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L'identification de l'acte de contrefaçon de marque en Tunisie

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par Kaïs Berrjab
Faculté des Sciences Juridiques, Ploitiques et Sociales de Tunis - DEA en Sciences Juridiques Fondamentales 2004
  

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Introduction

De tout temps, l'atteinte à la propriété soit plus généralement l'usurpation du bien d'autrui faisait l'objet d'interdits sociaux, quel que soit l'ordre normatif dans lequel la prohibition puise son discours fondateur. Appliquée aux droits du propriétaire d'une marque de fabrique, de commerce ou de services, l'atteinte ou l'usurpation se désigne par un terme spécifique dénommé l'acte de contrefaçon de marque.

Une fois saisie par le droit, en l'occurrence la législation des marques, une telle atteinte devient sujette à identification et à une qualification afin de lui appliquer le régime juridique qui lui est propre. Dans ce contexte s'insère la présente étude ayant pour finalité l'identification d'un fait juridique particulier : l'acte de contrefaçon de marque.

Elevé au rang des droits faisant l'objet de garanties constitutionnelles,1 le droit de propriété est défini par l'article 17 du code des droits réels 2 comme étant celui qui « confère à son titulaire le droit exclusif d'user de sa chose, d'en jouir et d'en disposer. »

Etant le plus complet des droits réels,3 le droit de propriété visait originairement et depuis la nuit des temps les biens 4 corporels qui se divisent, au sens de l'article 2 du CDR, en biens meubles et immeubles.5

Compte tenu de sa définition rigide, le bien immeuble constitue une catégorie close fermement cloisonnée par la loi. Les biens meubles sont par contre une catégorie ouverte susceptible d'englober toute chose qui ne rentre pas dans la stricte définition de l'immeuble.6

« Chaque catégorie de biens comporte une forme d'appropriation à elle particulière (...) Il n'y a pas une propriété ; il y a des propriétés, parce que l'intérêt de la société est que l'appropriation des biens comporte des statuts en harmonie avec les buts poursuivis, lesquels varient beaucoup ; le droit de propriété est un des plus souples et des plus nuancés qui figurent dans les différentes catégories juridiques ; sa plasticité est infinie. »7

La plasticité dont parlait Josserand a permis d'étendre le droit de propriété à des biens incorporels ou sans réalité physique. Ces biens n'existent que dans la mesure où la loi a disposé ainsi, leur existence vient de la loi et par une décision de celle-ci.

1 Le droit de propriété est un droit fondamental garanti par l'article 14 de la constitution tunisienne du 1er juin 1959 en ces termes : « Le droit de propriété est garanti. Il est exercé dans les limites prévues par la loi. » ; Sur le statut constitutionnel du droit de propriété, voir Fadhel Moussa (M-L) : « La constitution et le droit de propriété en Tunisie » RTD 1986. p. 371.

2 Le Code des Droits Réels a été promulgué par la loi n°5-65 du 12 février 1965.

3 Selon le doyen CARBONNIER, le droit réel s'entend d'un « pouvoir juridique qu'a une personne de retirer directement tout ou partie des utilités économiques d'une chose [...] La chose est comme assujettie à la personne, obligée de lui obéir ; et c'est en quoi on peut parler d'un droit sur la chose » J. Carbonnier, Droit civil, T. 3, Les biens, 12ème éd. Thémis, PUF 1988, n°12. p. 62.

4 Au sens de l'article 1 CDR, « Les biens sont toutes choses qui ne sont pas hors du commerce par leur nature ou par disposition de la loi et qui peuvent faire l'objet d'un droit ayant une valeur pécuniaire. »

5 Selon l'article 3 du CDR, « est immeuble toute chose fixe qu'on ne peut déplacer sans dommages. »

6 Voir en ce sens, CHARFI (M) & MEZGHANI (A): « Les droits subjectifs » Sud Editions 1995. (en arabe), p. 47.

7 JOSSERAND (L) : « Cours élémentaires de droit civil », 1929, T. 1, n°1517. p. 839.

Etant donné qu'ils ne peuvent être qualifiés d'immeubles, les biens incorporels sont naturellement rangés parmi les biens mobiliers non pas naturels mais ceux qui, au sens de l'article 13 du CDR, le sont « par détermination de la loi. »

Objets d'appropriation, les biens incorporels peuvent être le siège d'un droit de propriété que la doctrine tend à désigner sous le vocable de propriété incorporelle comme pour rendre compte du caractère soit immatériel soit intellectuel de cette propriété.

C'est précisément à la catégorie des propriétés incorporelles que participe l'ensemble des droits portant sur des choses intellectuelles et que l'on désigne par la dénomination générique : Droits de Propriété Intellectuelle lesquels faisant l'objet d'une discipline juridique à part entière et qui comprend « toutes les règles tendant à la protection des droits de propriété industrielle, des droits d'auteur et du savoir-faire. »1

Bien que leur objet soit purement intellectuel, ces droits évoquent le droit de propriété 2 par leur opposabilité à l'égard des tiers, une opposabilité qui permet au titulaire de ces droits de les défendre contre quiconque y porte atteinte, la propriété est aussi étendue à ces droits afin de mettre l'accent sur le droit exclusif d'user et de disposer de ces biens intellectuels.

Au-delà de son unité terminologique et de son objet foncièrement immatériel, la notion de propriété intellectuelle abrite des catégories de biens hétérogènes, elle se divise classiquement en Propriété littéraire et artistique d'une part, et en Propriété industrielle d'autre part.

Selon Carbonnier, la Propriété littéraire et artistique, ou encore le droit d'auteur, est « l'ensemble des prérogatives qui appartiennent à l'écrivain ou à l'artiste (peintre, sculpteur, musicien, etc.), sur son oeuvre ».3

1 CHAVANNE (A) & BURST (J-J) : Droit de la propriété industrielle. 5ème éd, Dalloz Delta 1998.. p. 1.

2 Il est à noter que du point de vue de la qualification et la terminologie, l'appellation « droits de propriété intellectuelle » n'a cessé d'alimenter un épineux débat doctrinal, le problème s'est posé à la fois à propos de l'adjectif « intellectuel » qualifiant l'objet de ces droits et concernant le substantif « propriété » indiquant la nature de ce genre de droits. Bien entendu, eu égard à leur objet immatériel, on ne peut appliquer à ces droits mobiliers les règles du droit des biens régissant les meubles, ainsi, ils ne sont pas susceptibles de possession. Ces droits sont par ailleurs des droits temporaires alors que le droit de propriété se caractérise par sa perpétuité. On peut aussi reprocher à ces droits intellectuels de ne pas être purement intellectuels à tous les coups car il est des droits qui portent sur des objets qui n'impliquent généralement, en substance, aucune activité créative ou innovatrice tel que l'adoption d'une marque qui reprend un nom patronymique ou l'usage d'une appellation d'origine protégée. Sur l'ensemble de la question et les théories avancées en ce sens, voir POLLAUD-DULIAN (F) : Droit de la propriété industrielle. Montchrestien. E.J.A, Paris, 1999. n°8 à n°38. p. 3 et s.

