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Les droits des agriculteurs et le marché mondial des gènes

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par Monia BRAHAM epse YOUSSFI
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis II - DEA en Droit de l'Environnement 2006
  

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I- Les centres d'origine : Une assisse géographique :

Lorsque le politique trouve dans la géographie une référence et un fondement, il est légitime de s'interroger sur cette coïncidence entre l'hémisphère sud (les pays en développement) et les centres d'origine et de diversité en tant que concept scientifique.

Quoique l'objectif du concept " droits des agriculteurs" est de « permettre aux agriculteurs, aux communautés agricoles et aux pays de toutes les régions de profiter pleinement des bénéfices actuels et futures de l'utilisation améliorée de ressources phyto-génétiques. », le texte de la résolution 5/89 évoque expressément les pays en développement à plusieurs reprises : Il reconnaît de prime abord que «  la majorité de ces ressources phyto-génétiques provient de pays en développement où les agriculteurs n'ont pas été suffisamment indemnisés ou récompensés pour leur efforts » c'est pourquoi « les agriculteurs et spécialement ceux des pays en développement, devraient profiter pleinement de l'emploi sans cesse amélioré et croissant des ressources naturelles qu'ils ont préservées », il précise en outre que ces droits sont « ceux que confèrent aux agriculteurs et particulièrement ceux des centres d'origine et de diversité leurs contributions passés, présentes et futurs à la conservation, l'amélioration et la disponibilité de ces ressources ».

Il y a lieu de définir scientifiquement ce qu'on entend par centre d'origine et de diversité (a) pour conclure à la vision géopolitique attachée au concept "droits des agriculteurs" (b).

a- La définition scientifique du centre d'origine et de diversité :

Le concept du « centre d'origine et de diversité » qui a trouvé son chemin en droit positif est du au généticien Russe Nicolai Vavilov212(*). En étudiant des plantes collectées systématiquement partout dans le monde  ce généticien , qui a été à l'origine d'un grand travail de collecte et de conservation de plus de 150 000 variétés collectées à partir de 1925 suite à une série d'expéditions213(*), a pu forger ce concept en développant l'hypothèse que les centres de diversité maximale constituent les centres d'origine des espèces, «il estimait que la zone, ou une plante avait été domestiquée, pouvait être identifiée par l'analyse de sa variabilité génétique et la localisation des zones de plus grande diversité »214(*).

Seulement, et si l'on se réfère à d'autres théories scientifiques et notamment celle de l'américain Harlan, qui a pu approfondir l'analyse de Vavilov à travers la notion de « non centre »215(*) on se rend compte que les botanistes ne s'accordent pas sur ce concept.

En tentant d'expliquer la tendance à l'accumulation génétique dans les centres secondaires de diversité, le « non centre » correspond à des zones ou sont localisées des plantes cultivées dont l'analyse de la variabilité génétique conduit à suggérer une dispersion de la zone de domestication dans des conditions de biotopes et de diversité humaines variées.

En présentant les limites de la théorie de Vavilov216(*), Harlan soutenait l'idée que « l'analyse des origines, plante cultivée par plante cultivée fait apparaître clairement que bon nombre d'entre elles ne sont pas originaires des centres décrits par Vavilov. Certaines plantes cultivées n'ont même pas de centre de diversité. L'organisation est bien plus complexe et diffuse que Vavilov ne l'avait prévue. »217(*) .

On pense également que les centres d'origine sont souvent moins importants que les centres de diversification secondaire qui se sont développés au gré des déplacements des populations au cours des derniers millénaires. « Pour une culture donnée, ces centres de diversification secondaire et parfois tertiaire existent dans tous les pays ou la culture a une importance économique, souvent bien loin de la région d'origine de la domestication »218(*).

En dépit des divergences des botanistes quant à l'explication historique de la domestication des plantes : les 8 centres d'origine et /ou de diversité de Vavilov219(*) ou l'idée de centre et du « non centre » présentée par Harlan, on peut affirmer que l'activité de l'amélioration génétique qui fut entre les mains des agriculteurs était très décentralisée, chaque terroir avait ses propres populations des espèces cultivées ou « ses variétés locales ou de pays ( Landraces) et les plantes sauvages apparentées à nos plantes cultivées constituent l'essentiel de la source de variabilité génétique nécessaire à la création variétale moderne »220(*).

Il est par conséquent permis de s'interroger sur l'intérêt particulier porté à ces ressources en corrélation avec le concept des « droits des agriculteurs » et eu égard à la prise de conscience grandissante de la valeur économique de ces ressources.

En effet, cette superposition entre « les centre d'origine et de diversité » et l'hémisphère sud nous amène à conclure à une lecture politique de ce concept: Entre les différentes légitimités qui justifient la valorisation et l'appropriation des ressources phyto-génétiques, « les droits des agriculteurs » en tant que concept semble avoir un fondement dans les théories des botanistes : La conjonction entre la géographie et le fait historique, les interactions ancestrales entre l'homme et la nature telles que décrites dans le cadre de l'histoire de l'agriculture justifient la revendication des pays du tiers monde par rapport à une gestion équitable des ressources phyto-génétiques.

b- la lecture politique du concept « centres d'origine et de diversité » :

C'est l'idée de conciliation entre intérêts antagonistes dans l'ordre des légitimités qui a placé les agriculteurs à travers le concept du « centres d'origine » au coeur d'une revendication d'équité au profit des pays en développement telle qu'elle a été traduite au niveau des textes des résolutions 4/89 et 5/89 de la FAO.

En effet, la résolution 5/89 fait référence aux agriculteurs et particulièrement « ceux des centres d'origines » lorsqu'elle explique le concept « droit de agriculteurs » ; un intérêt particulier est également porté aux agriculteurs lorsque la résolution aborde la finalité de ce concept : « Pour aider les agriculteurs et les communautés agricoles de toutes les régions du monde, et spécialement ceux de lieux d'origine et de diversité des ressources phyto-génétique à protéger et conserver ces ressources et la biosphère naturelle ».

En outre, la résolution 4/89 a également reconnu le concept des « droits des agriculteurs » parallèlement aux droits des obtenteurs ce qui constitue un compromis entre les pays du tiers monde et ceux qui ont émis des réserves à l'Engagement International de la FAO. Par cette reconnaissance simultanée des « droits des agriculteurs » et des droits des obtenteurs, « on estimait, en effet, que les agriculteurs des pays du tiers monde avaient en quelque sorte façonné ces ressources génétiques, qu'il s'agisse de variétés domestiques traditionnelles, ou des plantes sauvages qu'ils avaient pu conserver du fait de leur pratiques culturales extensives. »221(*) .

Le concept « droits des agriculteurs » a été considéré à la base « d'un système officiel de reconnaissance et de récompense visant à encourager et renforcer le rôle permanent que jouent les agriculteurs et les communautés rurales dans la conservation et l'utilisation des ressources phyto-génétiques, cette interprétation essaie de concilier les attitudes des pays" riches en technique " et "ceux riche en gènes" afin de garantir l'accessibilité des ressources phyto-génétiques au sein d'un système équitable »222(*) .

Il s'agit d'une conciliation entre les intérêts divergents des pays du Nord et ceux du Sud dans une logique qui s'apparente selon la doctrine aux concessions pétrolières ou minières : «Si l'industrie voulait se servir des gènes prélevés dans ces plantes sauvages ou ces variétés cultivées locales, il faudrait payer des redevances ou un « ticket d'entrée » qui vienne rémunérer les pratiques « conservatrices » des agriculteurs du tiers monde »223(*) .

En définitive, l'analyse du concept « des droits des agriculteurs » fondé sur une assise géographique qui est « les centres d'origine » et projeté dans cette perspective géopolitique des rapports économiques entre le Nord et le Sud ne doit pas occulter la vision historique liée au concept « centres d'origine », celle ci est plus problématique lorsqu'on envisage de préserver ce rôle de conservation des ressources phyto-génétiques par les agriculteurs à l'avenir.

II- Les centres d'origine :Une vision historique :

Les centres d'origine et de diversité en tant que concept scientifique explique l'évolution des rapports entre l'homme et la nature : En effet, et depuis 10 000 ans, l'homme a domestiqué les espèces sauvages et amélioré les plantes cultivées afin de satisfaire à ses besoins. Ainsi, « L'histoire des variétés végétales que nous cultivons et consommons de nos jours peut être décrite comme le projet de recherche le plus étendu dans le temps et le plus innovant de l'histoire humaine »224(*) .

Depuis le 19ème siècle, ce rôle ancestral (a) a été relayé par l'amélioration génétique raisonnée, celle ci, en faisant appel à l'hybridation entre géniteurs susceptibles d'apporter des qualités complémentaires a été à l'origine d'une protection juridique afin de rémunérer les efforts des sélectionneurs qui commençaient déjà à commercialiser en Europe et aux Etats Unies leurs variétés végétales.

Un fait récent, la sélection variétale classique coexiste aujourd'hui avec la transgenèse en tant que méthode utilisée en matière d'amélioration variétale, ces méthodes de sélection constituent aujourd'hui une menace réelle de la sélection traditionnelle par les agriculteurs.

Partant de la nécessité d'assurer aux agriculteurs les conditions propices pour la poursuite de cette oeuvre qui date de millénaires (b), peut-on conclure à la possibilité de la coexistence entre les trois systèmes de l'amélioration variétale ?

a- Un rôle ancestral des agriculteurs :

Les agriculteurs dans les centres d'origine et de diversité ont de tout temps contribué à la variabilité génétique. La domestication des espèces sauvages et l'amélioration des plantes cultivées par les agriculteurs sont des pratiques très anciennes, en effet,  « la sélection traditionnelle des individus présentant les caractères les plus intéressants a été pratiquée depuis des millénaires par des paysans »225(*).

Il s'agit d'un rôle ancestral dans la mesure où la domestication retrace l'histoire de l'agriculture mode de production qui se détachait de la chasse et de la cueillette en tant que mode de vie de l'homme primitif226(*). En effet, « l'home est sur terre depuis deux millions d'années, pendant 99% de ce temps, il a été chasseur-cueilleur, c'est seulement au cours de 10 000 dernières années qu'il a commencé à domestiquer les plantes et les animaux »227(*) .

En décrivant cette évolution, Harlan l'a qualifié de l'étroite symbiose entre l'agriculture et l'humanité, il a par ailleurs mis en exergue le stéréotype du chasseur qui «contenait l'idée que les peuples des chasseurs-cueilleurs étaient trop nomades pour pouvoir cultiver des plantes et trop ignorants et inintelligents pour comprendre leur cycle. L'idée de labourer ou de semer ne leur était jamais venue et ils n'avaient pas l'intelligence nécessaire à sa conception »228(*) pour affirmer que l'apparition de l'agriculture n'est pas nécessairement liée à la sédentarisation des populations agricoles.

Seulment certains auteurs confirment que c'est par la sédentarisation que l'homme s'est en quelque sorte approprié de ces ressources pour lesquelles a alors commencé « le long processus de la domestication, de l'acclimatation à des milieux divers de la diversification et de l'amélioration d'où découle la grande diversité d'espèces végétales »229(*).

Ainsi, les hommes « ont domestiqué environ 3000 espèces végétales, dont seulement 150 sont couramment cultivées à travers le monde alors qu'ils existe environ 240 000 espèces végétales »230(*).

En effet, les systèmes agraires traditionnels, par l'hétérogénéité qu'ils avaient su maintenir ont eu plutôt des conséquences positives sur la biodiversité, c'est pourquoi « l'adaptation progressive aux caractéristiques écologiques locales par plusieurs générations d'agriculteurs a engendré des milieux, des races animales, des populations végétales d'une grande variété »231(*).

La production par les agriculteurs de leurs propres semences est une pratique séculaire aujourd'hui menacée, « cette menace résulte de la volonté des semenciers industriels d'accroître leurs marchés et se concrétise par l'évolution des réglementations ( évolution du droit d'obtentions végétales par exemple) et des technologies (semences hybrides, organismes génétiquement modifiés, gène terminator...) ».232(*)

Il est par conséquent redoutable que l'uniformisation génétique à laquelle on assiste depuis la révolution verte ne s'aggrave avec l'avènement de la transgenèse en tant que méthode de sélection variétale, « ainsi, les ressources de variation nécessaires à l'amélioration future tarissent et disparaissent sous nos yeux »233(*) , d'où l'on peut conclure à l'impact négatif de ces transformations qui menacent le rôle ancestral des agriculteurs.

b- Une oeuvre à poursuivre :

Dans les résolutions 5/89 sur les droits des agriculteurs et la résolution 4/89 portant sur l'interprétation concertée de l'Engagement International de la FAO, la menace n'est appréhendée que par rapport au rôle des agriculteurs s'agissant de la conservation des ressources phyto-génétiques.

La résolution 5/89 en établissant un lien positif entre le maintien de ce rôle et « la protection de la biosphère », a retracé comme objectif de faire en sorte que « la conservation des RPG soit mondialement reconnue » et des fonds soient disponibles à cet effet.

En dépit des préoccupations écologiques qui animent les rédacteurs de ce texte, celui ci semble s'insérer dans une vision économique des RPG qui vise à imposer un accès rémunéré à ces ressources. Seulement dans le mécanisme proposé par le texte pour cette rémunération, on ne saurait pas trop la part qui coïncide avec la valeur économique de la ressource et celle qui constitue la contrepartie des efforts des agriculteurs en terme de conservation, celle ci pourrait être considérée comme un service rendu pour la protection de la biosphère.

Il est remarquable que ce texte, qui recourt au concept des centres d'origine et de diversité pour justifier les droits des agriculteurs dans cette perspective historique : « contribution passées présentes et futures », passe sous silence les menaces qui risquent de remettre en cause ce rôle ancestral notamment dans les pays en développement.

Alors que « nous somme à un moment critique de l'histoire, ou l'agriculture moderne basée sur un nombre réduit d'espèces et de variétés très performantes est en passe d'éliminer les agricultures paysannes et vivrières »234(*), la résolution 5/89 semble s'insérer plutôt dans le cadre cette revendication à l'accès aux technologies variétales « les agriculteurs, et spécialement ceux des pays en développement, devraient profiter pleinement de l'emploi sans cesse amélioré et croissant des ressources naturelles qu'ils ont préservées ».

En effet, c'est cette prise de position favorable aux technologies variétales qui explique la reconnaissance simultanée des droits des obtenteurs et des droits des agriculteurs au niveau de l'interprétation concertée, la compatibilité entre les droits des obtenteurs et le concept "droits des agriculteurs" semble se justifier dans le contexte de l'UPOV 1978 qui reconnaissait le privilège du fermier, on peut même conclure à la possibilité d'une articulation entre les deux textes.

L'interprétation concertée prévoit qu' « un Etat ne peut imposer au libre échange du matériel visé à l'article 2.1 de l'Engagement International que les restrictions minimales nécessaires au respect de ses obligations nationales et internationales ».

A la lumière de cette disposition peut-on conclure également à la compatibilité entre l'UPOV 1991 et l'Engagement International réinterprété ? Cette disposition n'est- elle pas en fait une porte ouverte pour des solutions qui sous prétexte de restrictions minimales aboutissent à des contradictions avec les objectifs de l'Engagement et à la mise en échec du concept «  droits des agriculteurs »?

En effet, les évolutions techniques et leur prise en charge d'une manière anticipative par le Droit (notamment les droits de la propriété intellectuelle) pourraient éventuellement nous laisser sceptiques sur les possibilités de poursuivre cette oeuvre qui date de millénaires s'agissant de la conservation des RPG par les agriculteurs.

Seulement, le contenu normatif du concept des "droits des agriculteurs" semble s'étendre au delà des impératifs relatives à la conservation à un droit d'accès aux utilisations améliorées des RPG et à la répartition des bénéfices qui en découlent. Dés lors peut-on conclure à la nature juridique de ces droits?

B- Nature juridique équivoque des "droits des agriculteurs":

En dépit du parallélisme établi entre les droits des obtenteurs et "les droits des agriculteurs" dans les résolutions de la FAO, ces derniers n'appartiennent pas à la catégorie des DPI, on soutient parfois qu'« il s'agit d'un droit général à tous les agriculteurs au sens politique du droit du travailleur, les semences sont à ceux qui la travaillent et le travail ne confère pas de droit de propriété »235(*).

La connexité entre le concept «  droits des agriculteurs » et le régime de la liberté d'accès aux ressources phyto-génétiques tel que prévu par l'Engagement International, découle de la prise de conscience de la valeur économique de ces ressources : S'agit-il d'un prix sur un marché dont les conditions sont imparfaites ou plutôt d'une simple rémunération de l'accès aux gènes pour des raisons d'équité236(*) (1).

L'imprécision des résolutions de la FAO sur la nature juridique de ces droits à promouvoir pourrait même nous suggérer les idées de la compensation économique, et celle du dédommagement, celles ci traduisent le souci de remédier à une situation de départ caractérisée par l'inégalité des rapports entre fournisseurs d'une matière première (les gènes) et détenteurs des technologies innovatrices d'où l'on peut conclure à la revendication d'une inégalité compensatrice (2).

1-Le droit au bénéfice contrepartie de l'accès libre et rémunéré aux RPG :

La liberté d'accès ne signifie pas un accès gratuit aux RPG. La résolution 4/89 portant sur les droits des agriculteurs qui précise à cet effet que l'expression "libre accès" ne signifie "accès gratuit" dépasse le texte initial de l'article 5 de l'Engagement International qui dispose que « les gouvernements et instituts adhérant au présent Engagement qui disposent de ressources phyto-génétiques assureront le libre accès aux échantillons de ces ressources et en autoriseront l'exportation lorsqu'elles sont demandées pour le recherche scientifique, la sélection ou la conservation. Les échantillons seront fournis gratuitement sous réserve de réciprocité ou à des conditions approuvées de commun accord ».

Cette vision d'un accès libre mais rémunéré aux RPG traduit en réalité un rééquilibrage qui vise à mettre sur pied d'égalité les obtenteurs et les agriculteurs non pas sur la base de leurs rôles respectifs dans le domaine de l'amélioration variétale mais sur la base d'une externalité positive en faveur des agriculteurs considérés comme "les conservateurs" de l'agro-biodiversité pour « la protection de la biosphère», et de leurs pays disposant d'une matière première à valoriser.

Cette double vision découle de l'interprétation de la résolution 5/89 portant sur "les droits des agriculteurs" qui appuie ce concept notamment pour « permettre aussi aux agriculteurs, aux communautés agricoles et aux pays de toutes les régions du monde de profiter pleinement des bénéficies actuels et futurs de l'utilisation améliorée des ressources phyto-génétiques par la sélection et autres méthodes scientifiques ».

En effet, l'utilisation améliorée des RPG est une utilisation commerciale qui découle aussi bien des méthodes classiques de la sélection variétale que des méthodes faisant recours aux procédés biotechnologiques. L'Engagement International de la FAO, même dans sa version réinterprétée a retenu une définition partielle des RPG en tant que variétés végétales à l'exclusion des gènes isolés et a conclu à la compatibilité des droits des obtenteurs selon le système UPOV avec l'Engagement International de la FAO et a passé sous silence la question de « sa compatibilité » avec le système du brevet.

La rédaction du texte nous amène à supposer que les bénéficies en question sont générés par les activités de sélection variétale objet de protection par les COV dans le système de l'UPOV, la référence également à la résolution 4/89 aux "autres méthodes scientifiques" peut nous faire penser à la transgènese en tant que méthode d'amélioration variétale. Etant confinée dans le domaine de la production agricole, on peut donc exclure du champ de ce droit aux bénéfices toutes les utilisations commerciales de la biodiversité à l'exception celle de la production des semences237(*).

Quoique les agriculteurs ont pu assurer depuis 1'ére néolithique le contrôle du système semencier par la sélection et l'amélioration des variété végétales, l'apparition de ces nouvelles méthodes scientifiques de sélection qui ne sont qu'une accélération technique du processus de l'amélioration variétale à travers une activité inventive qui consiste «  à assembler des gènes, au même titre qu'un peintre assemble des couleurs ou qu'un compositeur assemble les notes de musique »238(*)font recours aux ressources phyto-génétiques primaires.

Celles ci, en faisant l'objet d'un projet scientifique d'amélioration variétale par croisement ou hybridation ou même par l'extraction d'un gène présentant un caractère susceptible d'accroître le rendement, la rusticité ou la résistance aux pathogènes aboutit à la création d'une variété nouvelle, on peut dire que le résultat obtenu c-à-d la nouvelle variété n'acquiert son caractère ou ses caractères nouveaux que grâce à la ressource primaire qui peut être une variété traditionnelle ou une espèce sauvage apparentée aux plantes cultivées. La richesse induite par cette valeur ajoutée ne peut l'être que grâce à la composition initiale.

Néanmoins, cette vision est quelque peu perturbée par le conflit qui pourrait surgir entre l'objectif de la conservation et celui de l'utilisation commerciale dans le cadre d'un régime de liberté d'accès aux ressources phyto-génétiques ; En effet, la résolution 5/89 portant sur « les droits des agriculteurs » met en exergue « les bénéficies qui reviennent aux agriculteurs », ceux ci sont logiquement générés par une utilisation commerciale et sont la contrepartie de cet accès rémunéré, comment peut-on concilier une utilisation commerciale avec ses conséquences en termes d'uniformisation génétique et l'objectif de la conservation de l'agro-biodiversité? Une inégalité compensatrice est elle envisageable au profit des agriculteurs ou de leurs pays afin de poursuivre ce rôle de conservation?

2- Une inégalité compensatrice pour la conservation des RPG :

Le rôle des agriculteurs quant à la conservation des ressources phyto-génétiques devrait normalement placer ces ressources en dehors de la sphère économique afin d'assurer les conditions propices pour la poursuite de cette grande oeuvre entreprise par des générations d'agriculteurs pour «la protection de la biosphère naturelle»238(*).

C'est cette dualité de référence au régime d'accès aux RPG appréhendées par les PVD comme une ressource économique et aux impératifs de leur conservation comme élément d'un patrimoine commun de l'humanité qui est à l'origine d'une nature juridique ambiguë des «droits des agriculteurs » d'où l'on peut conclure à l'imprécision du contenu normatif de ce concept.

Les agriculteurs sont les gardiens de l'agro-biodiversité, à ce titre ils contribuent à la protection de « la biosphère naturelle », il est légitime de se demander si la valeur de ces ressources est considérée comme la contrepartie de l'accès à une matière première selon la vision des PED ou si elle rémunère selon une vision écologique les efforts de la conservation par les agriculteurs qui placent ceux ci en dehors de la logique marchande?

La réponse n'est pas aisée dans la mesure que selon une vision économique, la reconnaissance simultanée des droits des obtenteurs et des agriculteurs n'est pas basée sur leurs rôles respectifs par rapport à la sélection des variétés végétales : Les premiers sont considérés comme innovateurs alors que les seconds sont les gardiens de ressources considérées par leurs pays comme matière première , c'est cette logique « de la matière première contre la technologie » qui explique la revendication de l'accès rémunéré et qui semble fonder les droits des agriculteurs aux bénéfices.

Deux hypothèses sont à analyser : Dans la première, on suppose que les bénéfices sont la contrepartie de l'utilisation des RPG dans le régime de la liberté d'accès, pour la seconde on part de l'idée de la récompense des agriculteurs pour leurs efforts pour la conservation de ces ressources pour affirmer que ces bénéfices ne sont que la contrepartie de la conservation. L'analyse de ces deux hypothèses passe inévitablement par l'étude des engagements de la communauté internationale au titre de la réalisation des "droits des agriculteurs".

* 212A vrai dire , c'est « Alphonse de Candle ,Botaniste Français de 19éme siècle qui a publié en 1883 dans son ouvrage « l'origine des plante cultivées » une première synthèse sur l'origine des espèces végétales domestiques à partir des considérations géographiques ,ethnographiques et d'autres données académiques" ».voir à ce propos . Glachant (Mathrieu), Leveque (François). Bonjean (Alain), op cit. P52-53.

* 213 Chevassus-au_Louis (Bernard) « L'appropriation du vivant : de la biologie au début social » in le courrier de l'environnement de l'INRA n°40,juin 2000.Edition Electronique sur l'adresse suivante http://www.inra.fr/dpenv. P 10. Ou également : sur cette adresse http://www.infothèque.info/ressource/909.html/.

* 214 Glachant (Mathieu), lévèque (Francois), Bonjean (Alain), ibid, P 52.

* 215 Sur la répartition des centres et des non centres selon les théories de Vavilov telle que revue par Harlan; Voir partie annexes.

* 216 Harlan (JR), Les plantes cultivés et l'homme, Edition PUF, Paris 1987, P65. L'auteur écrivait à ce propos." Le concept de centre d'origine a beaucoup évolué depuis Vavilov. Fondamentalement son travail a consisté à tracer des limites autour des zones ou l'agriculture était pratiquée depuis longtemps et ou une civilisation indigène était apparue ; la géographie et la variation des plantes cultivées dépend beaucoup de la géographie et de l'histoire de humanité."

* 217 Idem .

* 218Position de l'Assinsel sur l'accès aux ressources phytogénétiqes pour l'alimentation et l'agriculture et le partage des avantages (adoptée en Juin 1998). File://a:/positio%20 l'ASSINSEL.

* 219 Voir partie annexes.

* 220 Harlan (JR), op cit, P 50.

* 221 Hermitte (Marie Angèle), Rapport introductif : Enjeux et stratégies in Ouvrage collectif : Droit et génie génétique, premier bilan international et européen des réglementations et des nouvelles politiques, Soumaste (Serge) -sous la direction- , Biofutur, Paris, P 18.

* 222 Révision de l'Engagement International questions à examiner pour l'étape 2 : Accès aux ressources phyto-génétiques et droits des agriculteurs, document de la 1ére session extraordinaire de la commission des ressources phyto-génétique Rome 7-11 novembre 1994, P 9.

* 223 Hermitte (Marie Angèle), Enjeux et stratégies in Droit du génie génétique végétal, Edition Librairies Techniques, Rapport introductif  précité. P19. Mme Hermitte considère également que «la convention de Rio sur la biodiversité n'est qu'une sorte d'extension du système du droit des agriculteurs mis en place par la FAO . »

* 224 Grain et Gaia cité par Brac de La Perrière (Robert Ali), Seuret (Frank), Graines suspectes : Une menace pour les moins nantis, Editions Céres, Tunis, 2002, Collection « Enjeux Planète ». P 172.

* 225 Mekouar (Mohamed Ali). Article précité. P 44.

* 226 S Prakash (Channapatra), « le débat autour des organismes génétiquement modifiées dans le contexte de l'évolution agricole » in Séminaire régional sur la biotechnologie « les organismes génétiquement modifiés. Tunis 23-24 janvier 2002 organisé par le MEAT et l'USDA, P 4-7.

* 227 Harlan (JR) , op cit, P 3.

* 228 Idem. P54

* 229 Feyt (Henri), Sontot (André), Aspects juridiques des ressources génétiques sauvages, Cahiers d'études et de recherches francophones, Agriculture. Volume 9, n°5 septembre/octobre 2000. P 1. Edition électronique sur le site web : http://www.john-libbey-eurotext.fr/fr/print/e-doc/00.../article.m.

* 230 Hervé (Yves), « De la semence originelle aux OGM  acquis et risques » in actes du séminaire Semence de ferme, P 5.

* 231 Leclech (Bernard), Environnement et agriculture, Editions Synthèses agricoles, Paris, P 232.

* 232 L'environnement dans les négociations commerciales multilatérales :Un passage obligé ? Actes des journées de débats, octobre 1999, Publication de Solagral, 2000, P 94.

* 233 Harlan (JR), op cit, P 311.

* 234 Chauvet (Michel), les ressources génétiques et la biodiversité états des connaissances et pistes pour l'action, in Problèmes de l'environnement, dires d'experts. Edition Entreprises pour l'environnement, Paris, P 86.

* 235 Ilbert ( Hélène),  La convention sur la diversité biologique et les DPI : Enjeux et perspectives, Etude pour le Ministère de l'Environnement et de l'aménagement du Territoire, Solagral, Avril, 2001, P 18.

* 236 La double reconnaissance de droits des obtenteurs et des agriculteurs dans la résolution 4/89 portant sur l'interprétation concertée de l'engagement international.

* 237 Feyt (Henri), Sontot (André), article précité.

* 238Résolution 5/89 portant sur les droits des agriculteurs.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry