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La gestion des conflits fonciers entre autochtones et allochtones dans le département de Sinfra


par Jean Noel Pacôme KANA
Université Félix Houphouet Boigny d'Abidjan - Doctorat en Criminologie 2019
  

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CHAPITRE III : RESULTATS

I. MODALITES D'ACQUISITION DES TERRES A SINFRA

Les principales conventions à propos du droit d'usage sur la terre peuvent être considérées comme des accords institués entre les individus ou groupes d'individus relativement à l'exploitation des propriétés foncières et de leur contrôle, mais concomitamment du profil social du nouvel acquéreur du bien foncier et aux conditions de gestion de ce bien.

Evoquer des différentes modalités d'acquisition de la terre à Sinfra, reviendrait dans notre travail à nous intéresser aux pratiques dites ancestrales (1), aux pratiques actuelles (2), aux critères de choix du concessionnaire (3) et à ses pouvoirs en matière de gestion du bien foncier collectif (4) à Sinfra.

1.Pratiques ancestrales

Les principales modalités ancestrales d'acquisition des terres à Sinfra concernent la transmission par héritage (1), la transmission par distribution utérine des terres familiales (2), le tutorat (3) et les arrangements par compensation (4).

1.1Transmission parhéritage

Il se fonde sur la conception originale suivant laquelle, la terre a un caractère essentiellement familial, lignager. Ainsi, à la mort d'un parent, ses terres sont partagées entre ses frères et ses fils ; les filles en sont exclues car elles seront appelées à quitter le domicile familial en vue d'un éventuel mariage(Propos recueillis auprès du vieux D. Proniani, un cultivateur de70 ans(entretien effectué en Février, 2015). Autrement, l'héritage est un mode de transmission à caractère exclusivement utérin avec une exclusion de la descendance féminine en raison de la probabilité d'un mariage avenir.

Mais dans certains cas, lorsque le défunt n'a pas de descendants masculins, les sages du village statuent et envisagent la possibilité d'attribuer à titre exceptionnel des terres à ses filles qui désirent les cultiver.

Par ailleurs, selon ce même enquêté, «  la société  kwênin de Sinfra est régie par le patriarcat ». La parenté s'établit donc en ligne masculine d'où la prédominance de la descendance paternelle. Ainsi, les frères et les descendants directs du défunt sont privilégiés dans l'attribution et le partage des biens en général et des terres en particulier.

C'est seulement, lorsque ceux-ci font défaut que les biens reviennent aux collaborateurs, aux cousins du défunt et à leur descendance. Dans tous les cas, les parents de l'épouse et les gendres sont exclus et le partage est fonction de certains critères tels que l'âge, l'influence familiale et lignagère, le sens de la responsabilité et l'engagement dans les activités champêtres. Le partage des richesses est fonction de ces critères à moins que le défunt ait, de façon confidentielle ou par testament, laissé des instructions différentes.

1.2. Transmission par distribution utérinedes terres familiales

Les données obtenues sur le terrain révèlent que la transmission des terres à Sinfra respecte le principe de l'endo-transmissibilité  de la terre. Cela signifie que la donation s'établit en ligne exclusivement utérine, c'est-à-dire entre les membres d'une même famille, d'une même lignée (caractère endo-lignager de la transmission).

Ce mode de transmission s'apparente au mode précédent (héritage) sauf que cette fois-ci, le donateur des terres est vivant et procède lui-même au partage des biens fonciers aux ayants droits (fils, neveux, frères,...)

Une telle conception des choses s'expliquerait par le souci binominal qui consiste à la fois pour le donateur, à procéder lui-même au partage des biens fonciers en dehors de tout testament et aussi pour éviter que les générations lignagères futures viennent à manquer de terres. Celles-ci, étant une richesse importante dans la civilisation agraire en général et chez les gouro en particulier.

Cependant, un planteur à Djamandji (32 ans, entretiens en Mars, 2015) affirme qu' « à titre exceptionnel, cette transmission peut se faire en faveur d'un nouveau résident (considéré comme un membre de la famille), soit en signe de solidarité, soit pour consolider une amitié ». Mais dans ce cas, cette donation s'effectue contre un cadeau symbolique ou des services particuliers rendus aux autochtones « kwênins ».

Généralement, elle se double d'un mariage ou d'une promesse de mariage d'un membre du lignage hôte avec une personne du groupe allochtone, dans le but de perpétuer l'alliance, la solidarité ou l'amitié.

1.3. Tutorat

Dans notre zone d'étude, l'enquêtéS. (de Béliata, 40 ans, planteur) révèle que le « tutorat est une sorte d'institution traditionnelle rurale qui gouverne les relations sociales,caractérisé par des délégations de biens fonciers à des allochtones nécessiteux, contre un droit de reconnaissance permanent envers le tuteur. Cette reconnaissance bien qu'établissant une relation verticale entre ces acteurs, se matérialise par des civilités régulières qui peuvent consister en des assistances financières au tuteur et /ou en des dons de revenus champêtres ».

Dans la pratique, l'établissement de cette relation de tutorat se séquence en deux phases :

- Dans un premier temps,le tuteur ou « tèrèzan » effectue des libations et incantations sur la terre en question en vue de confier la vie et les activités champêtres de l'allochtoneaux ancêtres, garants de la protection mystique.Dès lors, l'allochtonedevient comme un « wouobin » dontle nom et la crédibilité sont fonction de sa promptitude et de ses prestations auprès de sa famille d'accueil.

- Dans un second temps, l'allochtone effectue des travaux champêtres dont les prémices reviennent au tuteur au-delà des civilités régulières et des versements trimestriels ou semestriels de revenus équivalents au dixième de chaque récolte (riz, maïs, manioc et légumes).

Toutefois, il reste à préciser selon ce même enquêté que « l'allochtone est autorisé dans le cadre de cette transmission, à cultiver uniquement des cultures vivrières et à exploiter les palmiers à huiles souvent existants sur l'espace en vue de la commercialisation de vin de palme ».Cette prescription exclut l'allochtone de toute culture de rente sur la terre vu que les clauses du tutorat ne sont généralement pas délimitées de façon temporelle et donc, pourraient s'estomper subitement si l'un des acteurs n'y trouve plus son intérêt.

1.4.Arrangements par compensation

Ils constituent pour l'enquêté G. (Huafla, 64ans, retraité)« une forme controversée du tutorat qui consistait pour le migrant, en la remise d'une somme symbolique comme compensation à l'utilisation temporaire de la portion de terre d'un autochtone gouro. Cette somme étant relativement faible par rapport au coût de l'utilisation temporairede l'espace foncier, s'apparente à un échange déséquilibré (terre / somme) et conditionné par des prestations morales et sociales vis-à-vis du tuteur ». Autrement, cette forme de transmission emprunte au tutorat certaines civilités sociales et morales, mais va plus loin pour dépendre intrinsèquement de la somme compensatoire remise au tuteur en contrepartie au droit d'usage périodique.

Mais, selon d'autres enquêtés tels que TH. (Sanégourifla, déscolarisé, 32ans) « Contrairement au tutorat où l'autochtone-tuteur est plus rigoureux sur la question des prestations matérielles, l'arrangement par compensation prescrit plutôt une certaine souplesse à cet effet ». Ainsi, l'allochtone peut oublier sans conséquences dommageables, de présenter des revenus de certaines cultures moins prisées telles que le maïs, les légumes et des fruits issus de l'extraction du vin de palme. Quant au riz et à l'igname dont la récolte est annuelle, l'allochtone se devra de ne pas faillir à ce devoir de reconnaissance, sous peine de stigmatisation et éventuellement de rupture du contrat (les liant).

Ces modalités d'acquisitions des terres dites ancestrales ont été pour certaines, rejetées dans le contexte évolutif de Sinfra (tutorat, arrangements par compensation) et pour d'autres, conservées (héritage, distribution utérine des terres familiales).

Toutefois, dans un souci de concision, nous n'aborderons pas les points déjà évoqués plus haut (héritage, distribution utérine des terres familiales).

2. Pratiques actuelles

Les modalités d'acquisition actuelles des terres à Sinfra s'articulent autour de l'héritage, de la distribution utérine des terres (déjà évoqués plus haut), du prêt(1), de l'achat / vente(2),de la mise en gage(3)et du métayage ou « zépa »(4).

2.1. Prêt

Le prêt est un système à travers lequel, le propriétaire d'une terre met à la disposition d'un tiers, une partie ou la totalité de sa propriété pour en tirer profit avant que le besoin ne s'impose à lui.

Ainsi,selon le chef Z.de Baléfla(rétraité, 66 ans, Mars, 2015) « le bénéficiaire de ce droit de gestion, exerce comme le propriétaire de la terre, les mêmes fonctions d'occupation, d'exercice, de gestion notamment sur la portion de terre qui lui a été attribuée. Ce droit de propriété qu'exerce le bénéficiaire est différent du droit de propriété exclusif en ce sens qu'il est tenu de rendre compte de sa gestion au propriétaire ». Autrement, à travers une convention de prêt, le bénéficiaire jouit des bénéfices de la ressource foncière qu'il a sollicitée et obtenue auprès de son propriétaire légitime, mais cette jouissance implique en contrepartie, le respect de certaines clauses auprès desquelles, il a obtenu le droit d'exercice.

Ces clauses peuvent être sociales ou foncières.

· Clauses sociales

Elles sont de nature relationnelle et prescrivent très peu de lignes de conduite que le bénéficiaire devra avoir envers son « têrêzan » et octroient plutôt une primauté au respect des valeurs et normes culturelles.

Cette pratique dite ancestrale par certains enquêtés s'observe dans les villages assez reculés de la ville, presque coupées des nouvelles réalités capitalistes du marché actuel, où les populations jusque-là sont restés fidèles aux pratiques culturelles ancestrales.

· Clauses foncières

Cette typologie plus ou moins récente et régulièrement adoptée par les populations rurales, est prescriptive : c'est un système qui met l'accent sur la contrepartie financière ou matérielle équivalente au don, c'est-à-dire que le « têrêzan » attend du bénéficiaire, des gestes en nature de façon régulière (trimestriellement ou annuellement) selon les conventions définies dans le cadre du contrat. Ainsi, en cas de non-respect de ces contrats, l'on peut assister à des conflits entre ces acteurs ruraux.

2.2. Achat / Vente

Elle entre selon les enquêtes, en ligne de compte des pratiques dites coutumières du département et s'établit le plus souvent sur un papier non moins important qui sera visé par les parties en présence et ci-possible des témoins.

Toutefois, vu la récurrence des conflits de non-respect des clauses des contrats de ventes foncières établis à Sinfra, le collectif des chefs traditionnels qui tendent de plus en plus à être des anciens cadres et fonctionnaires retraités, a interdit les ventes sournoises de terre. Elles doivent désormais être effectuées en présence du bureau du tribunal coutumier, qui aura pris soin, avec le chef de terre, de faire une enquête préalable dont l'objectif serait de déterminer si :

- La propriété devant faire l'objet de vente est familiale ou personnelle

- Le vendeur est le seul héritier ou s'il a des frères dans d'autres villes du pays ; ce qui suppose que ceux-là doivent être informés et acceptent la vente.

C'est pourquoi, un chapelet de conditions de transaction a été élaboré par la chefferie traditionnelle afin de suivre et valider les ventes de terres si elles se conforment aux conditions préétablies. Ceci permettrait aux élus villageois de procéder à la pose de bornages traditionnels pouvant servir de délimitations temporaires avant que les propriétaires ne se fassent établir de certificats fonciers définitifs.

Pendant nos enquêtes, les différents chefs des tribus du département disent « avoir entrepris de vastes campagnes d'information et de sensibilisation sur l'interdiction formelle d'élaborer des transactions sournoises, des marchandisations imparfaites, sous peine d'annulation de contrat et de ses effets » (Propos recueilli auprès du porte-parole du collectif des chefs de tribus de Sinfra, Juin, 2016 à Djamandji).

2.3. Mise en gage

Elle est définie par l'enquêté G. de Manoufla (cultivateur, 28 ans, entretien en Juin 2016) comme « un contrat par lequel un propriétaire remet sa terre à un créancier et lui donne le droit de garder et d'exploiter cette terre jusqu'au remboursement de sa dette ». En d'autres termes, la mise en gage est un mode de consolidation foncière qui accorde une jouissance totale au nouvel acquéreur durant la durée du contrat et ne prescrit aucune forme de reconnaissance ou de civilités du créancier à l'égard du propriétaire et vis-versa.

Toutefois, celui-ci reste tenu d'effectuer des culturesexclusivement vivrières sur la portion de terre en raison de l'incertitude de la date de remboursement. Dans certains cas peu fréquents, les conventions entre ces acteurs peuvent prescrire la conservation de l'espace par le créancier en cas de non-respect du chronogramme de remboursement arrêté par ces acteurs.

2.4. Métayage ou « zépa »

Cette pratique assez fréquente dans le Département de Sinfra, peut être perçue comme « un contrat entre un propriétaire terrien et un migrant, spécialisé dans les activités champêtres, qui consiste pour le propriétaire à céder une partie ou la totalité de son espace foncier à ce migrant qui, devra dans une période déterminée, valoriser l'espace de sorte à en faire un champ productif ; une sorte de  planter-partager » (enquêté de la direction départementale de l'agriculture ; Avril, 2015) ;

Cette durée de mise en valeur qui régulièrementvarie entre 5 et 8 ans, est rémunérée selon des conventions départementales, au 1/3 de l'espace cultivé pour le métayeur.

Toutefois, avec cette pression foncière observée depuis quelques temps à Sinfra, il n'est pas rare d'observer des conflits multiples entre ces nouveaux partenaires fonciers. De nombreuses causes y sont parfois évoquées :

- Non-respect de la période de production convenue dans le contrat.

- Décès du donateur et la tentative de redéfinition du contrat par les descendants.

- Nature du contrat qui pose la question de savoir si le métayage s'exerce seulement sur les cultures ou à la fois sur la portion de terre et les cultures.

- Maladies de cacaoyers telles que « le swoollen shoot » qui déciment la plantation de cacaoyers avant le partage (enquêtés de la direction départementale de l'agriculture et certains ruraux ; Avril, 2016).

De ce fait, l'on note de nombreuses divergences entre ces acteurs (nouveaux partenaires), qui se métamorphosent assez rapidement en violencesphysiques, avec une tendance mutuelle d'engloutissement ou de phagocytage de la résistance de l'adversaire par la mise en évidence du réseau social ou des liens socio-affinitaires avec les autorités locales.

Une enquête-interrogation effectuée auprès d'une sous-population de 123 individus de notre échantillon d'enquête (dans le souci de noter les modes d'accès fréquemment observés à Sinfra) a permis d'obtenir les résultats suivants :

Tableau 8 : Fréquence des modalités d'accès fonciers à Sinfra

Modes d'accès

à la terre

Sous

Préfectures

Héritage et autres donations

Prêt

Achat/Mise en gage

Métayage

Total

Sinfra

24 36%

9 13%

15 23%

19 28%

67 100%

Bazré

8 45%

4 22%

2 11%

4 22%

18 100%

Kononfla

11 48%

2 9%

2 9%

8 35%

23 100%

Kouêtinfla

10 67%

1 7%

1 7%

3 20%

15 100%

Total

49 40%

19 15%

20 16%

35 29%

123100%

Source : Terrain

· Sur les 123 enquêtés du département de Sinfra, 49 personnes ont reçu leur bien foncier par héritage et autres donations, soit 40% de l'effectif total.

· 35 individus sur les 123, ont obtenu leur portion de terre par métayage, soit 29% de la population totale.

· 20 enquêtés sur 123 ont acheté leur potion de terre, ce qui correspond à 16% de la population totale.

· 19 personnes sur 123, ont obtenu leur propriété foncière par prêt, soit 15% de l'effectif total.

A l'analyse, l'héritage prédomine les modalités d'accès à la terre, ce qui est lié au fait que dans la coutume gouro, les terres ont été reparties selon les familles, les lignages et tribus par les ancêtres. Chaque village ou lignage était affecté sur des terres sectorielles de sorte à éviter les effets de dispersion des membres, de désordre ou de litiges entre autochtones eux-mêmes. C'est pourquoi dans le département de Sinfra, l'appellation d'un village donne implicitement des informations sur la situation géographique et les limites des différentes portions de terre appartenant aux habitants de cette lignée autochtone.

A titre illustratif, nous pouvons mentionner que dans le village Digliblanfla, selon les distributions et redistributions des ancêtres, les autochtones disposent des forêts « plaplowouo », « voêagloudji », « valsigoêwi », « zablagoli », « goazi », « gloutaplô » que chaque autochtone est censé connaitre (noms, emplacements et limites) de sorte à mieux les transmettre des descendants aux descendants.

L'héritage est donc le moyen de transmission le plus utilisé par la population rurale. Les prêts, mises en gage et ventes que l'on observait depuis quelques temps à Sinfra, ont été progressivement substitués par le métayage qui semble être au confluent de ces deux types de transactions, en ce sens que pour nombre d'enquêtés, il profite autant au propriétaire terrien qu'au métayeur.

Cette pratique relativement nouvelle connait un grand succès dans le département de Sinfra vu que certains autochtones, même infirmes, physiquement affaiblis ou régulièrement absents, peuvent par ce biais, valoriser leur portion de terre sans toutefois s'investir eux-mêmes dans les activités champêtres.

La représentation graphique des différents modes d'acquisition des terres à Sinfra, pourrait donnerla schématisation suivante.

Droit du premier autochtone occupant et ses héritiers : propriétaires originels : Droit perpétuel

Acquisition des terres en milieu rural à Sinfra : propriétaires secondaires

`

Prêt / Mise en gage : Droit d'usage momentané sans droit de propriété

Métayage : Droit de mise en valeur contre une rémunération foncière

Achat: occupation permanente moyennant une contrepartie financière ou matérielle

Figure 2 : Modalités d'acquisition des terres à Sinfra

Source : Terrain

Dans la conception traditionnelle gouro, la terre appartient aux ancêtres (propriétaires originels). Elle est léguée (en héritage) exclusivement aux descendants. Sacrée, la terre dans la coutume kwênin permet l'affirmation de l'identité culturelle et sociale ; elle constitue le préalable pour contracter un mariage ou avoir la possibilité de s'exprimer dans les assemblées villageoises. Les générations se fidélisent à cette consigne ancestrale et la transmettent aux descendants. Cette pratiquebien qu'ancrée dans les valeurs culturelles kwênins,s'effectuait sans aucune prévision migratoire future de certaines populations allogènes en quête d'espaces de cultures ou de refuge.

A partir de la seconde décennie après l'accession à l'indépendance ivoirienne, l'on va assister à des vagues croissantes de migrations des populations allogènes vers les terres nationales en général et des terres du sud-ouest (Sinfra) en particulier, usant de méthodes multiformes pour consolider des droits de propriété foncière à Sinfra :propositions financières (achat, vente), amicale (demande de prêt), protectionniste (métayage) et dépendantiste(tutorat). Ceux-ci constituent désormais des propriétaires secondaires.

3. Critères de choix du nouvel acquéreur

« Pour désigner un successeur dans la gestion des terres de la famille dans nos coutumes ici, celui qui est choisi doit être quelqu'un qui s'investit beaucoup dans les travaux du champ, un rassembleur des membres de la familleet un homme honnête dans la gestion des terres ».(Propos recueillis auprès de l'enquêté B. 59 ans, planteur à Djamandjilors d'entretien effectué en Mai, 2016).

Ces propos traduisent que l'acquéreur des biens fonciers familiaux doit être un cultivateur (1) et un rassembleur (2) qui se distingue par son honnêteté (3).

3.1. Cultivateur

La désignation du successeur des biens fonciers familiaux dans les contrées rurales de Sinfra s'effectue en faveur d'un membre utérin (oncle, cousin, ainé ou cadet) ayant en amont fait ses preuves dans les activités champêtres.Ceci suppose une certaine omniprésence dans les activités champêtres, matérialisée par la possession de cultures de rente (café, cacao). En d'autres termes, il faille que le successeur puisse se vanter à l'égard des autres membres de la famille, de la détention de champs de cacao, café assez vastes, caractéristiques de la richesse en pays gouro.

Pour Z.un enquête de kouêtinfla (67 ans, planteur), « selon les instructions ancestrales que nous suivons depuis des générations, les terres de la famille ne peuvent être confiées à un paresseux puisque qu'il va vendre pour sacrifier la vie des membres de la famille. On ne peut pas aussi les donner à un aventurier car il va les laisser sans les cultiver pour aller à l'aventure. Donc, celui qui travaille beaucoup au champ et a des plantations de cacao et de café est plus apte à gérer la richesse de la famille dans la mesure la nourriture ne va pas manquer à la maison ».

De ce fait, cette position de détenteur de plantations confère au successeur la responsabilité de la subsistance des membres de la famille lors des périodes de famine généralisée « klata » qui s'étend de janvier à Mai, c'est-à-dire durant la période de semence au sarclage du riz.

3.2. Rassembleur

Dans le milieu rural de Sinfra, le successeur au père donateur des terres, dans le registre familial, doit présenter un profil de rassembleur. Pour cela, il doit autant que faire se peut, veiller à l'homogénéité des membres pour éviter les effets de dispersion liés à l'indigence alimentaire et financière caractéristique du monde rural ivoirien.

Outre ce fait, il doit rétablir ou préserver le cadre familial d'échange (réunions hebdomadaires, mensuelles et situationnelles) et circonscrire ses actions dans la préservation de l'unité familiale, condition indispensable pour éviter les conflits internes dont la dégénérescence pourrait désagréger le tissu familial. Cette idée est soutenue par l'enquêté B. de Béliata (31 ans, maçon du village) en ces termes «le successeurdes terres chez nous, doit pouvoir rassembler tous les membres de sa famille pour régler les problèmes en interne. Ce sera à cette condition que les membres constituerons un groupe homogène dont les liens sont soudésà l'intérieur de la cellule familiale ».Autrement, pour l'enquêté, le cadre d'échange familiale que devra instaurer ou préserver l'héritier des terres, sera essentiel au renforcement des relations au sein de l'institution familiale.

3.3. Honnête

« Lorsque un fils hérite des terres, il ne doit pas les vendre et doit empêcher que ses frères aussi les vendent ces terres ». Ces propos recueillis auprès de K. chef de terre à Tricata (cultivateur, 53 ans, lors de l'entretien effectué en Décembre 2015) montrent d'une part que le successeur des terres familiales ne doit en aucun cas, brader les terres et d'autre part, que celui-ci a le devoir d'empêcher que les autres membres (frères, cousins, oncles) vendent aussi les terres quelque soit la difficulté sociale ou financière à laquelle ils sont confrontés.

Durant nos investigations, un enquêté nous racontait que dans le village Zéménafla, un chef de famille a, quelques mois avant sa mort, attribué la gestion des terres familialesà sonfils cadet en raison de la disponibilité de celui-ci à ses soins pendant une longue période de maladie.Ainsi, trouvant les travaux champêtres assez difficiles et la responsabilité familiale colossale, le nouvel héritier se mit à brader les terres familiales à des prix dérisoires dans le but de fournir la nourriture à la famille pendant la période de famine généralisée« Klata » et ce, à l'insu des autres membres de la famille.

Après donc de nombreuses ventes successives, la famille se retrouva avec trois hectares sur un ensemble de vingt hectares au départ, à partager aux quinze membres. Dès lors, un conflit intrafamilial « désordonné » s'engagea entre les membres qui s'accusaient les uns les autres comme étant complices de ces ventes de terres familiales.

Toutefois, il reste à préciser que, même si l'héritier a bradé les terres familiales dans le but de procurer la nourriture pendant ces périodes de disette, cette attitude reste désormais condamnée par les « kwênins » qui ont fait de l'honnêteté, un critère déterminant dans le choix du successeur des terres familiales.

4. Pouvoirs et limites du nouvel acquéreur dans la gestion du bien foncier collectif

4.1.Pouvoirs du concessionnaire

4.1.1. Pouvoir discrétionnaire

Selon 90% des enquêtés, le nouveau concessionnaire des terres familiales dispose d'un pouvoir discrétionnaire quant à la mise en valeur collective des terres, au partage, à la mise en jachère ou en « zépa ».Autrement, c'est au nouveau concessionnaire que revient le pouvoir de décision quant au mode d'utilisation des terres familiales.

En ce qui concerne la mise en valeur collective, le concessionnaire peut user de sa notoriété dans la hiérarchie familiale pour exiger que les terres soient cultivées collectivement pour ainsi revêtir la dénomination « plantation de la famille A. ». De ce fait, les produits issus de cette plantation au fil des années sont cueillis collectivement, vendus et partagés soit équitablement, soit par rapport à l'âge ou encore selon le degré d'investissement physique de chaque membre dans les travaux champêtres. Ce type de plantation est fréquent dans les villages de la tribu Bindin et les villages de la sous-préfecture de Bazré.

En ce qui concerne le partage des terres familiales à des usages personnels, le nouvel héritier peut décider de repartir les terres aux ayants droits pour permettre à chacun d'effectuer les cultures de son choix (cultures vivrières ou de rente). A ce niveau, il dispose d'un pouvoir discrétionnaire et peut ajouter deux ou trois hectares supplémentaires sur sa portion dans le but d'assurer la nourriture quotidienne durant la période de « klata » ou encore partager à part égale les terres et laisser le soin à chacun de se prendre en charge pendant les périodes d'abondance et d'indigence alimentaire. Il faut préciser qu'à ce stade, le partage tient principalement compte des liens utérins avec le parent donateur. Autrement, les fils directs sont davantage privilégiés dans le partage des terres que les cousins ou neveux du donateur, selon la portion générale disponible.

Concernant la mise en jachère, le nouvel héritier peut demander ou exiger aux autres membres de la famille, que certaines portions restent en jachère pour des raisons d'infertilité ou de conflit avec d'autres autochtones se disant propriétaires par legs. Ainsi, cette portion demeurera en jachère durant toute la période d'investigations foncièresafin de situer le véritable propriétaire et simultanément de permettre à la terre de se reconstituer en matières organiques.

Outre ces différents pouvoirs qui relèvent de la compétence du nouveau concessionnaire, se greffe la possibilité de mettre certaines portions sous le « zépa »s'il constate un faible engagement des autres membres de la famille dans les activités champêtres.

4.1.2. Droit de regard sur les récoltes

Pour l'enquêté M. de Blontifla (60 ans, planteur, entretien effectué en Mai, 2016) «le rôle de l'héritier des terres familiales  s'apparente à celui d'un véritable chef de famille, il reçoit en permanence les prémices des récoltes de ses frères et des gens qui travaillent sous le zépa pour lui et sa famille. S'il ne reçoit pas ce qu'on devait lui donner, il peut se plaindre ou prendre des mesures sévères allant jusqu'à refuser la nourriture à ses frères pendant le klata ou rompre le contrat de zépa ». Ces propos de ce chef montrent que le nouvel héritier assume les mêmes responsabilités et bénéficie des mêmes privilèges que le père donateur, mais plus loin caril dispose de pouvoirs pluriels caractérisant sa position hégémonique au sein de l'institution familiale.

Le nouvel acquéreur aurait droit à une part des récoltes des autres membres de la famille et du métayeur, mieux ceux-ci seraient contraints de lui verser des prémices de leurs récoltes sous peine de stigmatisation et de privation future de nourriture pendant les moments de disette ou encore de rupture de contrat de zépa.

Ce pouvoir est d'autant plus affirmé dans certains lignages « Djahanénin et Péhinénin » de Kouêtinfla où le nouvel acquéreur peut même exclure un membre de la famille des activités champêtres ou le rendre dépendant des récoltes de ses frères pendant une période relativement longue.

Schématiquement, les actions sociales du nouvel acquéreur envers les autres membres de la famille pourraient donner succinctement la figure suivante.

Nouvel acquéreur

Activités champêtres supplémentaires

Nourriture durant le klata

Funérailles et autres dépenses

Autres membres de la famille

Figure 3 : Actions du nouvel acquéreur en faveur des membres de sa famille

SOURCE : Terrain

Il ressort de cette figure que le nouvel acquéreur a une triple responsabilité vis-à-vis de ses parents (soutien en temps de deuil, nourriture durant le moment de klata et activités champêtres supplémentaires).

Au niveau du soutien en temps de deuil, il faut noter que la crédibilité d'un époux en pays gouro s'évalue en fonction de sa promptitude et de la nature de ses dons lorsque sa femme est en deuil, faute de quoi, il pourrait l'objet de regards méprisants au sein de la communauté villageoise. Ainsi, en cette période délicate où le frère ou l'oncle en quête d'argent, pourrait être tenté par des ventes clandestines d'espaces familiaux, l'acquéreur des biens familiaux est implicitement contraint de lui venir en aide. Cette aide peut provenir d'une mise en gage collective d'une portion de terre familiale, d'un prêt ou de l'utilisation d'économies familiales car, au-delà de l'individu, c'est la réputation de la famille qui est mise à l'épreuve.

Outre cette responsabilité enverguée, le nouvel acquéreur doit assurer la subsistance de la famille pendant la période de famine villageoise (de Février à Juin) pour éviter les propos dénigrants lors des réunions au sein de la communauté villageoise.L'ensemble de ces activités sociales effectuées pour le bien-être de la famille nécessite un investissement régulier de celui-ci dans les activités champêtres, seule source de revenu des kwênins.

Toutefois, ces actions nécessitent une contrepartie qui concerne principalement le don de prémices des récoltes et une assistance permanente du nouveau concessionnaire dans la gestion du bien collectif. La figure ci-dessous nous en donne les détails.

Membres de la famille

Assistancedans la gestion

Prémices des récoltes

Nouvel acquéreur

Figure 4 : Actions des membres de famille en faveur du nouvel acquéreur

SOURCE : Terrain

A partir de cette figure, il apparait que les membres de la famille, eu égard aux efforts qu'effectue le nouveau chef de famille,font preuve de reconnaissance, même si dans le fond,celle-ci parait obligatoire. Cette reconnaissance « obligatoire » se manifeste par des dons de prémices de récoltes et une assistance permanente à ce nouveau chef de famille dans la gestion de la famille et de ses terres.De ce fait, les décisions prises par celui-ci ne sont pas exclusivement le résultat d'une réflexion personnelle, mais plutôt le fruit d'une concertation générale pour l'intérêt général.

Cependant, le nouveau concessionnaire, même s'il dispose depouvoirs quant à la gestion des terres familiales, ceux-ci connaissent quelques limites.

4.2. Limites du concessionnaire

4.2.1. Bradage des terres familiales

« Mon fils, quand un père désigne un de ses fils pour le succéder, il ne doit jamais vendre les terres, il doit les garder, les partager à ses frères (frères de sang et cousins) et ses papas (oncles). Parce que s'il gère mal et vend les terres à cause de problème qui ne finit jamais, nous, on va encourager et aider ses parents à prendre leurs terres et il va rembourser l'argent qu'il a pris avec eux ». Ces propos recueillis auprès du sage de Djamandji (planteur, 72 ans), montrent que certes celui qui hérite des terres familiales, a en charge la gestion des terres, mais doit en faire bon usage (partage aux ayants droits, cultured'ensemble ou jachère). Il ne doit en aucun cas les vendre, encore moins les mettre en gage personnellement pour des besoins financiers. Ses actions doivent se circonscrire dans la préservation de ce patrimoine familial en vue d'un profit collectif.

Relativement au mode de gestion des terres familiales, l'enquêté G. (38 ans, cultivateur à Béliata ; entretien de Juillet, 2015) nous racontait que dans le village Digliblanfa, le père Zouogouli, à sa mort n'avait qu'un seul fils Gooré, mineur (10 ans). La gestion de ses terres a donc été confiée à son oncle qui les brada les unes après les autres et ce, au moindre problème financier.

A l'âge de vingt-un, âge supposé de la stabilité psychologique chez les kwênins, l'oncle tardait à montrer les terres au jeune Gooré qui errait de plus en plus dans le village. Ainsi, de rencontres en rencontres, les sages demandèrent à l'oncle de restituer quelques portions de terres à l'enfant afin que celui-ci puisse se fonder une famille puisque la tradition recommande d'avoir une terre à cultiver avant d'être apte à concéder un mariage. Mais, la restitution paraissait quasi-impossible puisque d'une part, ceux qui avaient acheté les terres y avaient planté des cultures de rente et d'autre part, qu'il ne restait que les trois hectares de forêts que l'oncle avait réservées à son usage personnel.

Le jeune Gooré intenta une série de procédures coutumière, administrative et pénale contre son oncle qui s'avéraient longues et exposant le jeune à des récupérations ou interprétations fétichistes. Toutefois, il faut préciser que revendiquer sans cesse les terres à ses parents dans le contexte actuel de Sinfra, peut donner lieu à des attaques aux provenances bizarroïdes.

Durant cette série de procédures aux interventions administratives multiples et aux questionnaires sans fin, Gooré sentit des malaises à répétition qui l'ont poussé à négocier de façon sournoise le transport, auprès de bonnes volontés et regagner la capitale économique, en espérant y acquérir une meilleure situation de vie.

4.2.2. Prise de décisions sans consultations préalables

Le nouveau chef de famille, dans l'exercice de son pouvoir familial doit préalablement consulter ses parents faute de quoi, il pourrait faire l'objet de destitution par une réunion entre la famille et le collège des anciens.En effet, même si ses actions s'érigent dans le sens du bien-être de la famille, celles-ci doivent faire l'objet d'approbation préalable par la majorité des membres de la famille.

Dans la plupart des contrées du département, les enquêtés révèlent que de nombreux « nouveaux chefs de famille » sont démis au quotidien de leur fonction paternaliste pour des raisons tenant en des actes autocratiques de ceux-ci et à l'assujettissement foncier des autres membres.

Ainsi, selon 75% des enquêtés, les autorités coutumières ont désormais un oeil plus regardant sur la gestion des biens familiaux par l'héritier désignéafin de prévenir de potentiels conflits intrafamiliaux ou d'expropriation d'allochtones.Ce faisant, le dirigeant de la famille est de plus en plus suivi dans ses actes tant par les acteurs de la chefferie traditionnelle que par ses parents, afin d'éviter le bradage des terres familiales pour des questions financières telles que constatées dans la plupart des villages de la tribu Vinan et Bindin, pendant nos enquêtes.

II. DEROULEMENT DES CONFLITS FONCIERS A SINFRA

Pour A. (29 ans, un planteur de Kayéta), « les conflits fonciers sont récurrents, meurtriers dans les localités de Sinfra et minent les rapports entre les communautés villageoises avec des conséquences parfois dramatiques ». Ces conflits basés sur les ressources naturelles seraient en augmentation croissante aussi bien en fréquence qu'en intensité.

Ainsi, même s'ils sont causés par avidité ou injustice, ces litiges observés dans les zones spécifiques de Sinfra causent selon B. (32 ans, cultivateur à Koumoudji),« de sérieux bouleversements sociaux, mettent en suspens ou détruisent les opportunités de revenus, créent l'insécurité alimentaire, nuisent à l'environnement et fréquemment causent des pertes humaines et matérielles ».Les ménages villageois caractérisés par une paupérisation généralisée, supportent la charge la plus lourde de ces litiges du fait que leurs besoins journaliers et leurs moyens de subsistance seraient directement en rapport avec leur droit de propriété.

Dans ce contexte, évoquer le déroulement de ces litiges fonciers à Sinfra, reviendrait selon nous, à aborder succinctement la typologie des conflits fonciers(1), les acteurs de ces litiges fonciers(2), les moyens utilisés (3) et les lieux (4).

1. Typologie des conflits fonciers à Sinfra

1.1. Conflits intrafamiliaux

Les verbatim obtenus sur le terrain d'étude, révèlent que ce type de conflit survient généralement dans la communauté autochtone. Ces conflits dits intrafamiliaux sont plus fréquents au sein de l'institution familiale où héritiers légitimes, oncles, cousins s'entrechoquent, se heurtent pour s'approprier des portions importantes des terres familiales après le décès du père donateur.

Des divergences qui, au départ se manifestent par des murmures, des querelles, se métamorphosent assez rapidement en violences physiques avec par moment et par endroit la formation des groupes isolés, un clanisme au sein de la famille et des risques de positionnement juvénile dans théâtre foncier familial, avec une remise en question du droit d'ainesse et tous les privilèges liés.

Selon l'enquêté K.(50 ans, cultivateur àDigliblanfla) « ce type de conflit est régulier et les interventions répétées de la chefferie ne donnent pas les résultats escomptés puisque les individus en conflit sont des parents proches, habitent la même maison et donc, sont régulièrement en contact. ». Mais au-delà, ce type de conflit révèle une absence ou une désorganisation du cadre d'expression familial. Les différends intrafamiliaux observés à Sinfra transcenderaient donc le cadre inégalitaire, revendicatif pour traduire un manque d'espaces lignagers d'échanges, de gestion de conflits intrafamiliaux. Une telle conception semble être partagée par certains enquêtés de Progouri tels que G. (34 ans, électricien) pour qui « les réunions hebdomadaires, mensuelles que l'on faisait avant au sein de la grande famille, ont été délaissées parce que les membres disent ne pas avoir le temps ».

D'autres y voient une focalisation sans mesure des fonts pionniers sur la recherche du gain quotidien et personnel, mettant ainsi au second plan l'intérêt de la lignée (Propos recueillis auprès d'un élu gouro, 49 ans, entretiens de Juillet 2015).

1.2. Conflits interfamiliaux

Les conflits entre familles sont fréquents à Sinfra et s'observent aussi bien chez les autochtones que chez les allochtones. Ils ont, selon les propos du chef G. (planteur, 69 ans, Gonfla) « plusieurs origines : vieilles rancunes stimulées par des étincelles, non- reconnaissance des contrats de vente et de prêt des lopins de terre entre ruraux, empiètement des limites des champs et se particularisent à la fois par l'élargissement du réseau de relations sociales et des violences remarquables».

Dans la pratique, ces conflits font intervenir de nombreuses personnes issues des familles, des lignées et se caractérisent par une escalade assez rapide de la violence provoquant des cas de blessures sévères, d'infirmités partielles ou totales chez les belligérants.

Pendant nos investigations, nous avons visité le champ d'un autochtone de kouêtinfla qui présentait des limites imprécises.Ainsi, lors de cette expédition, il apparaissait clair que faute de moyens modernes, les champs des ruraux ont des délimitations naturelles (bas-fonds, termitières, fromagers, palmiers à huile,....) qui, elles-mêmes disparaissent avec le temps. Conséquemment, cette disparition (des limites naturelles) provoque une incertitude relative chez les ruraux, une imprécision totale des limites qui l'étaient déjà partiellement et une confusion des droits caractérisés par des empiètements multiples, des consolidations violentes d'espaces, et le tout, dans un environnement socio-rural politiquement enrhumé.

A cette situation, tandis que certains ruraux espèrent en un plan d'aide étatique de délimitation foncière, d'autres y voient comme solution, une consultation régulière des ancêtres à travers rituels et sacrifices comme le témoignent les propos d'un sage de Digliblanfla (70 ans, propriétaire terrien) « en cas de conflit sur les limites, on invoque les ancêtres qui viennent nous montrer les limites. Dans ce cas, on ne se trompe pas, puisque ce sont les ancêtres qui ont parlé ». 

Pour un diplômé de ce village tels que K. (42 ans, conseiller siégeant au conseil de la notabilité) « cette procédure est trop mythique pour être appliquée avec tous les risques d'erreurs, d'ajouts, d'interprétation occultes des supposés ancêtres ».

1.3. Conflits intercommunautaires

Les conflits entre communautés autochtones et allochtones paraissent pour de nombreux ruraux (focus group effectué auprès des jeunes de Djamandji, Février, 2016) comme « les moins fréquents dans le département mais lorsqu'ils surviennent, provoquent de nombreux dégâts humains et matériels. De petites mésententes entre agriculteurs eux-mêmes ou entre agriculteurs et éleveurs peuvent se transformer rapidement entre conflits sérieux». Partant de ces propos, il parait évident que les causes et enchainements de ces contradictions foncières dans le contexte de Sinfra, n'obéissent pas à des règles mécaniques, mais s'inscrivent dans un processus mouvant dont l'orientation est alimentée à la sève des objectifs des acteurs en interaction.

Un enquêté nous racontait qu'en 2010, un conflit de ce type avait opposé les autochtones Gouro aux ressortissants nordistes du département. De petites mésententes foncières suivies de bagarres entre adolescents (autochtones et allochtones), ont assez rapidement débouché sur des litiges sanglants entre les principales communautés sédentarisées (autochtone et allochtone). Cette dégénérescence abrupte de la violence s'est présentée succinctement en trois phases. D'abord au stade familial avec des disputes et bagarres entre parents ; ensuite au stade lignager avec soutien des parents proches ou lointains et enfin, au niveau communautaire avec en opposition, les principales communautés sédentarisés de Sinfra (autochtone et allochtone).

Les dégâts multiformes enregistrés pendant ces six (6) jours de conflits témoignaient d'une telle brutalité que les autorités ont alerté leurs supérieurs hiérarchiques en vue de trouver une solution partiellement acceptable aux deux parties.

Aussi, il est à remarquer selon les autorités locales (SG de la préfecture, entretiens de Mars 2016), que « dans certains cas de conflit de ce type, les tentatives de gestion se soldent fréquemment par des échecs, puisque ces décisions de justice se heurtent à la résistance des individus en conflit. Ils semblent a priori avoir une attitude de rejet ». En d'autres termes, les populations rurales, loin de se pencher sur l'intérêt social des décisions prises par les autorités locales, s'attardent plutôt sur l'appartenance ethnique, religieuse, politique et communautaire de l'autorité de jugement. Il s'en suit donc une application partielle des décisions ou le cas échéant, un rejet formel.

1.4. Conflits entre agriculteurs et transhumants

Ce sont de loin les conflits les plus fréquents et les plus violents dans le département qui, selon le chef B. (67 ans, cultivateur, Manoufla ; Mars, 2015)« sont généralement consécutifs à des dégâts de cultures mais peuvent porter sur des droits d'accès à l'eau, à la nourriture et aux pâturages  et au nombre augmentant des transhumants».

Ces propos traduisent que les conflits sont en augmentation croissante du fait de l'intéressement supplémentaire d'une catégorie nouvelle d'acteurs : « autorités locales » qui viennent à la fois grossir le nombre de transhumants, de bêtes à surveiller et conséquemment, favoriser des conflits entre ces transhumants et les cultivateurs, aspirant constamment à étendre leurs espaces de culture.

L'augmentation de ces espaces de cultures en effet, se matérialise par une réduction des parcelles traditionnellement utilisés pour les pâturages créant de ce fait un cadre propice à des velléités professionnelles des éleveurs, voir leur exclusion à travers l'occupation des verges, des bas-fonds, des points d'eau, des alentours immédiats des pistes de passage et des parcs à bétails. Ce qui entraine logiquement des dégâts de cultures lors du passage des bêtes qui traversent de façon désordonnée les pistes pour entrer et détruire les cultures de riz et de maïs environnants.

Ainsi, tels que présentés, les conflits entre agriculteurs et transhumants apparaissent simplement comme un problème d'aménagement technique de l'arène foncière. Or le problème, dans la pratique semble plus complexe et sa qualification peut contribuer à en masquer la nature réelle.

Dans la plupart des cas de destructions de cultures observés entre ces acteurs, un enquêté (23 ans, élève vivant à Douafla) affirme que « l'identité du propriétaire des animaux détermine la voie (judiciaire ou amicale) empruntée par la victime. Ainsi, tandis que les dégâts provoqués par les bêtes des élus locaux sont réglés à l'amiable c'est-à-dire à l'échelle du village, ceux provoqués par les animaux des peulhs, guinéens, maliens ont tendance à remonter à l'échelle administrative ou dégénérer en conflit violent avec des coups et blessures entre individus et éventuellement sur les animaux ».

Les agriculteurs de Sinfra ne contestent pas cette différence établie dans le traitement des conflits, ils la justifient au contraire par les rancunes liées au refus permanent des transhumants d'indemniser les victimes en cas de destructions de cultures. Outre ce fait, certains agriculteurs disent avoir le sentiment d'être perçus par les transhumants allogènes, comme des hommes de catégorie sociale inférieure comme les traduisent les propos de certains agriculteurs « lorsque les boeufs gâtent ton champ et tu appelles le propriétaire au champ, il ne t'écoute pas et s'en va. Ils n'ont aucun respect, aucune considération pour nous. C'est pourquoi, nous les amenons devant les autorités pour qu'ils nous dédommagent » (Propos recueillis auprès d'un membre du lignage Djahanénin, Avril, 2015).

Aussi, est-il à noter que les victimes ont des préférences quant aux instances de jugement (Sous-préfecture, Préfecture, Direction départementale de l'agriculture, tribunal coutumier ou pénal de Sinfra) et leur choix répond à des critères souvent peu explicités. Les conflits entre cultivateurs et transhumants apparaissent donc à la fois ceux, gérés par des autorités sus-cités (chiffre apparent) et ceux gérés à l'amiable entre acteurs ruraux eux-mêmes (chiffre noir). La connaissance des chiffres réels de ces conflits résiderait dans la conjugaison (calcul) des différents cas traités par l'ensemble de ces instances.

Toutefois, faute de données archivistiques liées aux litiges gérés dans les autres services, nous nous sommes contentés des chiffres obtenus à la direction cadastrale du département de l'agriculture à Sinfra. Ces chiffres, regroupés par Sous-préfectures, loin de prétendre paraître exhaustifs, tentent seulement d'attirer l'attention sur l'ampleur du phénomène de destruction des plantations à Sinfra.

Années

SINFRA

KOUETINFLA

KONONFLA

BAZRE

TOTAL

Nombre

Superficie ( (ha)

Nombre

Superficie

(ha)

Nombre

Superficie (ha)

Nombre

Superficie (ha)

Nombre

Superficie (ha)

2009

2

3,5 ha

1

2,3 ha

2

3 ha

0

0

3

8,8 ha

2010

1

3,4 ha

0

0

1

2,8 ha

1

2,8 ha

3

9 ha

2011

5

7,98 ha

1

1,25ha

1

1,5 ha

0

0

7

10,73ha

2012

1

1,80ha

2

2,92ha

1

0,54 ha

1

1,72 ha

5

6,98 ha

2013

2

3 ha

1

1,9 ha

1

1,90 ha

2

4,3 ha

6

11,10ha

2014

6

8,39ha

2

3,4 ha

3

0,75 ha

1

1,6 ha

12

14,14ha

TOTAL

17

28,07ha

7

12,77ha

9

9,49 ha

5

10,42ha

36

60,75ha

S/P

Tableau n°9 : Conflits liés à la destruction des plantations à Sinfra de 2009 à 2014.

Source : Direction cadastrale de l'agriculture de Sinfra, 2016

· De 2009 à 2014, les services cadastraux de Sinfra ont enregistré dans la sous-préfecture de Sinfra, 17 cas de destruction de plantations d'une superficie totale de 28,07 hectares.

· Dans ce même intervalle, 7 cas d'une superficie de 12,77 hectares ont été observés à Kouêtinfla.

· Toujours, dans cet intervalle, 9 cas de destructions d'une superficie de 9,49 hectares ont été enregistrés à Kononfla.

· Enfin, 5 cas d'une superficie de 10,42 hectares ont été constatés à Bazré.

· En 2009 et 2010, les services cadastraux ont simultanément enregistré 3 cas de destructions de plantations.

· En 2011, on note 7 cas puis 5 et 6 cas respectivement en 2012 et 2013.

· En 2014, ces services constatent 12 cas de destructions de plantations.

Le nombre remarquable de cas de destructions de plantations dans la sous-préfecture de Sinfra s'explique par le fait que la sous-préfecture de Sinfra est la sous-préfecture centrale du département de Sinfra. Elle est caractérisée par sa densité de la population (115 hab /km2) selon le rapport diagnostic du BNETD, le nombre élevé de ses villages (16), la variété des sols (ferralitiques et ferrugineux), l'hospitalité des peuples autochtones (plus du tiers de la population est allogène). Les cultivateurs et transhumants exercent désormais sur des espaces de plus en plus réduits, créant ainsi des collisions fréquentes entre ces acteurs aux activités antinomiques.

Les proportions assez faibles dans les sous-préfectures de Kouêtinfla, Kononfla et Bazré traduisent que ces localités (moins de 10 villages chacune) sont moins exposées aux effets néfastes de la saturation foncière et de ses impacts sur la nature des relations inter-rurales.

De plus, la croissance des dégâts de plantations relevés en 2010 et 2011(3 et 7 cas) montre que tandis que le nombre de cultivateurs à Sinfra (migrants allochtones et non-ivoiriens, jeunes déscolarisés et citadins) augmente, le nombre de transhumants aussi augmente. Certains cadres et élus locaux y ont vu une activité fluorescente et rentable. Dès lors, les espaces sont de plus en plus réduits, la marge d'expression, de manoeuvre des ruraux devient faible et ces ruraux se voient confondre leurs droits, violer des espaces, interpréter maladroitement et partiellement les textes ou, par méconnaissance, en créer.

Mais au-delà, un regard microscopique de la situation sociale de Sinfra, révèle que lors des violences post-crise, la plupart des transhumants allogènes sont rentrés dans leurs pays, attendant que la situation socio-politique ivoirienne se pacifie. Ce qui semble expliquer ce faible taux de 5 et 6 cas enregistrés respectivement en 2012 et 2013.

La fin de l'année 2013 ou le début de l'année suivante a certes vu revenir tous ces transhumants, mais au-delà, l'arrivée de nouveaux, dans ce secteur complexifiant davantage le climat socio-rural de Sinfra, déjà confligène. Ce qui explique ce taux élevé en 2014 (12 cas).

2. Acteurs des conflits fonciers à Sinfra

Les acteurs des conflits fonciers à Sinfra sont divers. Nous comptons parmi eux, les autochtones(1), les allochtones(2), les exploitants forestiers(3) et les agents de lotissement(4).

2.1. Autochtones

Les résultats obtenus sur le terrain d'étude montrent que les différends entre autochtones sont fréquents dans le département de Sinfra et sont le plus souvent le fait d'une revendication des cadets à l'égard des ainés, des droits de propriété.

Mais au-delà, un enquêté de Djamandji (B., 31 ans, planteur) affirme que « certains facteurs subjectifs ont autant d'impacts dans le déclenchement de ces conflits intracommunautaires. Ces facteurs concernent les vieilles rancunes, la non-reconnaissance de certains contrats tacites de prêt, de vente, de mise en gage et des litiges d'empiètement des limites des champs qui particularisent le contexte rural actuel de Sinfra ».

Tels que présentés, ces facteurs dits objectifs et subjectifs, par le processus conjoint de sollicitation des parents proches ou éloignés et concomitamment de l'extension du réseau de relations sociales, font intervenir de nombreuses personnes issues de la famille nucléaire, de la famille élargie, de la lignée ou des lignées soeurs, des cadres locaux. Il s'en suit une escalade  assez rapide de la violence, avec par moment et par endroit la formation de clans au sein de la famille.Ces entités ainsi formées vont tenter de se positionner dans l'arène foncière en remettant en cause tout droit d'ainesse au sein de la famille et les contrats d'antan établis avec certains migrants.

Toutefois,un enquêté (T., 50 ans, cultivateur à Paabénéfla) affirme que« la gestion de ce type de conflit s'avère problématique puisque les individus en conflit sont des parents proches, habitent les mêmes maisons ou sont des voisins proches, et de ce fait, sont régulièrement en contact ».

Outre ce fait, M.,un enquêté de Yanantinfla(32 ans, déscolarisé) affirme qu'  « un facteur non moins évoqué reste la polygamie, qui constitueune caractéristique majeure des ménages traditionnels gouro, avec un nombre remarquable de concubines et de descendants qui, parfois entrent en conflit lors de l'organisation et le partage de l'héritage foncier ». On assiste dès lors à des ventes anarchiques des espaces familiaux par certains membres de la famille, à des tentatives d'expropriation par d'autres, à des ventes plurielles de la même parcelle, à des bagarres sur l'héritage, à des jets de sorts mystiques,à des destructions de plantations et à des consolidations violentes des espaces restants par les « citadins oubliés », les «  frustrés » de la famille.

A titre illustratif, un enquêté nous racontait que quelques semaines avant notre arrivée sur le terrain, un conflit foncier avait opposé deux frères consanguins qui avaient par héritage, reçu 10 hectares de forêt.

Ainsi, à l'insu du cadet « artiste en herbe » à Abidjan, l'ainé a vendu quatre (4) hectares de ces forêts et en cultivatrois (3) hectares pour lui-même.

De retour de l'aventure (musicale), le cadet qui s'est vu plus ou moins contraint d'accepter les trois (3) hectares restants, tenta d'abord par des voies coutumières et administratives, qui avec le temps se sont avérées vaines, de récupérer les terres à l'acheteur avant de s'en prendre à son ainé.

De bagarres en bagarres, ces deux frères se sont maintes fois retrouvés chez les autorités locales, qui tentaient çà et là de trouver des approches de solutions que l'un ou l'autre trouvait inacceptable, créant ainsi des murmures, des opinions contradictoires, une forme de clanisme au sein de la communauté kwênin.

2.2. Allochtones

Pour Z.(37 ans, étudiant ; entretiens de Février 2016) « les allochtones de Sinfra sont des peuples sédentarisés depuis les premières décennies après l'accession à l'indépendance ivoirienne.Dans la plupart des villages de la zone, ces populations (allochtones) sont installées en grand nombre et disposent d'une position de domination financière par rapport aux autochtones.Ils usent de cette position pour consolider des droits de propriété foncière, étendre leur réseau de relations sociales par des dons, des promesses de dons à ceux qui ont le pouvoir de décider. Il peut s'agir des propriétaires terriens, des chefs de terres ou même des élus locaux ».

Ces propos traduisentla dépossession foncière sans cesse croissante des autochtones au profit de ces allochtones pour cause d'achat, de remise amicale, de prêt, de confiscation politique des terres. Ceux-ci s'étant établis des relations solides avec certains propriétaires terriens et autorités locales, se voient épauler sous une forme voilée en contrepartie de dons « souterrains ». Dès lors, l'enquêté T. de Blontifla (40 ans, diplômé) affirme que « les natifs essaient de plus en plus deredéfinir les rapports avecces nouveaux venus, en vue de  contenir  cette consolidation plurielle des terres », même si ce résultat n'est parfois obtenu que dans l'imaginaire.

Relativement, l'arène rurale de Sinfra apparait donc comme un champ âprement disputé où s'entrechoquent des intérêts variés et divergents d'un ensemble d'acteurs sédentarisés (autochtones et allochtones).

Cette rivalité « permanente » influence l'atmosphère rurale qui s'insécurise au fil du temps avec par moment et par endroit le refus des allochtones de se conformer aux valeurs culturelles gouro, la remise en cause des rituels villageois et par voie de conséquence, des tentatives régulières d'expropriations des allochtones (Discours recueilli auprès d'un cadre gouro, entretien effectué en Mai, 2015).

Ainsi, tandis que certains allochtones semblent se complaire dans cette situation, d'autres migrent vers les forêts les plus reculés du département pour y créer de nouvelles plantations, de nouveaux campements qui, bien que bordant le département, prennent aujourd'hui l'allure de grands villages (Sud : Brunokro, Nord : Yaokro, Ouest : Carrefour campement, Est : N'driko).

2.3 Exploitants forestiers

Selon la loi n°2014- 427 du 14 Juillet 2014 portant code forestier ivoirien, les exploitants forestiers constituent « des personnes morales ou physiques, agréées par l'administration pour assurer l'exploitation forestière, conformément aux dispositions réglementaires en vigueur ».Sur notre champ d'investigations, ces acteurs de l'administration se trouvent régulièrement confrontés à la résistance des populations rurales lors de l'abattage des essences forestières situées dans leurs propriétés. Ceux-ci évoquent tantôt l'idée de probable destruction de plantations, tantôt l'idée de ventede ces essences pour satisfaire les besoins vitaux élémentaires.

Ce type de différend est certes récurent mais paraît peu violent puisqu'il oppose l'Etat à des particuliers et se solde fréquemment par des indemnisations ou des promesses d'indemnisation.

2.4. Agents de lotissement

Ce sont des fonctionnaires de la direction départementale de la construction qui procèdent fréquemment à des découpages parcellaires (lotissement des terrains) en milieu rural et urbain de Sinfra.

Ainsi, consistant en une opération d'aménagement visant à diviser volontairement un espace en lots(habitations, jardins, établissements industriels ou commerciaux), le lotissement des espaces fonciers à Sinfra provoque des tensions multiformes entre propriétaires terriens et agents chargés de lotir (agents cadastraux, experts géomètres). Certaines zones du département ont été, selon les prévisions de l'Etat, exclusivement destinées à l'usage industriel et donc, compensées en numéraire aux « tèrèzans ». Toutefois, les procédures de compensation financière, même si entamées sont lentes (caractéristique de l'administration ivoirienne) et les supposés bénéficiaires gisent parfois dans une attente longue et intenable.

C'est pourquoi, les propriétaires terriens exigent désormais cette compensation financière avant toute entreprise de lotissement, générant ainsi des mésententes entre eux et les agents du terrain, dont l'exercice de la mission est circonscrit dans le tempset l'espace.

Par ailleurs, tandis que cette opposition des propriétaires terriens est perçue par certains administrateurs comme « une entrave au fonctionnement des institutions de l'Etat », d'autres ruraux y voient une « volonté improbe des élus locaux de confisquer leur dû »(Propos recueillis auprès d'un agent de lotissement et un propriétaire terrien en Juillet, 2016).

3. Moyens utilisés

Les acteurs ruraux font usage de moyens à la fois physiques (1), mystiques (2) et relationnels (3) lors des conflits fonciers à sinfra.

3.1. Moyens physiques

Les investigations sur le terrain d'étude ont révélé quedans l'ensemble des contrées de la localité,de nombreux moyens physiques étaient utilisés par les belligérants lors des litiges de terre.

Ainsi, dans le village Zéménafla, T. (29 ans, fermier) affirme que « les litiges de terre sont réguliers chez nous ici et les armes de combats qu'utilisent les populations sont nombreuses et sont aussi dangereuses les unes que les autres. On peut souvent voir des armes blanches telles que les machettes qui sont nos outils de travail, mais au-delà, des fusils de chasse calibre 12 et des flèches traditionnellement empoisonnées dont une petite blessure est suffisante pour provoquer la mort de la victime ».

Partant de là, il apparait que ces ruraux qui associent à la fois armes blanches, fusils de chasse et flèches empoisonnées, utilisent tout ce qui leur tombe sur la main en vue d'affaiblir leurs adversaires. Ces conflits dans leur déroulement, traduisent par ailleursune absence de règlementation locale quant aux moyens de défense homologués.Le terrain d'étude se présente de ce fait comme le théâtre où tous les moyens sont recommandés dans les litiges pour affaiblir la résistance de l'autre.

Il estaussià remarquer dans ces propos,une dysproportionnalité notable souvent constatée dans l'utilisation des armes lors de ces litiges. Ainsi, tandis certains ruraux utilisent des armes blanches,  d'autres peuvent riposter par des armes à feu ou des flèches empoisonnées.

3.2. Moyens mystiques

Les conflits fonciers fréquemment observés à Sinfra sont multiples, violents et revêtent par moment et par endroit, des dimensions métaphysiques. En effet, les propos de G. (35 ans, planteur à Progouri) relatifs aux moyens mystiques utilisés pendant ces conflits, sont poignants « pendant ces litiges de terre, de nombreux canaris cassés contenant des objets bizarres sont exhibés sur les carrefours, les champs, les abords de domiciles de nombreux ruraux. Ces objets censés investis de puissances ou de forces, sont posés, cassés, attachés ou plantés par certains acteurs dans les espaces fonciers de leurs adversaires ». Cette pratique parait récurrente dans le département, et même dans lesvillages environnants où cette constellation de féticheurs (Béninois, dozos, burkinabé, maliens, ou nordistes) baguenaudent dans toutes les contrées rurales.

Pour Bakari (28 ans, cultivateur et transhumant à Porabénéfla)« A Sinfra, presque chaque tas de sable, de gravier, de fagots, de briques, lot de matériaux de construction sur les chantiers, ou même d'écorce d'arbre sont utilisés par certains ruraux, pour faire fétiche ».

Il s'agit généralement pour ces enquêtés de coquilles d'escargot, de petites bouteilles ou même des canaris dans lesquels ces féticheurs font une mixture ou un cocktail d'ingrédients mystiques censés investis de puissances ou de forces issues de divinités. Ces fétiches sont le plus souvent exposés de façon ostentatoire à l'effet de déclencher un sentiment de peur chez les adversaires et de les faire plier si cela ne l'était déjà, physiquement.

Ainsi, depuis un certain temps, les acteurs ruraux semblent avoir pris goût à cette pratique de sorte qu'avant ou pendant ces litiges fonciers, on note une course, un empressement de cette pléiade d'acteurs en conflit vers ces féticheurs en vue de solliciter leur appui mystique.

A ce niveau, les propos du chef G.de Bégouafla (67 ans, retraité) sont révélateurs « les pratiques occultes effectuées par ceux-ci aux abords des domiciles, des plantations sont si intenses que de nombreux ruraux remarquent, au-delà des fétiches, l'apparition d'êtres aux allures bizarroïdes qui harcèlent certains paysans dans leurs champs ». Conséquemment, ceux-ci ressentent des malaises aussi subits que brutaux provoquant de ce fait, une mort assez rapide.

Pour l'enquêté S. de Bégonéta (36 ans, cultivateur) « ce qui est effrayant lors des conflits, c'est les pratiques mystiques car elles occasionnent plus de morts que les violences physiques. Certains accrochent des fétiches dans les champs ou cassent des canaris à côté des plantations, de sorte que tout le monde courre pour trouver protection auprès de féticheurs. Contre ce genre d'attaque difficile à prouver, les populations sont contraintes d'annuler ce pouvoir mystique par un autre pouvoir mystique.

De plus, dans certains cas, des planteurs se font poursuivre par des génies en brousse ; donc ils sont obligés de partir chez les féticheurs en vue de faire des rituels de protection ».

Toutefois, même si cette pratique occasionne de nombreuses pertes en vies humaines, force est de savoir que ces acteurs ruraux tendent à mystifier, à suspecter le moindre objet nouveau, peu douteux devant leurs habitations, leurs plantations pendant les conflits. Ce qui pollue davantage l'atmosphère rurale déjà insécurisée. Dans ce contexte de désordre social caractérisé par cet empressement vers les mystiques, de nombreux individus revêtent des costumes de féticheurs et, par des pratiques spirito-démagogiques, inventent des cérémonies supposées expiatoires en vue de marauder le maximum de biens chez ces acteurs en quête de protection spirituelle.

3.3. Moyens relationnels

«Quand les paysans se battent sur la terre, chacun appelle ses parents proches et éloignés, sa communauté, leurs élus, amis et connaissances afin que chacun, à son niveau puisse  aider à affaiblir les adversaires ». Ces propos recueillis auprès du président de la jeunesse de Porabénéfla traduisent que, bien que les conflits fonciers soient physiques, ils revêtent également un caractère relationnel.

En effet, lors des conflits de terre à Sinfra, les acteurs font appel de façon permanente à leurs parents, élus, amis et connaissances, mais au-delà, ils sollicitent l'appui d'élus locaux, gouvernementaux pour soutiens plurielsen contrepartie de dons, promesses de dons, d'électorat dans cet environnement où le réseau relationnel fiable détermine l'issu des hostilités.

Ces nouvelles entités ingérées, usent à bien d'égards, de leur hégémonie et réseau de relations sociales pour faire obliquer les décisions de justice en faveur de leurs protégés lors de la situation des différentes responsabilités pénales.

Pour G. (42 ans, ex-étudiant de Béliata)« les autorités locales et gouvernementales se trouvent régulièrement impliquéesdans les litiges de terre comme ce fut le cas à Digliblanfla dans la cas Gatta Bi blanc et parfois se contredisent dans les décisions. Mais dans tous les cas, la décision de l'autorité supérieure est celle appliquée en dernier recours ».

Il ressort de ces propos que les autorités locales et gouvernementales, dans leur stratification hiérarchique, se trouvent parfois toutes impliquées, à travers une dynamique locale d'extension du réseau de relations sociales. Celles-ci prennent parfois des décisions qui s'avèrent contradictoires les unes des autres à travers l'interprétation des différents textes (code civil, code pénal et code foncier), selon l'échelonnement pyramidal de la hiérarchie ivoirienne.

Dans la pratique, tandis que certaines autorités se fondent sur le code civil et/ou pénal pour justifier les agissements d'une certaine communauté, d'autres, se basent sur le code foncier pour donner tort à cette communauté. Mais, dans tous les cas, la décision de l'autorité supérieure est celle régulièrement appliquée dans le contexte de Sinfra même si elle choisit un texte inapproprié au détriment d'un autre plus indiqué pour la circonstance.

4.Lieux

Les conflits fonciers à Sinfra se déroulent aussi bien dans les plantations des ruraux (1), en milieu rural (2), qu'en milieu urbain (3).

4.1.Dans les plantations

Les différentes plantations des ruraux de Sinfra se présentent de plus en plus comme le théâtre où l'on observe fréquemment les litiges fonciers à caractère violent dans les contrées rurales de la localité. En effet, les acteurs en conflit disposent de leurs outils de travail(machettes, daba) qui constituent en amont, des armes inquiétantes et susceptibles de générer des blessures mortelles.

Dans le village Digliblanfla, P. une enquêtée nous relatait le récit d'une violente bagarre foncière entre son frère J. et un burkinabé exerçant sous le système « zépa » en 2004.

Selon ses propos, le burkinabé avait obtenu auprès de J. son tuteur, quelques hectares de forêt par le système de « zépa » et de ce fait, était devenu le voisin de champ de celui-ci. Quelques temps plus tard, le burkinabé fait des plants de cacaoà la limite des deux pendant que J. était à la maison pour cause de maladie.

Après son rétablissement, J., qui se rendit au champ, s'aperçut des plants de cacao excédant la limite, puis les coupa avant de rentrer au village ; et ce, à l'insu du burkinabé qui les avait planté.

Un mois plus tard, J. se rend compte de la présence de nouveaux plants de cacao excédant une fois de plus la limite convenue. Mais lorsqu'il se mit à les couper à nouveau, le burkinabé qui était présent sur les lieux voulut l'en empêcher et une bagarre s'engagea entre ces individus armés de machettes.

Cette bagarre assez violente s'est soldée par un coup de machette reçu au bras du burkinabé, provoquantde ce fait, la section de veines et artères. La quantité importante de sang qui s'écoulait a affaibli le burkinabé qui s'est évanouie quelques minutes plus tard.

L'état de santé critique du burkinabé a fait fuir J. du champ qui a trouvé refuge auprès de ses frères autochtones du village.

Toutefois, il est à préciser que les différents rituels que tout tuteur établit sur la terre avant de l'accorder avec son « étranger » à Sinfra, constituent une sorte de pacte ancestral qui interdit simultanément aux deux acteurs de s'exercer conjointement des violences sous peine d'ingérence des ancêtres.

Le blessé a été transféré à la clinique la plus proche dans un état d'inconscience et était peu disponible pour participer aux rituels expiatoires à l'effet de permettre à Joachim d'échapper aux sévices occultes des ancêtres.

Une semaine plus tard, Joachim sentit des malaises répétitifset la mort qui a suivi quelques temps, pendant la convalescence du burkinabé.

4.2. Milieu rural

Les différents villages du département de Sinfra apparaissent depuis quelques temps comme étant le théâtre d'affrontements fonciers violents et protéiformes. En effet, les contradictions foncières qui, pourtant débutent dans les plantations, semblent se métamorphiser progressivement par un processus complexe d'interventions suspectes, corrélé par des soutiens familiaux et extrafamiliaux pour générer des conflits violents entre acteurs ruraux dans l'arène rurale de Sinfra.

Ce culbutage des relations inter-ruralesa été sans ambages mentionné par D. (40 ans, planteur, entretiens effectués en Juin, 2016), un enquêté de Bérita en ces termes « chez nous ici, de nombreux problèmes de terre se règlent par des bagarres au sein du village. Ces bagarres se font souvent entre cultivateurs eux-mêmes, entre familles, entre lignées et quelques fois entre communautés car chacun appelle ceux qu'il peut appeler pour le soutenir. L'année passée, Bouèzan et un baoulé se sont disputés une portion de terre au champ, puis sont venus de façon dispersée du champ. La dispute s'est échauffée au village à cause du nombre considérable d'autochtones et d'allochtones qui intervenaient beaucoup ; ce qui a provoqué une bagarre de deux groupes de personnes.D'un côté, les autochtones et d'un autre, les allochtones qui sont arrivés en masse, soutenir leurs frères. De nombreuses personnes ont été blessées dans cette bagarre et il était difficile de savoir, qui sont ceux qui ont vraiment blessé ? La chefferie du village a réglé le problème en demandant au chef de terre, de déterminer le propriétaire de la portion avant d'entamer des négociations pour calmer les coeurs ».  

De ces propos, il ressort que le milieu rural à Sinfra est le théâtre où se manifestent âprement les revendications foncières entre acteurs ruraux.

4.3. Milieu urbain

Pour K. (22 ans, entretien de Septembre, 2015), un enquêté de Bazré «on voit beaucoup des paysans se battre en ville ; les paysans vivant du côté de la ville se font agresser dans la rue et dans leurs maisons ; les administrateurs voulant intervenir sont aussi pris souvent dans le coup de la violenceet les locaux des services administratifs n'échappent pas à des envahissements momentanés ». Autrement, le milieu urbain de Sinfra est un lieu de prédilection de ces litiges fonciers où des ruraux y vivants font souvent l'objet d'attaques sectorielles dans les rues ou dans leurs habitations.  Ce qui provoque une psychose générale et entraine souvent un ralentissement des activités administratives locales.

A cela, s'ajoutent les envahissements fréquents de locaux des services administratifs pour cause de partialité de certains administrateurs locaux. Relativement ceux-ci, pris dans l'embûche, semblent ne pas échapper à des cas de lynchage qui sont dans la plupart du temps, l'oeuvre non collégialement préméditée, mais l'action de personnes isolées. Le théâtre urbain apparait comme le lieu où les violences foncières sont multiples, fréquentes et variées comme le témoignent les propos de S.de Blontifla (43 ans, Novembre, 2016)« En 2005, le conflit qui a opposé les gouro au nordistes de la localité, a été très dramatique. Les gens se sont affrontés en plein centre-ville et les autorités ont aussi été lynchées car certains n'ont pas eu le temps de fuir leurs bureaux. Le préfet d'alors a instruit les forces de l'ordre de Sinfra qui se sont vus aussitôt débordées par la foule et l'escalade de la violence. Ceux-ci ont demandé un appui des forces de l'ordre de Gagnoa et Yamoussoukro avant que les hostilités ne cessent ».

5. Processus de dégénérescence des conflits fonciers

Les enquêtes effectuées sur le terrain d'étude ont révélé que le processus de dégénérescence de litiges fonciers à Sinfra s'apparente à une combinaison complexe et non stratifiée d'étapes où des acteurs hétéroclites agissent de façon individuelle ou collégiale selon des enchainements variables.En d'autres termes, ce processus de métamorphisme des relations sociales à Sinfra ne répond pas à des règles mécaniques qui supposeraient que telle cause X produit inéluctablement tel effet Y mais plutôt que le processus de dégénérescence est caractérisé par des inactions, des enchainements voir des cumuls d'actions de ces acteurs à des degrés variables. Ceux-ci n'adoptent pas des actions fixées à l'avance mais réagissent en raison de leur attachement ou de l'intérêt porté à telle ou telle question sociale ou foncière.

Dans la pratique, l'enquêté V. (30 ans, cordonnier à Djamandji, Novembre, 2016)affirme que « la plupart des conflits opposant les principales communautés autochtone et allochtone commencent sur des mésententes entre deux ruraux ; puis chacun appelle ses frères et connaissances. Quelques temps plus tard, on voit de petits groupes se former en posant des actions sur le terrain. A partir de là, on a plus affaire à un petit problème entre deux personnes qu'on peut régler facilement, mais plutôt entre deux communautés qui exercent dans le même coin ».

Ce faisant, il semble que les petites mésententes foncières observées fréquemment entre ruraux dans la localité constituent la niche d'une constellation de conflits à caractère communautaire. Les conflits fonciers apparaissent de ce fait, comme étant la résultante des effets conjugués du choc entre acteurs ruraux auxquelles se greffent des implications fraternalistes affichées avec ostentation par ces acteurs belligérants, provoquant par ricochet un clanisme de part et d'autre, un repli identitaire et des actions collégiales catalysant les antagonismes.

Ce processus tel que présenté, pourrait donner la schématisation suivante :

Dispute inter-ruraux

Implication d'acteurs collatéraux

C

Clanisme

Repli identitaire

Interventions plurielles

Conflit généralisé

Figure 5 : Processus de dégénérescence des conflits fonciers à Sinfra

Source : Terrain

III. IMPACTS DES CONFLITS FONCIERS A SINFRA

1. Dans le département de Sinfra

1.1. Dégâts matériels et humains

Les conséquences des conflits fonciers à Sinfra sont nombreuses et se perçoivent tant au niveau des dégâts matériels, qu'humains enregistrés lors de ces litiges. Ces conséquences qui tiennent pour la plupart en des violences physico-matérielles se séquencent de façon binominale.

Au niveau des peuples sédentaires, c'est-à-dire dans le tandem autochtones-allochtones, l'on observe fréquemment des destructions de cultures, de plantations et dans les cas les plus graves, des atteintes à l'intégrité physique des acteurs ruraux.

En effet, pendant les conflits, on observe des attaques sectorielles de part et d'autres des acteurs en conflit. Les paysans ou acteurs ruraux de la localité sont contraints de marcher, exercer, se promener en nombre important faute de quoi, ils font l'objet d'agression physique par des membres d'une autre communauté.

Selon S. B.(19 ans, footballeur à Djamandji, entretien enJuillet, 2016) « les conflits entre nous et les allochtones provoquent souvent de nombreuses pertes. Pendant le conflit qui nous a opposé en 2010, les deux camps ont enregistrés de nombreuses pertes, à telle enseigne que les autorités n'ont jusque -là, pas pu donner des chiffres exacts. De nombreux corps non identifiables et putréfiés ont été retrouvés aux abords des pistes villageoises. On ne savait pas s'il s'agissait de gouro ou d'étrangers. La majorité des pâturages ont été détruits avec les bêtes, les marchés sectoriels ont été saccagés, la nourriture manquait et la peur s'est emparé de l'ensemble des acteurs en conflit. Il y a eu des destructions multiples de cultures, de plantations ; des dépôts de canaris, de fétiches dans de nombreux champs ».

De plus, tandis que l'on observe menaces, guet-apens et agressions physiques entre ces populations sédentaires, les autorités locales semblent eux-aussi, ne pas être épargnées par cette extension de la violence. Ils sont dans de nombreux cas, lynchés, menacés directement ou indirectement ; c'est-à-dire à travers leurs familles, leurs proches.

Selon Chef S. Z.(58 ans, adjoint du chef de village de Baléfla, Mai, 2016) « Les autorités coutumières et administratives ont, à ma connaissance, toujours payé un lourd tribut dans l'ensemble des conflits qui se sont déroulés sous nos yeux. J'ai moi-même été menacé en 2008 puis lynché en 2010 par des individus dont je ne connaissais la provenance. J'ai été secouru par les forces de l'ordre lors de ce lynchage. Mais jusqu'à ce jour, les coupables n'ont véritablement pas pu être identifiés ». Aussi, faut-il remarquer que, pendant que de nombreuses habitations d'autochtones, d'allochtones ou encore d'autorités locales font l'objet de maraudage, de pillage et de saccage, les services administratifs locaux sont pris d'assaut par des sit-in, des envahissements, ouvrant ainsi la voie à toute forme de vandalisme juvénile. Cette agression des autorités locales est tributaire des pratiques démagogiques, partisanes de ceux-ci, qui ayant conscience des clivages ethniques et communautaires, privilégient certaines catégories au détriment d'autres. On assiste à un arrêt momentané des activités professionnelles administratives, coutumières et agricoles pour cause d'insécurité avec des escapades régulières de ces acteurs ruraux et administratifs ; cherchant par-ci et là des refuges.

Pour A. (43 ans, agent du trésor, entretien de Janvier 2016) « les violences foncières de 2002 ont occasionné de nombreux dégâts ; les ruraux de tout bord ethnique étaient pris pour cible les uns par les autres. Les autorités même n'ont pas été épargnées, de nombreux bureaux ont été pillés puis saccagés ; les populations couraient de partout, fuyaient pour se réfugier dans les campements ou villages environnants ; et le tout, avec les rumeurs quotidiennes qui circulaient. Ainsi, des forces de l'ordre extérieures au département ont été sollicitées pour renforcer l'interposition entre les communautés gouro et allochtones de la localité ».

1.2. Politisation de l'atmosphère rurale et insécurité

« Avec l'indépendance, le système foncier en Côte d'Ivoire n'a pas subi de transformation radicale. On a toujours eu affaire à un  Etat, caractérisé par la combinaison de pouvoirsau sein des sociétés paysannes locales ». Ces propos recueillis auprès de Mr D., directeur départemental de la construction de Sinfra (entretien de Mai 2015)montrent que les acteurs de l'Etat dans leur majorité(élites politiques locales) ont conservé de fortes relationsavec le monde rural pour des raisons qui, loin d'être uniquement culturelles, tiennent aussi aux conditions d'exercice des activités régaliennes de l'Etat.

À partir de 1994, la crise politique nationale est marquée par une ethnicisation politique contenue dans le concept de « l'ivoirité »qui, bien que culturel, s'est cristallisé dans les consciences rurales comme le concentré d'une politique d'exclusion ethnique, communautaire et religieuse.

Pour un enquêté de Blontifla (27 ans, cultivateur, entretien de Janvier 2016)« les problèmes de terre ici, sont interprétés par les uns et les autres comme  en termes de politique. Une simple mésentente entre deux personnes de communautés différentes est vue comme un problème politique et le règlement provoque toujours des murmures dans toute la ville ».

Dès lors, il s'ensuit que les acteurs ruraux, administratifs et politiques de Sinfra sont charriés dans ce courant de politisation de la question foncière avec des implications plurielles, des dysfonctionnements récurrents des instances de gestion foncières dans le contexte actuel de Sinfra.

Ces propos de l'enquêté mettent également en avantune ignorance des ruraux en matière de connaissance de la loi foncière actuelle (loi n°98-750 du 23 décembre 1998).Ce faisant, en absence des droits clairement établis pour les populations paysannes locales sur le foncier rural (la terre appartient à l'Etat et seuls les ivoiriens peuvent en être propriétaires: art 1 du code foncier ivoirien ; les non-ivoiriens peuvent bénéficier de titres fonciers sur des terres acquises : art 26 ; les acteurs ont obligation de mettre en valeur leurs terres sous peine de réquisition foncière par l'Etat : art 18), les responsables politiques locales de Sinfra ont et exploitent toujours à profit cette nébulosité pour instrumentaliser les groupes qu'ils classifient en foyers antagonistes. Ces catégories socio-rurales organisées et instrumentalisées sous le couvert politique, se retrouvent permanemment en conflit sous l'arbitrage de l'administration locale, qui tente d'établir les bases d'une réconciliation de façade. Le cycle de violences et d'interventions partisanes reprend et continue, laissant place à des réconciliations superficielles et passagères ; qui elles-mêmes sont régulièrement suivies de conflits successifs dans la localité de Sinfra. Ces conflits ressurgissant, précèdent de longues rencontres de réconciliation, qui se terminent par des échecs de règlement, de nouvelles frustrations et de nouveaux conflits.

Ainsi, le terrain d'étude apparaît âprement comme le théâtre où les acteurs politiques, administratifs, ruraux instrumentalisent les marques de frontières entre identités pour atteindre leurs objectifs.

Toutefois, à côté de ces acteurs administratifs aux attitudes opportunistes, quelques rentiers profitent de cette situation d'insécurité foncière. Et les populations sédentaires se voient se culpabiliser les uns les autres comme responsables de cette instabilité sociale, de cette dégénérescence de la situation ; rendant de ce fait l'équilibre social précaire et politiquement pollué dans la localité de Sinfra.

Selon enquêté L. (51 ans, planteur à Brunokro lors d'entretiens effectués en Mai, 2015) « la politique s'est ingérée dans nos rapports au village ; les cadres de la ville font des entretiens cachés avec d'autres personnes ; ce qui ne favorise pas notre cohabitation. Les conflits entre nous deviennent plus violents et la peur, la méfiance s'installe dans chaque groupe ethnique, communautaire. A cela s'ajoute les rumeurs quotidiennes, les tentatives de règlement qui sont toujours contestées par les parties ; laissant place à des vagues de violences plus sérieuses que les précédentes ».

Une position que semble partager Maître B. (interview effectuée en Fevrier, 2015), greffier du tribunal de Sinfra, pour qui,  « les relations entre ruraux sont de plus en plus antagoniques. Les populations rurales en conflit accusent régulièrement le système administratif d'inaction ou encore d'aggravation de ces litiges. Ainsi, ces ruraux remettent en question de nombreuses décisions prises par certains administrateurs de la localité pour apaiser les tensions rurales. Dans ce cas, l'option violente, c'est-à-dire l'usage des autorités répressives, se solde toujours par des échecs ».

2. Au plan extra-départemental

2.1. Exode rural et tares sociales urbaines

« La récurrence des litiges fonciers observés depuis quelques temps à Sinfra, engendre des vagues de migrations sans cesse croissantes de populations rurales de la localité vers les grandes agglomérations telles qu'Abidjan. En effet, les évictions foncières répétées de certaines populations locales, les frustrations familiales et communautaires, l'incertitude foncière, la réduction permanente des espaces de culture, la savanisation du département, la variation, l'oscillation permanente de pluviométrie, le déséquilibre du ratio efforts champêtres / résultats obtenus, la paupérisation rurale généralisée à Sinfra, la conviction d'une situation meilleure à Abidjan, sont autant de facteurs énumérés par les ruraux de Sinfra pour expliquer ces vagues de migration croissantes sur Abidjan ». Cette affirmation du Secrétaire Général de la Préfecture (Avril, 2016) traduit que ce sont essentiellement les difficultés de la vie paysanne (faiblesse de revenus, l'insuffisance et inadéquation des services Etatiques en milieu rural) qui expliquent cette ruée de ces populations locales vers Abidjan.

Les ruraux de Sinfra semblent ne plus se contenter de leur situation de vie morose et restent attirés par le mirage dans cette agglomération et de ce fait, y accourent en grand nombre, espérant acquérir un mieux-être, de nouvelles conditions de vie.

Cependant, si l'exode rural à Sinfra est l'une des conséquences de la saturation foncière et de la présence exubérante des autorités locales dans l'arène foncière, force serait de savoir que cette désertion des bras valides villageois entraine un engorgement des centres urbains.

Pour l'enquêté B. (26 ans, Douafla, Mars, 2016)«  bon nombre de ces aventuriers pensent que l'unique voie prometteuse, envisageable demeure l'exode rural en vue d'apporter un soutien à la fois économique et matériel aux parents restés sur place. Ainsi, chaque année, chaque mois ou même chaque semaine, de nombreux ruraux désertent les campagnes de Sinfra, se dirigeant, pour la plupart, vers la capitale économique (Abidjan) et les quelques agglomérations (Yamoussoukro) ». Ils y nourrissent l'espoir illusoire d'emplois faciles et parfaitement rémunérés dans le milieu urbain et plus précisément abidjanais. Mais dans la pratique, ces aventuriers se heurtent à une insertion professionnelle quasi-impossible pour ces analphabètes, qui consciemment ou pas, contribuent à accroître et alimenter les bidonvilles, lieux de référence de la pauvreté abidjanaise.

La croissance démographique de cette agglomération s'accompagne de problèmes nouveaux (saturation urbaine et désurbanisation; en plus de celui de l'aménagement technique du territoire).

Face à cette ruée des populations de Sinfra vers cette grande agglomération nationale (Abidjan), il n'est pas rare d'observer un surpeuplement du milieu abidjanais, des problèmes d'organisation administrative et technique, l'habitation, l'hygiène, la communication, l'approvisionnement en eau et en électricité ainsi qu'en denrées alimentaires, l'évacuation des matières usées. Bref, une surcharge des lieux et services publics.

Mais au-delà (des risques mentionnés), se trouvent tares sociales fréquemment observées chez ces migrants en quête de stabilité socio-financière. Ceux-ci baguenaudent, maraudent, errent, chôment, cherchant par-ci et là des petites activités licites ou le cas échéant, illicites afin de satisfaire les besoins vitaux. De ce fait, on observe le plus souvent une augmentation importante du taux de criminalité urbaine, l'apparition de bidonvilles, de quartiers précaires, des lieux de fortune où pourraient résider ces ruraux de plus en plus enclins au commerce du sexe (prostitution), à l'homosexualité, à la consommation des stupéfiants, aux agressions, etc.

Ce faisant, on assiste à une dénudation de cette jeunesse aventurière du monde rural (Sinfra), un ralentissement des activités agricoles locales (activité réservée désormais aux vieillards ou aux femmes) et conséquemment une baisse de la production agricole locale.

Selon B. (39 ans, Mai, 2016), président de la jeunesse de Djamandji « les jeunes des différents villages de Sinfra désertent au quotidien les villages laissant les activités champêtres à ces êtres vulnérables que sont les vieux et les femmes. Ils pensent qu'Abidjan, ils peuvent réaliser tous leurs voeux et y accourent de façon quotidienne. Mais lorsqu'ils n'y trouvent pas un travail à la mesure de leur espérance, ils errent, s'adonnent à des actes peu recommandables faute de transport pour retourner au village ».

2.2. Réduction de la production agricole nationale

La Côte d'Ivoire est un pays dont l'économie repose principalement sur l'agriculture. Ainsi, les conflits fonciers situés dans les zones à prédominance forestière et agricole telles que Sinfra,ont un impact direct sur la rentabilité nationale des cultures d'exportations (café, cacao, anacarde, hévéa,...).

Selon le chef de la tribu Sian Mr Z.(71 ans, retraité, entretiens effectués en Mai, 2016) « pendant les périodes de conflit à Sinfra, les acteurs ruraux sont plus occupés aux confrontations physiques, mystiques plutôt qu'aux activités champêtres. Le sarclage des différentes cultures ne s'effectue pas au moment opportun et les plantes ou cultures restent submergées par les mauvaises herbes ». En d'autres termes, ces plantes restent submergées en raison du climat d'insécurité. Les ruraux ne pouvant courir le risque de se rendre dans leurs plantations individuellement pour couper les fruits à maturité, restent dans la patience d'une solution au litige.

Par ailleurs, vu la lenteur et la lourdeur administrative locale, caractéristique de l'administration ivoirienne, les procédures de gestion lassantes et amollissantes, engagées par les autorités de Sinfra s'éternisent, clouant de ce fait ces ruraux dans une attente interminable et exaspérante avant de vaquer à leurs occupations champêtres. Les plantes non submergées par les mauvaises herbes produisent des fruits qui se décomposent et se putréfient dans les plantations pendant ces moments de conflit ou d'attente solutionniste. Les conséquences qui en résultent s'articulent principalement autour de la réduction production agricole individuelle, communautaire et locale ; ce qui, par ricochet impacte sur la production nationale en raison de la position géographique de Sinfra (zone cacaoyère, caféière et désormais anacardière).

Pour un enquêté(T., 33 ans, planteur à Kouêtinfla ; entretien de Juillet 2016) « les conflits fonciers à Sinfra ont un impact sur la production des cultures de rentes nationales. Pendant les périodes de conflit et de résolution, les paysans ne peuvent se rendre au champ pour récolter les cultures à cause de l'insécurité relative au conflit. Ainsi, la production locale et nationale baisse puisqu'au moment indiqué, les paysans ne sont pas partis couper les fruits de cacao et de café qui sont pourris sur les arbres. La récolte devient faible avec tout l'impact négatif sur la sécurité alimentaire des ruraux et la production agricole nationale ».

Selon le chef de Béliata, J. (72 ans, retraité, entretiens effectués en Avril, 2016) « les conflits fonciers observés à Sinfra ont toujours eu une influence directe ou indirecte sur la production agricole de Sinfra. Ainsi, vu la position géographique du département, il est évident que cette influence remonte à l'échelle nationale ».

Avant d'aborder la question des modes de gestion des conflits fonciers, il est important de rappeler que la plupart des conflits fonciers à Sinfra naissent du processus d'acquisition des terres (transmission par héritage, transmission par distribution utérine des terres familiales, tutorat, arrangements par compensation, prêt, vente, mise en gage et métayage ou « zépa »)et des conventions y afférents. Ces conflits observés autant à l'intérieur de la structure familiale, au niveau extrafamiliale que communautaire ne répond pas à un enchainement fixé d'étapes mais plutôt à des actions non prévisibles liées à ce que la terre représente pour ces acteurs. De ce fait, différents moyens sont dégagés par les acteurs (physiques, mystiques et relationnels) qui, fréquemment s'affrontent sur l'ensemble de l'espace géographique départemental (plantations, milieu rural et milieu urbain). Les conséquences qui en résultent concernent respectivement les impacts internes au département (violences physiques, matérielles,....) et ceux, externes au département (exode rural et difficultés d'insertion professionnelle dans les agglomérations, baissede la production agricole locale en termes de cultures d'exportation).

IV. MODES DE GESTION DES CONFLITS FONCIERS A SINFRA

1 Présentation des acteurs

On distingue parmi lesentités qui interviennent dans la gestion des conflits fonciers à Sinfra, les acteursextra-judiciaires (1) des acteurs judiciaires (2).

1.1. Acteurs extra-judiciaires

Ce sont entre autres la chefferie traditionnelle (1), le comité de gestion foncière rurale (2) et les autorités administratives (3).

1.1.1. Chefferie traditionnelle

L'article 31 de la loi n°2014-451 du 05 Août 2014 portant orientation et organisation générale de l'administration territoriale dispose que « le village est l'entité administrative de base qui est dirigé par une chefferie traditionnelle dont les compétences s'apparentent à celles d'un magistrat local ».

Pour mieux appréhender ces compétences, il serait judicieux d'évoquer succinctement le fondement juridique (1), les attributions (2) et l'organisation (3) de cette chefferie traditionnelle.

1.1.1.1. Statut juridique

Selon l'article 2 de la loi n°2014-428 du 14 Juillet 2014 portant statut des rois et chefs traditionnels « ont la qualité de chef traditionnel, les autorités traditionnelles ci-après : les rois, les chefs de province, les chefs de canton, les chefs de tribu et les chefs de village ». Ils sont désignés selon les us et coutumes de leurs différentes localités (art 3) et bénéficient de privilèges portant sur la possession d'une carte identificatoire, la décoration en cas de mérite et un rang protocolaire lors des cérémonies publiques (art 4). A cela, s'ajoute la protection dont ils font l'objet, contre toute forme de menaces, d'outrages, d'injures et de violences dans l'exercice de leurs fonctions (art 5).

Les chefs traditionnels appartiennent à la famille de la Chambre Nationale des Rois et Chefs Traditionnels qui disposent d'un chapelet de missions dont les principales, restent l'élaboration du répertoire des chefs traditionnels ivoiriens, le respect du statut des chefs, la favorisation des échanges culturels, la protection du patrimoine culturel ivoirien et la prévention, la médiation et la gestion des crises et conflits inter-ruraux(art 9).

1.1.1.2. Attributions

Les chefs traditionnels, selon la loi n°2014-451 du 05 Août 2014 portant orientation et organisation générale de l'administration territoriale, disposent de compétences plurielles :

· En matière de Police Générale : Ils doivent maintenir l'ordre, empêcher tous les rixes et les disputes ainsi que tout tumulte dans les lieux d'assemblée publique. Ils doivent également rendre compte au sous-préfet de leurs actions et de tout fait tendant à troubler l'ordre public.

· En matière de Police rurale : Les chefs traditionnels doivent veiller à la protection des cultures, des plantations et des récoltes notamment en empêchant qu'elles soient détruites par les feux de brousse et les bétails en transhumance. Ils doivent aussi empêcher la divagation des animaux.

· En matière de voirie : Les chefs traditionnels doivent maintenir le village et ses environs immédiats en état de propriété. Ils doivent en outre veiller à la conservation et au bon entretien des pistes villageoises.

· En matière d'hygiène : Les chefs traditionnels doivent veiller à la santé publique des populations et doivent signaler tous les cas de maladies contagieuses ou d'épidémie.

· En matière de justice : Les chefs traditionnels doivent concilier les parties en cas de litige. Leur mandat n'est assorti d'aucune durée et l'exerce donc à vie. Toutefois, ils pourraient l'objet de destitution pour des prises de décisions arbitraires frisant des abus de pouvoir, empêchement absolu d'exercice du pouvoir pour cause de maladie et délit portant à l'honneur de la communauté et aux bonnes moeurs. A cela s'ajoute la neutralité politique dont ils doivent preuve, l'impartialité dans les décisions et la priorisation des intérêts villageois au détriment de ceux, personnels et partisans.

Dans une dynamique ascendante et descendante, les chefs traditionnels constituent le relais entre l'administration et les administrés. A ce titre, ils doivent conjointement faire remonter les préoccupations des administrés auprès des administrateurs et faire appliquer les décisions gouvernementales dans le village dont ils ont la responsabilité.

Ils doivent enfin être soutenus dans leurs tâches par les jeunes ruraux, les femmes, les cadres et élus ainsi que toutes les communautés présentes dans le village, dans le respect de la tradition, le rassemblement, l'humilité à l'égard des administrés et la disponibilité dans la collaboration avec l'administration locale.

1.1.1.3. Organisation

Sur le plan organisationnel, le chef T.de Blontifla (61 ans, retraité)affirme que« la chefferie traditionnelle de Sinfra se compose du chef du village et de la notabilité. Cette notabilité prend en compte le 1er notable (suppléant du chef), le secrétariat général, la trésorerie générale, les représentants des différents lignages fondateurs du village (conseillers), les personnes influentes du village qui peuvent être des anciens cadres, fonctionnaires (membres) et le garant des délimitations foncières locales (chef de terre) ».

Ces acteurs agissent tous à différents niveaux de la procédure de gestion des questions villageoises et la décision du chef de village est souvent le fruit d'une concertation avec ce collège de collaborateurs.

L'organigramme ci-dessous spécifie la position hiérarchique et le rôle de ces acteurs dans l'échelonnement hiérarchique villageois.

Président du tribunal

Chef du village

Suppléant du chef

Premier notable

Secrétariat chargé de la rédaction des procès-verbaux

Secrétariat général

Secrétariat chargé de la collecte des fonds de lachefferie

Trésorerie générale

Agents du CGFR, griot et les proches collaborateurs du chef

Conseillers

Représentants des lignages fondateurs du village

Membres

Personne censée connaître l'ensemble des forêts et leurs propriétaires respectifs

Chef de terre

Figure 6 : Organigramme de la chefferie traditionnelle à Sinfra

Source : Terrain

1.1.2. Comité de gestion foncière rurale (CGFR)

Evoquer le comité de gestion foncière rurale dans notre travail, suppose évoquer succinctement sa composition (1), ses attributions (2) et son fonctionnement (3).

1.1.2.1. Composition

On dénombre selon le décret n°99-593 du 13 Octobre 1999 portant organisation et attributions des comités de gestion foncière rurale (CGFR), plusieurs catégories d'acteurs intervenant au sein de ce comité :

· Les acteurs du Ministère de l'intérieur : Préfet du département et Sous-préfet

· Les représentants des Ministères liés à la terre (Agriculture, Environnement et forêt, logement et urbanisme, infrastructures économiques.

· Les directeurs régionaux et départementaux de l'agriculture et les commissaires-enquêteurs.

· Les Organes Villageois de Gestion Foncière Rurale (CGFR, CVGFR)

· Les Opérateurs Techniques Agréés (OTA) qui appartiennent au Bureau National d'Etudes Techniques et de Développement et les experts géomètres agréés.

Toutefois, dans cette composition, il faille distinguer ceux qui interviennent promptement (experts géomètres et les OTA du BNETD) de ceux qui siègent permanemment dans ce comité (administrateurs locaux et villageois).

Dans la composition, les OTA et les experts-géomètres qui interviennent promptement (Acteurs débout), sont sollicités en vue de certaines délimitations foncières (individualisation des parcelles) et de la pose de bornes.

A côté de cette catégorie d'acteurs, les membres siégeant (Acteurs assis) en permanence au sein de ce comité, se composent de :

v Ceux qui ont le droit de voter :

- Représentants des Ministères liés à la terre (Agriculture, Environnement et forêt, logement et urbanisme, infrastructures économiques,...).

- Représentant des services du cadastre de la direction départementale de l'agriculture.

- Six représentants des communautés rurales, des villages et des chefs coutumiers désignés sur proposition pour une durée de trois ans renouvelables.

v Ceux qui ont le droit de donner leur avis :

- Gestionnaire du Plan Foncier Rural

- Personnes concernées par les questions qui doivent faire l'objet de vote du comité.

- Représentants des comités villageois.

- Toute personne utile à la bonne fin des travaux du comité

Dans la pratique, le Sous-préfet, président du CGFR mobilise les différentes entités (ministérielles, départementales et villageoises) de ce comité, puis les dote d'outils nécessaires à l'étude, à la prévention et à la gestion de l'ensemble des dossiers fonciers sur son territoire d'exercice.

La matérialisation de la composition du CGFR, selon les enquêtés,pourrait donner la schématisation suivante :

Sous-préfet

Acteurs assis

Acteurs débout

Représentants des Ministères

Opérateurs Techniques Agrées

Experts géomètres

Chefferie traditionnelle

Agents cadastraux

Figure 7 : Organigramme du Comité de Gestion Foncière Rurale de Sinfra

Source : Terrain

1.1.2.2. Attribution

Selon l'article 3 du décret n°99-593 du 13 octobre 1999, « le comité est l'organe de gestion foncière rurale ».A ce titre, il délibère obligatoirement :

v Sous forme d'avis conforme qu'il rend:

- Pour valider les enquêtes officielles de constat des droits fonciers coutumiers.

- Pour se prononcer sur les oppositions ou réclamations qui subviennent au cours des procédures d'immatriculation des terres du domaine foncier concédé.

- Pour résoudre les conflits les conflits non-gérés au cours des enquêtes foncières.

- Pour implanter des opérations de reboisement.

- Pour implanter les projets d'urbanisation.

v Sous forme d'avis simples sur les implications foncières des différents projets de développement rural

- Il peut être saisi pour avis simple, par les autorités compétentes de toute question relative au domaine foncier rural.

- Il peut prendre unilatéralement la décision d'étudier toute question relevant de sa compétence aux fins de propositions aux autorités compétentes.

- Il est obligatoirement informé de l'établissement des certificats fonciers et des actes de gestion les concernant.

1.1.2.3. Fonctionnement

Ce comité fonctionne de façon hétérodoxe et ne peut délibérer valablement qu'en présence des ¾ des membres lors de la première convocation du Sous-préfet. Ce ne sera qu'après une seconde convocation sur le même ordre du jour que ce comité délibèrera sans condition de quorum.

Les dossiers de délibérations y compris les avis et propositions du comité, sont communiqués au Préfet du département afin que celui-ci donne suite aux propositions formulées, dans un délai de deux semaines.

1.1.3. Autorités administratives

Les autorités collatérales intervenant fréquemment dans la gestion des questions foncières concernent le Préfet (1) et le Sous-préfet (2).

1.1.3.1. Préfet

Par l'ordonnance n° 2011-262 du 28 septembre 2011 portant organisation générale de l'administration territoriale de l'Etat, le Préfet du département de Sinfra est nommé par décret pris en Conseil des Ministres (Art 22).A ce titre, ses responsabilités sont nombreuses et s'étendent aux limites du département. Il doit donc veiller à l'exécution des lois, des règlements et des décisions du pouvoir exécutif, diriger, animer, coordonner et contrôler les activités des services administratifs et techniques du département et, d'une manière générale, de l'ensemble des services administratifs civils de l'Etat intervenant dans le département.

Outre cette responsabilité, le préfet doit assurer la gestion des personnels de l'Etat placés sous son autorité pour tous les actes de gestion courante relevant des attributions déléguées aux Ministres.

De plus, responsable de l'ordre, de la sécurité et de la salubrité publics dans le département, il reçoit, centralise et exploite toutes les informations relatives à la sureté de l'Etat, à l'exercice des libertés publiques, aux catastrophes de toute nature ainsi qu'à tout évènement troublant ou susceptible de troubler l'ordre, la sécurité, la tranquillité et la salubrité publics (Art 4).

1.1.3.2. Sous-préfet

Selon l'ordonnance n° 2011-262 du 28 septembre 2011 portant organisation générale de l'administration territoriale de l'Etat, le Sous-Préfet est le représentant de l'Etat dans la Sous-Préfecture et agit sous la subordination hiérarchique du Préfet de département (art 29). A ce titre, il contrôle, coordonne et supervise l'action des chefs de villages du territoire de la Sous-Préfecture et les activités des agents des services administratifs et techniques de sa circonscription.

Le Sous-Préfet est responsable du maintien de l'ordre public sur l'ensemble du territoire de sa circonscription administrative et peut requérir l'aide des Forces de l'ordre de sa localité si nécessaire (Art 33).

A ces tâches, se greffent celles de la convocation, de la présidence de sa sous-préfecture et de la transmission des délibérationsau préfet de département (Art 32).

1.2. Acteurs judiciaires

Les acteurs intervenant dans l'échelonnement procédural du tribunal pénal de Sinfra sont regroupés au sein du siège (1), du parquet (2) et du greffe (3).

1.2.1. Siège

Le siège de la section détachée de Sinfra comprend selon maître B.(Greffier au tribunal pénal de Sinfra, entretien de Janvier 2016 hors des locaux du tribunal) « le président du tribunal et le juge en charge de l'instruction qui ont tous deux, des profils de poste distincts ».

v Président du tribunal :Magistrat du siège assurant la direction et la gestion administrative du tribunal. Dès lors, il dispose de fonctions juridictionnelles propres en matière de requêtes ou de référés. C'est lui qui préside l'audience, c'est-à-dire qu'il gère le déroulement du procès et les débats. Il peut siéger seul ou se faire assister par le substitut résident (Procureur de la République) selon le principe de  collégialité juridictionnelle.

v Juge d'instruction :Le juge d'instruction est un magistrat qui intervient avant l'éventuel procès pénal. Son rôle se situe en milieu pré-procès, il a à charge d'effectuer toutes les diligences et investigations dans le but de révéler ce qui se rapproche le plus de la vérité dans une question pénale, civile ou foncière. En d'autres termes, il se doit de réunir tous les éléments permettant de déterminer si les charges à l'encontre de personnes poursuivies sont suffisantes, recevables afin que celles-ci soient jugées.Aussi, vu qu'il instruit à charge et à décharge, le juge d'instruction doit donc procéder à tous les actes d'information utiles, vu que ceux-ci soient de nature à démontrer la culpabilité ou l'innocence d'une personne. 

Dans le cadre de ses fonctions, il peut notamment procéder à l' audition de témoins, ordonner des  perquisitions, des saisis ou des écoutes téléphoniques, effectuer des confrontations, prescrire des examens médicaux ou psychologiques, ... Il possède également la faculté de recourir à la force publique et de délivrer des mandats d'arrêt, de dépôt, d'amener et de comparution. A l'encontre de la personne suspectée d'avoir commis l'infraction, il peut prendre un certain nombre de mesures et notamment une  mise en examen.

1.2.2. Parquet

Relativement au siège, le parquet du tribunal de Sinfra comprend exclusivement le substitut résident (Procureur de la République).

Selon le maître B. (Greffier au tribunal pénal de Sinfra, entretien en Janvier 2016 hors des locaux du tribunal),  « le procureur de la République intervient sur information des services de police, de gendarmerie, mais également des services de l'Etat ou à la suite d'une plainte d'un particulier, lorsqu'une infraction est commise dans le ressort du tribunal de grande instance dans lequel il exerce ses fonctions. Il procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des auteurs d'infractions pénales. A cette fin, il dirige l'activité des agents de la police judiciaire au sein du commissariat de Sinfra et contrôle de ce fait, les placements et les prolongations de garde à vue, les interpellations... »Autrement, le procureur a l'opportunité des poursuites. Il peut, s'il estime cette solution opportune, engager les poursuites lorsque l'infraction est établie. A ce stade, plusieurs possibilités s'offrent à lui:

- Il peut classer l'affaire sans suite, notamment quand l'auteur de l'infraction n'est pas identifié ou est irresponsable (minorité ou démence).

- Préalablement à sa décision,il peut déclencher l'action publique et mettre en oeuvre des mesures alternatives aux poursuites : rappel à la loi, composition pénale, mesure de réparation des dommages ou médiation pénale entre l'auteur des faits et la victime, orientation de l'auteur des faits vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle.

En matière de contravention ou de délit, il peut renvoyer l'auteur devant un tribunal (tribunal pour enfant, juridiction de proximité, tribunal de police, tribunal correctionnel).

- En matière de crime ou de délit complexe, il peut ouvrir une information par la saisine du juge d'instruction qui est alors chargé de l'enquête.

Au procès, le procureur présente oralement ses réquisitions devant les tribunaux et la cours mais n'assiste pas au délibéré. Outre ces compétences, le procureur met en oeuvre localement la politique pénale définie par le Garde des sceaux, dirige et coordonne l'application des contrats locaux de sécurité mis en oeuvre par les collectivités territoriales.

1.2.3. Greffe

Le greffe du tribunal de Sinfra se compose selon Maître P. (Magistrat au tribunal pénal de Sinfra, entretien effectué en Mars, 2016) «de 09 greffiers, de 03 interministériels, de 02 éducateurs spécialisés et d'un assistant social dont les compétences sont spécifiques à leurs postes ».

v Greffiers : Le greffier est l'auxiliaire de justice le plus proche du juge puisqu'il est chargé tout au long de l'instance judiciaire, de garantir le respect et l'authenticité de la procédure.Les greffiers sont divisés en deux corps :les greffiers et les greffiers en chef.

En ce qui concerne les 07 greffiers du tribunal de Sinfra, ils sont responsables du bon déroulement de la procédure et de l'authenticité des actes établis par les magistrats au cours du procès. A ce titre, ils informent les parties, contrôlent l'écoulement des délais, dressent les procès-verbaux, rédigent certaines décisions et s'assurent du respect par le juge du formalisme des actes juridictionnels. Leur présence est obligatoire à l'audience, de même que leur signature sur les décisions juridictionnelles du juge.Ils sont également chargés de la tenue de certains registres du tribunal, comme le répertoire général qui comprend l'intégralité des affaires enrôlées, ou le registre d'audience appelé aussi « plumitif ».

Outre ces compétences communes, le greffier en chef et son adjoint possèdentcertaines attributions particulières, comme la délivrance de certificats de  nationalité ou le contrôle des comptes de tutelle ainsi qu'une fonction fondamentale d'encadrement et de gestion de la juridiction. Ils sont en effet responsables du fonctionnement des services du greffe, de la gestion de son personnel, et du budget de fonctionnement de la juridiction dont ils assurent la préparation.

v Interministériels : Ils ne constituent pas des agents à part entière de la justice de Sinfra. Ce sont des fonctionnaires affectés par l'Etat qui vacillent concomitamment dans la plupart des services administratifs de la localité (tribunal, préfecture, sous-préfecture, mairie, trésor, ...).Ils sont exclusivement habilités à des tâches administratives au sein du tribunal et sont à la fois exclus de la procédure pénale et de la participation aux audiences.

v Educateurs spécialisés :Ce sont des agents de la structure dont le profil de poste concerne la prise en compte des mineurs délinquants. Dans la pratique, ils effectuent des enquêtes sociales auprès de la famille, des amis, des voisins en vue de connaître la personnalité du mineur pour mieux le resocialiser. Après investigations, ils peuvent décider d'admonester le mineur, le placer dans un centre de réinsertion ou même en détention préventive.

v Assistant social :Il est selon maître B., (greffier au tribunal de Sinfra, entretiens de Août 2016)« le médiateur entre les personnes en demande et les instances sociales, politiques et juridiques ».A cet effet, il épaule les personnes vulnérables (enfant, personnes du 3e âge, femmes) en difficultés économiques, sociales ou psychologiques (endettement, violence conjugale, enfant en danger, violences injustifiées sur enfant, demande de logement) afin de favoriser à la fois leur bien-être, leur insertion sociale et leur autonomie.

Pour ce faire, il écoute, soutient, accompagne, conseille ou oriente les personnes en fonction de leurs demandes et de leurs besoins. Son travail repose sur la notion de relation d'aide et sur une méthode précise lui permettant de recueillir les données nécessaires à la compréhension de la situation, d'analyser la demande, d'établir un plan d'action et d'évaluer le résultat de ses interventions.

En somme, relativement aux propos des enquêtés, la composition du tribunal de Sinfra pourrait s'apparenter à l'organigramme ci-dessous :

Siège 

Juge d'instruction

Président

Parquet 

Procureur de laRépublique

Greffe 

Assistant social

Educateurs spécialisés

Interministériels

Greffiers

Figure 8 : Organigramme du tribunal pénal de Sinfra

Source : Terrain

2. Présentation des différentes procédures de gestion

2.1. Procédure coutumière

2.1.1. Fondement ancestral

La procédure de gestion des conflits fonciers à Sinfra se fonde, selon un chef traditionnel (entretiens effectués de Janvier 2015 à Mai2016 dans la tribu Vinan) « sur des rites et rituels sacrés que nous effectuons depuis des générations. Ces rituels et libations que nous établissons sur la terre, servent de ciment à nos communautés, conformément aux sens d'associer, relier et se recueillir. Pour nous, il faut associer les ancêtres dans nos activités, notre quotidien, notre vie car nous estimons qu'ils nous voient, sont attentifs à nos besoins et prennent soin de nous.Donc, nous les appelons quand on manque de pluie, en cas d'épidémie, d'initiation des adolescents au masque Djê, d'intronisation d'un chef et pour régler les palabres de terre ».

Partant de ces propos, il apparait que la population sédentaire rurale de Sinfra accorde une place prépondérante aux rituels et libations en vue d'ingérer les ancêtres dans la gestion des questions villageoises en général et des questions foncières en particulier.Dans cette mesure, les ancêtres se voient attribuer des rôles d'acteurs de gestion au sommet de la hiérarchie pyramidale. Ils transcendent le cadre de la passivité pour se présenter comme de véritables acteurs actifs de la gestion, une sorte de juridiction coutumière suprême (les points suivants donneront les détails de leur intervention).

2.1.2.Procédurede gestion

La procédure de gestion des conflits fonciers à Sinfra varie selon le type de conflit en présence : conflits intrafamiliaux (1), conflits interfamiliaux et intercommunautaires (2) et conflits agriculteurs et transhumants (3).

2.1.2.1. Procédure de gestion des conflits intrafamiliaux

Dans le contexte intrafamilial, deux cas de figures se présentent. Les belligérants peuvent solliciter l'aide d'un oncle pour la gestion du différend (1) ou s'en remettre au tribunal coutumier (2).

2.1.2.1.1. Procédure de gestion par l'oncle

2.1.2.1.1.1. Plainte

La plainte se fait selon Z. (35 ans, planteur de djamandji) « par appel ou sollicitation d'un oncle proche qui a connaissance de l'histoire de la famille, qui a eu des liens étroits avec le père donateur avant sa mort et qui a toujours eu une attitude paternaliste envers les descendants de son défunt frère ». De ces propos, il ressort que la plainte concernant la gestion d'un conflit intrafamilial est déposé chez un oncle assez proche du défunt père et qui a suivi avec attention le processus d'attribution des terres à ces descendants.

Après réception verbale de la plainte par téléphone ou par un vaguemestre, l'oncle après consultation de son emploi du temps professionnel et/ou familial, propose une date à ses « fils » pour une séance d'écoute et ci-possible de règlement.

Dans la plupart des cas observés, l'enquêté L. affirme que la convention sur la date de la séance familiale d'écoute «  dure environcinq jours à une semaine pour deux ».

Après avoir fixé collégialement cette date, les « fils », par le biais de l'héritier désigné, reçoivent instruction de créer un cadre de paix avant la date convenue.

2.1.2.1.1.2. Séance d'écoute et tentative de règlement

« L'oncle peut venir seul ou appeler des ainés et frères pour l'aider à résoudre la question ». Ces propos recueillis auprès de l'enquêté K. (planteur à progouri, entretien de Novembre 2016) montrent que l'oncle a le choix en matière de gestion de la gestion. Il peut venir seul s'il estime être en mesure de la régler la question ou solliciter l'aide de frères s'il note d'autres implications traditionnelles ou sent la nécessité d'associer toute la famille afin d'éviter un conflit qui peut désagréger le tissu familial.

A une séance ouverte qui voit participer tous les membres de la famille, le conseil familial se réunit pour écouter les belligérants, les femmes, enfants et autres frères. Ainsi, après avoir écouté les acteurs du conflit familial, l'oncle ou le conseil familial donne la parole aux autres membres de la famille pour leur part de vérité concernant la situation qui prévaut à la maison.

Après avoir écouté les différents intervenants, l'oncle ou le conseil de famille essaie de situer les choses concernant l'ordre hiérarchique et hégémonique des choses dans la tradition gouro, les confidences du défunt père et les souhaits en son absence avant de décider d'une solution qui privilégie l'intérêt de la famille et qui préserve l'unité des membres du groupe.

Une ou deux personnes sont désignées dans le groupe pour veiller ou suivre l'application de la décision et faire des rapports verbaux (appels téléphoniques, déplacements et explication de l'évolution des choses à ou aux oncles).

Il est également à noter que dans la tradition gouro, l'oncle est considéré comme ayant les mêmes droits que le père géniteur et ses décisions ne font et ne doivent aucunement faire l'objet de contestation par les fils.

Dans le second cas, les membres de la famille rejettent cette esquisse familiale et sollicitent directement le tribunal coutumier.

2.1.2.1.2. Procédure de gestion par le tribunal coutumier

Dans le cadre familial, lagestion des conflits de terre se structure exclusivement autour de la plainte (1), de la séance d'écoute et de la décision du tribunal sur la base des interventions d'oncles (2).

2.1.2.1.2.1 Plainte

Le dépôt de la plainte ou « tôla tchi »se fait à deux mille (2.000) francs CFA en vue de permettre l'enregistrement de sa déposition parmi les questions à résoudre. Le tribunal coutumier programme une séance d'écoute et l'urgence de la question est évaluée selon deux thématiques bien précises : ordre des questions à résoudre et leur importance sociale.

2.1.2.1.3Séance d'écoute et association des oncles pour la gestion

Selon I. (déscolarisé à Blontifla, entretien de Juin, 2016) « quand il y a un problème de terre au sein d'une même famille, la question est sensible puisque les individus habitent la même maison et si le jugement n'est pas bon, ils peuvent se faire mal à la maison ». Il apparait donc que vu la sensibilité et la délicatesse des conflits fonciers intrafamiliaux, les chefs coutumiers dressent une oreille attentive à cette séance d'écoute et font intervenir succinctement accusateur, accusé, sachants de la famille et oncles pour avoir de nombreux outils pouvant permettre de comprendre et d'élucider la question tout en évitant les prises de position figées susceptibles de provoquer des regains de violences intrafamiliales.

Dans cette dynamique, l'intervention des oncles est cruciale dans l'issue à trouver au conflit : ils sont comme des pères au sens strict du terme et doivent peser les mots tout en insistant et plaidant pour le maintien des liens fraternels et la grandeur d'esprit face à ce genre de problème.

Après avoir écouté les protagonistes, les observateurs directs et indirects, les chefs coutumiers donnent un verdict amiable pour à la fois réunir, consolider les liens familiaux et préserver l'unité du groupe catalyseur de la paix familiale.

2.1.2.2. Procédure de gestion des conflits interfamiliaux, intercommunautaires

La procédure de gestion des conflits fonciers interfamiliaux et intercommunautairespar les différents tribunaux coutumiers de Sinfra répond selon 90% des chefs traditionnels (interviews réalisées de Février 2015 à Avril 2015), à un processus linéaire qui part de la plainte (1), au verdict (5) en passant succinctement par la convocation des parties (2), le déplacement sur l'espace (3) et la séance de jurement (4).

2.1.2.2.1. Plainte

Dans les contrées rurales de Sinfra, le chef T. (61 ans, retraité à Djamandji) affirme que «  processus de gestion des conflits fonciers part de la déposition d'une plainte de l'une ou l'autre partie des belligérants ».

Cette déposition « tôla tchi » consiste en la saisine des autorités traditionnelles par un acteur rural se disant propriétaire d'une portion de terre litigieuse. A cet effet, l'accusation ou l'accusateur s'acquitte d'une somme de deux mille (2.000) francs CFA en vue de permettre l'enregistrement de sa déposition parmi les questions à résoudre.

Dès lors, l'information de la déposition est portée à la connaissance de l'accusé par le biais du griot, pour lui permettre à la fois de verser également la somme de deux mille(2.000) francs CFA dont le délai d'exécution n'excède pas trois jours et de s'apprêter pour la première séance d'écoute et ci-possible, de règlement.

Après acquittement de ce montant par les deux parties, la chefferie procède à l'information de l'ensemble de la communauté villageoise par le canal de ce mêmegriot qui, avec une cloche artisanale et un bâtonnet métallique, sillonne les grandes artères du village pour informerles administrés, à voix audible.

Cette séance d'information permet à tous les sachants de la répartition foncière ancestrale et de ce litige foncier spécifique, de se prononcer lors de la prochaine convocation des parties.

Selon le même chef T. (61 ans, retraité à Djamandji) « Une à deux semaines après la déposition de la plainte, la chefferie convoque les parties ainsi que tous les sachants, à une séance d'écoute qui se tient régulièrement les mercredis ».

2.1.2.2.2 Convocation des parties

A cette première étape de la gestion coutumière des litiges fonciers, le tribunal traditionnel, après avoir informé l'ensemble de la communauté villageoise de la tenue d'une première séance d'écoute, fait comparaître les deux parties, dans une séance publique sous les arbres prévus à cet effet (arbres à palabre).

Lors de cette séance, la chefferie écoute successivement l'accusateur, l'accusé, les sachants avant d'en venir aux témoins. A ce niveau, le tribunal intente une transaction amiable pour estomper le cours de la procédure. Mais si l'une ou l'autre des parties refuse, la procédure suit son cours normal et la séance est ajournée à une semaine avant le déplacement du bureau de la chefferie, des protagonistes, le comité de gestion foncière, des sachants, parents, amis sur l'espace faisant l'objet du conflit.

2.1.2.2.3. Déplacement sur l'espace conflictuel

Pour le chef de Tricata (chef S., 69 ans)« le déplacement de la chefferie, des protagonistes et des sachant sur la terre qui fait l'objet de litige, est une phase délicate et purement mystique où les ancêtres agissent sévèrement envers celui qui a tort. Les protagonistes reprennent les explications en illustrant leurs propos par soit les activités champêtres menées dans le champ, soit tout ce qu'il faut pour attester leurs propos. Ils se munissent donc de nid d'écureuil, d'un coq blanc ou rouge chacun et de 10 litres de vin de palme».

Cette phase apparait assez délicate car elle ouvre la voie à une implication des ancêtres et semble ne pas épargner le protagoniste qui, à tort, s'approprie l'espace d'autres ruraux.

La charge financière du déplacement de ce comité de gestion revient aux belligérants qui se munissent à la fois de tout le nécessaire pour la séance de jurement.Concrètement, il s'agira pour chacun des protagonistes, avant cette première expédition sur la terre conflictuelle, de débourser la somme de cinq mille (5.000) francs en plus de pot de dix (10) litres de vin de palme, d'un coq blanc ou rouge et d'un nid d'écureuil. Puis, le comité en séance plénière donne encore la possibilité aux deux parties de désister puisque cette prochaine étape se soldera inéluctablement par la mort d'une des parties.

Cette phase réflexive s'étend sur une ou plusieurs semaines ; période pendant laquelle, les formules occultes d'interruption de la procédure par une partie, en raison de la conscience de leurs erreurs d'appropriation foncière par maraudage, sont tolérées par la chefferie. Ainsi, le bureau de la chefferie se charge de la restitution de l'espace au véritable propriétaire ; et ce, de façon sournoise pour éviter les effets ignominieux chez le repenti-actif, puisqu'il pourrait s'agir d'un acteur villageois dont la réputation ne doit être salie ou d'un père de famille.

Toutefois, en cas d'insistance des deux parties à aller à la séance de jurement, la chefferie traditionnelle, après des semaines d'attente, convoque uniquement protagonistes et témoins ainsi que son comité de gestion pour se rendre secrètement sur l'espace conflictuel en vue de passer à la séance de jurement.

2.1.2.2.4. Séance de jurement

C'est une séance tenue à huis clos entre le bureau de la chefferie, les belligérants et un témoin de chaque protagoniste.

A ce niveau, le plaignant est le premier à prendre la parole et à marcher le long de la limite de son champ, suivi de son témoin. Mon monologue doit exclusivement se circonscrire sur l'indication des limites de son champ et l'invocation de ses ancêtres qui lui ont légué cette portion de terre.

Ainsi, suivi de son témoin, il marche le long de sa propriété foncière, tout en indiquant les termitières, bas-fonds, palmiers à huile ou fromagers qui bordent cette propriété et simultanément, celui-ci invoque ses ancêtres en vue de les associer à la gestion de la question.

Pendant qu'il marche le long sa portion de terre, le plaignant se fait frotter le dos avec le nid d'écureuil préparé à cet effet, par son témoin.

Pour le chefT. (61 ans, retraité à Djamandji) « l'accusateur puis l'accusé doivent chacun à son tour, faire le tour de leurs propriétés respectives; peu importe qu'il s'agisse d'1, 2 ou 100 hectares ».

Ensuite, la chefferie fait intervenir l'accusé qui suit la même procédure en invoquant lui aussi, ses ancêtres donateurs.

Après cette phase, les coqs sont tués sur le champ, le sang est relativement éparpillé sur l'espace conflictuel. Puisà la hâte, on coupe du bois de chauffe pour y mettre du feu, les coqs sont préparés, consommés par tout le collège des participants à la séance, puis les os sont distillés sur l'espace en question avant de revenir au village.

De retour au village, la chefferie ajourne la séance à une, deux voire trois (1, 2 voire 3) semaines afin de donner le temps aux ancêtres d'agir et de punir celui qui a tort.

2.1.2.2.5.Verdict ancestral

C'est la phase terminale de cette procédure lanternante qui s'étend fréquemment surdeux ou trois (2 ou 3) mois. Au bout d'un intervalle d'une à trois semaines, l'un des protagonistes trouve la mort de façon mystérieuse et le sang s'écoule de son nez comme marque du passage des ancêtres.

Après la mort de l'un des acteurs en conflit, la chefferie en séance publique, autorise au« survivant » de récupérer sa portion de terre, parce qu'il a été jugévéritable propriétaire selon les ancêtres.

Toutefois, il est à préciser selon ce collectif des chefs traditionnels de « Sian »(entretien de Mai, 2016) que « cette phase de jurement, jusque-là n'a encore jamais laissé impuni celui qui a tort lors d'un différend foncier. C'est pourquoi, avant d'y arriver, nous prévenons les parties du danger de cette étape et les encourageons à arrêter la procédure ».

2.1.2.3. Procédure de gestion des conflits entre agriculteurs et transhumants

2.1.2.3.1. Plainte

« Elle se fait comme toutes les autres plaintes avec une somme de 2000 f et une date pour régler le problème. Mais c'est souvent difficile puisque c'est difficile de savoir si ce sont les boeufs de tel ou tel transhumant ». En d'autres termes, la procédure concernant la plainte reste intacte : dépôt de la plainte contre paiement d'une somme de deux mille francs (2000f), mais celle de la détermination des boeufs destructeurs et de leur propriétaire parait plus problématique.

Dans ce cas d'espèce, en l'absence de preuves formelles prouvant l'implication directe des boeufs d'un transhumant dans la destruction ou le saccage de plantations, il reste difficile d'établir la responsabilité et par ricochet, d'engager une procédure de dédommagement.

Dans la plupart des cas, S. (cultivateur à Sanégourifla, Novembre 2016) affirme « Tu es au village le soir et matin, quand tu vas au champ,  tu trouves ton champ dévasté avec des boeufs à l'intérieur. Donc ce sont eux ». De ces propos, il revient qu'il est difficile de déterminer les boeufs dévastateurs vu que les planteurs dès dix-huit (18) heures du soir, sont à la maison et le constat se fait le matin avec un intervalle de temps assez considérable pour permettre à n'importe quel transhumant de promener ses boeufs, dévaster la plantation et s'éclipser.

Ainsi, à défaut de prendre des positions partiales, les plaignants planteurs sont sommés dans bien des cas par le tribunal traditionnel, de prouver le lien entre les boeufs trouvés sur place et le saccage des plantations.

2.1.2.3.2Transaction amiable et indemnisation

A cette étape, le tribunal intente une transaction amiable sur la basedes preuves traduisant l'intentioncriminelle du transhumant et sa responsabilité directe dans le saccage de plantations.

Ce type de transaction n'aboutit que par l'acceptation des deux parties sur les clauses de la transaction ; ce qui n'est pas le cas dans la plupart des situations observées sur le terrain.

Le cas de figure ci-contre exprime mieux cette complexité à trouver une solution amiable lorsqu'il s'agit des conflits entre agriculteurs et transhumants.

Un enquêté (K., 46 ans, planteur à Kouêtinfla, entretiens d'Août 2015) nous racontait que trois mois avant notre arrivée sur le terrain d'étude, la gestion d'un conflit foncier avait provoqué des murmures au sein de la communauté villageoise. Il s'agit d'un conflit qui a opposé G., une autochtone du village Kouêtinfla à K., un jeune transhumant.

En effet, G. qui était partie effectuer des travaux dans son champ de maïs, constata que son champ avait été dévasté par des boeufs. Ainsi, dans la recherche d'éventuels coupables, retrouva le transhumant K., suivi de son troupeau aux abords de son champ. Elle prit donc sa machette puis blessa une bête avant de rentrer au village pour entamer une procédure d'indemnisation. La chefferie traditionnelle gouro, dans la gestion du conflit, donna raison à G. et exigea une indemnisation immédiate en tenant compte des dimensions du champ de maïs et de sa valeur pécuniaire. Une décision qui a été fortement contestée par la communauté allochtone qui l'a trouvée purement affinitaire, avant de remonter à l'échelle administrative.

A ce niveau, la plaignante du village devenue l'accusée de cette nouvelle procédure et le plaignant se retrouvèrent face à un juge qui avait des antécédents fonciers avec certains autochtones de la localité. De ce fait, la décision rendue de cette juridiction fut qu'au lieu de prétendre vouloir se faire indemniser par le transhumant, ce serait plutôt G. qui devait dans un bref délai, indemniser le transhumant K. pour la bête blessée. Cette nouvelle décision a créé un choc social au sein de la communauté gouro et attisé la stigmatisation des allochtones (décideurs, transhumants et cultivateurs) de la localité.

2.2. Procédure pénale de gestion

2.2.1. Fondement normatif

La gestion du domaine foncier rural ivoirien s'appuyait principalement sur un ensemble clivé de démarches qui cumulaient pratiques coutumières, décrets et arrêtés de l'époque coloniale. Dès lors, tandis que les détenteurs coutumiers cédaient ou louaient des terres aux migrants en dehors de tout contexte légal, l'administration s'efforçait d'établir des bases textuelles de ces transactions.

Relativement, de nombreux textes ont été élaborés et ceux-ci se sont vus amendés au fil des années jusqu'à déboucher sur la loi foncière actuelle (loi n°98-750 du 23 Décembre 1998).

Quelles sont ces normes qui ont permis de règlementer le foncier national avant et après l'indépendance ivoirienne ?

2.2.1.1. Mesures en vigueur avant l'indépendance

2.2.1.1.1. Décret du 25 Novembre 1930

Ce décret règlemente l'exploitation pour cause d'utilité et l'occupation temporaire des espaces en Afrique occidentale française promulguée par arrêté 2980 AP du 19Décembre 1930. Ce texte prévoit que les indigènes s'approprient les terres à des fins exclusivement d'exploitation agricole. En ce sens, les terres ne pouvaient être consolidées pour une exploitation future, elles devaient être mises à profit dans l'immédiat et dans l'intérêt public.

Aussi, ce décret fixe-t-il les conditions d'expropriation des indigènes pour cause de non-exploitation des espaces consolidés. En son article 1, il dispose « l'exploitation pour cause de nullité publique, s'opère en Afrique occidentale française par l'autorité de justice. En d'autres termes, l'exploitation à des fins personnelles constatées par l'autorité de justice, entrainait inéluctablement l'expropriation de l'indigène.

Par ailleurs, ce texte mentionne que les tribunaux ne peuvent prononcer l'exploitation qu'autant que l'utilité publique en a déclaré et constaté dans les formes prescrites.

Toutefois, les terres formant la propriété collective des indigènes ou que les chefs indigènes détiennent comme représentants des collectivités indigènes conformément aux règles de droit coutumier local, restent soumises aux dispositions de la règlementation domaniale qui les concerne.

Les conditions d'expropriation des indigènes pour cause de travaux publics se trouvent précisées aux termes de l'article 3 de ce décret qui dispose que«le droit d'expropriation résulte :

- De l'acte qui autorise les opérations telles que la construction des routes, chemins de fer ou ponts, travaux urbains, travaux militaires,...

- De l'action qui autorise les travaux ou opérations par une loi, un décret ou un arrêté du gouverneur général en conseil de gouvernement.».

Concernant les formalités et modalités d'indemnisation des personnes expropriées, ce décret prévoit que les propriétaires intéressés (chefs des travaux) disposent d'un délai de 2 mois à dater des publications et notifications pour faire connaître les personnes concernées (fermiers, locataires ou détenteurs de droits réels) faute de quoi, ils resteraient seuls chargés envers ces derniers, des indemnités que ceux-ci pourraient réclamer.  

2.2.1.1.2. Arrêté n°83 du 31 Janvier 1938

Cet arrêté règlemente l'aliénation des terrains domaniaux en Côte d'Ivoire ; autrement la mise à disposition des terrains domaniaux à des fins d'utilisation industrielles ou de travaux publics.Il désigne sous le vocable de « concessions rurales », les terrains situés en dehors des centres urbains et réservés ou utilisés en principe pour des entreprises agricoles et industrielles.

Relativement, les investisseurs bénéficient de certains avantages liés à la mise en valeur des espaces, dont le principal reste prescrit en l'article 2 du présent arrêté « les terrains ruraux sont attribués à titre onéreux à des clauses et à des conditions spéciales qui sont insérées dans un cahier de charges annexé par l'activité d'octroi ».

Aussi, la libre concurrence de structures spécialisées dans les travaux publics et industriels était-elleautorisée par l'administration coloniale qui évaluait les propositions faites dans un délai de 2 mois. Cette mise en adjudication se présentait comme une forme d'évaluation de propositions lorsque l'administration se trouvait saisie par deux ou plusieurs demandes concurrentes.

L'article 3 fixe la stratification procédurale pour l'obtention d'une concession provisoire, qui prend en compte les acteurs administratifs et la souscription à certaines modalités administratives. Il dispose que « quiconque veut obtenir une concession provisoire d'un terrain doit, par l'intermédiaire et sous-couvert de l'administration du cercle, adresser au lieutenant-gouverneur une demande timbrée énonçant nom, prénoms, qualités, régime matrimoniale et nationalité,... ».

2.2.1.2. Mesures en vigueur après l'indépendance

Au lendemain de l'indépendance, la Côte d'Ivoire amorce un développement grâce à la mise en valeur des espaces ruraux (développement des cultures d'exportations et d'essences forestières) provoquant des vagues de migrations internes et externes vers les terres nationales en général et forestières en particulier.

Dès lors, il s'est avéré nécessaire de repenser la question foncière dans la perspective d'adapter ces textes aux réalités démographiques nouvelles de ce pays.

De nombreux décrets et arrêtés y ont été élaborés dans le cadre du domaine foncier.

v Arrêté n°673 MFAEP-CAB du 20 Avril 1962 portant création du service du cadastre ivoirien (J.O du 10-05-1962 p516)

v Rapport du 29 Mars 1962 sur le projet de loi portant code domanial (J.O du 13-06-1962).

v Loi n°71-338 du 12 Juillet 1971 relative à l'exploitation rationnelle des terrains détenus en pleine propriété.

v Loi 71-338 du 12 Juillet 1971 relative à l'exploitation des terrains ruraux pour insuffisance de mise en valeur (J.O du 5-08-1971).

v Décret de 1971 sur les procédures domaniales : reconnaissance limitée des droits coutumiers.

v Loi de 1984 rendant l'enregistrement obligatoire pour les baux conduisant à l'appropriation des terres.

v Loi n°98-750 du 23 Décembre 1998 portant organisation et règlementation du foncier rural.

Dans un souci de concision, nous ne proposerons que le texte de 1971(1) et la loi de 1998 (2) en raison de leur correspondance aux réalités socio-rurales actuelles.

2.2.1.2.1. Loi n°71-338 de Juillet 1971

Cette loi dispose en son article 1 que « tout propriétaire des terrains ruraux est tenu de mettre en culture et de maintenir en bon état, la production, l'intégrité des terres qu'il exploite ».Autrement, cette loi s'apparente à une forme d'incitation des ruraux au développement des activités agricoles émergentes (cultures de rentes).

Cette mise en valeur s'appliquait à l'exploitation des produits agricoles, à l'élevage et à l'usage industriel. Les terrains ruraux acquis en pleine propriété à quelque titre que ce soit et dont la mise en valeur n'a pas été assurée par les conditions fixées, peuvent faire l'objet d'un retour en totalité ou en partie du domaine de l'Etat en vue de leur utilisation à des fins économiques et sociales.

Aussi, cette loi précise-t-elle que le défaut de mise en culture, de tout entretien et de toute production qu'il s'agisse des cultures ou des produits de l'élevage, sur une période de 10 ans sur les terres consolidées, entraine une appropriation des terres par l'Etat.

2.2.1.2.2. Loi n°98-750 du 23 Décembre 1998 et la procédure

de délivrance du certificat foncier

2.2.1.2.3. Loi n°98-750 du 23 Décembre 1998

Cette loi constitue l'instrument juridique à partir duquel les droits fonciers coutumiers peuvent être transformés en droit de propriété. Elle se caractérise par trois innovations majeures : l'encouragement des ruraux à mettre en valeur les terres (art 18), la résolution conjointe des questions liées aux expropriations répétées de certaines populations (art 4) et l'identité foncière des allogènes sédentarisés (art 26).

En ce qui concerne la mise en valeur des terres et gestion du domaine foncier rural, cette loi prévoit en son article 18 que « la mise en valeur d'une terre du domaine foncier rural résulte de la réalisation soit d'une opération de développement agricole, soit de toute opération réalisée en préservant l'environnement et conformément à la législation et la règlementation en vigueur ».

Relativement aux expropriations de certaines personnes, cette loi dispose que les acteurs sociaux et ruraux, dans le but d'attester leur droit de propriété sur les espaces fonciers, se fassent établir un certificat foncier aux termes de l'article 4 de ladite loi.Lequel certificat foncier s'apparente à l'acte par lequel l'administration constate l'occupation paisible et continue d'une terre du domaine foncier rural par une personne ou groupement informel d'ayants droits se disant détenteurs des droits coutumiers.

Concernant l'identité socio-foncière accordée aux allogènes sédentarisés, cette loi prévoit en son article 26 que ces acteurs ayant consolidés des espaces fonciers à travers des contrats avec des propriétaires terriens nationaux, soient reconnus propriétaires de ces espaces qu'ils exploitent.

Concernant la procédure de délivrance du certificat foncier, elle reste soumise selon termes des dispositions du décret n° 99-594 du 13 Octobre 1999 fixant les modalités d'application au domaine foncier rural coutumier de la loi n°98-750 du 23 Décembre 1998, à une série stratifiée de dix-neuf étapes. Ces étapes se résument grosso-modoà la rédaction de la demande, au dépôt de cette demande, à l'ouverture du dossier d'enquête, au layonnage du périmètre à délimiter, à la désignation du commissaire-enquêteur, au règlement des frais d'enquête, à l'ouverture de l'enquête foncière, à la constitution de l'équipe d'enquête officielle, au recensement des droits coutumiers, au constat des limites de la parcelle, à l'établissement du plan de délimitation, au contrôle du dossier de délimitation, à l'annonce de la publicité d'enquête, à la séance publique de présentation, à la clôture de la publicité des résultats d'enquête, au constat d'existence des droits de propriété, à la validation du dossier d'enquête, à la préparation et signature du certificat foncier, à l'enregistrement-diffusionet enfin, à la publication du certificat foncier.

2.3. Procès pénal

2.3.1. Saisine de la justice

Selon le maître B. (entretien effectué au tribunal ; Mars, 2016)« En cas de litiges fonciers, la partie plaignante saisit le tribunal par assignation d'un huissier de justice qui cite les parties à comparaître ». En d'autres termes, la partie plaignante ne saisit pas directement la justice mais s'en remet à un acteur administratif entreposé (huissier de justice) dont les compétences lui confèrent le pouvoirde saisir par assignation, la justice et concomitamment de citer les parties belligérantes à comparaître.

Dès lors, une date est fixée pour une séance d'écoute non publique, permettant ainsi de constituer un dossier qui sera remis au juge d'instruction à des fins d'investigations.

2.3.2.Phase d'instruction

C'est la phase qui met en scène le juge d'instruction dont le rôle consistera, dans une impartialité relativement totale, à procéder aux investigations qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité.Pour ce faire, le maître D. (entretien de Juin, 2015) affirme que « l'instruction peut se fonder principalement sur les avis du comité villageois de gestion foncière, de la chefferie traditionnelle locale et du chef de terre, mais aussi, sur de nouvelles investigations en dehorsde tout rapport des autorités coutumières pré-citées. A ce titre, ceux-là apparaissent comme simples témoins, dans le cadre du jugement ». Dans cette mesure, le juge d'instruction semble être doté de prérogatives importantes qui le confèrent la latitudede se fonder sur les investigations déjà menées par les instances coutumières ou les remettre en cause et procéder personnellement à de nouvelles disquisitions en dehors de tout pré-acquis. Dès lors, il constitue donc une équipe de personnes « qualifiées » sur le terrain à des fins de nouvelles enquêtes.

Ainsi, disposant d'éléments suffisants, il peut prendre une ordonnance de renvoi de l'affaire devant la juridiction de jugement, s'il estime qu'il existe à l'encontre du mis en examen des charges suffisantes portant sur des coups et blessures lors de ces litiges fonciers. Dans le cas contraire, il rend une ordonnance de non-lieu et sollicite l'appui du comité villageois de gestion foncière pour une gestion coutumière.

2.3.3. Phase de jugement

« Dans le cadre de la résolution des questions foncières, nous travaillons en étroite collaboration avec le comité villageois de gestion foncière et les autorités traditionnelles qui interviennent lors des jugement en tant que témoins ». Ces propos recueillis auprès du juge d'instruction du tribunal de Sinfra (Avril, 2016) montrent que le président du tribunal ne rend son jugement que sur la base d'interventions combinées d'accusateur, d'accusé, de témoins et du rapport issu d'investigations du juge d'instruction.

Toutefois, il faut préciser que, même si les conflits de terre constituent des questions à nomenclature civile, le président du tribunal de Sinfra peut appliquer simultanément les dispositions du code civil et du code pénal dans les cas de violences foncières ; et ces décisions peuvent consister en des dédommagements pécuniaires, des peines privatives de liberté ou des peines avec sursis.

Après le verdict, la partie perdante du procès dispose d'un délai de trente jours pour faire appel ou se conformer à la décision.

2.4. Procédure de gestion par les autorités administratives

La procédure de gestion des litiges fonciers par les autorités administratives de Sinfra se limite généralement à la médiation (1), à la négociation (2) et à la conciliation (3).

2.4.1. Médiation

Selon un enquêté de la sous-préfecture de Sinfra(49 ans, archiviste) lors d'entretiens effectués en Juin, 2016) « les autorités préfectorales et sous-préfectorales constituent des médiateurs, dont le rôle consiste à aider les partiesprenantes à chaque étape du processus de médiation. Le médiateur aide à cerner le conflit, àétablir clairement les différents points de vue, à rechercher les causes et les effets du conflit, àétudier ses antécédents, à élaborer des suggestions concrètes pour sa résolution, à parvenir àdes accords satisfaisants et à trouver des solutions acceptables ».Autrement, ces autorités dans la médiation élaborent un cadre d'échanges entre les protagonistes en vue de déterminer les points de divergence déterminants dans la recherche de solutions satisfaisantes. Partant de là, cette médiation des autorités locales de Sinfra, s'apparente à un processus de concertation volontaire entre parties en conflit initié par ces autorités locales, afin de faciliter la communication et conduire les parties à trouver collégialement une solution.

Le succès d'une telle méthode suppose dans bien de cas, le rétablissement des relations inter-rurales, la préservation de la réputation des acteurs, ou l'image des parties prenantes et l'adhésion des parties à un ensemble de valeurs communes.

2.4.2. Négociation

Les enquêtés tels que F. (41 ans, administrateur à la Sous-préfecture) révèle dans notre zone d'étude que « les autorités aident les parties opposées, sur la base des négociations consensuelles, à jouer le rôle majeur dans la recherche de solutions acceptables pour tous. Les individus en conflit identifient eux-mêmes leurs besoins et leurs intérêts, et s'entendent pour trouver des solutions avantageuses pour tous ».Dès lors, les autorités locales, dans le cadre de la négociation, associent les belligérants dans la recherche de solutions consensuelles tout en favorisant la communication entre les parties durant tout le processus.

Dans la pratique, ces autorités locales forment une équipe (Préfet ou Sous-préfet ou encore leurs représentants, secrétaires et les protagonistes) dont le nombre est fonction des enjeux qu'implique ce conflit foncier. Il s'agira pour cette équipe de mener un ensemble d'actions séquentielles qui partent de l'identification du litige à la mise en oeuvre des solutions, en passant succinctement par clarification des enjeux, la recherche des causes, l'évaluation des conséquences négatives et larecherche des solutions.

A ce niveau, les solutions les plus fréquentes sont celles de type gagnant-gagnant ou perdant-perdant. Dans le premier cas, chaque protagoniste se préoccupe de l'intérêt de l'autre. Il ne s'agit donc pas de rechercher le meilleur compromis de partage des gains mais de trouver un accord qui augmente les gains de chacun.

Dans le second cas, il s'agit d'une interaction où la somme de décisions individuelles visant à maximiser l'intérêt de chacun, aboutit à une combinaison de décisions minimisant l'intérêt de tous. Ici, cette forme de gestion s'appuie une perte relativement faible de part et d'autre des acteurs en conflit. Dans la plupart des cas de conflits négociés, un enquêté (B., 29 ans, policier à la préfecture) affirme que «  les solutions trouvées dans le cadre des négociations favorisées par les autorités administratives, sont facilementapplicables, puisque les parties en conflit élaborent elles-mêmes leurs solutions.

2.4.3. Conciliation

Cette méthode de gestion des conflits fonciers consiste, selon une enquêtée (Madame C., 32 ans, secrétaire du Préfet) « à rapprocher les positions divergentes des parties en conflit ».Ainsi, après la négociation qui a débouché sur les formules gagnant-gagnant ou perdant-perdant, les autorités préfectorales et sous-préfectorales concilient les protagonistes en les tenants au strict respect des propositionsqu'elles ont contribué à élaborer ; lesquelles serontconsignées par écrit.

Par ailleurs, il parait important de retenir que la procédure de gestion administrative des conflits fonciers part de la médiation des autorités préfectorales et sous-préfectorales qui élaborent avec les protagonistes, des formules négociées de gagnant-gagnant ou de perdant-perdant en tenant compte des enjeux et intérêts de tous les acteurs en conflit. Le schéma ci-dessous donne les détails de cette procédure administrative.

MEDIATION

NEGOCIATION

CONCILIATION

Figure 9 : Procédure de gestion par les autorités administratives de Sinfra

Source : Terrain

V.Facteurs explicatifs de l'échec de la gestion des conflits fonciers

D'après les verbatim recueillis sur le terrain d'étude, l'échec en matière de gestion des conflits fonciers à Sinfra s'explique par la conjugaison des facteurs internes aux acteurs (1) et des facteurs externes à ces acteurs (2).

5.1. Facteurs internes aux acteurs sociaux

Plusieurs facteurs internes aux acteurs expliquent l'échec de la gestion des conflits fonciers. Les principales sont : corruption des acteurs de gestion et gestion affinitaire des conflits fonciers (1), protection tribale des ressortissants (2), stigmatisation des acteurs de gestionet expropriation foncière des allochtones (3), acteurs de gestion eux-mêmes acteurs de conflits (4) et diversité d'acteurs de gestion et confusion de rôles (5).

5.1.1 Corruption des acteurs et gestion affinitaire des conflits fonciers

Dans la plupart des villages explorés du département de Sinfra,33% des enquêtés révèlent que les décideurs locaux ont une attitude partiale dans la gestion des crises foncières. Ceux-ci ont tendance à privilégier les acteurs ruraux dont le pouvoir de corruption est certain. A ce titre, les propos de F. (19 ans, élève en Terminale au Lycée Henri Konan Bédié et vivant à Djamandji) sont éloquents « pour avoir raison dans un conflit de terre à Sinfra ici, tu dois avoir l'argent comme les opérateurs économiques allochtones ou avoir de vastes portions de terre comme certains propriétaires terriens. Sinon, ce n'est pas sûr. Les autorités de Sinfra sont entrain de faire de grands champs d'hévéa partout à Sinfra et plus de la moitié des pâturages de Sinfra, même si ce sont les peulhs qui gèrent, leur appartient. Alors qu'avant, ils vivaient seulement de leurs pensions pour les retraités et de leurs salaires, pour les fonctionnaires. Hum, en un petit temps, ils ont tous eu de nombreux champs de cacao, d'hévéa et de pâturages ». De ces propos, il ressort que le nombre croissant des champs de grande envergure et pâturages des décideurs de la localité, repartis dans l'ensemble du département, ont des provenances douteuses ; mieux que ces biens constituent des contreparties à l'orientation volontaire des décisions de justice (traditionnelle ou pénale) en faveur de ceux qui ont un pouvoir pécuniaire et foncier évident.

Ainsi, ces décideurs locaux qui ne disposaient que de leurs revenus mensuels ou de petits dons reçus pêle-mêle, se retrouvent aujourd'hui, selon l'enquêté avec des avoirs assez remarquables (champs, pâturages, petits et grands commerces) dont l'atermoiement d'obtention prête à regard. Dans ce contexte, tandis que certains expliquent cet enrichissement rapide des autorités du département, par la conservation progressive des dons reçus au fil du temps en oblitérant continuellement les traces de ces arrangements souterrains dans la sphère administrative, d'autres y voient un réseautage purement élaboré par ces praticiens du droit local avec des acolytes (autochtones et allochtones) en vue de se procurer des possessions remarquables pouvant leur permettre d'être à l'abri du besoin financier.

Dans la pratique, les autochtones et allochtones, détenteurs de pouvoirs s'inscrivant dans une dynamique de préservation de biens fonciers pour leurs descendances futures, annexent expressément des espaces appartenant à d'autres ruraux (peu connus et pauvres), pour ensuite solliciter les « autorités locales » (membres de ce réseau) afin d'engager des procédures de résolution sans fondement juridique, ni investigations préalables, mais paraissant effrayant pour ces analphabètes qui préfèrent, dans de nombreux cas, abandonner leurs espaces.

De plus, dans ce réseau qui voit uniquement s'intégrer autorités et détenteurs de pouvoirs financiers ou fonciers, il s'avère difficile de voir un propriétaire terrien, un allochtone aisé, avoir tort dans la gestion d'un conflit foncier. Les autres ruraux lésés par les appropriations massives de leurs espaces, assistent incapables à cet enrichissement croissant de ceux qui ont un pouvoir foncier, financier et décisionnel.

En plus de ce réseautage qui est manifeste dans l'arène sociale et administrative de Sinfra, le vieux G. (64 ans, retraité à Bégonéta ; entretien de Septembre 2016) affirme qu' « avec les derniers faits politiques, les gouro et allogènes se supportent difficilement. Et puis, les cadres d'ici ont tendance à protéger et donner raison aux individus de la même ethnie, même s'ils n'ont pas raison dans le litige. Cette situation rend nos rapports difficiles entre nous-mêmes et entre nous et les cadres de Sinfra ».

Il ressort que ces rurauxobservent fréquemment quelques cas de gestion des conflits fonciers, pipés par l'appartenance ethnique et sectaire.

Ainsi, pour cette catégorie hétéroclite d'acteurs ruraux repartis dans les contrées des six tribus, l'obliquité des décisions de justice relativement aux conflits de terre dans le département, sont fortement influencées par la coloration de l'identité ethnique, religieuse et communautaire des acteurs en conflit et ce ; avec tous les risques de biais expressément orchestrés par ces geôliers de la procédure normative.

Par ailleurs, les praticiens du droit à Sinfra, au regard des conflits post-électoraux ethnicisés dans le département, tendent de plus en plus à protéger les ruraux du même groupe ethnique ou religieux, pour qui, leurs prises de position s'apparentent plus à une question de « tutorat » à l'égard des membres d'une communauté, qu'à une volonté d'établir une quelconque justice. Dans ce contexte, l'enquêté Z. (34 ans, planteur à Kouêtifla ; entretien de Mai, 2016) affirme que « dépuis que les gens-là ont incendié nos villages de Koblata et Proniani, chaque ethnie a établi des liens forts avec les gens d'en haut et à chaque problème, ils vont les voir pour gérer sa ». En d'autres termes, chaque communauté recours sans ambages à l'autorité, à même de ne point considérer le problème en question et de donner lui raison sur la simple base d'affinités ethnique, religieuse et tribale.

Dès lors, la gestion des conflits fonciers à Sinfra ne se fonde plus sur les textes légaux (code pénal, code de procédure pénale, code civil, code foncier) comme le croiraient de nombreux acteurs sociaux, mais davantage sur des textes virtuels, affinitaires, internes à chaque communauté et encrés dans les consciences des élus locaux, comme le concentré d'une politique intra-ethnique ou intracommunautaire qui, de ce fait, n'en font qu'une application littérale en cas de conflit foncier entre les peuples sédentarisés de Sinfra.

Relativement à cette gestion affinitaire, un enquêté (K., 46 ans, planteur à Kouêtinfla, entretiens d'Août 2015) nous racontait que trois mois avant notre arrivée sur le terrain d'étude, la gestion d'un conflit foncier avait provoqué des murmures au sein de la communauté villageoise. Il s'agit d'un conflit qui a opposé G., une autochtone du village Kouêtinfla à K., un jeune transhumant.

En effet, G. qui était partie effectuer des travaux dans son champ de maïs, constata que son champ avait été dévasté par des boeufs. Ainsi, dans la recherche d'éventuels coupables, retrouva le transhumant K., suivi de son troupeau aux abords de son champ. Elle prit donc sa machette puis blessa une bête avant de rentrer au village pour entamer une procédure d'indemnisation. La chefferie traditionnelle gouro, dans la gestion du conflit, donna raison à G. et exigea une indemnisation immédiate en tenant compte des dimensions du champ de maïs et de sa valeur pécuniaire. Une décision qui a été fortement contestée par la communauté allochtone qui l'a trouvée purement affinitaire, avant de remonter à l'échelle administrative. A ce niveau, la plaignante du village devenue l'accusée de cette nouvelle procédure et le plaignant se retrouvèrent face à un juge qui avait des antécédents fonciers avec certains autochtones de la localité. De ce fait, la décision rendue de cette juridiction fut qu'au lieu de prétendre vouloir se faire indemniser par le transhumant, ce serait plutôt G. qui devait dans un bref délai, indemniser le transhumant K. pour la bête blessée. Cette nouvelle décision a créé un choc social au sein de la communauté gouro et attisé la stigmatisation des allochtones (décideurs, transhumants et cultivateurs) de la localité.

5.1.2 Protection tribale des ressortissants

Pendant le déroulement de nos investigations dans le département de Sinfra, de nombreux enquêtés à l'image de G. (maçon à Bégonéta, entretien de Septembre, 2016) insistait sur le fait que « dans certains services, beaucoup de travailleurs sont de la même ethnie ou de la même religion ».  En d'autres termes, de nombreux agents issus des services décentralisés de l'Etat appartenaient au même groupe ethnique, communautaire, religieux ou politique. Ainsi, cette pression du bord ethnique et politique a, non seulement orienté les objectifs organisationnels étatique en faveur des objectifs partisans du groupe ethnique, mais aussi et surtout a été facteur d'exclusion de certains groupes minoritaires. Ces minorités se sont vues contraintes d'une certaine façon d'adhérer à cette vision nouvelle communiquée (repli identitaire, l'adhérence vitale à un groupe), sous peine d'étiquetage et de privation foncière en raison de supputations sur l'appartenance communautaire.

Dès lors, ce travail professionnel exercé dans les différents services locaux, étant donc pipé par une volonté de protection des membres de la communauté sienne, manque quelques fois d'objectivité et de sérieux pour ces élus. C'est cet état de fait que l'enquêté Z. (cultivateur à Sanégourifla) mentionnait en ces termes « il faut que tu connaisses un cadre comme le préfet, le sous-préfet, le commandant de brigade ou que tu sois de la même groupe avec eux sinon, ton affaire va rester comme ça ».

Il ressort que ce protectionnisme tribal de ruraux donne non seulement lieu à des déviations d'objectifs organisationnels, structurels mais plus loin, à des abus de toute nature et de toute sorte (évictions foncières arbitraires, frustrations successives).

Dans la pratique, des affrontements sectoriels surgissentdans certaines contrées du département entre groupes ou communautés.Ceux-ci justifient sans ambages leurs hostilités réciproques par leur appartenance ethnique, confessionnelle ou régionale et revêtent parfois des proportions inquiétantes.

A cette situation, il est à noter qu'en raison de la configuration plurale de la société de Sinfra, le fonctionnement des institutions locales se trouve fragilisé par l'instrumentalisation, à divers égards du registre socio-identitaire (positionnement des cadres gouro et allochtones, organisation des partis politique, élections, accès aux privilèges matériels et symboliques de l'Etat etc.). Une instrumentalisation qui, parce qu'elle est très souvent génératrice d'exclusion et donc de frustration, se révèle potentiellement confligène.

Ainsi, dans les risques liés aux effets combinés de l'exclusion et de la frustration de minorités sociales, certains fulminent, les émotions négatives se cristallisent et les préjugés qui façonnent localement les représentations sociales favorisent les logiques de crispation identitaire qui se manifestent par un retrait social ou par des rixes et joutes de restauration de la situation de départ.

Les interactions entre acteurs ruraux et étatiques paraissent donc floues et fluctuantes entrainant négociations et renégociations constantes dans une situation foncière locale ambiguë et incertaine.

Toutefois, loin d'expliquer exclusivement cette situation conflictuelle à Sinfra par des joutes singulières entre communautés opposées, ces conflits sont davantage traductrices des carences des acteurs de l'Etat en matière de gouvernance et d'arbitrage de ces conflits ruraux. Ils révèlent combien la société de Sinfra peut être exposée au risque de confrontation violente dans la mesure où ceux qui apparaissent comme les acteurs régulateurs procèdent très souvent à l'aggravation ou à l'extrapolation des querelles de clocher par des interventions suspectes, intéressées, démagogiques et clientélistes.Cela est d'autant plus perceptible au sein des instances de régulation foncière à Sinfra où l'on voit alterner jugements arbitraires et partisans. Certaines décisions de justice y sont prononcées en fonction de l'appartenance ethnique, communautaire, religieuse ou politique de l'une ou l'autre des parties en présence.

Les enquêtes foncières sont effectuées de façon partielle, partiale et orientée selon des objectifs partisans. Il s'en suit que certaines décisions de justice prises sont pipées par le bord affinitaire encourageant ainsi certains ruraux à vérifier au préalable l'appartenance ethnique ou religieuse de l'autorité de jugement avant d'adopter une attitude d'obéissance ou de rejet de la décision.

On assiste fréquemment à des contestations publiques des décisions de justice, comme ce fut le cas à Proziblanfla dans une joute entre un autochtone (Niantien) et un allochtone (baoulé) en 2012.

En effet, l'allochtone, après avoir exercé plusieurs années des travaux champêtres sous la coupole de tutorat, s'appropria une portion de terre de son tuteur Niantien, estimant être la compensation à ces années de disponibilité et de services rendus à son tuteur. Le propriétaire terrien Niantien, lui affirmait que ces prestations entraient en ligne de compte du bénéfice que lui, le propriétaire devait tirer de ce tutorat.

Quelques semaines plus tard, à travers un processus de manipulation clientéliste, loin d'observer une joute interindividuelle, l'on a assisté à un conflit entre communautés sédentarisées de la localité (gouro et allochtone). Face à cette situation de risque de dégénérescence en violence, les autorités coutumières se sont expressément dessaisies de cet échiquier de résolution afin de laisser le soin au tribunal pénal de Sinfra.

Après un mois d' « investigations », les autorités pénales ont approuvé cette réquisition de la portion de terre par l'allochtone baoulé. Une décision qui a mis en branle l'ensemble de la communauté gouro qui a rejeté énergiquement cette décision et a pris des mesures à la fois physiques et mystiques pour sécuriser l'espace conflictuel.

Au regard de cette remise en cause de la décision par la communauté gouro, les magistrats ont instruit quelques gendarmes pour veiller à la matérialisation de la décision et permettre à l'allochtone d'exercer en toute quiétude. L'accalmie sociale apparente favorisée par la présence des forces de l'ordre, a encouragé l'allochtone à cultiver cette terre qui avait précédemment fait l'objet de nombreuses invocations des esprits du marigot « sokpo », du masque « djê », du python « ménin san ». Il s'en est suivi la mort brutale et rapide de l'allochtone baoulé quelques semaines plus tard.

5.1.3 Stigmatisation des acteurs de gestion et expropriation des allochtones des espaces fonciers

Des négociations engagées auprès des quatre sous-préfectures (Sinfra, Bazré, Kononfla et Kouêtinfla) ont permis de recueillir les procès -verbaux des dix dernières affaires foncières réglées entre les autochtones et les allochtones dans l'année 2016. Les détails se trouvent synthétisés dans le tableau ci-dessous.

Tableau 10: Procès-verbaux des affaires réglées

S/P

Population

Sinfra

Bazré

Kononfla

Kouêtinfla

Total

Autochtones

04

05

03

04

16 40 %

Allochtones

06

05

07

06

24 60%

Total

10

10

10

10

40 100%

Source : Terrain

Il ressort de ce tableau qu'en 2016 :

- sur 10 affaires foncières réglées par la Sous-préfecture de Sinfra, 06 décisions, soit 60% des cas ont été favorables aux allochtones

- dans la sous-préfecture de Bazré, 05 cas, soit 50% ont été favorables à chacun peuple sédentaire.

- Dans les sous-préfectures de Kononfla et Kouêtinfla, les allochtones l'emportent avec simultanément 07 et 06 décisions, soit environ 70% et 60%.

- En somme, sur un total de 40 affaires, 24, soit 60% ont été favorables aux allochtones contre 16 ou 40% pour les autochtones.

Ces chiffres, à première vue, semblent révéler l'attitude pacifique et non confligène des allochtones, mais dans la pratique ces chiffres traduisent sensiblement que quelques décisions ont été orientées en raison en raison du statut socio-matériel des allochtones et de leur influence sociale.

Des entretiens effectués auprès de quelques responsables de ces sous-préfectures ont révélé que des décisions de justice ont été expressément modifiées pour créer un calme social dans cet environnement ou les rivalités politiques se transportent dans la sphère foncière.

A partir de ces décisions, il était important pour nous de connaitre le niveau de stigmatisation des acteurs de gestion eu égard à leur attitude partiale dans la gestion des conflits fonciers à Sinfra.

A cette fin, un questionnaire a été adressé à 25 individus retenus par choix raisonné dans chaque sous-préfecture. Les données recueillies ont été regroupées dans le tableau ci-dessous :

Tableau 11: Niveau de stigmatisation des acteurs de gestion

S/P

Niveau

Sinfra

Bazré

Kononfla

Kouêtinfla

Total

Faible

04

06

13

03

26 26%

Moyen

12

11

03

08

34 34%

Elevé

09

08

09

14

4040%

Total

25

25

25

25

100 100%

Source : Terrain

A l'analyse de ce tableau, il ressort que :

-Sur 100 individus dans l'ensemble des quatre (04) sous-préfectures, 26, soit 26% ont un niveau de stigmatisation faible des acteurs de gestion.

- 34 ou 34% des enquêtés stigmatisent moyennement les acteurs de gestion.

- 40 individus ou 40% des enquêtés stigmatisent fortement les acteurs de gestion.

Ce niveau élevé de stigmatisation des acteurs de gestion (40%) est lié aux effets conjugués de l'accumulation de frustrations (décisions arbitraires) et ce rejet social de ces acteurs pourtant censés garantir la justice et l'égalité des droits des citoyens. Les autochtones dans leur majorité, ont trouvé comme moyen de contournement de ces décisions arbitraires, l'exclusion foncière de ces allochtones privilégiés par les acteurs de gestion. De ce fait, les autochtones, tentent des appropriations massives de parcelles autrefois octroyées aux allochtones. Ils procèdent donc dans cette atmosphère, par des examens et réexamens de ces contrats en vue de débusquer des incohérences, des imprécisions pouvant constituer un prétexte suffisant pour redéfinir le contrat ou le cas échéant, exproprier les allochtones de ces domaines. Ces contrats qui figurent pour la plupart sur des « petits papiers » sont souvent égarés, mal conservés ou encore imprécis, occasionnant une satisfaction des autochtones gouro qui peuvent intenter de nouvelles ventes de ces parcelles ou encore les conserver à leur usage personnel. Ainsi, pris au « piège » de la minorité ethnique et communautaire, certains allochtones se voient racheter leurs propres terres ou expropriés selon des méthodes pacifiques ou violentes. On assiste donc à un climat dualiste entre ces peuples, dans un environnement où chacun cherche à étendre son réseau de relations sociales. Cette dualité, ces contradictions foncières, se soldent fréquemment par des menaces d'exclusion, des harcèlements permanents des allochtones sur la probabilité d'une éventuelle expulsion.

Toutefois, un fait non moins évoqué, reste les incendies criminelles perpétrées par certains allochtones lors des violences post-électorales de 2011, dans les villages Koblata et Proniani (Sinfra). Ces incendies qui ont, selon les autorités locales, occasionné le décès de 50 autochtones, ont attisé une stigmatisation des nordistes de la localité et par voie de conséquence des allochtones. Les allochtones semblent désormais de plus en plus isolés, écartés des centres de décisions. Cet étiquetage est d'autant plus perceptible au niveau de l'institution familiale, lignagère et intracommunautaire autochtone où l'on assiste à des sensibilisations occultes de certains cadres gouro sur l'isolement, la mise en quarantaine ou même l'expulsion des allochtones dans la majorité des contrées rurales gouro.

Toutefois, il est à noter que ces incendies sont l'oeuvre des groupes isolés aux intentions criminelles et non l'action conjointe de l'ensemble des allochtones vivants à Sinfra. Ceux-ci sont désormais stigmatisés dans leur ensemble sous la nomenclature « allochtone » et expropriés en masse pour ceux qui ne disposent des contrats d'achats ou de contrats douteux.

Selon des entretiens effectués dans quelques villages à prédominance allochtone telles que Brunoko et carrefour campement (situés à une quinze de kilomètres du centre-ville), l'enquêté T. (34 ans, cultivateur à Brunokro)« Depuis la crise, les gouro inventent de nombreux arguments irréalistes pour nous chasser des forêts ».

Pour le préfet N. (67 ans, Préfet hors grade, entretiens d'Avril 2015)  « la situation sécuritaire entre les ruraux de Sinfra s'est principalement dégradé depuis les violences post-électorales de 2011 ».

Certains expropriés tels que L. (ancien planteur de Djamandji, entretien d'Avril, 2015) pensent que « ces peuples qui étaient aussi hospitaliers ont beaucoup changé avec nous. Tout ce qu'ils veulent aujourd'hui, c'est de nous arracher toutes les terres, même celles que nous avons achetées ». Ce scepticisme des propriétaires terriens« kwênins » s'explique par une volonté univoque d'exproprier, d'un refus de cohabitation d'avec ces peuples allochtones.

5.1.4 Acteurs de gestion eux-mêmes acteurs de conflits

Nos investigations menées à Sinfra révèlent que dans de nombreuses contrées du département, les « élus locaux » autrefois sans terre, se retrouvent aujourd'hui avec des portions remarquables de terre et des champs aux dimensions étonnantes. En effet, pour certains autochtones de la tribu Progouri, ils useraient de leur position hégémonique pour intimider les propriétaires terriens gouro et s'approprier une partie de leurs terres. C'est dans ce cadre que l'enquêté F. de Djamandji (39 ans, cultivateur, entretien de Février 2016) affirme « quand les vâ de Sinfra demandent des terres à nos parents, ils ne peuvent pas refuser sinon....Ne me demande pas, toi-même tu sais ce qui va arriver. Donc, tous les planteurs leur ont donné des terres et maintenant, ils ont plus de terres que la plupart des kwênins et des champs d'hévéa, de cacao dans presque toutes les sous-préfectures de Sinfra ». De ces propos, il ressort que cette réquisition massive des terres des autochtones par les autorités, se présente comme une forme d'appropriation foncière symbolique c'est-à-dire celle s'effectuant avec la complicité de ces victimes autochtones qui, conscients de leur position sociale inférieure participent à leur propre appauvrissement foncier. Ceux-ci, aspirant au quotidien à leur protection individuelle et celle de leurs biens fonciers face à des allochtones jugés à la fois nombreux et corrupteurs, accordent des portions importantes de terres à ces autorités locales afin de s'insérer sous une forme de couvert protectionniste lors d'éventuels conflits fonciers avec d'autres ruraux allochtones.

Ainsi, à partir de cette appropriation foncière axée sur la promotion de l'influence locale et des pouvoirs y afférents, ces décideurs locaux ont acquis des nombreux espaces sur lesquelles ils y ont effectué pour quelques- uns, des champs d'hévéa, de cacao, de café, d'anacarde afin de mettre leurs familles à l'abri des besoins vitaux élémentaires et pour d'autres, la transhumance à grande échelle.

Par ailleurs, pour éviter les regards suspects, la plupart de ces plantations et pâturages que nous avons visités, se situaient sur des terrains reculés, à l'extrémité de chaque sous-préfecture (champs d'hévéa et d'anacarde situés sur l'axe routier Sinfra-Progouri, champs de coton, cacao et café, sur l'axe Sinfra-Bazré, cinq pâturages de cheptel à Zéménafla, Djamandji, tricata, Tiézankro II et Progouri ).

A cette situation de consolidation massive des terres, tandis que certains autochtones semblent dénoncer à voix basse et qualifier cette forme de consolidation comme étant politique, de nombreux ruraux semblent se complaire dans cette situation d'octroi incontrôlé des terres et vont plus loin pour demander à être des « gnananwouzan » ou « tréklé » permanents de ces élus, sans véritable contrepartie financière.

Outre ce fait, un facteur non moins évoqué reste les possessions des chefs traditionnels en termes de cheptels, de pâturages,... qui traduisent leur souplesse mieux leur quasi inaction lorsque les boeufs dévastent les champs puisqu'il peut s'agir de leurs propres animaux.

Ainsi, un enquêté affirme « qu'avant quand un boeuf gâtait le champ de quelqu'un, les chefs étaient sévères et beaucoup d'amendes étaient fixées. Mais aujourd'hui, il n'y a plus rien, je dis bien rien. Prie seulement que les boeufs ne dévastent pas ton champ ». De là, il apparait dans un passé récent, les chefs traditionnels infligeaient des amendes importantes et d'autres mesures de sureté (interdiction de promener les animaux dans certaines zones champêtres) aux transhumants. Ceci a eu pour conséquence de réduire considérablement les cas de destruction de culture et créé un cadre social plus ou moins pacifique.

Mais l'enquêté affirme que par un processus corruptif bien ficelé et camouflé de dons en échanges de décisions pipées, les chefs traditionnels sont presque tous devenus des détenteurs de pâturages. Les décisions désormais prises dans un conflit foncier opposant un planteur à un pasteur sont connues d'avance (le pasteur a toujours raison) puisqu'il pourrait s'agir des animaux de l'acteur même qui gère le problème ou d'un collègue aussi membre de ce réseau clientéliste.

L'enquêté affirme également que dans quelques cas rares, les planteurs s'ils n'ont pas été soumis à une périlleuse procédure scientifique de recherche de preuves pour déterminer la responsabilité des transhumants, se font indemniser avec des sommes forfaitaires qui leur sont accordées dit-on pour estomper une procédure dans laquelle ils ne peuvent avoir raison.

5.1.5 Diversité d'acteurs de gestion et confusion de rôles

Les acteurs administratifs sollicités dans le cadre des conflits fonciers à Sinfra concernent  selon P. (59 ans, commerçante à Blanfla) :

« - Les acteurs de l'administration centrale (Préfet, Sous-préfet).

-Les acteurs de la justice (Procureur, juge, greffiers).

-Les acteurs de la répression (Gendarmerie, police).

-Les acteurs de la chefferie traditionnelle (Chefs de tribus, de villages, de terre et notabilité).

- Les acteurs cadastraux de la direction départementale de l'agriculture.

-Les acteurs des comités villageois de gestion foncière rurale ».

Cette pluralité d'acteurs qui interviennent concomitamment, simultanément ou succinctement dans les conflits fonciers, pose quelques fois des problèmes de confusion des rôles, de conflits de compétences, d'imprécision dans les actions individuelles et collectives à poser, d'incompréhension entre ces praticiens du droit formel et informel. Ceux-ci parfois se contredisent, s'entrechoquent, se heurtent en interprétant les textes, créant ou perpétuant un doute corrosif chez ces ruraux qui, pour la majorité, sont analphabètes.

Cette contradiction se perçoit à travers les interprétations divergentes de la loi n° 98-750 du 23 Décembre 1998 modifiée par la loi n° 2004-412 du 14 Août 2004, de ses décrets complémentaires et mesures d'accompagnement (le décret n°99-593 du 13 octobre 1999, le décret n°99-594 du 13 Octobre 1999, arrêté n°147 MINAGRA du 9 décembre 1999, arrêté n°0002 MINAGRA du 8 février 2000,  décret n°99-595 du 13Octobre 1999, arrêté n°085 MINAGRA du 15 juin 2000, arrêté n°102 MINAGRA 6 Septembre 2000, arrêté n°139 MINAGRA du 6 Septembre 2000, arrêté n°140 MINAGRA du 6 Septembre 2000, arrêté n°033 MINAGRA du 28 Mai 2001, arrêté n°041 MEMIDI MINAGRA du 12 Juin 2001, loi n°2001-635 du 9 octobre 2001).

La procédure de gestion des conflits fonciers à Sinfra se trouve donc biaisée et partiellement exécutée. Cela est d'autant plus perceptible à travers des omissions, des enchaînements ou des cumuls que des nombreux ruraux disent constater dans la chronologie des étapes usuelles. Autrement, cette procédure paraît orientée au su ou à l'insu de ces praticiens du droit local qui, intentionnellement ou non, entretiennent un flou procédural et juridique. Ainsi, les décisions prises par certaines autorités au bas de la stratification administrative, sont au quotidien remises en cause par des instances supérieures.

Selon le chef K. (68 ans, planteur, Chef du village kouêtinfla, entretien effectué en Mars 2016) « les décisions que nous prenons sont souvent annulées par notre hiérarchie ».

De plus, 65% des ruraux interrogés affirment que  les décideurs prennent dans beaucoup de cas, des décisions différentes sur le même problème de terre, à telle enseigne que même si tu n'as pas raison ici, tu peux avoir raison ailleurs.

Cette aporie procédurale effectuée le plus souvent de façon hétérodoxe par les autorités locales de Sinfra est tributaire du profit que peuvent à la fois tirer ceux qui ont le pouvoir de décider et ceux qui ont sollicité expressément cette catégorie de décideurs au détriment d'une autre. En d'autres termes, les litiges fonciers sont soumis par les ruraux aux « décideurs » susceptibles d'effectuer des investigations « fictives »afin d'obliquer les décisions de justice en leur faveur.

Ainsi, lorsque la décision est favorable à une des parties en conflit, cette décision est radicalement rejetée par la partie « perdante » dans des atermoiements courts avec une sollicitation des instances supérieures pouvant effectuer de nouvelles « investigations » à même de leur donner suite favorable.

Dans cette logique de contradiction entre décideurs locaux de Sinfra, denombreux ruraux accusent un favoritisme dans le recrutement de certains acteurs de référence en matière foncière. Ceux-ci présentent une incompétence et un manque de savoir-faire relatifs à leur fonction. Lesquelsse manifestent par des lacunes criardes aussi bien au niveau de la connaissance de la loi foncière qu'au niveau des procédures légales applicables en la matière.

Les investigations effectuées sur le terrain d'étude ont révélé que nombre de ces administrateurs locaux ne disposaient pas de la loi foncière et se contentent jusque-là de quelques enseignements reçus lors des séminaires de formation ou des informations reçues pêle-mêle. De ce fait, même si la plupart des interventions de ces décideurs s'érigent dans des transactions amiables, celles-ci sont sans fondement juridique et paraissent inappropriées dans le contexte socio-foncier de Sinfra. La procédure de justice qui devait être nourrie à la sève de la loi foncière afin d'alimenter la coloration de la décision foncière, se trouve orientée de façon lacunaire, clientéliste, intéressée et illogiques par ceux qui le pouvoir de décider, même si cette décision peut faire et fait souvent l'objet de révocation par des instances supérieures.

En somme, il faille retenir que les facteurs internes aux consciences individuelles ont une influence évidente dans l'explication de l'échec de la gestion des conflits fonciers à Sinfra. Le dire ne sous-entend pas rejeter l'impact environnemental ou mieux les facteurs externes(aux acteurs sociaux) dans l'explication de l'échec de la gestion. Ces facteurs endogènesviennent, selon les données du terrain se greffer aux facteurs exogènes pour rendre compte de l'échec de la gestion des litiges fonciers à Sinfra.

5.2. Facteurs externes aux acteurs sociaux

Ces facteurs s'articulent d'emblée autour de l'absence de texte pour la gestion des conflits fonciers (1), Ingérence des autorités gouvernementales dans la gestion des conflits fonciers(2) et des facteurs démographiques (3).

5.2.1 Absence de texte pour la gestion des conflits fonciers

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984