'accusations infâmantes pour le parti. Il est entendu dans le cadre de plusieurs affaires de corruption, de fraude et d'abus de pouvoir. En 2005, il est accusé du viol d'une jeune femme qu'il sait séropositive, il tiendra à la barre des contre-vérités « scientifiques » affligeantes sur les modes de transmission du VIH. Ces positions soulèvent l'indignation de la communauté internationale quand l'Afrique du Sud compte 6,5 millions de séropositifs déclarés et que l'épidémie augmente chaque année. Lorsqu'il remporte la présidence de l'ANC en 2007, il est de nouveau inculpé de corruption, fraude, blanchiment d'argent, racket et évasion fiscale dans le cadre de l'enquête impliquant le groupe d'armement Thales, alors qu'il vient de remporter la présidence de l'ANC. Jacob Zuma est finalement relaxé et l'ANC décide de lui restituer son poste de vice-président du parti.

Après la victoire nationale de l'ANC du 20 avril 2009, Jacob Zuma est élu président de la République sud-africaine. En 2013, la popularité du président est à nouveau entachée dans le cadre de l'affaire Nkandla qui révèle l'utilisation par le président de fonds publics pour entretenir son patrimoine privé. Une majorité de sympathisants de son propre parti considère qu'il doit démissionner pour blanchir le parti et il sera publiquement hué lors de la cérémonie

55 Weekly Mail and Guardian, 16 et 22 août 1996 : « When South Africa characterises itself as `one nation' it is less, a statement of fact than the expression of an aspiration. Only a fool would imagine that ours is a united country. It was, in fact, the recognition of the fractured nature of our society -- and the violently destructive consequences if we did nothing about it - that led us to the constitutional settlement. Some foreign observers do understand the real Sout Africa society, priding themselves on their perspicacity in seeing through our delusions. There are also fools for failing to understand the desperate game we play ».

56 Patti Waldmeir, Anatomy of a Miracle, p. 287

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d'hommage à Nelson Mandela du 10 décembre 2013 au FNB Stadium, devant une centaine de chefs d'États étrangers.

Néanmoins, en 2014, il remporte les élections législatives du 7 mai et l'Assemblée nationale ne s'oppose pas à sa reconduction et Jacob Zuma est à nouveau investi le 24 mai. La nation sud-africaine qui le réélit semble désabusée et en perte de confiance dans les institutions et le choix politiques, envisageant Jacob Zuma comme un pis-aller.

Le 31 mars 2016, la Cour Constitutionnel reconnaît Jacob Zuma coupable de violation de la Constitution pour avoir refusé de restituer, en partie, l'argent public qu'il a personnellement utilisé pour la rénovation de sa résidence privée 6 810 630R (soit environ 451 000 €). Le principal parti d'opposition, l'Alliance Démocratique initie alors une procédure de destitution contre le chef de l'État mais Jacob Zuma refuse de démissionner et est finalement maintenu dans ses fonctions. Le président est, de surcroît, actuellement entendu dans le cadre d'une affaire de contrat d'armement. Il lui est également reproché, régulièrement, de constituer des réseaux d'obligés, en plaçant ses proches aux plus hautes fonctions des entreprises publiques. Face à la litanie des accusations qui pèsent sur leur représentant, l'ANC est divisée en deux courants. D'un côté les loyalistes qui soutiennent inconditionnellement Jaco Zuma ouverts et, d'autre part, les réformistes soulevés par le ministre des Finances Pravin Gordhan. Ce dernier est placé au pouvoir en 2015 par Jacob Zuma, contraint de le nommer pour rassurer les investisseurs. Ces derniers sont en effet sceptiques du choix initial du Président de placer à ce poste un jeune député inexpérimenté. Etonnamment, peu de temps après sa nomination, Pravin Gordhan est inquiété de corruption et d'espionnage. Pour l'opposition à l'ANC, l'Alliance Démocratique, il s'agit d'une autre manoeuvre de Jacob Zuma pour maintenir son pouvoir au sein de l'ANC. Le parti apparaît donc très fracturé. Selon Mari Harris, analyste politique et directrice de l'institut de sondage Ipsos South Africa, « le timing de cette enquête ne peut être une coïncidence. Le président Zuma éprouve probablement du ressentiment car il a été contraint de nommer Gordhan comme ministre et il ne prend pas ses décisions dans l'intérêt du pays ». Les dissidences ne se cantonnent pas à l'ANC et à l'opposition mais gagnent également ses alliés traditionnels : le Parti Communiste Sud-Africain (SACP) qui exige des corrections exemplaires pour éviter l'aggravation du déclin.

Pour la première fois depuis son élection, et après plus de 20 ans de domination politique, l'ANC est menacée de perdre sa majorité absolue aux élections générales de 2019. Bien que l'ANC demeure aujourd'hui le premier parti au niveau national et domine le Parlement, l'alerte est sérieuse.

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La vague de défaites électorales de l'ANC questionne l'avenir du parti historique de Nelson Mandela. L'ANC conserve 54% des voix au niveau national et demeure donc la première force politique du pays. Mais c'est une force politique désormais sérieusement concurrencée avec la perte symbolique de Johannesburg, de Pretoria et de Port Elizabeth lors des municipales du mois d'août 2016. À Nelson Mandela Bay, la métropole qui comprend la ville industrielle de Port Elizabeth, l'ANC est vaincu à seulement 40% contre 46,7% pour l'Alliance Démocratique. Cette défaite est d'autant plus symbolique que Port Elizabeth est un bastion historique de la lutte contre l'apartheid. À Johannesburg, l'ANC assure 41,5% des voix contre 38,5 % pour l'Alliance Démocratique. Mais, pour la première fois depuis la fin de l'apartheid et l'arrivée démocratique au pouvoir de l'ANC, c'est Herman Mashaba membre de l'Alliance Démocratique (et enfant des townships) qui est élu maire de Johannesburg. Pour Somadoda Fikeni, spécialiste de l'Afrique du Sud, il s'agit là d'un « déclin dramatique dans des proportions jamais vues auparavant » 57 . L'Alliance Démocratique est un parti réformateur anciennement dirigé par les Blancs mais désormais représenté par Maimane Mmusi, un homme politique Noir de 36 ans et originaire de Soweto. Le dirigeant de l'Alliance Démocratique fait d'ailleurs campagne en citant Nelson Mandela et en accusant l'ANC d'avoir bradé ses valeurs et son histoire.

L'ANC choisira fin 2017 un nouveau leader qui sera candidat à la magistrature suprême aux élections générales de 2019. Toutefois, le maintien de Jacob Zuma ne fait pas l'unanimité et les manifestations « anti-Zuma » se multiplient. Le 15 août 2016, à Johannesburg, une manifestation portée par des militants de l'ANC exigeait la démission de Jacob Zuma et menaçait d'envahir le siège du parti. Pour Ronald Lamola, figure de l'opposition au Président au sein du parti (et ancien leader de la Youth League), « le président Jacob Zuma incarne tout ce qui va mal au sein de l'ANC »58. Pour le co-auteur de l'ouvrage La chute de l'ANC, et après ?59 , Prince Mashele, « l'ANC est dévorée par trois démons: la corruption, les divisions et une direction sans crédibilité »60. Ainsi, pour reprendre l'idée de Prince Mashele, l'ANC, initialement mouvement de la démocratie et de l'ouverture, suit tristement les pas de ces mouvements de libérations qui ont fini par disparaître comme au Ghana ou en Zambie.

57« The fall in support has been dramatic, in levels never seen before » Somadoda Fikeni, AFP, 6 août 2016

58 « President Jacob Zuma is an embodiment of all (the) wrong things in (the) ANC. Let's not be intimidated », Johannesburg, 15 août 2016.

59 The Fall of the ANC: What Next? Prince Mashele et Mzukisi Qobo, éd. Picador Africa, 2013.

60 « The ANC is being consumed by three demons -- corruption, fractionalism and a leadership without credibility », Prince Mashele, Johannesburg, 15 août 2016.

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Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King