3 Carbonnier (J) : op. cit. p. 377. La propriété littéraire et artistique est régie en droit tunisien par la loi n°94-36 du 24 février 1994 relative à la propriété littéraire et artistique. JORT n°17 du 1er mars 1994, p. 361.

Le droit d'auteur comporte deux composantes, l'une patrimoniale, l'autre morale, il reconnaît au créateur d'une oeuvre littéraire ou artistique un droit de paternité sur son oeuvre qui lui permet de s'opposer à la modification ou à l'altération de celle-ci sans qu'il n'y consente. Quant à l'attribut patrimonial du droit d'auteur, il permet à son titulaire de bénéficier d'un monopole d'exploitation sur son oeuvre, il est ainsi seul à en tirer les profits et il lui revient exclusivement d'ordonner sa publication et d'autoriser son exploitation selon les modes qu'il juge convenables.

Sur l'ensemble de la question, voir en ce qui concerne le droit tunisien : Ben Jemia (M) : « Cours de propriété intellectuelle » , 3ème année de la maîtrise en sciences juridiques, FSJPS, année universitaire 2002/2003. (non publié) ; Voir notamment concernant le droit français et international de la propriété littéraire et artistique, COLOMBET (C) : Propriété littéraire et artistique et droits voisins. 9ème éd, Dalloz Delta 1999 ; Voir aussi, Piotraut (J-L) : Droit de la propriété intellectuelle, Collection Référence Droit, Ellipses 2004. p. 27 et s.

Quant à la propriété industrielle, on regroupe sous ce vocable générique deux grandes catégories de droits incorporels à savoir le droit des créations industrielles et le droit des signes distinctifs.

Concernant le droit des créations industrielles, il couvre des objets et des techniques d'une originalité et d'une nouveauté absolue, on compte parmi ces droits le brevet d'invention,1 les dessins et modèles industriels,2 les obtentions végétales 3 ainsi que les schémas de configuration des circuits intégrés.4

Pour ce qui est du droit des signes distinctifs, il comporte essentiellement les marques de fabriques, de commerce et de services, les appellations d'origines contrôlées,5 le nom commercial,6 l'enseigne,7 la dénomination 8 et la raison9 sociale.

Bien que l'on soit tenté d'observer une certaine hiérarchie concernant la classification des droits portant sur les biens incorporels que constituent les signes distinctifs, on note néanmoins qu'ils ont pour trait commun de jouer « un rôle essentiel dans la concurrence : ils servent à distinguer les compétiteurs et leurs produits ou prestations les unes aux autres, aux yeux de la clientèle. La clientèle peut rattacher les produits ou services à l'entreprise qui en est responsable, choisir ses partenaires commerciaux en connaissance de cause. Le titulaire du signe y trouve un moyen de conquête et d'attachement de la clientèle, qui donne de la valeur à son fonds et lui permet d'empêcher toute confusion avec ses concurrents. »10

1 Les brevets d'invention étaient régis en droit tunisien depuis 1888 par le décret du 22 décembre 1888 portant loi sur les brevets d'invention. La nouvelle législation en la matière a vu le jour avec la promulgation de la loi n°84 2000 du24 août 2000, relative aux brevets d'invention. JORT n°68 du 25 août 2000. Selon l'article premier de cette loi, « toute invention d'un produit ou d'un procédé de fabrication peut être protégée par un titre, dénommé brevet d'invention qui est délivré par l'organisme chargé de la propriété industrielle et ce, dans les conditions déterminées par la présente loi. » Ce titre est délivré au sens de l'article 2 de la même loi « pour les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle ». Voir concernant le nouveau cadre juridique des brevets d'inventions en Tunisie, « Brevets d'invention » in Le Manuel Permanent du Droit des Affaires Tunisien, Cabinet Salah Ammamou. Mise à jour septembre 2000. p. 1 et s.

2 Le droit tunisien des dessins et modèles industriels était réglementé par le décret du 25 février 1911, ce décret a été abrogé par la loi n° n°2001-21 du 6 février 2001, relative à la protection des dessins et modèles industriels.

3 Le droit sur les obtentions végétales est régi par la loi n°99-42 du 10 mai 1999, relative aux semences, plants et aux obtentions végétales telle que modifiée par la loi n°2000-66 du 3 mars 2000.

4 Voir en ce sens la Loi n°2001-20 du 6 février 2001, relative à la protection des schémas de configuration des circuits intégrés. Sur la question, voir notamment : CHAVANNE (A) & BURST (J-J) : op. cit. p. 394 et s.

5 L'appellation d'origine protégée est un signe distinctif indiquant l'origine géographique et certifiant la production et la qualité d'un produit donné selon des méthodes originales d'une localité ou d'une région déterminée et réputée dans la fabrication ou la production d'un tel produit. L'usage de ce signe fortement distinctif et attractif est soumis à des conditions légales et réglementaires très strictes et à un contrôle permanent de qualité et de conformité aux usages et normes de production. Voir en ce sens, sur la réglementation stricte des appellations d'origine contrôlée des produits agricoles, la loi n°99-57 du 28 juin 1999. J.O.R.T 1999, n°2. p. 1088.

6 Le nom commercial est le nom sous lequel une personne exerce l'exploitation effective d'un fonds de commerce afin de le distinguer des autres fonds de commerce similaires. Voir en ce sens, « Nom commercial » in Le Manuel Permanent du Droit des Affaires Tunisien, Cabinet Salah Ammamou. Mise à jour juillet 1994. p. 1 et s.

7 Selon Chavanne et Burst, « l'enseigne est un signe visible qui sert à distinguer un établissement commercial et à permettre au public de ne pas le confondre avec un autre », op. cit, N°1382. p. 841.

8 La dénomination sociale se définie comme le nom adopté par une société de capitaux.

9 La raison sociale est la désignation, incluant le nom patronymique d'au moins un associé, de l'éventuelle société de personnes qui exploite un fonds de commerce.

10 POLLAUD-DULIAN (F) : Droit de la propriété industrielle. Montchrestien. E.J.A, Paris, 1999. n°1033. p. 461.

Le fait de porter sur des choses incorporelles et intellectuelles ne suppose aucunement que l'usage ou l'adoption d'un signe distinctif implique une quelconque activité inventive témoignant d'une originalité particulière.1

Ainsi, on peut estimer que les signes distinctifs ne sont rangés parmi les droits de propriété intellectuelle et plus précisément la propriété industrielle qu'en fonction de leurs objets incorporels, leur originalité ou nouveauté est largement relative car ils n'ont pour fonction que d'accompagner ou garantir l'origine d'un produit ou d'un service rendu par un opérateur économique. Ils permettent en outre de distinguer le commerce et l'établissement d'un commerçant par rapport à ceux détenus par des concurrents.

Ce sont donc des signes visibles qui servent au ralliement de la clientèle autour d'une entreprise ou d'un fonds de commerce auquel les signes distinctifs participent en tant qu'éléments incorporels.2

Au sommet de la pyramide des signes distinctifs, la marque occupe à plusieurs titres, à coté de l'appellation d'origine contrôlée, une place de choix. Etant une création ingénieuse du droit des marques, la marque se présente comme un sceau, une empreinte ou un signe visible et distinctif qui sert à distinguer, dans le commerce, les produits ou les services d'une personne physique ou morale.

La marque n'a pour fonction légale que de rattacher d'une manière certaine un produit ou un service à la personne ou à l'entreprise qui l'a produit ou offert sur le marché et qui en assume, en conséquence, la responsabilité à l'égard des tiers. La marque n'est jamais, en principe, une garantie de la qualité ou des propriétés du produit ou service qu'elle désigne. La garantie de la qualité est par ailleurs régie par la loi sur la protection du consommateur et la législation sur les fraudes.

La reconnaissance de la marque et du droit de propriété dont elle fait l'objet est relativement récente en droit tunisien comme en droit comparé.3

En droit tunisien, il semble que la production législative relative à la propriété industrielle et plus précisément celle des marques n'a fait que répondre aux engagements internationaux de la Tunisie résultant des conventions auxquelles elle a adhéré. Tout s'est passé comme si le législateur tunisien entendait honorer ses engagements conventionnels parallèlement à la signature d'une convention qui traite de la protection des droits sur la marque.

1 Les signes distinctifs tel que la marque ne servent qu'à rallier, fidéliser et informer la clientèle à propos de l'origine d'un produit ou d'un service offert dans le commerce. Pour arriver à se distinguer eux et leurs produits, les commerçants font appel à des signes plus ou moins originaux et suffisamment distinctifs par rapport à ceux employés par des établissements similaires et concurrents. La créativité n'est donc pas de mise.

2 En tant que bien unitaire, meuble et incorporel, le fonds de commerce est constitué de biens mobiliers affectés à l'exercice d'une activité commerciale à savoir la clientèle et l'achalandage. Il comprend aussi, au titre de l'article 189 alinéa 3 du code du commerce tunisien, « sauf dispositions contraires, tous autres biens nécessaires à l'exploitation du fonds, tel que l'enseigne, le nom commercial, le droit au bail, le matériel, les marchandises, les brevets, marques de fabrique, dessins et modèles, droits de propriété littéraire et artistique. » Concernant les éléments non obligatoires du fonds de commerce, voir : Christine Labastie DAHDOUH & Habib DAHDOUH : Droit commercial, 1ère éd, I.O.R.T 2002. volume I. p. 325 et sui.

3 Concernant l'historique de la reconnaissance du droit sur la marque ainsi que sa protection en droit français, voir notamment, POLLAUD-DULIAN (F) : op. Cit. P. 2 et sui ; Piotraut (J-L) : Droit de la propriété intellectuelle, Collection Référence Droit, Ellipses 2004. p. 11 et sui ; CHAVANNE (A) & BURST (J-J) : op. cit. p. 484 et sui.

En effet, après avoir adhéré, en date du 7 juillet 1884,1 à la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle - dite aussi Convention d'Union de Paris - signée le 20 mars 1883, la première législation tunisienne relative aux marques a vu le jour en vertu du décret beylical du 3 juin 1889 portant loi sur les marques de fabriques et de commerce.2

Ne dépassant pas les 29 articles, ce décret avait pour handicap d'être trop économe pour gérer une matière aussi complexe que le droit des marques. Bien qu'il ait repris quelques règles matérielles énoncées dans la Convention de Paris, le décret du 3 juin 1889 est, à mains égards, le produit d'une réception juridique dans la mesure où il témoigne d'un emprunt 3 pur et simple de la loi française sur les marques datant du 23 juin 1857.

Le-dit décret prévoyait une protection relativement satisfaisante du droit sur la marque face à la contrefaçon qu'il ne défini pas d'ailleurs, il subordonne en outre l'accès à la protection pénale du droit à la marque à l'accomplissement d'un acte spécifique, en l'occurrence le dépôt. En déposant une marque auprès de l'autorité compétente à cet effet, un commerçant pourra se réserver le droit exclusif d'user et d'exploiter cette marque afin de désigner ses produits ou son commerce.

A une époque où le secteur des services n'a pas encore dominé l'économie, le décret du 3 juin 1889 ne reconnaissait bien évidemment que les marques de fabriques et de commerce. La marque de fabrique est celle qui « appartient à l'industriel qui fabrique un produit et l'appose sur ses propres produits ».4 Quant à la marque de commerce, elle consiste en la marque qu'un commerçant appose pour désigner des produits qu'il n'a pas fabriqués, « elle est le signe du soin qu'il met à sélectionner les produits qu'il vend et à choisir entre les divers fabricants. » 5

Le décret du 3 juin 1889 avait régi la marque en Tunisie pendant près de 112 années sans qu'il soit notablement modifié afin de l'adapter au contexte évolutif de la vie économique.

L'anachronisme du décret de 1889 témoigne sans doute du fait que la législation des marques et par delà leur protection n'a jamais été un besoin pressant se fondant sur une rationalité 6 propre au système juridique tunisien ou répondant aux aspirations ou à la pression des opérateurs économiques tunisiens.

Le décret fût abrogé suite à l'avènement de la nouvelle législation tunisienne des marques, c'est-à-dire la loi n°36-2001 du 17 avril 2001.

1 Information fournie par l'I.NNORPI. La Convention de Paris n'a été rendue applicable en Tunisie que cinquante ans plus tard en vertu du décret beylical du 2 janvier 1940 publié au Journal Officiel Tunisien (JOT) du 14 mars 1940.

2 Publié au Journal Officiel Tunisien du 6 juin 1889, p. 167.

3 Dans une large mesure, la protection des marques par le décret du 3 juin 1889 décret s'analyse comme la mise en forme juridique de la domination politique française exercée sur le territoire tunisien. Les marques, à l'époque, revenaient dans leur quasi-totalité aux entreprises et aux colonisateurs français, la protection de la marque alors ne pouvait que soutenir et garantir leurs intérêts et investissements.

4 CHAVANNE (A) & BURST (J-J) : op. cit. n°865. p. 481.

5 Ibid. P. 482.

6 Appliquée aux règles juridiques elles-mêmes, la rationalité se présente comme un « ordre structuré dont les éléments ne sont pas liés au hasard ou arbitrairement qui de plus est toujours censé incarner de façon intrinsèque ou du moins pouvoir véhiculer des valeurs positives et qui est considéré comme propre à (ou prôné comme souhaitable pour) la conduite des hommes à certains égards, ou qui, à tout le moins, relève de données objectives déterminantes pour rendre possible une telle conduite ». Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2ème édition, L.G.D.J 1993. p. 504.

Comme son objet l'indique, la loi n°36-20011 est « relative à la protection des marques de fabrique, de commerce et de services », la protection de la marque semble donc a priori occuper une place de choix au sein de cette loi.

La loi n°36-2001 a, dans une large mesure,2 vu le jour dans le dessin d'harmoniser le droit tunisien des marques avec les engagements internationaux de la Tunisie en la matière.

Ayant adhéré à la convention du 15 avril 1994 portant création de l'Organisation Mondiale du Commerce, la Tunisie s'est engagée 3 à se doter d'une législation relative aux marques en harmonie avec le standard international conçu par une annexe de cette convention et dénommée « Accord sur les « Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce » »4 désigné aussi par l'abréviation : Accord sur les ADPIC.

Cet accord prévoyait une protection minimale à respecter par les Etats signataires concernant les droits de propriété intellectuelle, il s'est inscrit, en outre, dans la continuité de la Convention d'Union de Paris tout en innovant sur certains sujets.

A son tour, la loi n°36-2001 s'est conformée aux standards internationaux en la matière tout en assurant, théoriquement, une protection relativement satisfaisante des droits du propriétaire de la marque. A ce stade, l'efficacité 5 de cette loi ne peut être appréciée que d'un point de vue statique ou textuel, le court laps de temps séparant cette étude de sa mise en oeuvre ne permet certainement pas d'apprécier, à sa juste valeur, son effectivité 6 et son adéquation aux fins de protection de la marque qu'elle poursuit.

D'après l'intitulé même de la loi n°36-2001, le législateur tunisien admet trois sortes de marques à savoir la marque de fabrique, de commerce et de services.7

1 Publiée au JORT n°31 du 17 avril 2001. p. 834.

2 Cette loi tend indirectement à encourager l'investissement étranger, la protection des droits des investisseurs sur leurs droits de propriété intellectuelle, et notamment les droits sur la marque, les incite, ne serait-ce que théoriquement, à s'implanter en Tunisie. Voir en ce sens, les travaux préparatoires relatifs à cette loi, discussions parlementaires du 19 mars 2001, n°29. p. 1881.

3 La ratification par la Tunisie des accords de l'Uruguay Round est intervenue par le biais de la loi n°95-6 du 23 janvier 1995. JORT n°9 du 31 janvier 1995.

4 Une prise de conscience relative à la protection du commerce international légitime face à la nouvelle réalité de la contrefaçon dans le monde s'est manifestée après les négociations entamées durant le TOKYO ROUND sous l'égide de l'accord du GATT, ce regain d'intérêt pour les droits de propriété intellectuelle a fini par les mettre à l'ordre du jour des négociations de l'URUGUAY ROUND depuis 1986.

Suite à la fermeté de la position des pays industrialisés et singulièrement les Etats Unis d'Amérique, l'accord sur les ADPIC a vu le jour dans le contexte de la création de l'Organisation Mondiale du Commerce à Marrakech en 1994. L'ADPIC a vu le jour en droit comparé et en droit international des marques afin de contrecarrer la prospérité considérable qu'à connu le commerce de contrefaçon depuis les années 1980. il a pour finalité de créer une sorte de standard international en matière de protection des droits de propriété intellectuelle et notamment le droit sur la marque. L'accord ADPIC contribuait, en outre, à l'élimination les barrières non tarifaires qui entravent le développement du commerce international légitime.

La rationalité derrière l'accord ADPIC dépasse le cadre strict de la protection du droit sur la marque, c'est en effet une mesure qui se propose indiscutablement d'assainir le commerce international légitime entravé depuis les années 1980 par la montée incessante du commerce de contrefaçon. Concernant l'accord ADPIC, voir la thèse de M. ZHANG (SH) : « De l'OMPI au GATT » LITEC 1994.

5 L'efficacité s'entend du « mode d'appréciation des conséquences des normes juridiques et de leur adéquation aux fins qu'elles visent » Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2ème édition L.G.D.J, 1993, p. 219.

6 On entend par effectivité, le « degré de réalisation, dans les pratiques sociales, des règles énoncées par le droit » Ibid. p 217.

7 La marque de services est celle qui accompagne matériellement un service rendu par un commerçant.

Bien entendu, ces marques sont soumises à un régime juridique unitaire tant sur le plan de leur création que sur celui de leur protection. Quelle que soit sa dénomination, la marque est, au titre de l'article 2 de la loi n°36-2001, « un signe visible permettant de distinguer les produits offerts à la vente ou les services rendus par une personne physique ou morale. »

A la marque individuelle s'ajoute la marque collective. Au sens de l'article 66 de la loi n°36- 2001, une marque est dite collective « lorsqu'elle peut être exploitée par toute personne respectant un règlement d'usage établi par le titulaire de l'enregistrement ». Elle ne se distingue, par ailleurs, en rien des autres marques dans la mesure où l'article 67 la soumet au régime général de la marque au sens de la loi n°36-2001.

La loi n°36-2001 du 17 avril 2001 n'a pas révolutionné 1 catégoriquement le droit tunisien des marques, la jurisprudence a, relativement, su combler l'avarice du décret du 3 juin 1889 sur certaines questions tel que les conditions de validité de la marque.

Dès sa première consécration en droit positif tunisien par le biais de l'article 2 du décret du 3 juin 1889, le droit d'user, d'en jouir et d'en disposer d'une marque était clairement reconnu comme un droit de propriété sur le signe constitutif de la marque.

Cette conception du droit sur la marque n'a pas changé dans la loi n°36-200 1 qui dispose dans son article 21 que « l'enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits qu'il a désignés lors du dépôt ».

Le législateur tunisien est clair en ce sens, il consacre la notion de propriété et non pas celle d'un droit exclusif ou privatif dans l'absolu.

Comparée au décret de 1889, la loi du 17 avril 2001 a largement renforcé la protection des droits du propriétaire de la marque, l'illustration en est l'aggravation longtemps attendue des sanctions des atteintes aux droits sur la marque, la conversion des droits exclusifs du propriétaire de la marque en interdictions à l'égard des tiers, la mise en place à coté de la saisie-contrefaçon d'une procédure de saisie en douane de marchandises soupçonnées de porter une marque contrefaite.

A ce stade, une question se pose concernant les raisons de la protection de la marque comme en témoigne l'objet de la loi n°36-2001.

Le producteur fabrique un produit, le consommateur achète une marque. La marque devient de plus en plus un contrat de confiance, un raccourci entre le commerçant et le consommateur, c'est un véritable avantage concurrentiel.

1 Cela dit, sans bouleverser la jurisprudence qui lui est antérieure, la loi n°36-2001 a innové à plusieurs titres, on peut souligner en ce sens la reconnaissance des marques sonores ainsi que de la marque de services, la détermination des conditions de validité de la marque, la consécration de l'enregistrement comme seul et unique mode initial d'acquisition de la propriété sur la marque, l'aménagement d'une procédure d'opposition à l'encontre d'un dépôt de marque portant atteinte à des droits antérieurs, la possibilité de se pourvoir devant le juge contre les décisions du directeur de l'organisme chargé de l'enregistrement des marques, l'énumération des actes que le propriétaire est en mesure d'interdire aux tiers, l'obligation mise à la charge du propriétaire, sous peine de déchéance, d'exploiter sérieusement la marque et de veiller à ce qu'elle ne devienne pas trompeuse ou usuelle.

Par effet d'osmose, la marque exerce sur le consommateur un pouvoir considérable créateur d'une accoutumance stupéfiante qui est allée parfois jusqu'à pousser les commerçants et les hypermarchés à refouler la puissante image de marque de certaines marques en lançant des « produits libres »1 qui libèrent le produit de la marque du fabricant pour ne laisser dans l'esprit du consommateur que le souvenir de la marque de commerce du distributeur.

C'est le nom accolé sur le produit qui est créateur de plus-value et non pas le produit en lui- même. Le produit est muet, la marque lui donne un sens. Certains ont même estimé qu'« à défaut d'âme, les objets ont des marques. »2

La marque « est un potentiel de ventes futures déposé dans le subconscient de milliers d'individus »,3 elle capitalise en elle toute l'image de l'entreprise, elle peut aller jusqu'à devenir son bien le plus valeureux.

La familiarité rassurante de la marque repousse l'anxiété et l'indécision du consommateur lors de l'achat du produit. L'utilisation d'une marque peut aller jusqu'à marquer l'appartenance de celui qui l'emploi à une classe sociale bien déterminée, il arrive même que le consommateur soit hanté par le désir d'acquérir un produit seulement en raison de la marque qu'il porte et sans qu'il ne lui soit nécessaire de se procurer ce produit marqué.

Dans les économies modernes, la marque est perçue comme l'une des plus valeureuses composantes du patrimoine intellectuel de l'entreprise, car il lui revient dans une large mesure de rallier la clientèle autour de l'entreprise qui l'emploi.

Ainsi, l'usurpation des droits sur la marque semble être l'une des plus dangereuses atteintes qui peuvent être occasionnées à une entreprise, son accaparement par un concurrent fausse la loyauté de la concurrence et déjoue par la même la confiance présumée dans la poursuite des transactions commerciales.

Par ailleurs, le droit sur la marque s'analyse comme un droit de propriété caractérisé par sa nature exclusive impliquant une domination sur la chose objet du droit, en l'occurrence le signe constitutif de la marque. Le non respect des droits qu'à une personne physique ou morale sur sa marque est érigée classiquement en une atteinte constitutive d'un acte de contrefaçon de marque qui, selon l'article 44 de la loi n°36-2001, « engage la responsabilité civile et pénale de son auteur ».

Le même article considère que « toute atteinte aux droits du propriétaire de la marque constitue une contrefaçon ». Le droit privatif sur la marque suppose l'interdiction de l'usage dans le commerce du signe constitutif de la marque dans un même secteur d'activité, ainsi, la concurrence sera légalement prohibée chaque fois qu'un concurrent tente de reprendre le signe appartenant à autrui et servant pour le ralliement de la clientèle. La contrefaçon naît du chef même de la violation de cette interdiction.

1 Carrefour France a fait recours à cette pratique depuis 1976, il a été suivi par Euromarché qui commercialisait des « produits orange » pour lesquels tout lien direct entre le producteur et le consommateur est rompu.

2 De l'Écotais (Y) : « La Seccotine est irremplaçable » Editions Plon 1998. Cité par POLLAUD-DULIAN (F) : op. Cit. P. 513.

3 Pierre Herbin, Vendre, avril 1961. cité par LELOUP (J-M) : « La franchise, droit et pratique » 3ème édition. Editions Delmas 2000. N°326, p. 46.

Etant un délit spécifique qui a pour objet les droits sur la marque, la contrefaçon de marque se présente comme une atteinte singulière qui se distingue de n'importe quelle atteinte dont une marque pourrait faire l'objet.

Sans doute, c'est l'unification et à travers elle l'identification de la notion de contrefaçon de marque qui est la plus marquante des nouveautés apportées par la loi n°36-200 1 et plus précisément son article 44.

Une fois saisi par le droit, l'acte 1 de contrefaçon de marque, à l'image de tout fait de l'homme, devient l'objet possible d'une connaissance juridique. Ayant un régime juridique propre, l'acte de contrefaçon est parfaitement susceptible d'identification.

La condamnation de l'acte de contrefaçon par le droit des marques repose sur le fait qu'il constitue une atteinte aux droits exceptionnels reconnus par cette législation dérogatoire qui chasse le signe constitutif de la marque déposée du domaine public dès lors, le principe de la libre concurrence cessera d'être applicable.

L'identification 2 de l'acte de contrefaçon abouti à ranger ce type d'atteinte au droit sur la marque dans le régime juridique qui lui est propre. C'est donc en terme de spécificité que se défini l'acte de contrefaçon car bien qu'il constitue une atteinte à la propriété sur la marque, il se distingue des autres usurpations dont la marque pourrait faire l'objet. .

Le voisinage de la contrefaçon de marque est incontestablement constitué par l'institution de la concurrence déloyale 3 qui se définie selon l'article 10 Bis de la Convention d'Union de Paris comme « tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale ». Sise à l'article 92 C.O.C, la concurrence déloyale est approchée analytiquement par les rédacteurs du code à travers l'énumération indicative de quelques agissements proscrits qui seraient constitutifs de concurrence déloyale.

En prévoyant spécifiquement des dispositions relatives aux actes de concurrence déloyale, le législateur tunisien permet la sanction de ces actes a priori, alors qu'en droit français, compte tenu de l'absence d'un texte spécial, la jurisprudence ne peut que qualifier ces actes de déloyaux qu'une fois saisie par celui qui prétend en être la victime, et ce sur la base du droit commun de la responsabilité civile pour faute, en l'occurrence, les articles 1382 et 1383 du code civil français relatifs à la responsabilité civile du fait personnel.

Le premier cas cité par l'article 92 est celui du « fait d'user d'un nom ou d'une marque à peu près similaire à ceux appartenant légalement à une maison ou fabrique déjà connue, ou à une localité ayant une réputation collective, de manière à induire le public en erreur sur l'individualité du fabricant et de la provenance du produit. »

1 On entend par acte, la « manifestation de volonté ayant des conséquences juridiques. » Dictionnaire encyclopédique universel, éditions George Naef. Genève 1993. p.1 5.

2 L'identification « désigne l'acte d'esprit par lequel une identité se trouve ou constaté ou institué entre deux réalités. [..] à partir de ses traits distinctifs, confrontés avec une nomenclature scientifique » AUROUX (S) ( sous la dir.) : « Encyclopédie Philosophique Universelle » Tome II, Les notions philosophiques. PUF 1990. p. 1207.

3 Sur l'ensemble des arguments motivant la distinction entre la contrefaçon et la concurrence déloyale, voir la remarquable thèse de M. PASSA (J) : « Contrefaçon et concurrence déloyale » LITEC, 1997. p. 41 et sui.

D'emblée, on peut estimer que l'atteinte constitutive de contrefaçon est par la même attentatoire à la règle de la loyauté de la concurrence car l'usurpation dans ce cas n'aura pour principal effet que le détournement de la clientèle ralliée autour de l'entreprise qui utilise la marque en question.

Le principe de la libre concurrence implique la possibilité d'entreprendre une activité commerciale de son choix tout en utilisant des signes de ralliement de clientèle. Lors de ce choix, il ne faut pas que la liberté du choix du signe en question déborde sur l'accomplissement de pratiques déloyales en vue de conquérir la clientèle.

L'obtention d'un avantage concurrentiel indu et acquis par des procédés condamnables mettra celui qui en est le bénéficiaire dans une position favorable par rapport à ses concurrents sans que cet avantage soit le résultat d'un effort, d'un investissement ou d'une habilité professionnelle.

Dans cette optique, si l'acte de contrefaçon porte violation à un droit privatif sur une marque enregistrée, valablement constituée et parfaitement opposable aux tiers, l'auteur d'un acte de concurrence déloyale, lui, n'a pas pour objectif de contester un droit sur la marque, il se limite juste à abuser de la liberté de la concurrence en mettant en oeuvre des moyens ou des procédés attentatoires aux règles de l'honnêteté et de la loyauté tel que la recherche de la confusion, l'usurpation des signes de ralliement de clientèle utilisés par un concurrent, les fausses allégations, le dénigrement... etc.

L'acte de concurrence déloyale ne transgresse pas un droit privatif qui exclut temporairement la liberté de la concurrence, mais il contredit un devoir légal de loyauté dans l'exercice de cette liberté. La protection ne concerne donc plus la propriété, le débat se déplace ainsi de la sphère du droit des biens vers le terrain du droit des obligations.

L'acte de concurrence déloyale découle ainsi d'un excès ou d'un abus dans l'exercice de la liberté de la concurrence. En effet, la liberté de la concurrence étant le principe, il s'ensuit qu'un commerçant n'est jamais en faute toutes les fois où il use de cette liberté, le fait qu'il cherche à conquérir une clientèle est de tout ce qu'il y a de légitime, toutefois, pour arriver à cette fin, il faut observer les règles de la confiance et de l'honnêteté dans le domaine des transactions commerciales.

Bien entendu, « Un agent économique ne serait se plaindre de ce qu'un concurrent cherche à capter sa clientèle, puisqu'il n'a sur celle-ci aucun droit privatif [....] Simplement, si on doit admettre la licéité du « préjudice concurrentiel » ainsi entendu, on ne saurait tolérer que des actes déloyaux soient à l'origine du transfère de clientèle de l'un des compétiteurs vers l'autre ; la recherche de clientèle « d'autrui » est licite, à condition « de respecter les usages loyaux du commerce ».1

L'exclusivité qui va de pair avec le droit privatif du propriétaire de la marque est créatrice d'une exception au principe de la libre concurrence, alors que l'acte de concurrence déloyale n'a pour autre finalité que de porter atteinte au principe même de la liberté de la concurrence à travers l'excès qu'il renferme et qui se fonde sur l'usage de manoeuvres ou pratiques qui contredisent la loyauté ou l'honnêteté présumée être le pilier de l'éthique de tout commerçant.

Ainsi, ce n'est que le moyen déloyal utilisé lors de la conquête de la clientèle qui se trouve prohibé car, étant fugitive et non susceptible d'appropriation définitive ou même provisoire, « la clientèle est à celui qui sait la conquérir et la prendre »1 dans les règles de loyauté et d'honnêteté de l'art commercial.

Il est permis donc de voir en l'acte de contrefaçon une manifestation éclatante de la déloyauté, néanmoins et au-delà de cette connexité évidente résultant de sa perception dichotomique, l'acte de contrefaçon se présente intrinsèquement et avant tout comme une violation d'un droit privatif et non pas une violation d'une certaine éthique ou déontologie professionnelle dont le respect est inévitable, à peine de sanction, pour chaque commerçant.

A vrai dire, compte tenu sa nature de fait juridique, de sa déroutante contingence à des institutions voisines et du mandat reconnu au juge afin de l'identifier, l'identification de l'acte de contrefaçon ne peut accéder en définitive à la certitude.

L'identification de l'acte de contrefaçon présente ainsi une complexité plus qu'évidente que ce soit d'un point de vue de la qualification juridique ou de la constatation dans les faits.

En effet, il est certains facteurs de complexité qui rendent l'identification de l'acte de contrefaçon de marque une entreprise délicate, il s'agit, en effet, de la nature factuelle de la contrefaçon de marque qui ajoute à l'entreprise de son identification une complexité complémentaire. En raison de sa nature de fait juridique, l'identification de cet acte impose une sorte de délégation de pouvoir au profit du juge à qui revient en définitive l'appréciation de l'existence de la contrefaçon.

Les actes constitutifs de contrefaçon présentent, par ailleurs, un fort degré de parenté quelque fois déroutant. En effet, il arrive parfois que l'on puisse qualifier un seul acte matériel de contrefaçon comme impliquant un délit d'usage, de reproduction, d'usage d'une marque reproduite ainsi qu'un cas d'apposition.

Un facteur de complication semble aussi peser sur l'appréciation de la contrefaçon, c'est celui de la bonne foi. En effet, exception faite des actes interdits dans l'article 52, bien qu'il soit établi que l'acte de contrefaçon est répréhensible indifféremment de la bonne foi de son auteur, il semble que le juge tunisien ne soit pas totalement familiarisé avec le paradigme de la responsabilité objective. Certaines décisions cherchent à motiver la condamnation d'un acte de contrefaçon par une appréciation plus ou moins subjective du comportement du contrefacteur.

Un autre facteur semble aussi compter pour beaucoup dans la démarche du juge, c'est celui de la technicité du droit des marques ainsi que son caractère un peu abstrait. Le juge tunisien n'est pas encore familiarisé au droit des marques, il lui arrive de confondre marque et produit.2

L'acte de contrefaçon présente aussi un caractère multi-céphal, il constitue une atteinte à un droit privatif préexistant qui a pour fonction d'interdire la concurrence, il a aussi un caractère foncièrement déloyal car il porte forcément atteinte à la règle de loyauté dans le commerce, il touche enfin le consommateur sa victime perpétuelle.

1 ROUBIER (P) : «Théorie générale de l'action en concurrence déloyale » Revue de Droit Commercial 1948. I. p. 554.

2 Cass-Civ, n°18698 du 4 décembre 1989. Bulletin de la Doctrine et de la Jurisprudence 1997, n°1. p. 149. voir aussi, TPI, Sfax, Jugement n°14808 du 13 février 1989. Bulletin de la Doctrine et de la Jurisprudence 1997, n°1. p. 144.

Parmi les facteurs de complication, on compte la subtilité de la distinction de l'acte de contrefaçon par rapport aux autres atteintes à la marque et qui ne rentre pas dans le champ d'application de la loi des marques.

Néanmoins et sans aller jusqu'à le rendre non identifiable, il semble judicieux de suivre la démarche de l'article 44 de la loi n°36-2001, lequel n'ayant pour objet que de tracer les contours de l'acte de contrefaçon de marque.

Selon l'article 44 de la loi n°36-2001, « Toute atteinte portée aux droits du propriétaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile et pénale de son auteur.

Constitue une atteinte aux droits sur la marque, la violation des dispositions prévues aux articles 22 et 23 de la présente loi ».

Au-delà de leur clarté apparente, le fait de prétendre à l'automatisme dans la mise en oeuvre des dispositions de la loi n°36-2001 relatives à l'acte de contrefaçon de marque serait tout à fait illusoire en raison de leur indéterminisme évident. Ceci est vrai tant pour celles qui définissent l'acte de contrefaçon que pour celles qui spécifient ses manifestations possibles. Il est permis de voir ainsi dans ce dispositif légal une coquille vide 1 dont le contenu sera déterminé par le juge ou d'une manière générale par l'interprète..

L'article 44 parle d'une atteinte dans l'absolu aux droits du propriétaire. Temporairement, l'acte de contrefaçon s'identifie à une atteinte aux droits sur la marque, c'est en quelque sorte une approche synthétique de l'acte en soi et à l'état statique, c'est en quelque sorte une qualification de l'acte avant toute expérience, matérialisation ou extériorisation.

L'usage des définitions dans la loi cherche à circonscrire la discrétionnalité interprétative ; celle-ci ne peut toutefois jamais être éliminée, car même les énoncés de définition doivent de toute évidence être interprétées à leur tour.

Cette démarche trouve un écho dans l'article 44 dans ses deux alinéas. En effet, la contrefaçon est une atteinte aux droits du propriétaire de la marque, l'atteinte en question est définie à son tour comme étant la violation de dispositions spécifiques de la loi n°36-2001. Ces dispositions sont relatives aux actes que le propriétaire serait admis à interdire aux tiers.

En consultant les dispositions des articles 22 et 23 de la loi n°36-2001 auxquelles renvoie l'article 44 alinéa 2, on s'aperçoit aussitôt des limites de la définition des catégories d'actes par lesquels se manifeste l'atteinte constitutive de contrefaçon.

Il est certain que la définition des ces actes, en l'occurrence la reproduction, l'usage, l'apposition, la suppression, l'imitation, etc., n'est ni possible à titre définitif ni souhaitable d'un point de vue pratique compte tenu du caractère contraignant de la définition en droit. Leur définition circonstanciée n'ira pas sans tomber dans une circularité de la définition.

1 Rouvillois (F) : « Le droit » GF Flammarion, 1999. p. 219. En considérant le droit et plus précisément la règle juridique comme une coquille vide, une école anglo-saxonne de l'interprétation en droit, en l'occurrence celle du réalisme juridique américain, a pour principal souci de reconnaître au juge la possibilité, voire le nécessaire pouvoir, de remodeler, préciser et affiner le droit positif pour l'adapter aux changements incessants et aux situations de faits toujours différentes.

L'identification à ce stade rend compte du qualificatif d'atteinte, cette atteinte, qu'est la contrefaçon, renferme des spécificités qui découlent par ricochet de la spécificité de l'objet de l'atteinte lui-même, en l'occurrence, le droit de propriété ayant pour objet une marque.

L'article 44 parle de toute atteinte, cette ambiguïté momentanée n'est que fonction de l'objet même de l'alinéa 1 de l'article 44, car c'est au concept même de contrefaçon que s'intéresse cet alinéa. Pour donner une substance ou un contenu suffisamment précis à l'acte de contrefaçon de marque, l'article 44 al. 2 invite l'identificateur à consulter les articles 22 et 23 de la même loi afin de déterminer les actes dont l'exercice non autorisé par un tiers serait constitutif d'un acte de contrefaçon.

La consommation de l'un de ces actes interdits aux tiers sauf autorisation du propriétaire tel que la reproduction de la marque, son usage, son imitation, son apposition, etc, peut être perçue comme la mise en oeuvre de l'atteinte au droit sur la marque, c'est à travers ces actes, qui supposent la dynamique, que l'atteinte s'extériorise et devient sujette à détermination.

En dévoilant l'économie générale de l'acte de contrefaçon, l'article 44 reflète en vertu de l'articulation de ses deux alinéas « la technique du développement en parallèle »,1 il avance le principe ou la définition puis sa mise en oeuvre ou ses cas particuliers.

La démarche poursuivie par le législateur tunisien lors de l'identification de l'acte de contrefaçon de marque répond à la logique de l'entonnoir, il procède du général, en considérant que « toute atteinte aux droits du propriétaire de la marque constitue une contrefaçon », pour finir au particulier, c'est-à-dire la spécification de la quintessence même de l'acte en disposant que « Constitue une atteinte aux droits sur la marque, la violation des dispositions prévues aux articles 22 et 23 de la présente loi ». Ainsi, on part de la règle à son application.

La structure de l'article 44, pierre angulaire de l'identification de l'acte de contrefaçon, le fait paraître comme la réponse à une question posée par le destinataire de la règle qu'il énonce.

Le recours à l'affirmatif « Tout » exprime clairement la totalité globalement sans l'individualiser. Placée en tête de l'article, le terme marque la généralité et la met en pleine évidence.

L'acte de contrefaçon s'identifie à une atteinte qui se distingue par ses spécificités de n'importe quelle atteinte perpétrée à la marque et c'est là où l'article 44 alinéa 1 devient profitable dans la mesure où il trace les termes de l'économie générale de l'acte de contrefaçon, bien entendu l'intérêt de cet article se résume à l'approche synthétique qu'il renferme, sa généralité ne l'empêche pas d'être décisif lors de l'identification une fois qu'il est décortiqué.

La qualification de la contrefaçon comme atteinte est symptomatique car d'emblée la loi place le débat sur le terrain de l'illégalité, la spécificité de cette atteinte découle incontestablement des propriétés de l'objet auquel elle s'attaque, en l'occurrence, le droit du propriétaire de la marque.

C'est de l'interdépendance des rapports entre le droit sur la marque et l'atteinte qui lui est perpétrée que se dégage les traits caractéristiques propres à identifier l'acte de contrefaçon de marque. Bien qu'elle semble tautologique, la détermination des spécificités de la marque et du droit dont elle fait l'objet s'impose incontestablement à l'identificateur de l'acte de contrefaçon.

1 CORNU (G) : « Linguistique juridique » 2ème éd, Montchrestien 2000. p. 302.

En effet, si l'acte de contrefaçon devait être un livre, la mise en exergue de la quintessence du droit de marque auquel il porte atteinte en sera la préface. La définition légale de l'acte de contrefaçon est en elle-même sujette à décortication car, compte tenu de sa nature de fait juridique, l'acte de contrefaçon échappe d'emblée à toute tentative de délimitation définitive concernant ses manifestations possibles.

De la démarche poursuivie par le législateur tunisien, se dégage un constat qui se résume à considérer que l'identification de l'acte de contrefaçon est réalisable en deux temps ou à deux vitesses allant de l'unicité conceptuelle de l'acte vers une diversité factuelle et catégorielle de ses manifestations.

Ainsi, se pose la question de savoir en quoi consiste la spécificité de l'identification de l'acte de contrefaçon de marque ?

Notre approche sera axée sur une étude structurale de l'article 44 siège de la philosophie générale de l'acte de contrefaçon et point de départ de l'entreprise de son identification. En effet, en le présentant d'une manière synthétique, l'alinéa premier de l'article 44 dévoile l'infrastructure de l'acte de contrefaçon qui n'est autre qu'une atteinte aux droits du propriétaire de la marque.

Quant à l'alinéa deuxième du même article, tout en poursuivant une approche analytique, il se prononce in concreto sur la superstructure ou encore la phénoménologie de l'acte de contrefaçon de marque et ce, en renvoyant aux actes interdits aux tiers dans les articles 22 et 23 de la loi n°36- 2001 du 17 avril 2001..

Ainsi et en vue d'arriver à une satisfaisante identification de l'acte de contrefaçon de marque, ne voilà t-il pas possible de joindre l'utile à l'agréable en associant à l'étude analytique des contrefaçons, dans leur riche palette, la conceptualisation de l'acte de contrefaçon dans le dessin de tracer, partout où il atterrit, son fil conducteur ou son droit commun.

Titre premier : L'approche synthétique de l'acte de

contrefaçon :

une atteinte au droit de propriété sur la marque

Titre deuxième : Les manifestations de l'acte de

Contrefaçon

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