WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le passage de l'économie agricole à  l'économie de pêche:les changements sociaux à  Ndayane

( Télécharger le fichier original )
par Mamadou Ndoye
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maitrise de Sociologie 1998
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

B/ LE MAREYAGE

Le mareyage occupe une place centrale dans le circuit de distribution de la pêche piroguière. Le mareyeur est l'intermédiaire principal entre les pêcheurs, les centres urbains de consommation et les usines de traitement du poisson. Il a contribué selon Régine BONNARDEL 1(*) en moins de six ans à faire de telles sorte que :

«la pêche piroguière s'est insérée dans une active économie commerciale».

Les premiers mareyeurs à Ndayane sont apparus au début des années soixante dix (70) avec le développement de la pêche aux filets dormants. Le mareyeur a d'abord été un commerçant ayant pour préoccupation les mises à terre d'une pirogue, il va s'affirmer comme un véritable entrepreneur avec le développement de la pêche. Son rôle d'opérateur dans le marché du poisson sera accélérée avec l'émergence des usines de traitement qui font du mareyeur leur intermédiaire entre les plages et leur direction. Grâce aux subventions accordées, les mareyeurs ont investi la pêche piroguière afin de d'approvisionner les usines en poisson. Les subventions sont soit de l'argent donné au mareyeur soit des filets accompagnés d'une somme considérable. Ceci pour garantir aux pirogues le maximum de chances d'avoir une pêche fructueuse.

Ces subventions que les mareyeurs appellent financement ont pour but de renouveler à la veille de la campagne de No'or le matériel de pêche pour que l'équipement puisse répondre aux exigences de la pêche moderne.

Ainsi selon les besoins de l'usine qui parraine le mareyeur, il parvient à financer le nombre de pirogues souhaité. De ce fait les grands mareyeurs ayant de l'argent disponible parviennent à avoir entre dix et vingt pirogues. Les plus modestes sont entre deux et cinq. La multiplicité des usines installe une concurrence entre celles-ci. Cette concurrence va se cristalliser au niveau des plages avec leurs mareyeurs respectifs.

Ce qui va aboutir dans le cadre de la pêche aux filets du Lebu de Ndayane au partage entre des mareyeurs d'une même pirogue. Il s'agit dans ce cas de l'établissement d'un calendrier qui affecte à chaque mareyeur un jour d'achat dans le semaine des mises à terre de la pirogue. Pour reprendre la terminologie des pêcheurs, la pirogue est divisée en «Ceer».

Ainsi chaque jour correspond au tour d'un mareyeur Il peut arriver qu'un mareyeur ait deux ou trois «ceer» (part) ce qui veut dire qu'il a trois jours de suite à acheter pendant la semaine ;

La pirogue est devenue dans ce contexte source de conflits avec la présence d'intérêts multiples qui se font une concurrence sans merci. Après avoir été une véritable aubaine au début des années soixante dix (70), le mareyage a du mal à résister à la logique monétaire qui caractérise l'évolution de la pêche piroguière.

Le mareyage est source de conflit mais aussi il souffre d'un développement hypothétique du fait de la non organisation. En effet la quasi totalité des personnes provenant des régions de l'intérieur (souvent appelé ajoor) investissent le secteur du mareyage. Le foisonnement des acteurs se réclamant mareyeurs ne fait qu'exacerber les conflits pour le contrôle et pour l'accès à la production piroguière.

Ces populations de l'intérieur provenant principalement de l'ex bassin arachidier sont parvenues à se hisser en commerçant potentiels et à modifier fondamentalement dans le même sens les rapports classiques mareyeurs / pêcheurs.

Les ajoor ont d'abord commencé par le petit commerce avec notamment l'achat des poissons après la pesée des soles. C'est après qu'ils ont déployé les moyens nécessaires pour s'octroyer des pirogues à l'image des mareyeurs Lebu. C'est avec cette intrusion que la libéralisation du mareyage a pris effet.

Traditionnellement c'est sous le modèle du voisinage et de la parenté que les mareyeurs de Ndayane avaient acquis le monopole de l'achat de la production. Ainsi avec trois balles de filets, ils contrôlaient l'ensemble de la production d'une pirogue pendant toute une campagne de pêche qui dure environ six mois.

La fin de ce monopole est accompagné d'une réelle prise de conscience chez les pêcheurs de la valeur économique du poisson. Cette prise de conscience étiquette les mareyeurs comme des exploiteurs potentiels qui se sont toujours enrichis sur le dos des pêcheurs. Les pêcheurs avec l'intérêt suscité par le poisson vont réorganiser les liens traditionnels qui les mettaient aux prises avec les mareyeurs.

C'est pourquoi toute subvention par exemple en filets est calculée en espèce. Dans ce cas si le mareyeur a donné trois filets, le pêcheur mentionne la valeur monétaire c'est-à-dire le coût de ces filets. De ce fait chaque kilogramme de poisson vendu est enregistré et si au bout d'une certaine période le mareyeur entre dans ses fonds, le contrat devient caduc et il faut le renégocier ou c'est la rupture.

Le nouveau contrat exige une nouvelle subvention ou c'est la vente libre comme communément appelée chez les pêcheurs.

Cette forme de relation montre l'évolution des rapports de production dans la pêche piroguière sous les contraintes de l'économie monétaire. Cette évolution desrapports de production au sein de la pêche ôte à celle-ci son fonctionnement traditionnel sous l'empreinte des relations domestiques.

L'apparition de l'argent est considéré par Karl Marx1(*) comme le signe évident de l'apparition du capitalisme. Ce constat est rendu évident par la capitalisation monétaire qui est l'objectif poursuivit par tous les pêcheurs de Ndayane. Il existe chez les pêcheurs un engouement et un intérêt démesuré autour de la maximisation de la des revenus du poisson.

Les formes marchandes de la production apparaissent à travers les différents acteurs du circuit commercial que sont les pêcheurs, les mareyeurs et les transformatrices. Nous allons nous intéresser à cette troisième catégorie d'acteurs dans la partie qui suit.

C/ LE ROLE ECONOMIQUE DES FEMMES AVEC LA TRANSFORMATION DES PRODUITS DE LA MER.

La transformation des produits de la mer est un monopole des femmes sur l'ensemble du littoral sénégalais. Les femmes de Ndayane à l'image des Guet Ndariennes font en même temps que les hommes, les migrations saisonnières pour s'occuper de la transformation. Joal et Djifère semblent devenir des milieux naturels pour elles.

A Ndayane traditionnellement, la transformation est du ressort des femmes accompagnatrices des pirogue. Ces dernières avaient pour rôle principal la préparation des repas et aussi à faire le linge des membres de la pirogue. La femme du capitaine était naturellement celle qui s'occupait de ce travail.

Comme la pêche est très bien cotée sur le marché, les poissons de moindre qualité étaient léguées à vil prix ce qui constituait une sorte de récompense pour les services rendus aux membres de la pirogue. Les différentes formes de transformation sont le Yett, le Gëjj et le Tambamjang. Le keccax est surtout fait avec la pêche locale à Ndayane. La sardine qui permet sa préparation est pêchée avec des filets maillants de surface utilisés uniquement dans les eaux locales, tandis que pendant le No'or, à Joal ou Djifère ce sont les filets dormants qui sont utilisés.

Avec le développement des circuit de distribution et de commercialisation articulé à un demande intérieure ou extérieur, le secteur de la transformation a subi des mutations occasionnées par l'essor de l'économie maritime.

La soumission de la pêche piroguière aux exigences de l'économie monétaire s'est traduite dans tous les secteurs dérivés. La transformation suit cette nouvelle logique qui consiste à mettre entre parenthèse la parenté dans le cadre de la commercialisation.

Ainsi même si les femmes accompagnatrices sont prioritaires pour l'achat de la production de leur pirogue, elles restent cependant soumises aux contraintes de la concurrence. Il s'agit dans cette nouvelle logique d'être «compétitives» ou de laisser la production à une autre. A l'image du mareyeur dans le secteur de la marée fraîche, les transformatrices sont obligées de s'adapter à l'évolution dans leur secteur d'activité, évolution dépendant de manière générale de la pêche. Sous ce rapport, la transformation est devenue plus professionnelle et partant moins artisanale.

Etre accompagnatrice d'une pirogue ne suffit plus pour exercer le métier, il faut aussi déployer les moyens économiques nécessaires pour avoir du poisson, bref il faut disposer d'un capital afin d'accéder à la ressource. La transformation dans son fonctionnement prend l'allure du mode de production commerciale qui se développe dans l'économie de la pêche piroguière.

Ainsi pour F. P. transformation :

«il est vain pour une femme d'aller à Djifère si l'on n'a pas de ressources financières».

Pour exister en tant qu'actrice, la femme transformatrice est obligée de se donner des moyens financiers susceptibles de faciliter l'accès à la production.

Le nombre croissant de personnes qui s'adonnent à cette activité montre la vitalité de ce secteur et l'intérêt qu'il suscite.

La modification des rapports sociaux traditionnels est accompagnée de transformations structurelles. Sur tout le littoral comme l'a souligné Abdoulaye SENE,1(*) les produits de la mer étaient transformés par de vieilles personnes. Avec le développement et l'intensification du réseau commercial, la présence des jeunes femmes est plus remarquée.

La monnaie y est pour beaucoup car le Keecax se faisait traditionnellement pour servir de troc entre Lebu de la côte et Sereer Saafeen de l'intérieur.

Les premiers donnaient leur poisson, les second leur mil. Ceci pendant l'hivernage, période où le poisson était rare et les greniers entamés. Les vieilles femmes jouaient un grand rôle dans cet échange.

Le renouvellement des transformatrices avec le rajeunissement de la profession est accompagnée d'une division du travail sanctionnant ainsi l'évolution socio-économique du secteur. La transformation s'est déchargée des tâches de couper le poisson, l'éplucher et le laver. Ce travail est effectué par des manoeuvres «ajoor» ou Socé. Après l'achat du poisson à la plage, la transformatrice ne s'occupe que du séchage une fois le poisson déposé sur les claies.

La transformatrice s'est érigée en commerçante à la recherche de débouchés pour son produit plus tôt qu'une femme pétrie de la culture Lebu et ayant le savoir faire concernant le poisson. Cette dernière fonction se perd de plus en plus chez les transformatrices de Ndayane habituées à la nouvelle situation sur les plages de Joal et de Djifère.

En effet les commerçants sont toujours sur les plages pour s'approvisionner en yeet, gejj ou tambajang destinés aux zones urbaines principalement.

Le marché de la transformation est ouvert à tout commerçant solvable c'est-à-dire susceptible de payer le produit à bon prix.

Cependant il existe des commerçants grossistes qui font crédit à certaines transformatrices afin que celles-ci leur réservent un stock de poisson. Ces grossistes ont joué un grand rôle dans la mobilisation de capitaux. En effet, les crédits leur garantissent un stock de poissons transformé sont fait dans le but d'approvisionner les pays de la sous - région comme le Mali et le Burkina Faso.

C'est une forme de commercialisation qui ouvre la transformation sur l'extérieur. Sous ce rapport, elle est un prolongement du petit commerce classique en cours et mettant aux prises transformatrices et commerçants destinés aux centres urbains.

Les transformatrices de Ndayane écoulent leur stock par l'intermédiaire de ce petit commerce. Ces commerçants ou commerçantes le plus souvent parviennent grâce aux relations nouées à inspirer la confiance des transformatrices ce qui leur permet d'avoir le produit à crédit.

Ainsi elle peut prendre le stock pour une durée de quinze jours et ensuite revenir pour payer son du.

Ce type de rapport commercial rend fragile le secteur de la transformation car étant la base de l'endettement chez certaines femmes.

Toutefois c'est par souci de ne pas garder longtemps les stocks de peur qu'ils pourrissent qu'elles soient obligées de les céder à crédit. Les difficultés de la conservation sont donc à la base de ces types de relations commerciales nocives aux progrès de ce secteur. Malgré cette situation assez particulière, les transformatrices parviennent la plupart du temps à s'en sortir avec des gains assez importants pendant la campagne.

Les gains obtenus servent à cultiver la solidarité familiale. En effet à la fin de la campagne, les femmes achètent des habits pour les enfants, pour les gendres restés au village et pour elles-mêmes. La fin de la campagne est un moment d'exhiber le produit du travail c'est-à-dire ses résultats fortement marqué par l'influence de l'économie maritime moderne très monétarisée, il n'en demeure pas moins que le fruit de la commercialisation répond à des objectifs sociologiques.

C'est la solidarité traditionnelle qui est redynamisée par les revenus. Aussi le compte d'épargne est encore un mystère pour les transformatrices. Cependant des changements sont en cours avec la naissance des G.I.E intervenant dans le secteur. Ces groupements encore en gestation, donc c'est une expérience précoce que seule son évolution future pourra éclairer.

CHAPITRE III : LA PECHE INDUSTRIELLE ET LES PECHEURS DE NDAYANE.

La pêche industrielle est très particulière par son organisation et son fonctionnement. Elle marque aussi l'évolution technique qui caractérise la pêche en général depuis les années cinquante (50).

L'ouverture des eaux sénégalaise aux bateaux européens (français, espagnols, russe, grecs) et asiatiques marque de ce point de vue une nouvelle étape de l'évolution de la pêche. L'arrivée massive de ces compagnies de pêche ouvre la voie de la pêche industrielle aux populations de tradition maritime ancienne à savoir les Lebu, les Guet Ndariens et les Ñominla. C'est la naissance d'un pêcheur nouveau appelé «matelot» qui est ainsi consacrée avec des conditions nouvelles de travail en rupture avec les méthodes du gaal locco.

Le paysans - pêcheur de Ndayane va donc au début des années soixante dix (70) faire son entrée au port autonome de Dakar valorisant de ce fait son savoir -faire traditionnel dans des conditions socio-économiques d'une autre nature.

A/ CARACTERISTIQUES GENERALES DE LA PECHE INDUSTRIELLE.

La pêche industrielle demeure aujourd'hui un secteur principalement actif à cause de la présence des navires étrangers. Contrairement à la pêche piroguière qui emploie près de deux cent mille (200.000) personnes, elle ne concerne que vingt mille (20 000) personnes.

La production est destinée essentiellement à la transformation et par conséquent vouée particulièrement au marché extérieur.

La flotte est surtout constituée de chalutiers, sardiniers et thoniers. Plus qu'un complément de la pêche artisanale, la pêche industrielle est devenue une concurrente qui grâce aux accords de pêche conclus exploite par l'intermédiaire de ses techniques de capture ultramoderne les eaux sénégalaise. La faiblesse des moyens de surveillance dont dispose le P. S. P. S. aboutit à une exploitation intensive des fonds de pêche ce qui a pour effet de prolonger davantage les zones de pêche. De plus en plus les pêcheurs de Ndayane se plaignent des dégâts causés par les bateaux sur les filets de pêche déposés dans un endroit qu'ils partagent avec ces bateaux. Etant essentiellement sous contrôle étranger, la pêche industrielle reste assez marginale dans le cadre de la pêche en général au Sénégal.

B/ LES MATELOTS DE NDAYANE

Comme souligné plus haut c'est depuis un peu plus d'une vingtaine d'années que les premiers matelots originaires de Ndayane sont apparus. Le caractère particulier de cette pêche a fait que les recrutements n'ont pas été massifs. Ce sont donc des individualités qui ont débuté dans cette activité qu'on peut considérer comme importante dans la voie de la professionnalisation amorcée à la suite de la sécheresse.

Les premiers matelots de Ndayane ont navigué dans des compagnies françaises. Certains ont même voyagé au Gabon pour exercer pleinement leur nouveau métier. La première génération s'est bien adaptée aux exigences de la pêche industrielle d'où l'engouement suscité et le grand rush vers le port de Dakar de la plupart des pêcheurs artisanaux.

Avec le préjugé favorable, il y a aussi les retombées économiques acquises en raison du modèle économique (salariat) jusque là inconnu d'une population essentiellement agricole. Dans une économie de subsistance, les matelots ont été les premiers initiateurs du salairiat.

Cette influence fut d'autant plus grande que les bateaux faisaient des campagnes assez longues dépassant le mois c'est-à-dire trente jours. De ce fait le salaire cumulé représente une manne financière qui exerçe un attrait réel sur les pêcheurs des gaal locco.

Cette forme de pêche a permis à beaucoup de matelots originaires de Ndayane de fréquenter des villes européennes comme Las Palmas ou Tenerife de même que l'Amérique avec l'Uruguay, l'Argentine, le Brésil ou même les USA. C'est une pêche aux revenus très importants mais ne concerne qu'une infime minorité comparée à la pêche piroguière.

Pour la population, les matelots sont l'élite du village car constituent de véritables fonctionnaires aux revenus constants. Ils sont à l'abri des fluctuations et des incertitudes de la pêche piroguière. Une telle situation s'explique par les possibilités offertes par les revenus provenant de la pêche industrielle .

Avoir une maison personnelle est le souhait de chaque pêcheur. Les revenus des matelots servant la plupart du temps à la construction de villas notamment les « terrasses» qui ont commencé à naître.

Le désir de s'autonomiser très caractéristique de l'évolution de la pêche à Ndayane est plus net chez les matelots tant les possibilités sont certaines. C'est pourquoi beaucoup sont parvenus à avoir des gaal locco données aux jeunes frères afin qu'ils cessent d'être tëban. Ils participent dans cette logique à faire de la famille biologique des unités autonomes de production. Sous ce rapport ces matelots ont joué un rôle important dans l'évolution socio-économique de Ndayane car leur action s'est inscrite dans le cadre d'un mode de production moderne et qui concerne l'ensemble de la pêche sous toutes ses formes.

C/ SITUATION ACTUELLE DE LA PECHE INDUSTRIELLE : DIFFICULTES.

Même si elle continue d'accorder des avantages aux matelots, la pêche industrielle en ce qui concerne le recrutement est dans l'impasse.

Elle semble évoluer depuis quelques années dans un cul de sac. L'envahissement du secteur par d'autres ethnies notamment les Sereer. Ceci articulé à une crise de l'emploi au Sénégal fait que devenir membre d'une compagnie de navigation est chose difficile.

L'attrait de ce secteur sur les pêcheurs artisanaux est toujours présent mais les attentes pour un hypothétique départ en mer se font de plus en plus nombreuses. Le port n'est plus ce qu'il était d'après les témoignages. De même pour certains si l'on ne dispose pas de réseaux clientèles, retourner dans la pêche artisanale demeure alors la solution. Au cours de ces dernières années la pêche industrielle du point de vue de ses recrutements s'est grippée car la maîtrise technique du métier n'est plus nécessaire pour décrocher une embarcation.

La corruption et le népotisme ont gangrené le milieu. C'est pourquoi beaucoup de pêcheurs ayant acquis les dispositions administratives d'un matelot ont préféré acheter une pirogue et retourner dans la pêche artisanale. Pour S. N. D

«il est plus intéressant de travailler pour soi même car la mer offre des possibilités économiques énormes. Il s'agit pour nous de se donner les moyens pour e n profiter . Je préfère la pêche artisanale au métier de matelot qui use notre force de travail pendant de longs mois ».

Ce retour vers la pêche piroguière est intéressante pour certains et devait être plus bénéfique si le secteur avait évolué de manière profonde. Pour le pêcheur A. D.

«Cette évolution devait traduire par le remplacement des pirogues actuelles par des embarcations plus grandes et de fabrication industrielle».

L'espoir suscité par la pêche industrielle a été déçu pour certains car celle-ci comme cru au début n'a pas la capacité d'absorber toute la main d'oeuvre disponible. Il s'y ajoute que certains matelots sont plus cotés que d'autres notamment ceux qui naviguent dans les pavillons espagnols aux salaires intéressants.

Compte tenu de la situation de précarité de l'emploi, avoir une pirogue est une solution viable à court terme pour palier à cette situation surtout que l'attente au port de Dakar peut durer jusqu'à cinq années avant l'obtention d'un embarquement. Certes les revenus de la pêche ont permis la multiplicité des pirogues mais le souci de contourner la léthargie de la pêche industrielle y est pour beaucoup.

Ce qu'il faut noter c'est que la situation ne fait que commencer il faut donc suivre son évolution dans le temps pour pouvoir juger de son impact réel.

Les matelots bien que minoritaires constituent néanmoins du point de vue financier la catégorie la plus importante de la population active de Ndayane. Ils constituent la frange la plus importante des fortunes individuelles.

Les possibilités que la pêche leur a offertes ont surtout contribué en faveur de la dépaysannisation amorcée avec l'essor de la pêche. Ce sont les matelots qui le plus souvent amènent leurs parents à la Mecque. Aussi les plus âgés prennent souvent une seconde ou troisième épouse.

Plus qu'un phénomène périphérique, la pêche industrielle au même titre que celle artisanale a joué un rôle important dans l'évolution socio-économique des paysans -pêcheurs de Ndayane. Elle est au début et à la fin du processus de changement social. Elle participe aussi des mutations profondes qui traduisent la spécificité du mode de production commerciale en cours dans la pêche sénégalaise contemporaine. Sous ce rapport comme la pêche artisanale, celle industrielle a capté toutes les énergies vives de Ndayane dans son rayonnement originel. Il est très regrettable pour les pêcheurs que les structures classiques de fonctionnement de la pêche n'ont pas emprunté les mêmes logiques au port de Dakar dans un contexte où la rareté de l'emploi est devenue plus manifeste.

3e Partie : LES CONSEQUENCES DE LA PECHE A NDAYANE

La question qu'on se pose au niveau de cette troisième partie est la

suivante : les Lebu de Ndayane après avoir toujours vécu comme paysans- pêcheurs, quels sont les changements qui se sont produits après l'effacement progressif de l'une des activités à savoir l'agriculture ?

Autrement dit qu'elle influence la pêche exerce t - elle sur Ndayane une fois qu'elle est devenue dominante ?

Mieux encore l'adoption de la pêche comme nouveau mode de production n'est elle pas le point de départ de profondes mutations?

CHAPITRE VIII LES CONSEQUENCES

MORPHOLOGIQUES, ECONOMIQUES ET

DEMOGRAPHIQUES.

Occupés historiquement par des populations ayant une tradition agricole confirmée (Guet -Ndariens exceptés), le littoral est devenu depuis la fin des années cinquante (50) un lieu de rencontre cosmopolite. Cette situation fait suite à l'essor de l'économie maritime mais aussi à la déstructuration de l'économie de traite arachidière.

Sur toute la côte, les populations notamment les paysans - pêcheurs ont laissé la première activité au profit de la seconde. Cette nouvelle donne dépasse dans ce nouveau contexte la pêche comme fait culturel spécifique à des ethnies mais devient un facteur de développement socio-économique dans une période de crise économique.

C'est pourquoi son développement apparu dans un contexte de crise agricole a bouleversé l'ordre jusque là établi par une économie d'autosubsistance.

A Ndayane comme dans la plupart du pays Lebu, la pêche est devenue le moteur de l'organisation socio-économique. Sous ce rapport, l'économie maritime a joué et continue de jouer un rôle important dans le processus de changement dans l'ensemble du littoral.

Au moment où les jeunesses rurales paysannes de l'intérieur du Sénégal ont pris le chemin de l'exode vers Dakar, la grande métropole, à Ndayane et partout ailleurs dans le littoral, c'est la pêche qui a canalisé les énergies pour en faire la main d'oeuvre c'est-à-dire la véritables force de l'économie maritime.

Il y a donc dans ce cas un redéploiement des anciens paysans vers le secteur de la mer. Le développement économique de Ndayane est passé par cette nouvelle étape introduite par l'économie maritime modernisée. Ainsi on peut dire comme Durkheim1(*) que le développement de l'agriculture et de la pêche varient en sens inverse l'une de l'autre. D'où l'effacement progressif du mode de production agricole traditionnelle avec l'essor de la pêche.

Les trois facteurs qui suivent et leur imbrication peuvent être considérés comme des indicateurs de l'importance de la pêche et ses conséquences sur l'organisation économique.

A /TRANSFORMATION DU CADRE PHYSIQUE

La transformation du milieu de vie est la conséquence la plus visible de l'importance de la pêche à Ndayane. Comme nous l'avons signalé dans la première partie, c'est la carré qui était puisqu'ici la demeure principale des individus appartenant a la même lignée. Les constructions en dur qui ont remplacé les cases en paille et en banco se faisaient toujours à l'intérieur du carré.

Le développement de la pêche dans les années soixante dix (70) inaugure et consacre un nouveau mode d'habitation. Les nouvelles parcelles grâce au cadastre vont être lotissées. Les premières parcelles s'étendent sur 25 mètres de longueur et sur 20 mètres de largeur. Le droit de bornage était de 1000 F mais Aujourd'hui il est de 12000F.

Le village avec ce nouveau mode d'occupation de l'espace va prendre un peut de recul et quitter la façade maritime.

Les nouvelles maisons construites ne seront plus en tuile ou en tôles Zinc mais en tôles ardoise. Aujourd'hui les terrasses ont fait leur apparition. Le nouveau quartier qui consacre l'éclatement des quartiers traditionnels est appelé HLM.2(*) l'homogénéité des formes de construction montre que les revenus ont d'une certaine manière touchés toute la population active.

L'éclatement de l'unité de production traditionnelle qui était latente est devenu une réalité. En effet les ménages s'étaient autonomisés depuis longtemps mais continuaient cependant d'exister dans le carré simplement comme forme de résidence. L'évolution de la pêche va consacrer l'étape de la recomposition.

Cette recomposition s'appuie sur la famille biologique comme unité sociale dans le cadre de l'occupation de l'espace. La famille élargie (carré) se meurt car cette nouvelle situation a produit un effet d'entraînement sur tous les autres ménages qui n'ont pour souci que de sortir du carré en ayant leur propre maison. L'accélération de ce processus est liée à la santé de la pêche qui permet l'accumulation monétaire nécessaire à la construction d'une maison. Si la pêche va tout va à Ndayane.

Ainsi en moins de vingt ans, le village de Ndayane s'est radicalement transformé et le quartier dit HLM consacre ce renouveau. C'est pourquoi certains quartiers traditionnels sont devenus des vestiges du passé avec le déménagement des occupants dans les HLM.

La subdivision traditionnelle du village en deux blocs distincts à cédé la place à l'extension en longueur des habitations et à l'éparpillement des anciens occupants du carré dans le nouveau mode d'occupation de l'espace villageois.

Cependant il faut noter que les premières parcelles étaient attribuées selon la logique du carré. En effet tous les habitants provenant du même carré se voyaient octroyer des parcelles très proches. Le préjugé identitaire existait car certains se refusaient d'habiter par exemple dans le quartiers de Tileen, quartier dont la situation était favorable à l'accueil des nouveaux occupants.

Cette attachement à l'identité s'est dilué sous la pression démographique. De ce fait il y a comme nous l'avons signalé précédemment une recomposition sociale qui fait fi de ces considérations et qui créent de nouveaux modèles. L'occupation suit une autre logique qui dépasse les identités traditionnelles.

Dans le quartier des HLM, la construction d'une mosquée par les habitants n'étant pas originaire d'un même carré atteste de l'évolution des rapports sociaux que l'espace à forgé.

B/ L'ACCELERATION DE L'ACCUMULATION MONETAIRE

Si la pêche s'est avérée important du point de vue de la culture chez les Lebu, elle l'est encore plus par la capitalisation monétaire qu'elle a permise durant ces dernières années dans tout le littoral sénégalais.

Jusqu'avant son essor récent c'est la traite arachidière qui était la source la plus importante des revenus des paysans pêcheurs de Ndayane. La pêche n'offrait que des revenus modestes et complémentaires.

Les revenus agricoles étaient contrôlés par des personnes adultes notamment les chefs de carré et les chefs de ménage d'où la faible circulation de l'argent. A côté des ces rapports hiérarchiques , il y avait une sorte de confiscation de la production par l'Etat qui grâce à ses organismes de commercialisation (ONCAD)contrôlait le circuit du commerce.

L'existence de ces deux données gênait une capitalisation monétaire susceptible de créer un développement socio-économique intégrante toute les composantes de la population.

La décollage de la pêche remet en cause ce système et permet à la nouvelle génération d'accéder au numéraire. La pêche constitue ainsi une avancée qui stimule toute la jeunesse. Sous toutes ses formes (industrielle et piroguière), elle consacre la naissance d'un nouveau mode de production.

La pêche en donnant des gains individuels marque la différence d'avec l'agriculture. Le pêcheur en tant qu'acteur individuel est né. Ceci constitue un progrès dans le cadre d'un système social où seul le groupe était reconnu. L'esprit communautaire est certes présent mais son influence est tempéré par l'émergence d'un nouvel esprit qui à terme va l'affaiblir. Avec la pêche même si le procès de production est collectif, les parts attribuées sont individuelles.

C'est pourquoi les pêcheurs en unissant leurs efforts pendant six mois vont se retrouver avec des revenus substantiels. Pour une bonne campagne de pêche, les revenus peuvent varier entre 250 à 300.000 F par pêcheur. Quand celle-ci est moyenne les revenus sont entre 100. et 150.000 F . En de ça de 100.000F la campagne est jugée mauvaise.

Le système de la part institué peut être compris comme le point de départ de l'individualisation des efforts dans une société très fortement influencée par l'instinct communautaire. La partie la plus importante de la capitalisation individuelle proviennent des revenus de No'or.

Cependant il faut noter que les gains individuels sont plus importants dans la pêche industrielle car le matelot qui est dans une compagnie espagnole et après avoir effectué une campagne de six à sept mois peut se trouver avec près de trois à quatre millions de francs. Ce sont donc les revenus de la pêche en général qui ont permis une accumulation monétaire sans précédent. Cette situation est explicative de l'attrait que la pêche exerce sur toute la population notamment les élèves qui abandonnent la plupart du temps dans le secondaire les études pour devenir pêcheur. Les élèves devant les parts importantes de pêche que brandissent leurs camarades n'ont pu résister à l'envie de les suivre. La conséquence c'est qu'a Ndayane, il y a un délaissement de l'école (Coranique et laïque) au profit de la mer.

Cette attirance vers la pêche est accélérée par l'augmentation continue du nombre de pirogues qui est multiplié par cinq durant ces dix dernières années. Des pirogues familiales on est passé maintenant aux pirogues individuelles.

C'est dire que la pêche à permis l'apparition de fortunes individuelles qui à l'image des pêcheurs Guet- Ndariens se propulsent comme de véritables entrepreneurs.

* 1 BONNARDEL ®, Vitalité de la petite côte tropical du pêcheur de Saint Louis Sénégal, op. cit, p. 46.

* 1 MARX (K), Le Capital, Livre I, Paris, Flammarin, p.142.

* 1 SENE (A), Ibidem, p.221

* 1 DURKHEIM(E), De la division du travail social, Paris, PUF, 1991, p. 209

* 2 La disparition des quartiers traditionnels qui étaient en bordure de la mer n'est qu'une affaire d'années. Et probablement c'est dans un avenir proche.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery