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Conflits hommes-faune sauvage en Inde du sud: déterminants spatiaux et socioculturels


par Paul Badaire
Le Mans Université - Master Gestion des Territoires et Développement Local 2018
  

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5.2. Opinions des gestionnaires de l'AWS

Cette sous-partie se fondera sur les entretiens non-structurés effectués avec le personnel de l'AWS et le responsable de la division forestière du district.

La zone du PRA n'étant réellement habitée que depuis 15 ans (et dont la population est en augmentation régulière depuis), les conflits hommes-animaux sont une préoccupation relativement récente et croissante chaque année. Les autorités de l'AWS avaient d'ailleurs anticipé le problème que pouvait représenter l'octroi de parcelles habitables sur la partie adjacente à l'AWS. Ils avaient conseillé les responsables du PRA de donner plutôt des parcelles éloignées de la bordure de l'AWS, mais ces derniers sont restés sourds à leurs remarques. J'ai essayé de comprendre les raisons sous-jacentes en interrogeant la personne en charge du PRA d'Aralam, mais cette dernière n'est là que depuis quelques années et ses prédécesseurs sont à la retraite et injoignables.

D'une manière plus générale, à l'échelle du district, Mr Rajan, m'a affirmé que les conflits hommes-faune sauvage ont véritablement commencé il y a une quinzaine d'années. Il estime que les habitats naturels des animaux ont fortement diminué en superficie dans les 30 dernières années à cause de l'expansion spatiale humaine. Il met notamment en cause les plantations en monoculture d'hévéas omniprésentes qui ne sont en aucun cas en mesure de supporter les grands mammifères. Aujourd'hui, les seuls espaces habités par les grands mammifères sont les AP et les forêts protégées du district. Ces dernières correspondent à des espaces où les activités commerciales et la manipulation de l'environnement sont interdites, bien que l'accès et la résidence y soient autorisés. Mr Rajan estime en outre que les changements climatiques sont en partie la cause de la recrudescence des conflits sur les dernières années. Il

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juge en effet que l'augmentation des phénomènes climatiques extrêmes (sécheresses, inondations) amplifie les difficultés pour la faune à se nourrir.

Les personnes interviewées ont été unanimes sur l'origine des conflits hommes-animaux sauvages en périphérie de l'AWS : le manque d'espaces ouverts dans l'AWS, qui amène les herbivores à chercher de la nourriture dans la zone du PRA. Cet espace offre en effet une variété et une qualité nutritionnelle d'espèces végétales bien supérieures aux forêts denses de l'AWS, notamment pour les végétations herbacées prisées par les grands herbivores. De plus, cette zone étant une ancienne plantation agroforestière en grande partie conservée, elle se caractérise comme une forêt ouverte, où les animaux ne ressentent pas l'impression d'être à découvert, et sont donc plus aventureux. La saison sèche (de Février à Mai) est estimée correspondre au pic des venues des animaux sauvages par les professionnels de la conservation, bien que les habitants de la zone du PRA ne ressentent pas vraiment de variation dans l'année, si ce n'est une légère augmentation au début de la saison des moussons en Juin-Juillet.

Les animaux causant le plus de problèmes à l'échelle du district et de l'AWS sont similaires à ceux énoncés par les habitants de la zone du PRA : sangliers, sambars, macaques et éléphants. Cependant, le personnel de l'AWS semble considérer que les singes causent plus de dégâts que ce qui est a été reporté lors de l'enquête sociale.

Afin de prévenir les conflits hommes-animaux sauvages en bordure de l'AWS, les gestionnaires de l'AWS ont essayé un certain nombre de mesures.

Dans un premier temps, des mesures de séparation spatiale des espaces de l'AWS et de la PRA ont été implantés. 5 kilomètres de mur en ciment et en pierre ont été érigés, mais les éléphants en ont détruit une partie. 3 kilomètres de tranchées ont également été creusées et 2 kilomètres de barrières électriques solaires installées. Bien que la barrière électrique soit estimée relativement efficace, les éléphants comprennent vite comment surmonter ces obstacles. Ils font par exemple tomber des arbres pour effectuer une ouverture ou ils utilisent leurs paumes très dures pour appuyer sur les barrières électriques et les faire tomber. De même, ils remblaient les tranchées à l'aide de terre ou d'arbres pour pouvoir passer. On m'a ainsi souvent répété que les animaux, surtout les éléphants, sont plus intelligents que ce que l'on ne croit et qu'ils sont capables de trouver des solutions à tous types de problèmes mis en place par les humains. La maintenance étant très coûteuse, les gestionnaires n'ont pas les moyens de remettre en état ces barrières physiques à chaque ouverture faite.

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J'ai demandé également s'ils utilisaient des formes de barrières biologiques (« biofencing »), à partir de haies ou d'arbustes. Mr Madhusoodhanan m'a répondu que la question des barrières biologiques est plus une sorte de gimmick utilisé par la presse ou les associations de conservation et que leur efficacité était infime.

Afin d'offrir des sources de nourriture plus variées et plus riches, ils s'efforcent de remettre à l'état sauvage une ancienne plantation de teck à l'intérieur de l'AWS. Ils essaient également de couper des branches régulièrement et de conserver des espaces ouverts afin de fournir un espace de végétation secondaire plus riche. La plantation d'arbres fruitiers et de bambous pour fournir une source de nourriture plus régulière aux animaux sauvages a été pratiquée, mais ces derniers mangent les jeunes arbres ou les détruisent.

Lorsqu'un éléphant pose plus de problèmes que les autres, les gestionnaires de l'AWS s'efforcent de le capturer et de le relocaliser dans d'autres AP plus vastes. Par exemple, en Février, un mâle qui menait une bande de 4 éléphants à des incursions particulièrement audacieuses et destructrices a été capturé et envoyé dans une AP à 150 kilomètres au Sud.

Les gestionnaires de l'AWS m'ont également indiqué que la provision d'emplois non-agricoles permettrait de réduire la magnitude des conflits. À cet effet, ils s'efforcent de développer une activité d'écotourisme à l'AWS, dont les guides sont des habitants de la zone du PRA. Les revenus obtenus sont à moitié reversé aux 3 comités d'écodéveloppement pour financer des fours sans fumées, des cuisinières au gaz... Cependant, le tourisme demeure très limité et n'est donc pas en mesure de générer une véritable source de revenu alternative pour les habitants.

J'ai également demandé s'ils estimaient qu'il était possible et intéressant d'inclure les habitants dans la gestion des conflits hommes-faune. Les réponses sont restées évasives, en affirmant tout le temps que « oui, mais c'est difficile », et sans donner de véritables réponses.

Globalement, les professionnels de la conservation ont semblé plutôt désabusés, voir impuissant, sur les possibilités de prévention des conflits hommes-animaux sauvages.

Les incursions des animaux sauvages de l'AWS dans la zone du PRA sont donc sources de conflits, notamment par les dégradations agricoles et le sentiment d'insécurité ressenti. Ceci est d'autant plus dommageable que l'agriculture était sensée fournir aux habitants le moyen de subvenir à leurs besoins. Ces animaux sont essentiellement des herbivores qui viennent dans le cadre de leurs stratégies de recherche de nourriture pour profiter des ressources végétales de la zone du PRA. La gestion de la faune sauvage est cependant difficile et les solutions mises en place sont peu efficaces.

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6. CONFIGURATIONS SPATIALES ET RISQUES DE DÉGRADATIONS AGRICOLES

Cette partie s'attèlera à déterminer les facteurs spatiaux et environnementaux pouvant influencer les risques de dégradations agricoles dans le contexte spécifique d'Aralam. Les résultats obtenus seront ensuite expliqués, interprétés et comparés avec d'autres études de la littérature pour chaque sous-partie.

L'ensemble des foyers ayant reporté des dégradations agricoles, l'influence de ces facteurs sera étudiée pour chacune des quatre espèces animales, mais ne fera pas l'objet d'une analyse supplémentaire globale. Les différentes hypothèses seront testées non pas sur l'incidence ou non de conflits mais sur la fréquence des venues des animaux. En effet, certains animaux peuvent venir sur une parcelle mais ne pas causer de dégâts sur les cultures, par exemple si ces dernières ne sont pas comestibles. Dans ce cas, le niveau de risque potentiel de dégradations agricoles, découlant par exemple de l'utilisation de mesures de prévention ou de la densité humaine, est tout aussi important que dans le cas d'une parcelle se trouvant dans les mêmes conditions territoriales et ayant été ravagée par un animal car les cultures lui étaient particulièrement appétentes. Les espèces animales étudiées étant des herbivores dont la stratégie alimentaire guide en grande partie la mobilité, la fréquence de visite des animaux est donc considérée ici comme un indicateur pertinent pour juger des risques de dégradations agricoles.

Dans un premier temps, l'hypothèse de la préférence alimentaire des animaux sauvages sera testée. L'efficacité des mesures de réduction des conflits mises en place sera ensuite analysée. Puis, l'impact des signes de présence humaine sur la venue des animaux sera étudié. Enfin, le lien entre le type de couverture des sols et la présence de faune sauvage sera examiné.

50

6.1. Utilisation des sols et risques de raid agricoles

Cette partie visera à déterminer si les 4 espèces animales étudiées viennent hors du sanctuaire de l'AWS pour se nourrir d'espèces végétales cultivées spécifiques. L'objectif est d'identifier les types de cultures pouvant potentiellement attirer les animaux sauvages. Tout d'abord la proportion de foyers reportant l'attaque d'un type de culture par rapport au nombre de foyers cultivant cette espèce végétale sera calculée pour estimer les cultures appétentes par espèces. Ensuite, 4 variables binaires, une pour chaque espèce animale, intitulées « foyers à risques » seront construites en codant 1 pour les foyers cultivant au moins une des 3 cultures les plus appétentes de l'espèce animale et 0 pour les autres. La corrélation entre cette variable et la fréquence de venue des animaux sera ensuite étudiée selon chaque espèce animale. La probabilité que les animaux viennent pour des cultures particulière est élevée s'ils viennent plus fréquemment dans les foyers cultivant les cultures les plus appétentes.

Le type d'espèces végétales cultivées est, en effet, souvent proposé dans la littérature comme un facteur de conflits hommes-herbivores sauvages (Jayson, 1998; Naughton-Treves, 1997; Sitati et al., 2005). Sukumar (1990) suggère que la valeur nutritive des plantes cultivées est supérieure à celle des plantes sauvages. Il estime que le groupement spatial des premières dans les champs de culture permet une quête de nourriture bien plus efficace pour les animaux. Ces derniers ont également tendance à montrer des préférences alimentaires. Lors des entretiens préliminaires, il a ainsi été suggéré que, sur le terrain d'Aralam, les éléphants préféraient les bananes, les sangliers : les racines du manioc, et les singes : les fruits.

Le tableau suivant présente les espèces végétales cultivées, le nombre de foyers les cultivant, ainsi que la proportion de foyers ayant signalé des raids agricoles sur ces espèces végétales par rapport au nombre de foyers en cultivant. Cette proportion a été calculée pour chacune des quatre espèces animales, ainsi qu'au total.

Préférences alimentaires des 4 espèces animales

étudiées

51

Types de cultures

 

Nombre de

Proportion de foyers ayant subi des raids agricoles (% des 84

 

foyers interviewés)

 

foyers

 

Par les

Par les

Par les

Par les

Total

 

cultivant

sangliers

sambars

Éléphants

macaques

 
 
 
 
 
 

Anarcadiers (noix de cajou)

69

6%

80%

0%

7%

81%

Bananiers

60

50%

7%

53%

7%

90%

Poivriers

57

0%

67%

0%

0%

67%

Cocotiers

55

24%

0%

44%

9%

69%

Taro (tubercule)

49

92%

0%

0%

0%

92%

Manioc (tubercule)

47

94%

0%

0%

0%

94%

Aréquiers (noix de bétel)

24

0%

4%

25%

0%

29%

Elephant Foot Yam (tubercule)

20

85%

0%

0%

0%

85%

Hévéas

16

0%

0%

0%

0%

0%

Gingembres

15

0%

0%

0%

7%

27%

Jacquiers (fruit)

13

0%

0%

23%

0%

23%

Curcuma

12

0%

0%

0%

8%

17%

Grands ignames (tubercule)

12

83%

0%

0%

0%

83%

Épinards

10

0%

20%

0%

0%

20%

Papayers

7

0%

0%

0%

14%

14%

Cacaoyers

6

0%

0%

0%

0%

0%

Manguiers

6

17%

0%

33%

17%

67%

Haricots

6

17%

17%

0%

0%

33%

Piments verts

4

0%

0%

0%

0%

0%

Goyaves

4

0%

0%

0%

0%

0%

Aubergines

3

0%

0%

0%

0%

0%

Caféiers

2

0%

0%

0%

0%

0%

Tableau 2: Préférences alimentaires des 4 espèces animales étudiées

On peut observer que le sanglier a une alimentation plus variée que les autres. Il mange principalement les tubercules. Il semble également très friand des noix de coco et des bananiers, où il mange le fruit mais également plusieurs parties de la plante. Les mangues, les haricots et les pommes de l'anacardier semblent plus être des sources de nourriture complémentaire. Bien que les tubercules soient fortement touchés, ils sont quand même plantés par les habitants car leur culture demande une attention minime. Ces résultats semblent corroborer ceux de Guo et

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al. (2017) et Chauhan et al. (2009), qui indiquent que leur régime alimentaire est extrêmement varié, notamment dans les milieux tropicaux. Paleeri et al. (2016) ont également trouvé une préférence pour les bananes, les noix de coco et les tubercules dans le centre du Kerala, bien que dans leur étude les tubercules soient beaucoup moins touchés.

L'analyse de la table de contingence et le test d'association entre la variable « foyers à risque » (ceux cultivant du manioc, du taro ou de l'Elephant Foot Yam) et la fréquence des venues des sangliers montrent néanmoins une indépendance entre les 2. Il faut néanmoins prendre en compte que 92% des foyers ont signalé des visites journalières des sangliers, ce qui limite la portée du test.

Les sambars se nourrissent principalement de feuilles de poivriers et d'anacardiers, ainsi que des pommes de l'anacardier. Ils montrent également une préférence pour les feuilles de légumes. Dans une étude en Inde, Porwal et al. (1996) ont d'ailleurs montré que les sambars se nourrissent principalement d'herbes et de feuilles et privilégient une diète variée.

L'analyse de la table de contingence et le test d'association entre la variable « foyers à risque » (ceux cultivant des poivriers, des anarcadiers ou des épinards) et la fréquence des venues des sambars indiquent également que les deux sont indépendants. Sachant que 89% des foyers signalant des visites journalières des sambars, la significativité du test est néanmoins faible.

Les éléphants montrent également des préférences assez marquées, principalement des bananes et des noix de coco. Ils se nourrissent également de fruits comme le fruit du jacquier et les mangues, ainsi que des noix de bétels. Le régime alimentaire de l'éléphant repose essentiellement sur les végétations herbacées (Baskaran et al., 2013), mais il mange également des fruits, des brindilles, des racines, de l'écorce, des bambous...(Sukumar, 1994). La préférence pour la banane avait déjà été remarquée au Kerala (Jayson, 1998; Paleeri et al., 2016).

Après l'analyse de la table de contingence et du test d'association entre la variable « foyers à risque » (ceux cultivant des manguiers, des bananiers ou des cocotiers) et la fréquence des venues des éléphants, une indépendance entre les deux a été trouvée.

Lorsqu'ils viennent dans les parcelles habitées de la zone du PRA, les macaques mangent essentiellement des fruits (papayes, bananes, pommes de noix de cajou) et des noix de coco. Ils endommagent également des pieds de gingembre et de curcuma, car ces derniers sont

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souvent hôtes de vers prisés par les macaques. Ces résultats concordent avec ceux de Dileep et Jose (2014) et Krishnamani (1994), qui ont trouvé que le régime alimentaire des macaques à bonnets en Inde du sud est essentiellement composé de fruits, feuilles et invertébrés.

L'hypothèse de dépendance entre la variable « foyers à risque » (ceux cultivant du manioc, du taro ou de l'Elephant Foot Yam) et la fréquence des venues des macaques est également rejetée après l'analyse de la table de contingence et le test d'association.

Les quatre espèces animales étudiées suivent globalement un régime alimentaire assez marqué. L'absence d'association entre la fréquence de venues des animaux et le fait de cultiver les cultures qui leur semblent être les plus appétentes (bien que dans le cas des sambars et des sangliers l'analyse statistique soit sujette à caution) semble indiquer que les raids agricoles sont essentiellement le fait de comportements opportunistes plutôt que d'une recherche de nourriture spécifiquement orientée vers une espèce végétale. Néanmoins, une étude avec plus de données et dans un environnement plus diversifié (par exemple, dans des situations de cultures vivrière plus développées et plus intenses) serait certainement nécessaire pour statuer sur ces résultats.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon